Compte tenu des transformations politiques, des changements réglementaires et de l’incitation à l’activisme à l’échelle internationale ainsi que du rapport historique des Nations Unies sur les changements climatiques, la toile de fond des litiges liés aux changements climatiques aux États-Unis et au Canada est à la fois claire et d’actualité.
Des réclamations fondées sur le droit privé à l’encontre de producteurs de combustibles fossiles sont déposées par de grandes villes américaines. Une enquête menée par le procureur général de New York a donné lieu à une réclamation fondée sur la présentation d’information fausse ou trompeuse sur les valeurs mobilières à l’encontre d’Exxon Mobil Corp. Au Canada, les grandes actions collectives suivent habituellement (et calquent souvent) les actions intentées aux États-Unis. Nous croyons que ce n’est qu’une question de temps avant que les changements climatiques ne fassent l’objet de procès devant des tribunaux canadiens.
Des environnementalistes, des municipalités et des Premières Nations se sont opposés à de grands projets d’exploitation de sables bitumineux et à des oléoducs, tant dans des lignes de piquetage que devant les tribunaux. Des groupes environnementaux ont discuté publiquement de litiges sur les changements climatiques au Canada. Certaines des municipalités qui s’opposent aux projets de pipelines devant les organismes de réglementation et les tribunaux écrivent également aux grands producteurs de combustibles fossiles pour leur demander d’assumer les frais d’atténuation des effets des changements climatiques à l’échelle locale.
Éventuelles poursuites en common law
Les réclamations fondées sur la nuisance en common law déposées par des villes américaines qui veulent se faire indemniser pour couvrir les frais d’atténuation des effets des changements climatiques semblent vouées à l’échec, même si les tribunaux américains ont avalisé le consensus scientifique des changements climatiques. Les tribunaux américains voient les changements climatiques comme une question de réglementation des émissions de gaz à effet de serre, soit une question politique à laquelle le droit privé se prête mal. Les tribunaux ont statué que la Clean Air Act fédérale et l’Environmental Protection Act des États-Unis visant à fixer des limites aux émissions ont réglé les réclamations en common law à l’encontre des producteurs de combustibles fossiles.
Il y a des raisons de croire que le Canada pourrait être un terrain fertile aux litiges liés aux changements climatiques dans un avenir proche, en partie parce que les notions de nuisance, d’intrusion et de négligence en common law sont semblables aux États-Unis et au Canada. Il est loin d’être certain que les poursuites au Canada aient gain de cause, car les théories à partir desquelles les demandes de villes américaines ont été rejetées d’office pourraient servir de fondement à la défense de réclamations au Canada. De plus, la causalité et la preuve de sinistre constituent des obstacles importants à toute réclamation relative aux changements climatiques. La plupart des émissions que les critiques attribuent aux producteurs de combustibles fossiles sont en fait des émissions provenant des utilisateurs finaux de combustibles fossiles. De plus, relier les émissions d’un producteur de combustibles fossiles à un changement climatique ou à un dommage à la propriété précis constituerait une tâche colossale.
Entre-temps, les activistes écologistes, reconnaissant les obstacles juridiques au gain de cause dans les réclamations sur les changements climatiques, ont fait des pressions pour que des législateurs sympathiques à leur cause adoptent des lois qui permettront que leurs réclamations portent leurs fruits. Nous avons été témoins de ce mouvement par le passé, lorsque les gouvernements provinciaux du Canada se sont montrés réceptifs à des lois qui permettent des réclamations visant à récupérer des frais de soins de santé liés à des maladies liées au tabac et, plus récemment, à une dépendance aux opioïdes. En 2018, deux projets de loi émanant de députés visant à modifier la common law pour faciliter les réclamations liées aux changements climatiques sont passés à l’étape de l’étude par le comité du Sénat en Ontario mais, étant donné le récent changement de gouvernement, il est peu probable que l’un ou l’autre soit adopté. Comme les élections dans les diverses provinces, et les élections fédérales l’an prochain, continueront d’apporter des modifications aux politiques publiques et aux lois, il serait raisonnable de s’attendre à ce que, tôt ou tard, une province adopte une telle loi.
Actions collectives d’investisseurs
Une autre source possible de litiges liés aux changements climatiques serait le droit des sociétés et des valeurs mobilières. Les activistes écologiques ont incité certaines institutions publiques à se départir d’avoirs en pétrole et en gaz naturel et ont eu recours à des propositions d’actionnaires et à d’autres outils de gouvernance d’entreprise pour faire pression sur des sociétés pétrolières et gazières afin qu’elles luttent contre les changements climatiques. Les divulgations accrues au sujet des risques et des coûts liés aux changements climatiques et l’examen de ces renseignements ont donné lieu à la possibilité de recours fondés sur la présentation d’information fausse ou trompeuse sur les valeurs mobilières.
Les sociétés gazières et pétrolières ouvertes sont tenues de divulguer les données sur leurs réserves, conformément aux règlements sur les valeurs mobilières et aux normes comptables. La taille des réserves de pétrole et de gaz naturel qu’il faut divulguer est fonction de l’économie de la récupération. Le coût de la conformité aux règlements sur l’environnement a une incidence sur l’estimation de la taille des réserves de pétrole et de gaz naturel. La réclamation par le procureur général de New York à l’encontre d’Exxon fournit un exemple de ce genre de réclamation. Le procureur général allègue qu’Exxon a fourni de l’information fausse ou trompeuse sur le calcul du coût de la conformité aux règlements liés aux changements climatiques et que, par conséquent, elle a surestimé la taille de ses réserves. L’un des éléments clés de l’allégation est que le défaut d’Exxon de rendre compte de ses coûts lui a fait omettre de réduire la valeur de ses actifs canadiens en sables bitumineux. Des enquêtes menées par les organismes de réglementation des valeurs mobilières et des actions collectives intentées par des investisseurs, fondées sur des théories semblables, sont possibles en vertu des lois canadiennes.
Jugements rendus par des tribunaux étrangers
Au Canada, les litiges liés aux changements climatiques peuvent prendre la forme de tentatives de faire appliquer des jugements rendus par des tribunaux étrangers dans des affaires liées aux changements climatiques, à l’encontre d’émetteurs de gaz à effet de serre qui ont des actifs au Canada. On trouve un précédent pour ce type de réclamation dans l’affaire Yaiguaje v. Chevron : des personnes soutenues par des groupes environnementaux tentaient de faire appliquer un jugement de plusieurs milliards de dollars rendu par un tribunal équatorien à l’encontre de Chevron. (Notre cabinet, Osler, Hoskin & Harcourt, représentait Chevron en l’instance.)
Les procédures d’exécution ont été rejetées par la Cour d’appel de l’Ontario, mais les demandeurs ont demandé une autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada. Des groupes environnementaux ont discuté publiquement de la possibilité de faire juger des affaires liées aux changements climatiques à l’encontre de producteurs de combustibles fossiles dans des territoires de compétence où les lois sont favorables, puis de tenter de faire appliquer le jugement au Canada et dans d’autres pays où les actifs sont situés.
Le secteur énergétique agit rapidement en matière de changements climatiques, et les intervenants les plus avisés appuient les politiques fondées sur le marché pour réduire les émissions. De nombreuses entreprises tiennent déjà compte des risques de litiges liés aux changements climatiques dans leur divulgation publique et dans l’exercice de leurs activités. Certains acteurs clés du secteur ont adopté publiquement une position favorisant la réduction d’émissions, comme Exxon, qui se porte à la défense de la taxation du carbone, et Shell, qui met de l’avant des solutions fondées sur l’énergie renouvelable.
Les changements climatiques sont bien réels; les acteurs du secteur de l’énergie ou les avocats qui les représentent ne peuvent se permettre de les nier. Cela dit, le litige n’est pas une solution constructive à un enjeu multiterritorial, aux volets multiples. La District Court for Northern California des États-Unis a judicieusement observé, en rejetant la demande de la ville d’Oakland, que les changements climatiques « méritent une solution sur une échelle beaucoup plus vaste que ne peuvent en fournir un jury ou un juge de district ». Il en irait de même pour les tribunaux canadiens.
Reproduction autorisée de l’édition du 3 décembre 2018 de l’« American Lawyer » © 2018 ALM Media Properties, LLC. Tous droits réservés. Toute autre reproduction sans autorisation est interdite.