Auteurs(trice)
Associé, Fiscalité, Montréal
Associée, Fiscalité, Toronto
Le 19 mars 2021, la Cour suprême du Canada a entendu l’appel dans Canada c. Alta Energy Luxembourg SARL, une affaire dans laquelle la Couronne était d’avis que le contribuable s’était livré à du « chalandage fiscal » abusif. La Cour suprême a ajourné son jugement, ce qui signifie que sa décision et ses motifs écrits seront publiés à une date ultérieure.
Contexte de l’appel
Il s’agissait d’un appel interjeté par la Couronne de la décision de la Cour d’appel fédérale (la CAF), qui a jugé que la règle générale anti-évitement du Canada (la RGAE) ne s’appliquait pas dans le cas où le contribuable, une société résidant au Luxembourg, s’était prévalu de la convention fiscale entre le Canada et le Luxembourg (la Convention) pour exonérer un gain en capital de l’impôt canadien sur le revenu.
En bref, la CAF a conclu que l’objectif des dispositions pertinentes de la Convention était clairement indiqué dans son texte et que les résidents du Luxembourg qui remplissaient autrement les conditions requises par la Convention devraient pouvoir se prévaloir de l’avantage prévu par la Convention (dans ce cas, l’exonération d’impôt au Canada sur le gain en capital). La CAF a refusé de lire des exigences supplémentaires non fondées dans le texte et qui pourraient en théorie empêcher certains résidents d’obtenir les avantages prévus par la Convention.
Ce faisant, la CAF a confirmé la décision de la Cour canadienne de l’impôt (la CCI). Entre autres conclusions, la CCI avait également déterminé que la RGAE ne s’appliquait pas et que le contribuable avait droit à l’exonération prévue par la Convention.
Pour une discussion plus détaillée sur la décision de la CAF, veuillez consulter le bulletin d’actualités Osler daté du 19 février 2020.
Faits pertinents et contexte procédural
Les actions du contribuable (une société luxembourgeoise) étaient détenues par une société en commandite, dont les membres n’étaient pas majoritairement résidents du Luxembourg. Le contribuable détenait des actions d’une société canadienne (Canco), acquises dans le cadre d’une restructuration. Canco, à son tour, détenait une participation directe dans des avoirs miniers canadiens (des concessions pétrolières et gazières en Alberta), dans lesquels elle exerçait des activités d’exploration et de production. Lorsque le contribuable a vendu les actions de Canco en 2013, il a réalisé un gain en capital de plus de 380 millions de dollars, et a fait valoir que ce gain en capital était exempt d’impôt au Canada.
Le paragraphe 13(4)a) de la Convention donne le droit, au Canada, de soumettre un résident du Luxembourg à l’impôt sur le gain provenant de l’aliénation d’actions si la valeur de ces actions est principalement tirée de biens immobiliers situés au Canada. L’expression « bien immobilier » exclut expressément les biens dans lesquels la société a exercé son activité.
La Cour canadienne de l’impôt a conclu que le contribuable était un résident du Luxembourg et que la valeur des actions de Canco était principalement tirée des biens immobiliers dans lesquels ses activités d’exploration et de production pétrolière et gazière étaient exercées. La CCI a également conclu que la RGAE ne s’appliquait pas pour refuser l’avantage applicable prévu par la Convention. L’appel interjeté par la Couronne auprès de la CAF n’avait trait qu’à la RGAE.
La CAF a confirmé la conclusion de la CCI selon laquelle la RGAE ne s’appliquait pas.
Arguments soulevés devant la Cour suprême
En appel devant la Cour suprême, la Couronne était d’avis que la CAF avait commis une erreur dans son application de la RGAE, en limitant son analyse au texte des dispositions pertinentes de la Convention. La Couronne a soutenu que la politique ou le fondement sous-jacent des dispositions de la Convention était de répartir les droits d’imposition en fonction des « liens économiques » avec chaque État contractant.
Bien que la Couronne ait admis que le contribuable était un résident du Luxembourg aux fins de la Convention, elle a néanmoins soutenu que le contribuable avait des « liens économiques ou commerciaux » limités avec le Luxembourg et qu’il s’était donc livré à un « chalandage fiscal », contraire à la politique des dispositions de la Convention dont il s’était prévalu. Enfin, la Couronne a soutenu que l’accent mis par la CAF sur le texte « rendait la RGAE largement inapplicable aux conventions fiscales du Canada. »
En réponse, le contribuable a fait valoir que le fondement sous-jacent des dispositions pertinentes de la Convention n’avait pas été interprété plus largement que le texte lui-même et qu’une analyse textuelle, contextuelle et intentionnelle de ces dispositions ne démontrait aucune intention de s’écarter des critères soigneusement définis négociés et convenus par les partenaires de la Convention. Le contribuable a également soutenu qu’en cherchant à faire appliquer la RGAE, la Couronne ajoutait en fait une condition non exprimée au critère de résidence prévu par la Convention.
Thèmes de l’audience
Un certain nombre de thèmes généraux peuvent être dégagés des questions posées par la Cour suprême pendant l’audience.
Premièrement, la Cour suprême a cherché à savoir si la Couronne soutenait que la soi-disant condition de « lien économique » faisait partie du critère de résidence (c.-à-d. si le lien économique n’était pas suffisant, le contribuable ne serait pas considéré comme un résident aux fins de la Convention dans son ensemble), ou s’il s’agissait d’une condition supplémentaire pour obtenir des avantages, en plus d’être un résident comme défini dans la Convention. La Couronne a précisé qu’elle ne contestait pas la résidence du contribuable aux fins de la Convention, mais que, selon elle, la RGAE exigeait que la Cour suprême ne s’en tienne pas qu’à la détermination de la résidence.
Deuxièmement, en ce qui concerne l’argument de la Couronne selon lequel l’interprétation de la RGAE par la CAF « rendait la RGAE largement inapplicable aux conventions fiscales du Canada », la Cour suprême a demandé aux avocats des deux parties la façon dont la RGAE pourrait en théorie s’appliquer aux dispositions d’une convention fiscale selon l’approche interprétative de la CAF. La Cour suprême a cherché à comprendre les circonstances dans lesquelles la politique des dispositions de la Convention pourrait s’éloigner de ce qui est exprimé dans le texte, de sorte que la RGAE pourrait s’appliquer. Un certain nombre d’exemples hypothétiques ont été abordés.
Selon nous, la décision de la CAF ne prive pas la RGAE de son sens. Par exemple, la RGAE pourrait potentiellement s’appliquer à une transaction ou à une série de transactions en particulier lorsque son application ne modifierait pas sensiblement les conditions de l’élément fondamental d’une convention fiscale, comme la résidence. Il semble raisonnable de conclure que, quelle que soit l’issue de cet appel, il existe des circonstances dans lesquelles la RGAE pourrait s’appliquer aux dispositions des conventions fiscales du Canada.
Troisièmement, certains membres de la Cour suprême ont suggéré qu’un examen de la politique des dispositions de la Convention nécessite une analyse de l’intention des deux partenaires de la convention. Dans ce cas, il est difficile d’accepter que le Luxembourg ait voulu que les sociétés de portefeuille luxembourgeoises détenues par des non-résidents de ce pays ne puissent pas se prévaloir des avantages prévus par la Convention. De plus, la Cour suprême a fait référence à certaines observations de la Cour de l’impôt selon lesquelles il est présumé que les parties à une convention fiscale connaissent le système fiscal de l’autre pays lorsqu’elles négocient une convention fiscale et que, si le Canada avait voulu limiter les avantages prévus par la Convention dans certaines circonstances, il aurait pu insister pour le faire dans la Convention elle-même (comme il l’a fait dans certaines autres conventions fiscales, notamment la convention fiscale du Canada avec les États-Unis).
Enfin, la Cour suprême a constaté que l’instrument multilatéral (l’IM), qui s’applique à diverses conventions fiscales (dont la Convention), ne s’appliquait pas aux transactions en question et que son application n’était pas rétroactive. L’IM contient notamment un « critère des objectifs principaux » qui permet qu’un avantage prévu à une convention soit refusé à une partie concernée par un montage ou une transaction dont l’objectif principal est d’obtenir cet avantage, à moins que cet avantage ne soit conforme à l’objet et au but des dispositions de la convention.
L’IM a pris effet pour des conventions fiscales entre le Canada et de nombreux pays, notamment le Luxembourg, a) concernant les retenues à la source, le 1er janvier 2020, et b) concernant les autres impôts (y compris l’impôt sur les gains en capital), pour une année d’imposition commençant le 1er juin 2020 ou ultérieurement (et, dans le cas des contribuables dont l’année d’imposition correspond à l’année civile, le 1er janvier 2021).
En faisant référence à l’IM, la Cour suprême a semblé répéter des commentaires similaires faits par la CAF, qui signalait que les transactions pourraient être analysées différemment si elles étaient conclues après l’entrée en vigueur de l’IM. Il reste à voir si la Cour suprême fournira des précisions sur l’application potentielle de la RGAE dans de telles circonstances.
Pour plus de renseignements sur l’appel d’Alta Energy ou sur d’autres questions fiscales, veuillez communiquer avec un membre du groupe de droit fiscal d’Osler.