La réglementation des services financiers en 2020 : convergence, perturbations et accélération

8 Déc 2020 13 MIN DE LECTURE

Imprévisible et fluctuante. L’année 2020 peut être divisée en trois phases distinctes : avant la pandémie de COVID-19, la première vague de la COVID-19, marquée par la prise de mesures d’urgence à court terme, puis une reprise modérée des fonctions et des activités réglementaires traditionnelles ainsi que de la réforme des politiques. Cependant, cette dernière phase n’est, d’aucune façon, un retour à la normale, car la pandémie de COVID-19 continue d’influencer et de perturber l’univers des services financiers et d’entraîner des effets sur sa réglementation.

La convergence et l’intégration

Nous nous attendions à ce que l’année 2020 soit marquée par des initiatives de modernisation déjà annoncées dans le secteur des services financiers. L’Autorité ontarienne de réglementation des services financiers (ARSF) et la British Columbia Financial Services Authority (BCFSA), deux organismes de réglementation des services financiers provinciaux relativement nouveaux dont les mandats sont similaires, ont annoncé leurs priorités pour 2020 : l’efficacité réglementaire ainsi que la collaboration et l’harmonisation en matière de réglementation à l’échelle du Canada (vous trouverez les plans d’affaires pour chacun de ces organismes ici : FSRA (en anglais) [PDF] et BCFSA (en anglais) [PDF]).

Par ailleurs, nous avons suivi de près les tendances en matière de convergence réglementaire, car les produits financiers et l’écosystème financier lui-même ont commencé à fusionner. Cette tendance a essentiellement été provoquée par une hausse de la demande des consommateurs en matière de conseils plus globaux et de normes uniformisées relatives aux produits et services financiers, telles les mesures visant la réforme du titre de planificateur financier/conseiller financier en Ontario et en Saskatchewan.

Il était prévu que les hypothèques syndiquées feraient l’objet d’une attention commune particulière sur le plan de la réglementation, en 2020. Avant la pandémie, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (les ACVM) se préparaient à instaurer des modifications réglementaires (en anglais) visant à harmoniser la réglementation des hypothèques syndiquées au Canada. Il s’agissait notamment de modifications aux Règlements 45-106 et 31-103 en vue de supprimer les dispenses relatives aux prospectus et à l’inscription pour la distribution d’hypothèques syndiquées, d’ajouter des exigences quant aux dispenses relatives aux prospectus et à la notice d’offre et de modifier les dispenses de prospectus pour émetteurs privés afin de supprimer la disponibilité de la distribution des hypothèques syndiquées. Parallèlement, en Ontario, l’ARSF a annoncé que la surveillance des hypothèques syndiquées non qualifiées serait transférée de l’ARSF à la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO), tandis que l’ARSF conserverait la surveillance d’accords moins complexes, ne nécessitant pas de divulgation importante de la part des investisseurs ni de surveillance de la part d’organismes comme la CVMO. Parmi les autres événements importants, on comptait, au Québec, le transfert prévu de la surveillance des courtiers hypothécaires à l’Autorité des marchés financiers (AMF), ce qui s’est produit le 1er mai et, en Colombie-Britannique, la création d’un unique organisme de réglementation en immobilier au sein de la BCFSA.

À l’échelon fédéral, nous avons suivi les deux initiatives clés suivantes liées à la technologie et axées sur le consommateur : le système bancaire ouvert et la modernisation des paiements, et nous avons surveillé l’évolution de la situation en ce qui concerne le cadre fédéral de protection des consommateurs sur le plan financier. Nous nous attendions également à une hausse de l’activité au sein de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC), étant donné qu’elle dispose de nouveaux pouvoirs d’application réglementaire depuis le 30 avril 2020. De plus, nous avions prévu la reprise des mesures d’application par le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE), étant donné la mise en œuvre de son cadre de conformité de 2019.

Enfin, le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) a annoncé la tenue de consultations sur les politiques relatives à la proportionnalité des exigences pour les petites et moyennes institutions de dépôts, sur la passation de la surveillance des questions de lutte au blanchiment d’argent au CANAFE, sur les pratiques en matière de réassurance, sur les modifications apportées à la simulation de crise pour les prêts hypothécaires non assurés, et sur l’instauration d’un nouveau taux de référence pour les prêts hypothécaires non assurés.

Les perturbations

En mars, la COVID-19 a suspendu temporairement ces réformes de politiques ; les organismes de réglementation se sont alors concentrés sur les mesures d’urgence à court terme. Cela englobait les mesures d’allègement temporaires, telles que la prolongation des délais de dépôt de déclarations, les accommodements pour les activités à distance, la cessation des examens courants et la mise en œuvre de mesures visant à assurer la résilience des institutions.

Les échéances initiales de mise en œuvre de nombreuses initiatives réglementaires ont été reportées ou suspendues, notamment :

  • le transfert des régimes d’hypothèques syndiquées non qualifiées de l’ARSF à la CVMO a été retardé, passant de juillet 2020 au 1er janvier 2021 ;
  • les consultations sur le système bancaire ouvert ont été reportées à l’automne 2020 ;
  • le 13 mars, le BSIF a suspendu les consultations sur tous les projets en matière de politiques et de lignes directrices ;
  • la mise en œuvre du Manuel de réglementation en langage simple de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM), prévue pour le 1er juin 2020, a été reportée au 31 décembre 2021.

La réorientation de l’accélération et la réduction du fardeau

Alors que le contexte réglementaire et des affaires commençait à se normaliser, les initiatives de réforme réglementaire ont repris, au cours de l’été. Toutefois, ces réformes ont été réorientées ou amplifiées par la pandémie de COVID-19.

À l’échelon fédéral, le BSIF a annoncé la reprise de ses réformes de politiques, notant que son plan prospectif différait du plan qu’il aurait mis en œuvre, en l’absence de COVID-19. Les nouvelles priorités en matière de directives du BSIF reconnaissent la nécessité d’être proactifs face au risque global, dans le nouveau contexte différent de la poursuite des affaires. Le BSIF est tout de même au fait des importantes contraintes opérationnelles des institutions qu’il réglemente.

La technologie et le cyberrisque sont devenus les points centraux des consultations réglementaires, à de nombreux niveaux. Ce n’est guère étonnant, étant donné que les institutions financières, dont la plupart étaient déjà engagées dans des projets de numérisation, ont été enjointes d’accélérer sans délai ces initiatives, car la pandémie de COVID-19 a entraîné un passage record (en anglais) aux services bancaires en ligne.

En septembre, le BSIF a publié un document de discussion sur les risques technologiques, axé sur la cybersécurité, les risques liés aux tiers, l’intelligence artificielle, les données, et plus encore. De plus, la BCFSA a annoncé qu’elle publiera, dans les mois qui viennent, un avis sollicitant de la rétroaction sur un ensemble d’ébauches de principes ciblant les risques clés que courent les données et les systèmes d’information en raison d’accès non autorisés ou illégaux ou de dommages subis par les réseaux.

Le traitement équitable des consommateurs continue d’attirer l’attention. Le 15 septembre 2020, l’ARSF a annoncé deux domaines clés d’évaluation du secteur de l’assurance vie et de l’assurance maladie (en anglais) [PDF] pour 2020-2021 : la mise en œuvre de principes de traitement équitable des clients dans les circuits de distribution, en collaboration avec le Conseil canadien des responsables de la réglementation d’assurance (CCRRA) et ses membres, ainsi que l’examen de la relation entre les compagnies d’assurance et les agences générales gestionnaires. Fait intéressant, l’ARSF n’a pas fait part d’une attention particulière portée au circuit de vente électronique, mais les circuits de distribution en général constituent un domaine clé de l’examen.

Les organismes de réglementation continuent de se concentrer sur la réduction du fardeau et reconnaissent la nécessité d’une collaboration, en matière de réglementation, afin de progresser dans l’atteinte de cet objectif. Ce thème a fait surface avant la pandémie de COVID-19. L’augmentation des contraintes opérationnelles découlant de la pandémie a mis ce thème en lumière, car les institutions sont moins en mesure de satisfaire aux demandes réglementaires. Il existe plusieurs exemples de cette réduction du fardeau :

  • Juin 2020 : les ACVM ont publié un document de consultation (en anglais) [PDF] passant en revue le cadre réglementaire courant pour l’OCRCVM et l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (MFDA). Le document de consultation laissait entendre la volonté de réexaminer le cadre des organismes d’autoréglementation (OAR), objectif conforme avec l’orientation des ACVM : les réformes axées sur le client et la réduction du fardeau. Cela fait suite aux pressions visant la convergence exercées dans ce secteur, d’abord exprimées dans un rapport (en anglais) [PDF] publié en octobre 2019 par l’Institut C.D. Howe, et aux commentaires subséquents de la MFDA (février 2020 (en anglais) [PDF]) et de l’OCRCVM (juin 2020). Ces deux documents recommandent des modifications et font écho à la préoccupation selon laquelle le modèle multiréglementaire n’a pas réussi à suivre le rythme de la transformation technologique du secteur des services financiers. Ces thèmes ont été repris par le Groupe de travail sur la modernisation relative aux marchés financiers dans son rapport de juillet 2020.
  • Octobre 2020 : le BSFI et l’ARSF ont annoncé des plans visant la création d’un comité qui collaborera à la définition des régimes de retraite à cotisations déterminées. Ce comité passera en revue les approches des deux organismes de réglementation dans la supervision des régimes à cotisations déterminées et, dans les cas où c’est possible, il cernera les possibilités d’harmonisation réglementaire.
  • Octobre 2020 : le BSFI a lancé une consultation relative aux modifications apportées à la ligne directrice E-13 (Gestion de la conformité à la réglementation) et à la ligne directrice B-8 (Dissuasion et détection du recyclage des produits de la criminalité et du financement des activités terroristes). Cette consultation est liée à la nouvelle collaboration BSFI/CANAFE qui séparera la fonction de surveillance réglementaire LRPC/FAT entre les deux organismes de réglementation, en vue d’atténuer le fardeau réglementaire.
  • Octobre 2020 : l’ARSF a publié son Énoncé du budget et des priorités pour 2021-2022 aux fins de consultation publique. Cette ébauche se penche notamment sur l’amélioration de l’efficacité et de l’efficience de la réglementation afin de mieux servir l’intérêt public.

À quoi s’attendre en 2021

Comme nous traversons actuellement la deuxième vague de la pandémie, nous prévoyons que la crise de la COVID-19 continuera de façonner et de perturber le secteur des services financiers et sa réglementation. Nous surveillons, entre autres choses :

  • la poursuite de la collaboration entre les organismes de réglementation tels que le BSIF, l’ARSF et la BCFSA ;
  • les progrès en commerce électronique, comme les mesures temporaires facilitant l’inscription à distance, la signature de documents (y compris à titre de témoin) de façon permanente, la croissance de l’adoption des méthodes de vérification de l’identité à distance par des institutions financières traditionnelles, conformément aux exigences du CANAFE, l’adoption, par d’autres provinces, de modifications aux lois sur les sûretés mobilières pour faciliter l’utilisation d’actes mobiliers électroniques, suivant l’exemple de l’Ontario et de la Saskatchewan ;
  • l’attention soutenue des organismes de réglementation à l’égard de la gestion des risques non financiers, y compris les risques liés à la technologie et à la cybersécurité ;
  • l’évolution de la situation en ce qui concerne le système bancaire ouvert. Les consultations devraient reprendre virtuellement à la fin de novembre et se poursuivre jusqu’en décembre 2020. De plus, le secteur d’activité va de l’avant, notamment à l’aide d’initiatives comme Financial Data Exchange  (en anglais) ;
  • l’augmentation de la prise de mesures d’application que nous attendions de la part de l’ACFC et du CANAFE. Même si cette hausse de l’activité ne s’est pas encore produite, nous prévoyons qu’elle surviendra en 2021. L’ACFC s’est peut-être montrée réticente à exercer ses nouveaux pouvoirs d’application pendant la pandémie, mais il est peu probable que cette abstention se poursuive encore longtemps. Entre-temps, le CANAFE a annoncé qu’il reprend ses examens au bureau courants et a publié un avis relatif à deux sanctions administratives pécuniaires imposées plus tôt, cette année ;
  • une plus grande attention portée aux initiatives de modernisation en matière de paiements, étant donné le recours croissant aux paiements sans numéraire. Paiements Canada est en voie de mettre en place une nouvelle infrastructure de paiement en temps réel (PTR) qui créera un système pouvant livrer des fonds en moins de 60 secondes, grâce à l’échange de messages de paiement en temps réel et de compensation et de règlement en temps réel. La mise en œuvre du PTR est prévue pour 2022, mais des pressions sectorielles pourraient faire en sorte que ce délai soit respecté ou devancé, étant donné l’accélération de la numérisation entraînée par la pandémie ;
  • la réforme des caisses populaires. Constituant une retombée des initiatives de modernisation de l’ARSF, la Loi sur les caisses populaires et les credit unions de 2020a été présentée le 5 novembre 2020 ;
  • une évolution importante dans le domaine des cryptoactifs, à la suite des progrès réglementaires réalisés en 2020, notamment la surveillance des courtiers de monnaies virtuelles par le CANAFE, en date du 1er juin 2020, et le lancement de la première plateforme de négociation de cryptoactifs réglementée, au moyen du bac à sable réglementaire des ACVM. Nous nous attendons à d’autres progrès en 2021 ;
  • la mise en application de la Loi de 2019 sur la protection du titre des professionnels des finances de l’Ontario, qui interdit l’utilisation des titres de « planificateur financier » et de « conseiller financier » par des personnes qui ne détiennent pas les titres de compétence approuvés, à la suite des résultats obtenus dans le cadre de la récente consultation qui s’est terminée en novembre 2020. La Saskatchewan emboîtera probablement le pas à l’Ontario.

Il ne s’agit aucunement d’une liste exhaustive. Même si les changements semblent avoir été la norme pendant des années, dans le domaine de la réglementation des services financiers, la pandémie de COVID-19 en a accéléré la cadence. L’année qui vient promet d’être intéressante, et nous continuerons de surveiller ces activités, ainsi que d’autres faits nouveaux.