Cet article a été écrit par Shaun Parker d’Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l. L’auteur aimerait remercier l’étudiant d’été Adam Rempel pour sa contribution importante à cet article.
La fin de ce qu’on appelle la « troisième vague » de la pandémie de COVID-19 a ramené au premier plan le débat qui dure depuis longtemps sur la réouverture de l’économie. Un aspect central de cette question consistait à déterminer si les employés qui avaient travaillé à distance ou avaient été mis à pied ou licenciés pouvaient ou devaient retourner physiquement sur leur lieu de travail. Ces questions apparentées soulèvent de graves préoccupations d’ordre juridique, notamment celles qui sont liées à la sécurité au travail, au respect de la vie privée des employés, à la vaccination obligatoire et à la santé publique. Pour démêler cette question complexe, controversée et en constante évolution, Lexpert a demandé à Shaun Parker d’Osler, un associé en droit du travail et de l’emploi, de démystifier les incertitudes liées au retour au travail et de décrire les mesures que les employeurs peuvent prendre pour assurer à leurs employés un milieu de travail sain et agréable.
L’une des principales questions liées au droit du travail consiste à déterminer si les employeurs peuvent ou non obliger leurs employés à se faire vacciner. Les entreprises sont-elles autorisées à imposer la vaccination? Sont-ils autorisés par la loi à demander à leurs employés de divulguer leur statut vaccinal? Que disent la loi et la jurisprudence canadiennes à propos de l’équilibre entre les préoccupations en matière de protection de la vie privée et l’obligation d’offrir un lieu de travail sécuritaire? Les employeurs sont-ils autorisés par la loi à discriminer en fonction du statut vaccinal?
Depuis août 2021, nous observons un virage culturel au Canada. Alors que les employeurs étaient initialement réticents à adopter des politiques de vaccination obligatoire, nous avons constaté qu’un nombre croissant d’employeurs importants (y compris le gouvernement fédéral et les autorités sanitaires provinciales) rendaient la vaccination obligatoire pour leurs employés, et nous avons également vu l’industrie privée commencer à emboîter le pas.
Voici les principales considérations :
- Aucune loi n’interdit expressément aux employeurs d’obliger ses employés à se faire vacciner ou d’adopter une stratégie de retour au travail qui tient compte de leur statut vaccinal.
- Si un employeur adopte une politique de vaccination obligatoire, les principaux risques juridiques auxquels il s’expose sont une plainte pour non-respect des droits de la personne (discrimination) ou possiblement une plainte liée à la protection de la vie privée. À cet égard :
- Les risques liés aux droits de la personne peuvent être atténués par la mise en place de mesures d’adaptation pour les employés qui présentent une caractéristique protégée par la loi (p. ex., un handicap, la religion ou d’autres motifs prévus par la loi) sans que ce soit une contrainte excessive pour l’employeur.
- Les risques liés à la protection de la vie privée peuvent être atténués par la mise en place d’un processus soigneusement conçu pour gérer la collecte, l’utilisation et la divulgation des renseignements personnels des employés d’une manière qui est conforme à la politique de protection de la vie privée.
- Les employeurs dont dont les employés sont syndiqués peuvent se heurter à des défis supplémentaires, car les syndicats ont la possibilité de contester les politiques par un processus d’arbitrage de griefs, sous motif qu’il s’agit d’un exercice déraisonnable des droits de la direction.
- Quels que soient les moyens par lesquels une politique de vaccination obligatoire est contestée, en général, la principale question sera de savoir si l’employeur a mis en œuvre une politique claire et raisonnable. La jurisprudence canadienne reconnaît le débat actuel sur l’équilibre entre la sécurité au travail et la protection de la vie privée et, en général, une politique « raisonnable » ne sera pas plus restrictive que ce qui est raisonnablement nécessaire dans les circonstances pour atteindre un objectif qui a été établi de bonne foi pour le lieu de travail. Ce qui est qualifié de « raisonnable » dépendra largement des faits et dépendra, entre autres, des avis médicaux et de la nature des activités de l’employeur.
- Un employeur est autorisé à demander à un employé de divulguer son statut vaccinal. Cependant, cet employeur doit prendre des précautions pour s’assurer qu’aucun renseignement personnel non pertinent ou renseignement sur la santé n’est saisi, et doit planifier la façon dont ces renseignements seront recueillis, conservés (le cas échéant) et protégés.
- À moins qu’un motif de discrimination protégé par les droits de la personne ne soit invoqué, un employeur est libre d’établir des directives différentes pour ses employés vaccinés et non vaccinés. Toutefois, les employeurs doivent garder à l’esprit que cette décision pourrait entraîner d’autres enjeux d’ordre juridique. Leur issue dépendra fortement des faits mis de l’avant, mais il faut s’attendre à des risques, par exemple, de congédiement déguisé, selon la nature des politiques et des pratiques de l’employeur.