La Cour suprême clarifie la compétence des arbitres du travail en matière de droits de la personne

10 Déc 2021 7 MIN DE LECTURE

La Cour suprême du Canada (la CSC) dans l’affaire Office régional de la santé du Nord c. Horrocks, 2021 CSC 42, a précisé que lorsqu’une convention collective confère à un arbitre du travail une compétence exclusive sur les questions découlant d’un milieu de travail syndiqué, cette exclusivité s’applique aux éventuelles violations des droits de la personne.

La CSC a donc confirmé qu’à moins qu’il y ait une intention législative explicite de conférer une compétence concurrente sur un différend en particulier, dans le cas où l’arbitre du travail a une compétence exclusive sur le règlement du différend, les employés syndiqués ne peuvent pas demander leur propre mode de règlement, mais ils doivent plutôt utiliser les modes de règlement des différends convenus dans la convention collective.

Contexte

L’employée demanderesse, Linda Horrocks, a été suspendue en 2011 de son emploi à l’Office régional de la santé du Nord, car elle s’est présentée au travail en état d’ébriété. Après qu’elle eût révélé son alcoolisme, son employeur lui a demandé de signer une entente l’exigeant à s’abstenir de consommer de l’alcool. Elle a refusé de signer l’entente, et a été congédiée par la suite. Son syndicat a déposé une plainte auprès de l’arbitre du travail. La plainte a été réglée et la demanderesse a été réintégrée dans son emploi selon essentiellement les mêmes conditions que celles de l’entente que la demanderesse avait refusé de signer. Cependant, elle n’a pas été en mesure de respecter les conditions de son emploi et a été congédiée à nouveau. La demanderesse a déposé une plainte auprès de la commission des droits de la personne, alléguant une violation du Code des droits de la personne causée par une discrimination fondée sur son handicap.

Devant la Commission des droits de la personne du Manitoba (la Commission), l’Office régional de la santé du Nord a soutenu que l’arbitre n’avait pas compétence à l’égard de l’affaire, en raison de la décision de la CSC dans l’affaire Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929. L’employeur a fait valoir que la demanderesse était une employée syndiquée et que l’arbitre du travail avait une compétence exclusive sur l’affaire en raison de la compétence qui lui est conférée dans la convention collective. L’arbitre des droits de la personne a rejeté cet argument et a exercé sa compétence en la matière. L’arbitre a ensuite soutenu que les droits de la personne de Mme Horrocks avaient été violés.

Lors du contrôle judiciaire, le juge Edmond a annulé la conclusion de la Commission. Selon lui, la question centrale consistait à savoir si l’employeur avait un motif valable de congédier la demanderesse, et si une telle conclusion, y compris les répercussions liées aux droits de la personne, relevait de la compétence exclusive de l’arbitre du travail.

La Cour d’appel a souscrit à la conclusion du juge de première instance selon laquelle le différend concernant le congédiement relève de la compétence exclusive de l’arbitre du travail, même lorsqu’il est question de droits de la personne. Elle a néanmoins conclu que la Commission avait compétence pour les raisons suivantes :

  • Mme Horrocks avait choisi de retrancher les aspects relatifs à l’emploi et à ceux relatifs aux droits de la personne de sa demande en ne portant pas plainte à l’égard de son congédiement;
  • l’allégation de discrimination transcendait le contexte de l’emploi;
  • le syndicat ne voulait pas aller en arbitrage.

La Cour d’appel a demandé à la Cour du Banc de la Reine de déterminer si la décision sur le fond de la plainte de discrimination était raisonnable.

Décision de la Cour suprême du Canada

La CSC a accueilli le pourvoi et a rétabli la conclusion du juge de première instance selon laquelle la Commission n’avait pas de compétence concurrente à l’égard de l’affaire. L’élément central de la conclusion de la majorité était le fait que dans la précédente décision Weber, on demandait aux tribunaux d’accorder la compétence exclusive aux arbitres du travail lorsque la question en litige faisait l’objet d’une convention collective.

Les juges majoritaires de la Cour ont soutenu que même si les lois sur les droits de la personne ont préséance sur les autres lois, l’obligation est simple : les droits et obligations prévus par les lois sur les droits de la personne doivent être respectés avant les droits et obligations de toute autre loi. En outre, les procédures des lois sur les droits de la personne ne doivent pas avoir préséance sur les procédures des autres lois, à moins que le législateur n’ait exprimé une telle intention de manière non équivoque et explicite.

Les juges majoritaires ont également soutenu que tenir compte du contexte d’un tribunal concurrent chaque fois aurait pour effet de soulever des questions de délimitation des compétences et de créer une confusion en ce qui concerne la juridiction compétente pour régler un litige. Ces questions de délimitation des compétences seraient contraires aux principes de prévisibilité, de certitude et de caractère définitif. Les juges majoritaires ont ensuite conclu que la présomption devrait être que l’arbitre du travail a une compétence exclusive, à moins qu’il y ait une intention législative d’écarter cette présomption.

La juge dissidente Karakatsanis a soutenu que la jurisprudence et le régime législatif ne permettaient pas de penser que les arbitres du travail avaient une compétence exclusive dans tous les cas. Selon elle, les tribunaux devaient, conformément à la jurisprudence, favoriser l’arbitrage des conflits de travail plutôt que les actions en justice, mais il restait la possibilité que deux organismes constitués en vertu d’une loi puissent avoir compétence concurrente sauf si un des organismes écarte explicitement tous les autres organismes. 

En outre, elle a indiqué que la conclusion des juges majoritaires mettrait en péril l’accès à la justice. Le devoir de juste représentation du syndicat est un devoir collectif qui nécessiterait de trouver un équilibre entre les besoins de tous les syndiqués, de sorte que le syndicat a le pouvoir discrétionnaire de ne pas donner suite à une plainte pour violations de droits de la personne. Le fait de conférer une compétence exclusive aux arbitres du travail empêcherait véritablement le traitement des violations des droits de la personne. Par conséquent, la juge Karakatsanis a conclu que la Cour devrait permettre la compétence concurrente sur les questions de droits de la personne, et que la Commission devrait alors adopter la pratique de décliner compétence à moins qu’elle ne trouve les conclusions de l’arbitre du travail déraisonnables ou injustes.

Les juges majoritaires ont explicitement rejeté cette suggestion, en citant le fait que les tribunaux des droits de l’homme ont statué qu’ils avaient une compétence concurrente et qu’ils l’ont exercée, même lorsqu’il existait une procédure parallèle d’arbitrage en droit du travail. Les juges majoritaires se sont dits préoccupés par le dédoublement d’instances et le risque que les tribunaux des droits de la personne puissent essentiellement renverser l’autorité des arbitres du travail, dans le cas où, selon le tribunal des droits de la personne, la décision de l’arbitre du travail est injuste. En outre, les juges majoritaires ont conclu que le syndicat avait un devoir de juste représentation et devait s’efforcer de faire en sorte que toutes les allégations de la personne, y compris les violations des droits de la personne, soient traitées équitablement.

Conclusion

Cette décision répond à la question de savoir si les membres du syndicat peuvent demander réparation par eux-mêmes. Essentiellement, la CSC a ordonné aux employés syndiqués de recourir d’abord à l’arbitrage des conflits de travail lorsque leur convention collective donne compétence exclusive à un arbitre du travail. Pour les employeurs dont la main-d’œuvre est syndiquée, cette décision apporte une certitude favorablement accueillie au régime législatif et empêchera le dédoublement des instances concernant le même employé.