Auteurs(trice)
Associé, Litiges, Toronto
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Sociétaire, Concurrence, commerce international et investissement étranger, Toronto
Le nouveau régime de droit d’accès privé prévu par la Loi sur la concurrence (la Loi) est entré en vigueur le 20 juin 2025. En vertu de ce nouveau régime, les parties privées auront un accès considérablement élargi au Tribunal de la concurrence (le Tribunal) pour demander des mesures de redressement comportemental et pécuniaire à l’égard d’un éventail de comportements susceptibles d’examen en vertu de la Loi. Ce nouveau droit d’accès est ouvert aux particuliers et aux entreprises (y compris les concurrents), ainsi qu’aux organisations d’intérêt public. Pour présenter une demande, une partie privée doit toujours obtenir la permission du Tribunal, mais le Parlement a abaissé le critère à remplir pour obtenir cette permission afin d’encourager davantage l’application privée de la Loi.
Le même jour, le Bureau de la concurrence a publié un bulletin d’information qui présente son point de vue sur ce nouveau droit d’accès privé et son rôle dans le cadre des demandes d’accès privé.
Notre équipe d’Osler a déjà publié un bulletin complet traitant des importantes modifications apportées à la Loi l’année dernière au moyen du projet de loi C-59 et des projets de loi précédents qui couvrent l’ensemble du droit de la concurrence au Canada, y compris les fusionnements, l’abus de position dominante et les pratiques commerciales trompeuses, de même que les nouvelles dispositions relatives à l’« écoblanchiment ». Dans le présent bulletin d’actualités Osler, nous avons résumé la nature, la portée et les conséquences du nouveau droit d’accès privé, y compris l’étendue des comportements susceptibles d’examen visés par le droit d’accès privé, le nouveau critère à remplir pour obtenir la permission d’accéder au Tribunal, et les formes de mesures de redressement comportemental et pécuniaire qui peuvent être demandées. Cela inclut le nouveau régime de recours collectif qui pourrait ouvrir le Tribunal à l’équivalent des actions collectives modernes.
Application privée de la Loi sur la concurrence
Bien que le Canada ait été l’un des premiers pays industrialisés à adopter une loi antitrust en 1889, il s’est toujours appuyé sur l’application publique de la Loi, et il n’y a pas eu de droits d’action ou d’accès privés au Canada pendant près d’un siècle. En 1976, le Parlement a institué à l’article 36 un recours limité permettant à une partie privée de recouvrer des dommages-intérêts. Toutefois, une partie privée ne pouvait invoquer cet article devant les tribunaux que pour obtenir réparation pour les dommages effectivement subis en raison d’un comportement criminel en vertu de la Loi, en particulier les infractions relatives à la fixation des prix en vertu de l’article 45 et aux pratiques commerciales trompeuses en vertu de l’article 52.
En 2002, le Parlement a institué un droit limité d’accès privé au Tribunal pour certains types de comportements non criminels susceptibles d’examen, y compris le refus de vendre (article 75), le maintien des prix (article 76), ainsi que l’exclusivité, les ventes liées et la limitation du marché (article 77). En juin 2022, le Parlement a étendu ce droit d’accès à l’abus de position dominante (article 79). En vertu de ces dispositions, les parties privées pouvaient demander au Tribunal la permission de présenter une demande pour faire appliquer la Loi à ces pratiques civiles susceptibles d’examen. Toutefois, même si elles obtenaient cette permission, les parties privées étaient limitées dans l’étendue des mesures de redressement qu’elles pouvaient demander, et elles n’avaient pas la possibilité de demander des dommages-intérêts ou une mesure de redressement pécuniaire au Tribunal. Compte tenu des limites de ce recours et de la sévérité du critère à remplir pour obtenir la permission, au cours des 20 dernières années, le Tribunal n’a accordé la permission que dans un nombre limité d’affaires, et la plupart d’entre elles ont été rejetées ou résolues par voie de règlement.
Le nouveau droit d’accès privé
En adoptant le projet de loi C-59 en 2024, le Parlement a fait la place à un élargissement spectaculaire de l’application privée des lois canadiennes sur la concurrence. En vertu des nouvelles modifications apportées à la Loi qui sont entrées en vigueur le 20 juin 2025, les parties privées peuvent désormais demander l’accès au Tribunal en vue d’obtenir un éventail de mesures de redressement comportemental ou pécuniaire à l’égard des formes de comportement suivantes en vertu de la Loi :
- le refus de vendre (article 75);
- le maintien des prix (article 76);
- l’exclusivité, les ventes liées et la limitation du marché (article 77);
- l’abus de position dominante (article 79);
- les accords nuisant à la concurrence (article 90.1);
- les pratiques commerciales trompeuses (article 74.1) (pas de nouvelle mesure de redressement pécuniaire, mais un nouvel accès au recours en restitution existant en vertu de la Loi).
Le changement le plus important est que les parties privées peuvent désormais demander l’accès au Tribunal et obtenir une mesure de redressement à l’égard de pratiques commerciales trompeuses en vertu des dispositions civiles de la Loi (y compris les prétentions d’indication de prix partiel, d’écoblanchiment et de prix habituel), des accords anticoncurrentiels (y compris les accords horizontaux et verticaux), ainsi que des abus de position dominante.
Le nouveau critère à établir pour obtenir la permission
Dans le cadre du nouveau régime, le Parlement a considérablement abaissé le critère qu’une partie privée doit remplir pour obtenir la permission de présenter une demande devant le Tribunal.
Auparavant, les parties privées souhaitant présenter une demande d’accès au Tribunal devaient démontrer qu’elles étaient « directement et sensiblement gênées » dans leur entreprise en raison du comportement anticoncurrentiel allégué. Toutefois, en vertu des nouvelles dispositions, le critère à établir pour obtenir la permission a été abaissé pour la plupart des pratiques susceptibles d’examen, de sorte qu’une partie privée ne sera tenue de démontrer qu’elle a été « directement et sensiblement gênée » dans « tout ou partie » de son entreprise. Pour les pratiques susceptibles d’examen que sont le refus de vendre (article 75), l’exclusivité, les ventes liées et la limitation du marché (article 77), l’abus de position dominante (article 79) et les accords nuisant à la concurrence (article 90.1), une partie privée pourra obtenir la permission en présentant des preuves grâce auxquelles il est permis de croire de bonne foi qu’elle a été directement et sensiblement gênée dans « tout ou partie » de son entreprise. Outre ces preuves, aux termes d’une modification importante apportée à la législation existante, une partie privée pourra également demander la permission de présenter une demande devant le Tribunal à l’égard de ces pratiques susceptibles d’examen si le Tribunal est « convaincu qu’il est dans l’intérêt public de le faire ».
Toutefois, il est important de noter qu’une partie privée qui souhaite obtenir un accès privé à l’égard d’une pratique commerciale trompeuse (article 74.1) – y compris d’une prétention d’indication de prix partiel ou d’écoblanchiment – ne pourra demander la permission que sur la base du critère de l’intérêt public. Cette restriction est importante. Le Parlement semble avoir pris conscience du risque de litige tactique soulevé par un concurrent qui pourrait prétendre avoir été lésé dans son entreprise par certaines pratiques commerciales, mais il a néanmoins accordé aux concurrents et aux organisations d’intérêt public qui n’ont pas été lésées un droit d’accès privé sur la base de l’intérêt public.
Le nouveau critère à remplir pour obtenir la permission de présenter une demande reste toutefois entaché d’incertitude. Le critère libéralisé qui n’exige du demandeur qu’il démontre une gêne limitée dans une partie de son entreprise ou un prétendu « intérêt public » n’a pas de précédent dans la longue histoire du droit canadien de la concurrence ou dans la jurisprudence du Tribunal. Le Parlement a refusé de définir plus précisément ces critères, et le Bureau de la concurrence a également refusé de prendre position à leur égard. Le critère permettant d’établir l’existence d’un intérêt public est encore plus flou, étant donné qu’il ne s’appliquerait que dans les cas où le Bureau de la concurrence, en tant qu’autorité publique chargée de l’application des lois canadiennes sur la concurrence, a refusé d’entamer une enquête ou de prendre ses propres mesures d’application. Toutefois, compte tenu de la portée des recours potentiels – et de l’intérêt du Parlement à étendre l’application privée de la Loi –, les parties privées seront fortement incitées à tester la portée du critère à remplir pour obtenir la permission de présenter une demande.
Mesures de redressement pécuniaire élargies pour les parties privées
En vertu du nouveau droit d’accès privé, les parties privées ont désormais la possibilité de demander des mesures de redressement pécuniaire au Tribunal.
Avant ces modifications, les parties privées ne pouvaient demander une mesure de redressement pécuniaire au Tribunal pour aucune pratique susceptible d’examen. En vertu des nouvelles dispositions, la partie privée qui obtient la permission de présenter une demande devant le Tribunal et qui obtient gain de cause sur le fond de sa demande en ce qui concerne certaines pratiques pourra demander une forme de mesure de redressement pécuniaire fondée sur la nature de la pratique.
Pour les demandes prétendant un refus de vendre (article 75), un maintien des prix (article 76), une exclusivité, des ventes liées et une limitation du marché (article 77), un abus de position dominante (article 79) et des accords anticoncurrentiels (article 90.1), une partie privée pourra demander au Tribunal d’ordonner le paiement d’une « somme – ne pouvant excéder la valeur du bénéfice tiré du comportement […] – devant être répartie, de la manière qu’il estime indiquée, entre le demandeur et toute autre personne touchée par le comportement ». À première vue, cette disposition ne contient aucune formulation expresse qui semble lier la mesure de redressement à une perte réelle ou à des dommages-intérêts compensatoires. La question de savoir si ce recours doit être limité à des dommages-intérêts réels, à des dommages-intérêts restitutoires, à un dégorgement réel ou à une autre somme permettant d’assurer le respect de la Loi fait l’objet d’un débat animé.
Pour les demandes prétendant une pratique commerciale trompeuse relevant de la disposition générale sur les pratiques commerciales trompeuses de la Loi (alinéa 74.01 (1)a), c.-à-d. des indications fausses ou trompeuses sur un point important), une partie privée pourra désormais accéder aux dispositions existantes de la Loi en matière de restitution, c.-à-d. qu’elle pourra demander au Tribunal d’ordonner à la partie qui s’est livrée à la pratique commerciale trompeuse « de payer aux personnes auxquelles les produits visés par le comportement ont été vendus […] une somme – ne pouvant excéder la somme totale payée au contrevenant pour ces produits – devant être répartie entre elles de la manière qu’il estime indiquée ». Cette disposition de restitution a été adoptée par le Parlement en 2009 mais, jusqu’à présent, seul le commissaire à la concurrence pouvait invoquer ce recours auprès du Tribunal. Avec les modifications en question, une partie privée aura désormais accès à ce puissant recours en restitution.
Création d’un régime de recours collectif
En vertu du nouveau droit d’accès privé, les parties privées pourront également demander une mesure de redressement en leur nom et au nom des autres personnes « touchées par le comportement » ou « auxquelles les produits visés par le comportement ont été vendus ». L’étendue de ce recours a soulevé la question de savoir si le Parlement a envisagé une forme de recours collectif devant le Tribunal. Un certain nombre d’avocats représentant des demandeurs ont plaidé pour la mise en place de l’équivalent d’un régime de recours collectif devant le Tribunal. Toutefois, contrairement aux dispositions rigoureuses des lois provinciales sur les recours collectifs, les nouvelles dispositions n’offrent que peu d’indications sur la procédure ou le fond de ce régime de recours collectif.
À première vue, les modifications n’abordent les questions de distribution et d’administration des demandes qu’au plus haut niveau de généralité et ne fournissent aucune orientation significative quant à la façon dont un recours collectif serait effectivement plaidé devant le Tribunal. Plus important encore, les modifications n’autorisent pas le Tribunal à rendre des ordonnances qui lieraient les intérêts des « membres du groupe absents » (c.-à-d. les parties intéressées, les concurrents ou les acheteurs qui ne sont pas devant le Tribunal) ni ne prévoient de mécanisme permettant aux « membres du groupe absents » de s’exclure ou de s’opposer à la procédure devant le Tribunal.
Les orientations du Bureau de la concurrence
Le 20 juin 2025, le Bureau a publié, pour consultation, un bulletin d’information dans lequel il présente son point de vue sur son rôle à l’égard des demandes d’accès privé devant le Tribunal. En vertu du nouveau régime, le Bureau continue à jouer le rôle de principal organisme public chargé de l’application de la Loi, étant donné qu’une partie privée ne peut pas présenter une demande d’accès privé lorsque le Bureau a certifié ou confirmé que i) il a déjà entrepris en application de la Loi une enquête sur la même affaire, ii) il a mis fin à une enquête sur l’affaire en raison d’un règlement ou iii) qu’une partie privée a déjà présenté sur la même affaire une demande d’accès privé au Tribunal.
Dans ses orientations, le Bureau a refusé de prendre position publiquement sur le critère à établir pour obtenir la permission demandée, sur le sens de l’expression « intérêt public » ou sur la portée des mesures de redressement pécuniaire ou des recours collectifs en vertu de la Loi. Cependant, le Bureau a fourni des orientations utiles aux demandeurs privés en matière de signification des demandes et de délivrance de son attestation au Tribunal eu égard à l’absence d’enquête en cours. En outre, le Bureau a précisé les circonstances dans lesquelles il pourra présenter des observations à l’égard d’une demande de permission et dans lesquelles il pourra intervenir dans le cadre d’une demande d’accès privé. Il a également fait remarquer qu’il y aurait de rares cas où il pourrait commencer sa propre enquête après avoir été avisé d’une demande de permission.
Le bulletin d’information du Bureau fait l’objet d’une consultation, et le Bureau a demandé aux parties intéressées de lui faire parvenir leurs commentaires au plus tard le 19 août 2025.
Conclusion
En résumé, le nouveau droit d’accès représente le plus grand élargissement de l’application privée des lois canadiennes sur la concurrence depuis une génération.
L’abaissement du critère à remplir pour obtenir la permission de présenter une demande, l’ajout de nouvelles mesures de redressement pécuniaire et la mise en place d’un régime de recours collectif par le Parlement, de même que les modifications de fond connexes ayant changé le critère relatif à l’abus de position dominante et aux accords civils anticoncurrentiels et prévoyant de nouvelles pratiques susceptibles d’examen (comme l’écoblanchiment), inciteront fortement les consommateurs, les entreprises, les organisations d’intérêt public et les demandeurs de recours collectif à engager des procédures devant le Tribunal. Compte tenu du risque de litige accru découlant de ces nouvelles dispositions, les entreprises qui font affaire au Canada – aussi bien canadiennes qu’étrangères – devraient examiner leurs pratiques concurrentielles et évaluer le risque auquel elles seront désormais exposées en conséquence.