Auteurs(trice)
Associé, Droit des régimes de retraite et des avantages sociaux, Toronto
Associé, Régimes de retraite et des avantages sociaux, Toronto
Sociétaire, Droit du travail et de l'emploi, Toronto
Pour les organisations qui offrent à leurs employés des régimes d’épargne ou de retraite à cotisations déterminées, il s’est produit en 2024 un événement très important qui pourrait avoir d’importantes conséquences juridiques et réglementaires pour les promoteurs de régimes et les autres personnes participant à la gouvernance et à l’administration de ces régimes.
Le 9 septembre 2024, l’Association canadienne des organismes de contrôle des régimes de retraite (ACOR) a publié la Ligne directrice no 3 – Ligne directrice pour les régimes de capitalisation (la « Ligne directrice de 2024 »), laquelle actualise pour la première fois en plus de 20 ans et remplace les Lignes directrices pour les régimes de capitalisation de 2004 (les « Lignes directrices de 2004 » et, collectivement avec la Ligne directrice de 2024, les « Lignes directrices »). La Ligne directrice de 2024 adopte une approche beaucoup plus large et prescriptive en matière de réglementation des régimes de capitalisation.
Les Lignes directrices et la réglementation des régimes à cotisations déterminées au Canada
En dehors des lois sur les normes de prestation de pension, qui établissent certaines normes minimales applicables à l’administration et à l’investissement des régimes de pension agréés, la plupart des autres formes de régimes d’épargne et de retraite ne sont pas soumises à ce même niveau ou type de réglementation [1]. L’approche canadienne en matière de réglementation des régimes d’épargne et de retraite à cotisations déterminées peut être comparée au système très réglementé qui s’applique à tous les régimes à cotisations déterminées aux États-Unis, en vertu de l’Employee Retirement Income Security Act of 1974 (l’ERISA) [2].
Pour combler ce vide réglementaire, les autorités de réglementation canadiennes ont élaboré les Lignes directrices, avec la participation active du secteur. Les Lignes directrices exposent le point de vue des autorités de réglementation sur les responsabilités des promoteurs, des administrateurs, des fournisseurs de services et des participants en ce qui concerne les régimes de capitalisation. Elles définissent également les meilleures pratiques du secteur en matière de gestion et d’administration d’un régime de capitalisation, ainsi que l’information qui devrait être fournie aux participants.
Au fil du temps, les Lignes directrices semblent avoir constitué un moyen efficace de promotion des meilleures pratiques pour les régimes de capitalisation, puisque les promoteurs de régimes et les fournisseurs de services les ont largement adoptées et que, au Canada, les litiges portant sur les régimes à cotisations déterminées n’ont pas été aussi nombreux qu’aux États-Unis, où prévaut l’approche normative de l’ERISA en matière de réglementation des régimes de ce type.
La Ligne directrice de 2024 constitue à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle pour les promoteurs de régimes de capitalisation et les fournisseurs de services. D’une part, elle crée de nouvelles règles, plus étendues et plus normatives, qui pourraient relever la barre en termes d’obligations légales et réglementaires pour les promoteurs et les administrateurs de régimes de capitalisation. D’autre part, selon nous, les nouvelles exigences, élaborées sur la base de nombreux commentaires du secteur, reflètent probablement les meilleures pratiques qui ont déjà été adoptées, du moins en partie, par de nombreux promoteurs et leurs fournisseurs de services.
Que la Ligne directrice de 2024 soit qualifiée de « bonne nouvelle » ou de « mauvaise nouvelle », elle comporte plusieurs nouveautés importantes qui méritent d’être examinées attentivement par les promoteurs de régimes de capitalisation.
Champ d’application des Lignes directrices
Selon la Ligne directrice de 2024, un « régime de capitalisation » est un programme ou un régime d’épargne ou de placement donnant droit à un allègement fiscal, dans le cadre duquel les participants prennent des décisions relatives au placement de leurs comptes individuels. Cette définition n’a pas changé par rapport à celle qui figurait dans les Lignes directrices de 2004, qui prévoyaient qu’un régime de capitalisation pouvait être un régime de pension agréé (RPA), un régime enregistré d’épargne-retraite (REER) collectif ou un régime de participation différée aux bénéfices (RPDB). La Ligne directrice de 2024 ajoute à la liste des arrangements qui sont considérés par les autorités de réglementation comme des régimes de capitalisation et qui y sont donc assujettis : les régimes volontaires d’épargne-retraite (RVER), les fonds de revenu viager (FRV), les fonds enregistrés de revenu de retraite (FERR) et les comptes d’épargne libre d’impôt (CELI), pour n’en nommer que quelques-uns. L’ACOR reconnaît que l’application des Lignes directrices est souple et qu’elle variera selon la nature du régime de capitalisation, compte tenu de sa taille, de sa complexité et de ses autres caractéristiques.
Le « promoteur d’un régime de capitalisation » est l’entité qui établit le régime de capitalisation et qui est responsable du choix des options de placement proposées aux participants à ce régime (soit, en règle générale, l’employeur, mais ça peut être aussi un syndicat, une institution financière ou le conseil des fiduciaires ou le comité des pensions, selon le type de régime). Le terme « fournisseur de services » s’entend de tout prestataire de services ou de conseils avec lequel le promoteur du régime de capitalisation a conclu une entente pour l’exécution de tâches liées à la mise en place ou au fonctionnement continu du régime (par exemple, les responsables de la tenue des dossiers, les dépositaires, les gestionnaires de placement et les conseillers en placement). Les « participants à un régime de capitalisation » sont des personnes détenant un compte individuel en vertu d’un tel régime; il peut s’agir d’employés ou d’anciens employés, ainsi que de leurs conjoints ou de leurs conjoints de fait survivants.
En règle générale, le promoteur est responsable du maintien du régime de capitalisation, ce qui veut dire, notamment, établir le régime, déterminer ses principales caractéristiques (y compris les mécanismes automatiques, le cas échéant), sélectionner des options de placement, effectuer la tenue des dossiers, donner accès à de la formation et à des outils d’aide à la décision, fournir aux participants des communications, assurer la supervision du régime, y compris la révision des frais et des dépenses, et, en dernier ressort, mettre un terme au régime. Bien qu’il soit courant pour les promoteurs de régimes de capitalisation de faire appel à des fournisseurs de services tiers pour l’exécution de certaines de ces tâches, la Ligne directrice de 2024 stipule que le promoteur conserve la responsabilité ultime de superviser le régime. Néanmoins, dans la mesure où il accepte de s’acquitter de certaines tâches ou fonctions, le fournisseur de services doit se conformer aux Lignes directrices.
Ligne directrice de 2024 – changements importants
La Ligne directrice de 2024 apporte des changements dans cinq domaines qui ont des conséquences importantes pour les promoteurs : (i) le cadre de gouvernance du régime de capitalisation (ii) la supervision des fournisseurs de services (iii) les frais et dépenses (iv) les communications avec les participants (v) les conseils en matière de placement et les outils d’aide à la décision.
Cadre de gouvernance
La Ligne directrice de 2024 stipule que, pour l’administration du régime, le promoteur doit mettre en place et documenter un cadre de gouvernance, ce qui constitue une nouvelle obligation, qui n’avait jamais été envisagée dans les Lignes directrices de 2004. Bien que les cadres de gouvernance soient courants pour les régimes de pension agréés (et, dans certains territoires, ils sont exigés par la loi), cette nouvelle exigence étendrait ces pratiques aux promoteurs d’autres types de régimes de capitalisation, tels que les REER ou les RVER collectifs.
La Ligne directrice de 2024 indique qu’un tel cadre de gouvernance devrait inclure les éléments suivants :
- une description des rôles, des responsabilités et des obligations de reddition de compte de de tout intervenant ou de toute partie impliquée dans la gouvernance du régime, notamment les employeurs/promoteurs et les fournisseurs de services;
- un processus de communication comprenant un processus de traitement des plaintes des participants;
- un code de conduite comportant une politique de gestion des conflits d’intérêts;
- un cadre de gestion des risques;
- un cadre pour l’évaluation régulière de la performance des fournisseurs de services;
- un processus pour l’évaluation régulière du processus de gouvernance lui-même.
Bien que la Ligne directrice de 2024 reconnaisse que le cadre de gouvernance devrait être adapté à la taille et à la complexité du régime, l’ACOR a estimé que tous les régimes de capitalisation devraient mettre en place un cadre de gouvernance écrit tenant compte des éléments susmentionnés.
Certains promoteurs peuvent déjà avoir mis en place des processus qui répondent à ces exigences, sans toutefois les avoir documentés dans des politiques de gouvernance écrites. D’autres pourraient, afin d’intégrer les recommandations formulées dans la Ligne directrice de 2024, devoir apporter d’importantes modifications à leurs processus de gouvernance actuels. Quoi qu’il en soit, tous les promoteurs devraient envisager de mettre en place un cadre de gouvernance tenant compte des éléments énoncés dans la Ligne directrice de 2024.
Fournisseurs de services tiers
Les Lignes directrices précisent les obligations des promoteurs en ce qui concerne la sélection et la supervision des fournisseurs de services. Par exemple, les promoteurs sont invités à établir des critères de sélection des fournisseurs de services. En ce qui concerne la sélection des fournisseurs de services, bien que les critères que la Ligne directrice de 2024 recommande aux promoteurs de prendre en considération soient largement conformes à ceux que les Lignes directrices de 2004 recommandaient, il convient de noter que la Ligne directrice de 2024 conseille aux promoteurs, lorsqu’ils établissent leurs critères de sélection, de prendre également en considération les nouveaux facteurs suivants : les risques de conflits d’intérêts, la réputation et les mesures de contrôle en place pour protéger les données des participants.
En ce qui concerne la responsabilité des promoteurs eu égard aux fournisseurs de services, la Ligne directrice de 2024 semble adopter le modèle prévu par les lois sur les régimes de retraite [3], car le promoteur est, en dernier ressort, responsable de la sélection et de la surveillance prudentes des fournisseurs de services. Ce modèle n’est toutefois pas sans susciter la controverse, car le fondement législatif de ce modèle dans les lois sur les régimes de retraite n’existe pas pour de nombreux régimes de capitalisation. Quoi qu’il en soit, les promoteurs seraient bien avisés d’évaluer leurs processus actuels pour s’assurer que ceux-ci sont conformes à la Ligne directrice de 2024, compte tenu des attentes accrues des autorités de réglementation à cet égard.
Frais et dépenses
Dans la Ligne directrice de 2024, le concept de transparence et de contrôle des frais et des dépenses assumés par les participants est un thème récurrent, qui s’infiltre dans presque tous les aspects des lignes directrices. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne les nouvelles règles applicables au maintien de la supervision d’un régime de capitalisation.
La Ligne directrice de 2024 contient une section entièrement nouvelle consacrée à la responsabilité du promoteur d’examiner les frais et dépenses assumés par les participants. Alors que les Lignes directrices de 2004 contenaient des recommandations de nature générale concernant les frais et les dépenses, la Ligne directrice de 2024 contient maintenant une partie distincte énonçant les tâches que les promoteurs doivent accomplir lors de l’examen des frais et des dépenses. Plus précisément, elle recommande que le promoteur examine périodiquement l’ensemble des frais et des dépenses assumés par les participants pour en évaluer le caractère raisonnable et concurrentiel. Pour ce faire, elle précise que le promoteur devrait envisager d’accomplir les tâches suivantes :
- demander la description et la ventilation des diverses catégories correspondant aux frais à la charge des participants;
- comparer les frais et dépenses entre les fournisseurs de services;
- chercher des opportunités de tirer parti d’économies d’échelle pouvant être réalisées;
- évaluer l’incidence à long terme des frais et dépenses sur l’épargne et le revenu de retraite des participants au régime, le cas échéant;
- évaluer si les frais et dépenses procurent une valeur ajoutée aux participants au régime.
La Ligne directrice de 2024 souligne également que, même si l’importance de maintenir de faibles coûts est indéniable, il est également important de disposer des services, des outils d’éducation des participants et des stratégies de placement qui vont souvent de pair avec des options plus coûteuses. En d’autres termes, l’option la moins coûteuse n’est pas nécessairement la plus prudente, et c’est précisément la raison pour laquelle les Lignes directrices encouragent l’examen du caractère raisonnable des frais et des dépenses, compte tenu des divers facteurs décrits ci-dessus.
Communications régulières avec les participants
La Ligne directrice de 2024 stipule que le promoteur doit fournir aux participants un relevé de leur compte du régime au moins une fois par an ou à la fréquence prescrite par la loi. Elle précise également les divers éléments qui devraient figurer sur le relevé du participant, notamment un résumé des placements et des activités de placement, la part des cotisations investies, le taux de rendement individuel du participant et, surtout, de l’information concernant le montant total des frais et dépenses payables par le participant pour chaque option de placement qu’il a retenue.
Pour les régimes de capitalisation qui sont des régimes de pension agréés, l’information qu’il est recommandé de fournir peut, dans certains cas, être plus étendue que celle qu’ils doivent fournir dans les relevés annuels ou autres relevés périodiques des participants en vertu des lois sur les normes de prestation de pension applicables (par exemple, l’information relative aux frais). La Ligne directrice de 2024 recommande également que, pour ce qui est des régimes de capitalisation axés sur la retraite, les relevés devraient aider les participants à comprendre leur niveau d’épargne et leur revenu projeté à la retraite.
Conseils en matière de placement et outils d’aide à la décision à l’intention des participants
La Ligne directrice de 2024 met davantage l’accent sur l’importance de fournir aux participants de l’information sur les placements et des outils d’aide à la décision. Cela répond en grande partie à l’évolution des pratiques au cours des 20 dernières années; en effet, de nos jours, la prestation de conseils en matière de placement ou la fourniture de technologies proposant des outils de projection aux participants sont beaucoup plus courantes qu’avant.
La Ligne directrice de 2024 impose des obligations aux promoteurs en donnant des exemples de types d’information sur les placements et d’outils d’aide à la décision que les promoteurs devraient fournir aux participants pour les aider à prendre des décisions de placement. En particulier, les promoteurs devraient fournir une description de l’option de placement par défaut, ainsi que les frais et dépenses associés à chaque option de placement. Les promoteurs devraient également envisager de donner accès à des calculateurs et à des outils de projection afin d’aider les participants à évaluer l’incidence des rendements des placements et du niveau des frais et des dépenses (entre autres facteurs) sur le solde potentiel de leur compte.
La Ligne directrice de 2024 recommande aux promoteurs (ou à leurs fournisseurs de services) de veiller à ce que le processus d’établissement des hypothèses utilisées dans ces outils soit prudent et revu périodiquement afin d’en vérifier le caractère raisonnable. Dans la pratique, lorsque des outils gérés par des fournisseurs tiers sont utilisés, cela pourrait poser des problèmes s’il n’est pas possible de personnaliser les hypothèses (ou, si cela devait avoir des conséquences financières importantes). Cette recommandation reflète l’adoption croissante de ces outils par le secteur et vise à garantir que les participants ne sont pas induits en erreur par l’information produite par ces outils de modélisation.
En outre, la Ligne directrice de 2024 indique que les promoteurs peuvent s’associer à des fournisseurs de services dûment qualifiés pour offrir des conseils en matière de placement ou de planification financière aux participants. S’il conclut une entente avec un fournisseur de services, le promoteur devrait communiquer clairement aux participants la nature des conseils donnés par le fournisseur de services, le mode de rémunération du conseiller et la personne qui paie pour ses services. Au sujet de la sélection des fournisseurs de services qui fourniront des conseils en matière de placement ou de planification financière, la Ligne directrice de 2024 met en évidence divers facteurs que les promoteurs devraient prendre en considération, notamment le niveau et la compétitivité des frais imposés pour les services fournis (et quels frais seront payés par le participant), l’obligation de protéger la sécurité des données des participants et la disponibilité d’un modèle de répartition de l’actif ou de planification financière. Il convient également d’examiner le processus permettant d’assurer que les hypothèses sous-jacentes du modèle sont continuellement raisonnables.
Que doivent faire les promoteurs de régimes?
Étant donné qu’ils conservent la responsabilité ultime de la gouvernance et de la supervision de leurs régimes, et en raison des exigences strictes et détaillées prévues par la Ligne directrice de 2024, les promoteurs de régimes de capitalisation devraient prévoir d’examiner et d’évaluer l’efficacité de leurs politiques, de leurs pratiques de supervision et de leur structure de gouvernance de manière plus générale. Compte tenu des changements importants et détaillés apportés par la Ligne directrice de 2024, les promoteurs de régimes devraient envisager de faire examiner leurs régimes pour s’assurer qu’ils sont conformes à ces lignes directrices et, ainsi, réduire les risques juridiques et réglementaires connexes et optimiser l’efficacité des régimes au profit des participants.
[1] Pour bénéficier d’un traitement fiscal avantageux, bon nombre de régimes de ce type doivent être enregistrés en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (la LIR), mais les règles de la LIR applicables à ces régimes (par exemple, les REER) sont axées sur des questions telles que le traitement fiscal de ces régimes. Les régimes de pension, en revanche, sont soumis à un ensemble plus complet de règles qui régissent le financement, les placements, les normes de prestations, l’administration et la gouvernance afin de protéger les intérêts collectifs des participants.
[2] 29 U.S.C. §§1001 et suiv.
[3] Par exemple, la Loi sur les régimes de retraite (Ontario) stipule que l’administrateur d’un régime de retraite qui emploie un mandataire doit le choisir (et doit être convaincu de l’aptitude du mandataire) et exercer sur son mandataire une surveillance prudente et raisonnable.