Le Québec présente le projet de loi 109 sur la découvrabilité des contenus francophones sur les plateformes numériques Le Québec présente le projet de loi 109 sur la découvrabilité des contenus francophones sur les plateformes numériques

27 juin 2025 10 MIN DE LECTURE

Le 21 mai 2025, le ministre de la Culture et des Communications du Québec (le « Ministre ») a déposé le projet de loi n° 109, la Loi affirmant la souveraineté culturelle du Québec et édictant la Loi sur la découvrabilité des contenus culturels francophones dans l’environnement numérique[1] (le « Projet de loi ») .

Le Projet de loi imposerait aux « plateformes numériques » ainsi qu’aux fabricants de téléviseurs et d’appareils connectés des obligations en matière de découvrabilité des contenus en langue française, de quotas, et de conformité des interfaces. Le Projet de loi modifie également la Charte des droits et libertés de la personne afin de créer un droit à la découvrabilité des contenus culturels d’expression originale de langue française et à l’accès à de tels contenus.

Outre les fournisseurs de services de visionnement en ligne de contenu audiovisuel ou d’écoute en ligne et les fabricants de téléviseurs, les plateformes de médias sociaux et les fabricants de consoles de jeux et de lecteurs multimédias sont aussi soumis à ces exigences. Il n’y a pas d’exclusion pour les plateformes offrant des contenus générés par des utilisateurs, les plateformes n’ayant pas une base d’utilisateurs significative au Québec, les plateformes n’ayant pas de revenus significatifs provenant du Québec ou les plateformes fournissant des vidéos éducatives ou corporatives. Bien que le Projet de loi permette d’introduire des exceptions par voie réglementaire, aucune indication n’a été fournie sur la manière dont ce pouvoir peut être utilisé.

L’Assemblée nationale du Québec ayant suspendu ses travaux pour l’été, il est actuellement opportun pour les entreprises d’examiner comment le Projet de loi pourrait affecter leurs activités et de déterminer s’il convient de prendre des mesures pour influencer son évolution.

Contexte, objet, et champs d’application

S’il est adopté, le Projet de loi instituerait la Loi affirmant la souveraineté culturelle du Québec et édictant la Loi sur la découvrabilité des contenus culturels francophones dans l’environnement numérique (la « Loi »). L’objectif affiché de la Loi est de favoriser la découvrabilité et l’accès à des contenus culturels d’expression originale de langue française dans l’environnement numérique.

Le dépôt du Projet de loi fait suite à une consultation menée en 2024 par le gouvernement du Québec sur la découvrabilité des contenus de langue française et aux initiatives continues du gouvernement canadien pour promouvoir les contenus canadiens sur les plateformes numériques, notamment par l’adoption du projet de loi C-11, la Loi sur la diffusion en continu en ligne, en 2023.

La Loi réglemente un large éventail de plateformes numériques, y compris les plateformes qui : (i) offrent un service de visualisation en ligne de contenu audiovisuel ou d’écoute en ligne de musique, de livre audio ou de balado ; (ii) fournissent un accès à de tels services offerts par une tierce plateforme ; ou (iii) offrent des services permettant l’accès à un contenu culturel en ligne déterminé par un règlement du gouvernement. De même, les fabricants (qui peuvent inclure des importateurs et des distributeurs) visés par la Loi comprennent les fabricants de téléviseurs et d’appareils qui (i) sont destinés à être connectés à un téléviseur qui comporte une interface permettant de visionner du contenu audiovisuel en ligne ; (ii) donnent accès à des services de visionnage de contenus audiovisuels en ligne ; ou (iii) comportent une interface permettant d’accéder à du contenu culturel en ligne déterminée par un règlement du gouvernement[2].

Dispositions clés

Obligations : Si elle est adoptée, la Loi soumettra les plateformes numériques et les fabricants à quatre obligations principales, dont plusieurs seront précisées ou entièrement définies par voie réglementaire.

  • Interface en français par défaut. La Loi exigera que, par défaut, l’interface des plateformes numériques, des téléviseurs et des appareils permettant l’accès à des contenus culturels en ligne soit en français[3]. Il s’agit d’un élargissement des exigences linguistiques actuelles de la Charte de la langue française applicables aux « logiciels informatiques, y compris les logiciels de jeux et les systèmes d’exploitation » (qui ne s’appliquent pas si une version française du logiciel n’est pas offerte dans une autre juridiction).
  • Quotas relatifs aux contenus francophones et accessibilité. La Loi donnera au gouvernement le pouvoir d’adopter des règlements établissant « la quantité ou la proportion de contenu culturel d’expression originale de langue française ou de contenu disponible dans une version française » que les plateformes numériques doivent offrir[4]. En outre, la Loi exigera que l’interface des téléviseurs, ou des appareils destinés à être connectés à un téléviseur et comportant une interface permettant le visionnement de contenus audiovisuels en ligne, donne accès à des plateformes de visionnement qui (i) offrent majoritairement du contenu culturel d’expression originale de langue française, et (ii) sont exploitées par une personne morale de droit public ou une personne morale sans but lucratif [5]. Des modalités complémentaires, notamment des conditions de visibilité des plateformes numériques qui doivent être accessibles, seront précisées par voie réglementaire[6].
  • La découvrabilité. La Loi donnera au gouvernement le pouvoir d’adopter des règlements établissant les obligations des plateformes numériques en matière de découvrabilité des contenus culturels d’expression originale de langue française ou des contenus disponibles dans une version française, et notamment les obligations en matière de recommandation, de mise en valeur ou d’affichage de contenu[7].

La Loi exigera également à ce que l’interface des plateformes numériques, des téléviseurs et des appareils connectés permette l’accès aux plateformes numériques qui répondent aux critères de présence et de découvrabilité pour le contenu culturel d’expression originale de langue française. Des modalités supplémentaires liées à cette exigence seront précisées par voie réglementaire[8].

  • Enregistrement. La Loi exigera que toutes les plateformes numériques qui répondent aux critères déterminés par le gouvernement dans un règlement s’enregistrent auprès du Ministre[9]. La Loi précise qu’un registre d’enregistrement sera publié sur le site web du Ministre[10].

Mesures de substitution : La Loi prévoit que le Ministre peut choisir de conclure une entente de « mesures de substitution » avec une plateforme numérique dans le but de faciliter la réalisation des objectifs de la Loi d’une manière au moins équivalente (par exemple, en fournissant un financement pour la production de contenu local)[11]. Les critères qu’une plateforme numérique doit remplir pour que des mesures de substitution puissent être convenues seront définis par voie réglementaire[12]. L’entente doit également être approuvée par le gouvernement[13].

Application et sanctions : La Loi accordera au Ministre le pouvoir de :

  • Mener des inspections et des enquêtes [14];
  • Émettre des ordonnances à l’encontre des plateformes numériques ou des fabricants qui ne respectent pas leurs obligations au titre de la Loi, de ses règlements ou d’une entente sur les mesures de substitution [15];
  • Demander à la cour supérieure une injonction relative à l’application de la Loi [16]; et
  • Imposer une sanction administrative pécuniaire de 2 500 $ dans le cas d’une personne physique et de 15 000 $ dans tous les autres cas à toute personne qui ne se conforme pas à une ordonnance du Ministre ou qui ne se conforme pas aux obligations spécifiées dans un règlement[17].

La Loi prévoit également que quiconque contrevient à une ordonnance du Ministre est passible d’une amende de 5 000 $ à 50 000 $ dollars pour une personne physique et 30 000 $ à 300 000 $ dollars pour une personne morale[18]. D’autres infractions passibles d’amendes pénales peuvent être établies par le gouvernement par voie réglementaire[19].

Questions clés

Champ d’application. Telle qu’elle est actuellement rédigée, la définition de « plateforme numérique » établie par la Loi est très large. Elle semble inclure toute organisation, y compris les entreprises de médias sociaux et les exploitants de sites web, qui rendent disponibles des contenus audiovisuels, de la musique, des livres audios ou des podcasts au public en ligne, que ce soit en échange d’une contrepartie financière ou non. La définition ne fait pas de distinction entre les organisations dont l’objectif premier est de diffuser ce type de contenu (c’est-à-dire les services de diffusion en continu) et celles qui ne l’hébergent qu’accessoirement ou en tant que caractéristique auxiliaire de leurs activités commerciales plus larges (par exemple, le site web commercial d’une organisation pour les produits ou les services qu’elle fournit, qui héberge également des podcasts ou des webinaires sur des sujets d’intérêt pour ses clients).

Compétence juridictionnelle. Au Canada, la radiodiffusion relève traditionnellement de la compétence fédérale, la modernisation de la Loi sur la radiodiffusion en 2023 ayant élargi son champ d’application pour inclure les plateformes de diffusion en continu en ligne. Bien que le gouvernement du Québec se fonde sur son « droit et [s]a capacité d’agir pour préserver et promouvoir la langue française et la culture québécoise, y compris dans l’environnement numérique » pour présenter le Projet de loi, l’impact du Projet de loi sur la radiodiffusion pourrait soulever certaines questions constitutionnelles en ce qui concerne le partage des pouvoirs législatifs.

Risque de contentieux. L’inclusion dans le Projet de loi d’un amendement à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec visant à créer un nouveau droit fondamental « à la découvrabilité et à l’accès aux contenus culturels originaux de langue française » a pour effet de conférer un statut quasi constitutionnel à la Loi. De plus, en vertu de l’article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne, les plateformes de diffusion en continu et les fabricants d’appareils sont exposés à des droits d’action privés, y compris des demandes d’injonction ou des demandes de dommages moraux et de dommages punitifs. Ces actions pourraient être intentées par le biais de recours collectifs.

Prochaines étapes

Le Projet de loi n’en étant qu’au début de son examen par l’Assemblée nationale, il est encore possible de formuler des commentaires.[20] Nous prévoyons que les parties prenantes des secteurs de la diffusion en continu et de la fabrication concentreront leurs recommandations sur les points suivants :

  • Exempter certaines catégories de contenus de la Loi, comme les contenus éducatifs ou les contenus promotionnels ;
  • Exempter les plateformes qui n’ont pas une base d’utilisateurs significative au Québec ou qui n’ont pas de revenus significatifs provenant du Québec ;
  • Exempter les sites web ou les applications qui incluent du contenu audiovisuel ou audio en tant qu’élément auxiliaire du contenu qu’ils offrent ;
  • Exempter les consoles de jeux et les ordinateurs, les téléphones intelligents et les autres appareils qui peuvent permettre l’accès à des contenus audiovisuels en ligne en tant qu’élément accessoire de l’appareil ; et
  • Préciser que l’exigence relative à l’interface en français par défaut sera satisfaite en fournissant une interface bilingue ou une interface permettant à l’utilisateur de basculer entre le français et l’anglais.

[1] Projet de loi no 109, la Loi affirmant la souveraineté culturelle du Québec et édictant la Loi sur la découvrabilité des contenus culturels francophones dans l’environnement numérique, 1er sess., 43e parl., 2025.

[2] Art. 2 de la Loi.

[3] Art. 15 de la Loi.

[4] Art. 20, alinéa 1, sous-paragraphe 2 de la Loi.

[5] Art. 17 de la Loi.

[6] Arts. 16-17 de la Loi.

[7] Art. 20, alinéa 1, sous-paragraphe 4 de la Loi.

[8] Art. 16 de la Loi.

[9] Art. 6 de la Loi.

[10] Art. 14 de la Loi.

[11] Art. 21 de la Loi.

[12] Art. 23 de la Loi.

[13] Art. 21 de la Loi.

[14] Art. 34 de la Loi.

[15] Art. 42 de la Loi.

[16] Art. 46 de la Loi.

[17] Arts. 49-50 de la Loi.

[18] Art. 70 de la Loi.

[19] Art. 71 de la Loi.

[20] Les commentaires peuvent être soumis via le site web de l’Assemblée nationale : Commenter un sujet à l’étude – Assemblée nationale du Québec.