Le Bureau de la concurrence confirme qu’il n’examinera pas d’accords de non-débauchage ou de fixation des salaires entre concurrents en vertu de la disposition criminelle de la Loi sur la concurrence

30 Nov 2020 9 MIN DE LECTURE

Le 27 novembre 2020, le Bureau de la concurrence (le « Bureau ») a publié une déclaration confirmant que les accords de non-débauchage et de fixation des salaires et autres accords entre acheteurs concurrents sont susceptibles d’examen seulement en vertu d’une disposition civile de la Loi sur la concurrence (la « Loi »). Le Bureau ne compte donc pas examiner de tels accords en vertu des dispositions de la Loi concernant les complots. Bien que les lignes directrices du Bureau représentent une évolution positive et soutiennent fermement la non-application des dispositions criminelles à ces types d’accords, des risques d’exécution civile et de litige privé relatifs à de tels accords subsistent. Les entreprises doivent demeurer vigilantes au moment d’envisager la conclusion d’accords entre acheteurs concurrents.

Contexte

Après l’adoption, il y a dix ans, d’un processus à double voie en matière d’examen d’accords entre concurrents en vertu de la Loi, il était généralement entendu (en fonction du libellé de la Loi) que les accords entre concurrents concernant l’achat de produits, par opposition à la fourniture de produits, ne seraient pas assujettis aux dispositions criminelles de la Loi concernant les complots. De tels accords seraient plutôt seulement assujettis aux dispositions civiles relatives aux pratiques susceptibles d’examen. Cependant, des intervenants au sein du milieu juridique et du milieu des affaires au Canada ont cherché à obtenir la confirmation de l’approche adoptée pour les accords conclus en amont entre concurrents au Canada après que le département de la Justice des États-Unis et la Federal Trade Commission ont publié une orientation en 2016 énonçant clairement l’intention de mener des enquêtes criminelles sur les accords purs et simples de non-débauchage et de fixation des salaires qui sont sans rapport ou non nécessaires à une collaboration légitime plus large entre les employeurs.

L’orientation américaine a été publiée à la suite d’un certain nombre d’actions civiles et administratives intentées aux États-Unis contre des entreprises pour avoir prétendument fixé illégalement les salaires ou conclu des accords de non-débauchage. Dans leur orientation, les instances américaines ont indiqué que ces types d’accords éliminent la concurrence de la même manière irrémédiable que des accords de fixation des prix des marchandises ou de répartition des clients, lesquels ont traditionnellement fait l’objet d’enquêtes et de poursuites pénales en tant que cartels au sens pur.

Cadre juridique

La disposition criminelle concernant les complots de l’article 45 de la Loi prévoit que les trois catégories suivantes d’accords entre concurrents sont en soi illicites (méritant des poursuites indépendamment de leurs effets réels ou probables sur la concurrence), peuvent donc faire l’objet d’importantes sanctions pénales et exposent les concurrents à des actions dérivées en dommages-intérêts privés :

45. (1) Commet une infraction quiconque, avec une personne qui est son concurrent à l’égard d’un produit, complote ou conclut un accord ou un arrangement :

(a) soit pour fixer, maintenir, augmenter ou contrôler le prix de la fourniture du produit;

(b) soit pour attribuer des ventes, des territoires, des clients ou des marchés pour la production ou la fourniture du produit;

(c) soit pour fixer, maintenir, contrôler, empêcher, réduire ou éliminer la production ou la fourniture du produit. [italique ajouté]

D’autres types d’accords entre concurrents sans fusion peuvent faire l’objet d’un examen et d’une contestation par le Bureau en vertu de la disposition civile sur les ententes entre concurrents de l’article 90.1 de la Loi, qui interdit les ententes entre concurrents seulement si elles ont empêché ou réduit sensiblement la concurrence ou sont susceptibles de le faire.

Le libellé de l’article 45 établit clairement que les types d’accords auxquels s’applique la disposition criminelle sont ceux qui concernent la « fourniture » d’un produit. Alors que la précédente disposition de l’article 45, qui a été modifiée en 2009 et a pris effet en 2010, s’appliquait également aux accords relatifs à l’« achat » de produits, ce libellé a été omis de l’article 45 modifié, ce qui suggère que les accords en amont entre concurrents ne devaient être examinés qu’en vertu des dispositions civiles.

Les Lignes directrices sur la collaboration entre concurrents du Bureau le reconnaissent en énonçant que l’article 45 ne s’applique pas à l’achat d’un produit (qui, en vertu de la Loi, inclut également l’achat d’un service) :

L’interdiction énoncée à l’alinéa 45(1)a) s’applique au prix pour la fourniture d’un produit et non au prix pour l’achat d’un produit. Par conséquent, les accords d’achat en commun – y compris ceux entre des firmes qui se livrent une concurrence pour l’achat de produits – ne sont pas interdits en vertu de l’article 45, mais ils peuvent être susceptibles d’un recours en vertu de la disposition civile relative aux accords de l’article 90.1, là où ils sont susceptibles d’empêcher ou de réduire sensiblement la concurrence.

Au motif que les accords de non-débauchage ou de fixation des salaires concernent des services qui sont achetés par les parties à l’accord, et non pas fournis par ces parties, plusieurs sont d’avis que ce ne sont pas des accords assujettis à l’article 45.

Déclaration de novembre

Le Bureau a maintenant officiellement confirmé qu’il n’examinera aucun accord de non-débauchage ou de fixation des salaires en vertu de l’article 45. Le Bureau examinera de tels accords plutôt en vertu de l’article 90.1. Cela signifie que le commissaire de la concurrence ne peut que demander une ordonnance remédiatrice du Tribunal de la concurrence (le « Tribunal ») s’il a raison de croire qu’un accord a empêché ou réduit sensiblement la concurrence ou est susceptible de le faire.

Les recours offerts par l’article 90.1 sont très limités. Plus précisément, le Tribunal peut rendre une ordonnance :

  • interdisant à toute personne – qu’elle soit ou non partie à l’accord ou à l’arrangement – d’accomplir tout acte au titre de l’accord ou de l’arrangement;
  • enjoignant à toute personne, moyennant son consentement, de prendre toute autre mesure.

Surtout, le Tribunal n’est investi d’aucune autorité pour ordonner le paiement de sanctions administratives pécuniaires et, contrairement aux dispositions criminelles concernant les complots, la Loi n’accorde pas aux parties privées un droit d’intenter des actions privées en dommages et intérêts pour des préjudices subis du fait de l’accord.

Le Bureau publie cette déclaration alors qu’il est en plein processus de mise à jour des Lignes directrices sur la collaboration entre concurrents. Le Bureau a affirmé qu’il a l’intention de décrire son approche de réglementation des accords entre acheteurs plus en détail dans ses lignes directrices mises à jour.

Points importants pour les entreprises

À la lumière des orientations données par les organismes américains en 2016, le milieu juridique et le milieu des affaires du Canada attendaient que le Bureau confirme qu’une approche semblable aux accords de non-débauchage et aux accords de fixation des salaires ne s’applique pas au Canada étant donné les différences entre les cadres législatifs respectifs des deux pays en matière de droit de la concurrence concernant les accords entre concurrents.

Le Bureau a maintenant donné cette confirmation. La position du Bureau est claire : il n’examinera pas les accords de non-débauchage et de fixation des salaires en vertu des dispositions criminelles de la Loi concernant les complots; plutôt, il examinera de tels accords en vertu des dispositions civiles de la Loi relatives aux accords entre concurrents. Bien que la politique d’application de la loi du Bureau ne lie pas les tribunaux, le Bureau a explicitement indiqué que, pour arriver à cette conclusion, il a consulté le ministère canadien de la Justice ainsi que le Service des poursuites pénales du Canada.

Si les plus récentes orientations du Bureau sont bien accueillies, les accords entre acheteurs pour l’achat de produits et de services peuvent continuer d’être contestés auprès d’autres instances non pénales. Premièrement, bien que le Bureau ait essentiellement éliminé le risque de toute action gouvernementale en vertu de la disposition criminelle de la Loi relative aux accords de non-débauchage et aux accords de fixation des salaires, le Bureau a indiqué qu’il peut examiner de tels accords en vertu des dispositions civiles de l’article 90.1 de la Loi et prendre les mesures d’exécution qui s’imposent. Les entreprises doivent donc rester conscientes qu’elles continuent d’être assujetties à une responsabilité civile potentielle en vertu de l’article 90.1 de la Loi si elles concluent avec un concurrent un accord de non-débauchage ou de fixation des salaires qui risquent d’entraîner une diminution ou un empêchement sensibles de la concurrence. Même si des mesures d’exécution peuvent ne pas aboutir à l’imposition de sanctions pénales ou d’une sanction administrative pécuniaire, les enquêtes civiles peuvent être coûteuses et perturbatrices.

Deuxièmement, bien que la déclaration du Bureau fournisse de solides preuves de la non-application de la disposition criminelle à ces types d’accords, les lignes directrices du Bureau ne sont pas contraignantes pour les demandeurs privés. Dans au moins un recours collectif récent, des demandeurs privés ont affirmé que les accords de non-débauchage et de fixation des salaires entre concurrents enfreignent effectivement les dispositions criminelles de la Loi. Vu l’existence de mesures d’exécution publiques et privées en cours relativement à de tels accords aux États-Unis et à la lumière des arguments de préjudice potentiel pour des emplois concurrentiels ou des marchés du travail, il reste à voir si la déclaration du Bureau dissuadera des demandeurs de continuer à faire valoir des revendications relativement à de tels accords. Aussi, des demandeurs privés ont déjà eu recours à des arguments créatifs en matière de responsabilité civile délictuelle pour demander réparation au nom d’employés en raison de prétendus actes de suppression de salaires.

Par conséquent, les entreprises doivent rester conscientes des risques civils potentiels liés à de tels arrangements et doivent, le cas échéant, faire appel à des conseillers juridiques compétents. 

Pour toute information ou question concernant l’incidence de la déclaration du Bureau ou de possibles consultations auprès du Bureau sur la collaboration entre concurrents, veuillez communiquer avec les membres du Groupe du droit de la concurrence et investissement étranger d’Osler.