Dans l’arrêt Scene Holding Inc. c. Galeries des Monts inc.,[1] la Cour d’appel du Québec met en lumière l’importance de considérer, lors de la rédaction de transactions, le caractère évolutif des normes ou critères applicables en matière environnementale, surtout lorsque ces normes ou critères sont prévus dans une politique qui n’a pas force de loi.
Contexte factuel et jugement de première instance
L’appelante était propriétaire d’un centre commercial à Saint-Sauveur. Elle a été confrontée à une contamination de ses eaux souterraines par du perchloroéthylène (« PCE »), un solvant toxique, provenant de l’emplacement d’un locataire du centre d’achat voisin de celui de l’intimée, Les Galeries des Monts inc. Considérant le PCE comme un contaminant en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement,[2] l’appelante a déposé une demande introductive d’instance contre l’intimée, recherchant l’octroi de dommages-intérêts pour la perte de valeur de son terrain et pour la responsabilité extracontractuelle de l’intimée.
En 2004, une transaction de règlement (la « Transaction ») est survenue entre les parties, prévoyant l’obligation d’effectuer des travaux de décontamination. En 2013, l’appelante a intenté une seconde action en justice, par laquelle elle demandait l’annulation de la Transaction et des dommages-intérêts pour près de 5,7M$. L’appelante alléguait le défaut de l’intimée de respecter les obligations de la Transaction, alors que l’intimée réclamait de son côté le remboursement des sommes versées lors de la Transaction avec intérêts, pour une somme de 454 753$.
La Cour supérieure a rejeté le recours de l’appelante, qui a porté le recours devant la Cour d’appel.
Motifs et conclusion de la Cour d’appel
Portée de l’obligation de décontamination prévue par les parties
La prétention de l’appelante reposait sur la prémisse que l’obligation de décontamination de l’intimée n’était pas limitée au PCE, mais visait d’autres contaminants environnementaux. Selon l’appelante, le juge aurait dû reconnaître l’existence d’une ambiguïté contractuelle, ce qui aurait justifié une interprétation du contrat tenant compte des préoccupations environnementales de l’époque.
La Cour d’appel a conclu que l’intention des parties, telle qu’exprimée dans la Transaction, était de limiter la décontamination du site de l’appelante uniquement du contaminant qu’est le PCE. En effet, la preuve a révélé que les parties savaient que le PCE se dégradait en d’autres métabolites, constituant ainsi d’autres contaminants environnementaux, mais le préambule de la Transaction identifiait expressément et uniquement le PCE à titre de contaminant environnemental.
Selon la Cour, l’interprétation aurait pu être différente si les parties n’avaient pas eu cette connaissance lors de la conclusion de la Transaction. Bien que l’objectif de l’appelante au moment de la signature de la Transaction était d’obtenir un financement hypothécaire, cela ne se reflétait pas dans l’intention commune des parties. La Cour a d’ailleurs souligné que l’appelante ne réfute pas le fait que des experts environnementaux l’ont conseillée lors de la conclusion de la Transaction.
L’obligation de décontamination étant limité au PCE, l’intimée pouvait donc bénéficier de la quittance prévue à la Transaction, selon laquelle l’appelante renonçait « absolument et irrévocablement » à toute cause d’action relative au problème de contamination, même si de la contamination autre que le PCE persistait.
L’objectif de décontamination à atteindre
L’appelante soutenait également que les parties n’avaient jamais eu l’intention de limiter la remédiation au critère de « Résurgence dans les eaux de surface ou infiltration dans les égouts » (« RESIE ») énoncé dans la Politique de protection des sols et de réhabilitation des terrains contaminés (la « Politique ») de 1998. Selon l’appelante, le but de la Transaction était en réalité une remédiation complète de la contamination en vue de l’obtention de financement, de sorte que le critère applicable pour déterminer si l’intimée avait rempli son obligation de décontamination serait le critère de « Résurgence dans l’eau de surface » applicable depuis l’adoption de la Politique de 2016.
La Cour d’appel a confirmé que l’objectif de décontamination à atteindre était le critère RESIE de la Politique de 1998, celui en vigueur lors de la conclusion de la Transaction. Pour qu’une loi nouvelle entrée en vigueur après la conclusion de la Transaction s’applique, il aurait fallu que les parties l’intègrent sans équivoque dans la Transaction. Ainsi, le critère applicable à la décontamination du site de l’appelante ne pouvait être que celui applicable au moment de la conclusion de la Transaction.
Points à retenir
Dans cette décision, la Cour d’appel rappelle que les droits et obligations découlant d’un contrat sont fixés et cristallisés dès sa conclusion, à moins que les parties ne le prévoient autrement. Plus précisément, les droits et obligations des parties à un contrat sont en principe régis par la loi en vigueur au moment où il se forme, et pour qu’une loi nouvelle, entrée en vigueur après la conclusion du contrat, ne vienne les modifier, les parties doivent le prévoir clairement et de manière non-équivoque. Puisqu’en l’espèce, les critères de la Politique de 1998 ne sont pas des normes légales, la cible à atteindre dans le cadre de la Transaction ne pouvait pas être mouvante, sauf si les parties l’avaient expressément prévu, ce qu’elles n’ont pas fait.
En conclusion, l’arrêt Scene Holding Inc. constitue un rappel de l’importance d’une rédaction précise des clauses environnementales afin qu’elles reflètent l’intention des parties contractantes au moment de la signature du contrat. En dépit de la complexité de la réglementation et des politiques environnementales, l’intention des parties demeure un aspect essentiel et déterminant. Même en présence d’obligations légales strictes, les tribunaux s’efforceront de discerner la volonté des parties au moment de la conclusion du contrat. Par conséquent, il incombe aux parties de prêter une attention particulière aux clauses relatives aux politiques environnementales et à leur évolution potentielle, ce qui peut influencer l’exécution du contrat. De même, cet arrêt met en lumière la nécessité d’une rédaction minutieuse afin d’anticiper et d’intégrer l’évolution des normes environnementales selon la volonté des parties. Cette décision pourrait servir de précédent pour les litiges futurs concernant l’interprétation de clauses contractuelles en matière environnementale.
[1] Scene Holding Inc. c. Galeries des Monts inc., 2024 QCCA 704 (Scene Holding Inc.).
[2] Loi sur la qualité de l’environnement, RLRQ, c. Q-2.