La décision Eco Oro : la CVMO met fin aux placements privés pendant une course aux procurations

25 Avr 2017 13 MIN DE LECTURE

La Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) a infirmé une décision de la Bourse de Toronto (TSX) qui approuvait conditionnellement un placement privé, dans le contexte d’une course aux procurations. La TSX avait approuvé l’émission de près de 10 % d’actions ordinaires d’Eco Oro Minerals Corp. (Eco Oro) destinées aux actionnaires existants qui appuyaient le conseil d’administration en place, à peine huit jours avant la date de clôture des registres aux fins d’une assemblée des actionnaires demandée pour remplacer le conseil d’administration d’Eco Oro. À la suite de cette décision, les placements privés dans le contexte d’une course aux procurations et d’autres situations contestées pouvaient faire l’objet d’un examen plus approfondi de la TSX, en vue de déterminer si l’émission devrait être soumise à l’approbation des actionnaires. La décision de la CVMO annule le placement privé, à moins qu’il ne soit approuvé par les actionnaires d’Eco Oro. La compétence de la CVMO à émettre ce genre d’ordonnance a fait l’objet de nombreux débats.

Dans une décision distincte, rendue le lendemain de la décision de la CVMO, la Cour suprême de la Colombie-Britannique (la Cour) a rejeté une requête des actionnaires d’Eco Oro visant à faire annuler l’émission d’actions d’Eco Oro, au motif d’un « abus ». Dans les motifs supplémentaires présentés à la lumière de la décision de la CVMO, la Cour a précisé que « la décision de la CVMO et la nôtre divergent », et a reporté l’assemblée des actionnaires d’Eco Oro « afin de donner aux parties l’occasion de prendre les mesures qu’elles jugent appropriées pour résoudre le conflit entre la décision de la CVMO et la nôtre ».

Même si la décision de la Cour et celle de la CVMO peuvent sembler conflictuelles à première vue, elles pourraient être conciliées du fait que celle de la Cour portait sur la question de savoir si l’émission d’actions était abusive aux termes du droit des sociétés, alors que celle de la CVMO portait sur la question de savoir si la TSX aurait dû exiger le vote des actionnaires pour approuver l’émission des actions. Néanmoins, ces décisions mettent en lumière le fait que des actes de sociétés qui sont contestés peuvent faire l’objet d’examens par les deux instances et par les organismes de réglementation, ce qui est susceptible de donner lieu à des résultats différents.

Contexte

Eco Oro est une société minière inscrite à la cote de la TSX et dont le principal actif est une demande d’arbitrage à l’encontre du gouvernement de la Colombie, en vue d’obtenir des dommages-intérêts pour la perte du projet d’extraction d’or et d’argent Angostura, en Colombie.

En juillet 2016, Eco Oro a conclu un accord d’investissement avec Trexs Investments LLC (Trexs), aux termes duquel Trexs investirait dans Eco Oro en deux tranches, en vue de financer l’arbitrage et les frais accessoires. Dans le cadre de la première tranche, Trexs a fait l’acquisition de 9,99 % des actions d’Eco Oro. Dans le cadre de la seconde tranche, Trexs recevrait des actions d’Eco Oro, de sorte que Trexs détienne au total 49,99 % des titres d’Eco Oro et un billet convertible non garanti (le billet). Si l’approbation nécessaire des actionnaires d’Eco Oro pour la seconde tranche des émissions d’actions n’est pas obtenue, la seconde tranche serait constituée du billet et du certificat de valeur conditionnelle (CVC) garanti, donnant droit à Trexs à 51 % du produit brut de l’arbitrage. Par la suite, Eco Oro a conclu des accords d’investissement semblables avec Amber Capital LP, Paulson & Co. Inc. et la présidente d’Eco Oro, Anna Stylianides (collectivement, avec Trexs, les investisseurs), aux termes desquels Eco Oro serait dans l’obligation d’émettre des billets d’une valeur totale d’environ 9,7 millions de dollars aux investisseurs (les billets) et d’éventuels CVC donnant le droit de recevoir environ 51 % du produit brut en vertu de l’arbitrage, si les actionnaires d’Eco Oro n’approuvent pas la seconde tranche.

Le 3 novembre 2016, les actionnaires d’Eco Oro ont voté contre l’émission d’actions ordinaires aux termes de la seconde tranche; 93,4 % des actionnaires désintéressés ont voté contre l’émission d’actions. Par la suite, Eco Oro a émis les billets et les CVC à l’intention des investisseurs.

Le 10 février 2017, certains actionnaires d’Eco Oro (les actionnaires auteurs de la demande) ont demandé la tenue d’une assemblée des actionnaires aux fins de formation du conseil d’administration d’Eco Oro, par destitution des administrateurs en place pour en élire six nouveaux.

Le 2 mars 2017, Eco Oro a annoncé qu’elle avait fixé au 25 avril 2017 la date de l’assemblée demandée (l’assemblée), et au 24 mars 2017, la date de référence de l’avis d’assemblée et de vote.

Le 16 mars 2017, Eco Oro a annoncé qu’elle avait converti une partie des billets au moyen de l’émission de 10 600 000 actions ordinaires destinées aux investisseurs (l’émission d’actions). Eco Oro considérait que l’émission d’actions était dans l’intérêt supérieur de la société, étant donné qu’elle réduisait le montant de la dette impayée. L’émission d’actions a été approuvée conditionnellement par la TSX le 10 mars, ce qui a fait augmenter le contrôle global des votes par les investisseurs, le portant de 41 % à 46 %. Par contre, les actionnaires auteurs de la demande considéraient que l’émission d’actions était abusive et qu’elle avait pour but illégitime d’empêcher le remplacement du conseil d’administration.

Le 22 mars 2017, les actionnaires auteurs de la demande ont déposé une requête auprès de la Cour suprême de la Colombie-Britannique en vue de faire annuler l’émission d’actions, au motif qu’elle était abusive.

Le 27 mars 2017, les actionnaires auteurs de la demande se sont adressés à la CVMO afin d’obtenir une ordonnance annulant l’approbation conditionnelle de l’émission d’actions par la TSX, exigeant l’approbation des actionnaires pour émettre des actions et l’interdiction d’opérations sur les actions ordinaires émises aux termes de l’émission d’actions.

La décision de la CVMO

La CVMO exerce une surveillance réglementaire sur la TSX et elle est habilitée à examiner et à annuler les décisions de la TSX. Bien que la CVMO s’en remette généralement aux décisions de la TSX, elle a statué qu’elle peut annuler une décision de la TSX si celle-ci s’est fondée sur un mauvais principe, qu’elle a commis une erreur de droit ou n’a pas tenu compte d’éléments de preuve importants. La CVMO peut également intervenir si de nouvelles preuves lui sont présentées sans avoir été présentées à la TSX ou si la perception de la CVMO à l’égard de l’intérêt public est incompatible avec celle de la TSX.

Ce n’est pas la première fois que la CVMO se fait demander d’examiner une émission d’actions qui avait été approuvée par la TSX, dans le contexte d’une course aux procurations. En août 2014, la CVMO avait tenu une audience pour examiner une demande déposée par un actionnaire dissident, visant l’obtention d’une ordonnance d’interdiction d’opérations à l’égard d’un placement privé approuvé par la TSX dans des titres avec droit de vote de Tuckamore Capital Management Inc. (Tuckamore). Le placement privé avait eu lieu dans le contexte d’une course aux procurations, et après que l’actionnaire dissident eut demandé la tenue d’une assemblée des actionnaires visant le remplacement des membres du conseil d’administration. Les parties en sont venues à un règlement avant la tenue de l’audience finale devant la CVMO.

L’une des raisons pour lesquelles il est difficile de contester la décision d’un marché boursier d’autoriser un placement privé fait dans le contexte d’une course aux procurations est que le placement privé n’est généralement annoncé qu’après la conclusion de l’opération. En conséquence, toute contestation ultérieure à la décision de la TSX doit tenir compte de la question à savoir si l’opération peut être annulée. À l’audience de la CVMO sur Tuckamore, celle-ci s’est notamment engagée auprès de la CVMO à ce que l’investisseur dans le placement privé ne transfère pas, n’exerce pas de droit de vote, ni ne transige par ailleurs les actions ordinaires émises dans le cadre du placement privé, sans en aviser par écrit le personnel de la CVMO au préalable, et à ce qu’elle puisse annuler le placement privé, et le fasse, si la demande déposée auprès de la CVMO était accueillie. Dans le cas d’Eco Oro, le placement privé comportait l’émission d’actions relativement à la dette existante, ce qui le rendait plus facile à annuler, par rapport à d’autres formes de placement privé, comme le placement privé pour contrepartie en espèces, qui peuvent avoir déjà été dépensées.

Bien que la CVMO n’ait pas encore publié ses raisons, elle a annulé l’approbation conditionnelle de la TSX à l’égard de l’émission d’actions d’Eco Oro, et elle a ordonné qu’Eco Oro demande à ses actionnaires, à une assemblée des actionnaires devant avoir lieu le 30 septembre 2017 (dans la mesure où l’émission d’actions n’a pas été autrement annulée), de ratifier l’émission d’actions ou de donner au conseil d’administration d’Eco Oro l’instruction d’annuler l’émission d’actions. Par ailleurs, la CVMO a ordonné au conseil d’administration d’Eco Oro de prendre toutes les mesures nécessaires pour annuler l’émission d’actions, si les actionnaires lui donnent l’instruction de le faire. Enfin, en attendant la ratification par les actionnaires de l’émission d’actions, la CVMO a interdit les opérations sur les actions émises dans le cadre de l’émission d’actions, et elle a ordonné à Eco Oro et au président de toute assemblée d’Eco Oro de ne pas tenir compte de ces actions aux fins du vote à toute assemblée des actionnaires.

La décision de la CVMO témoigne d’une interprétation large de la compétence de la CVMO. Plus particulièrement, l’ordonnance selon laquelle Eco Oro et le président de toute assemblée d’Eco Oro ne tiennent pas compte des actions émises aux fins de vote à une assemblée des actionnaires ressemble essentiellement à l’interdiction de vote à l’égard d’actions, ce qui, aux termes de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario, est un pouvoir de réparation qu’un tribunal peut exercer à la demande de la CVMO. À l’avenir, les parties devraient tenir compte de l’interprétation libérale des pouvoirs de la CVMO, dans le contexte d’audiences portant sur l’examen des décisions de la TSX.

À la suite de cette décision, les demandes que les émetteurs présentent à la TSX feront probablement l’objet d’un examen plus approfondi lorsqu’ils visent l’approbation d’un placement privé dans le contexte d’une course aux procurations et d’autres situations contestées. Il pourrait par ailleurs y avoir des examens aussi poussés lorsque des placements privés sont faits pendant ou avant une offre publique d’achat officielle. Une fois que les raisons auront été publiées, elles devraient faire la lumière sur le rapport futur entre le processus d’examen de la TSX et l’examen subséquent de la CVMO dans des situations semblables.

La décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique

La Cour de la Colombie-Britannique, qui a rendu sa décision le lendemain de celle où la CVMO a rendu la sienne, concluant que l’émission d’actions n’était pas abusive, étant donné qu’il n’y avait pas de preuve que ce n’était pas dans l’intérêt supérieur d’Eco Oro. La Cour était d’avis que, même s’il était compréhensible que les actionnaires auteurs de la requête remettent en question le moment de l’émission des actions, la preuve démontre que le but premier de l’émission d’actions était la réduction de la dette. La Cour a conclu que l’émission d’actions était un exercice raisonnable du pouvoir discrétionnaire du conseil d’administration, et qu’il a donc droit à la déférence.

Contrairement à ce que l’on observe en droit canadien, les tribunaux du Delaware examinent la conduite des administrateurs d’une manière approfondie, lorsqu’il y a conflit d’intérêts. La décision de la Cour de la Colombie-Britannique, conforme à la pratique acceptée au Canada, n’a pas été fondée sur un examen approfondi de la conduite des administrateurs, malgré le fait que l’émission d’actions a été faite à l’intention d’initiés qui appuyaient les administrateurs en poste dans la course aux procurations. Même si la Cour de la Colombie-Britannique était d’avis que la décision du conseil d’administration était raisonnable en dépit du conflit, l’analyse formelle n’a pas tenu compte de la relation entre les conflits d’intérêts et la capacité du conseil d’administration de se prévaloir de la règle de l’appréciation commerciale. C’est une question qui a été abordée dans d’autres affaires, et qui, d’après nous, fera l’objet d’un examen judiciaire.

Nous notons également que la décision de la Cour de la Colombie-Britannique s’apparente à une décision antérieure de ce même tribunal, dans l’affaire Lions Gate Entertainment, où la décision d’un conseil d’administration d’approuver l’émission d’actions en conversion de la dette, quelques heures avant le lancement d’une offre non sollicitée, avait été contestée. Ces deux décisions mettent en lumière la difficulté, du moins en Colombie-Britannique, de contester avec succès la décision d’un conseil d’administration qui approuve l’émission d’actions.