Marchés financiers et application de la loi : nouvelles orientations novatrices, mais controversées

11 Déc 2023 10 MIN DE LECTURE

Un certain nombre de tendances se sont croisées dans le paysage de la réglementation des marchés financiers et de l’application de la loi en 2023. Ces tendances permettent de donner un aperçu des priorités des organismes de réglementation des marchés financiers ainsi que de leurs orientations pour 2024.

Comme l’indiquent la Revue de l’année 2022-2023 des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) et le Rapport annuel 2022-2023 [PDF] de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO), les activités d’application de la loi ont légèrement augmenté sur les marchés financiers canadiens en 2023, comme en témoigne la hausse du nombre de dénonciations et du montant des sanctions administratives et des restitutions imposées. Cependant, les faibles taux de recouvrement restent problématiques.

Les investisseurs et les participants aux marchés financiers constateront probablement que des mesures réglementaires de plus en plus nombreuses et musclées seront dirigées contre les acteurs du marché dans des secteurs en développement (comme dans le domaine des cryptomonnaies) et contre les activités perçues comme exploitant l’attrait des investisseurs pour les technologies durables ou innovantes. Les organismes de réglementation des valeurs mobilières cherchent à acquérir (et, dans certains cas, reçoivent) des pouvoirs accrus pour imposer des sanctions et utiliser les fonds obtenus au moyen de mesures d’application de la loi, dont certaines s’écartent des garde-fous largement acceptés qui limitaient auparavant de telles mesures réglementaires.

Ces organismes continuent également d’affirmer leur compétence sur certains secteurs du marché, comme les cryptomonnaies, et ce, même en l’absence d’action législative ou de consensus sur les questions réglementaires quant aux mesures à prendre, et par qui, à l’échelle mondiale.

Nouveaux outils d’application de la loi : innovants ou excessifs?

En 2023, certains gouvernements provinciaux ont adopté ou proposé de nouveaux outils correctifs innovants et, à certains égards, controversés, visant à accroître leur capacité d’utiliser les amendes résultant de sanctions et à soutenir leurs objectifs réglementaires.

Comme nous l’avons déjà évoqué, la British Columbia Securities Commission (Commission des valeurs mobilières de la Colombie‑Britannique, ou CVMCB) a mis en place, en avril 2023, un nouveau mécanisme simplifié d’imposition de sanctions administratives pécuniaires importantes pour les infractions moins graves aux règles sur les valeurs mobilières, appelé Administrative Penalties Imposed by Notice (Sanctions administratives imposées par avis, ou APIN). En vertu de l’article 162.01 de la Securities Act de la Colombie‑Britannique, le directeur général peut émettre un avis écrit lorsque, d’après les renseignements tirés d’un examen, d’une enquête ou d’une autre source, il estime qu’une personne a contrevenu à une disposition de la Securities Act, à un règlement ou à une décision de la CVMCB ou du directeur général, ou bien qu’une sanction est dans l’intérêt public.

L’avis écrit doit préciser chaque infraction, le montant de la sanction administrative imposée pour chacune d’entre elles (établi en fonction des faits et des circonstances y ayant mené, ainsi que d’un certain nombre de facteurs déterminés tels que la conduite antérieure de la personne et le besoin de dissuasion) et le délai dans lequel la personne doit payer ou contester la sanction. Le directeur général n’est pas tenu de donner à une personne la possibilité de se faire entendre avant d’émettre un tel avis. Les amendes imposées en vertu de l’APIN peuvent atteindre 100 000 $ par infraction pour les particuliers, et 500 000 $ par infraction pour les entités.

Les personnes qui reçoivent un avis ont 30 jours pour le contester en demandant une audience devant le directeur général. Si ce dernier confirme l’infraction relative aux valeurs mobilières et la sanction administrative associée, la personne concernée peut demander à la CVMCB de tenir une audience complète pour examiner sa décision. Si la personne paie la sanction ou que le délai de 30 jours expire sans paiement ni contestation, elle est réputée avoir commis l’infraction.

Ces nouvelles approches en matière d’application de la loi visent à réduire les inefficacités associées au règlement de questions peu complexes, libérant ainsi des ressources limitées pour les cas plus compliqués d’actes répréhensibles présumés. Les questions d’équité procédurale seront sans doute soulevées par les personnes touchées par ces processus simplifiés dans l’année à venir; leur fréquence et le type de cas sur lesquels elles porteront détermineront probablement si d’autres provinces et territoires canadiens adopteront des approches semblables.

L’Assemblée législative de la Colombie-Britannique a également renforcé les pouvoirs d’application de la loi des membres du personnel de la CVMCB. Ceux-ci ne seront plus tenus de demander une ordonnance à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique pour prendre des sanctions contre les personnes et les entreprises qui, selon eux, n’ont pas respecté une assignation ou une sommation. Au lieu de cela, les membres du personnel de la CVMCB peuvent maintenant demander et obtenir certaines ordonnances relatives aux pratiques commerciales directement auprès de la CVMCB, plutôt que d’avoir à s’adresser aux tribunaux en cas de non-respect. Par exemple, ces ordonnances peuvent imposer une ordonnance d’interdiction d’opérations et limiter la capacité d’une personne d’assumer ou de conserver un poste d’administrateur ou de dirigeant d’un émetteur ou d’une personne inscrite. Le personnel de la CVMCB peut également imposer une sanction administrative pouvant aller jusqu’à un million de dollars en cas de non-respect d’une assignation ou d’une sommation. Ces ordonnances ne peuvent être émises que si la personne ou l’entité a eu l’occasion d’être entendue.

En Ontario, le ministère des Finances a proposé un changement controversé à la réglementation, afin de permettre à la CVMO de diversifier son emploi des fonds acquis au moyen de mesures d’application de la loi. À l’heure actuelle, la CVMO ne peut affecter les fonds acquis de cette façon que pour rembourser les investisseurs lésés, financer des organismes d’information des investisseurs et de défense de leurs intérêts, et indemniser les dénonciateurs. Aux termes du règlement proposé, ces fonds seraient également déployés pour aider la CVMO à se moderniser, notamment en vue de renforcer sa surveillance et de détecter plus tôt les infractions aux lois sur les valeurs mobilières.

Cependant, de nombreuses objections ont été soulevées en réponse au projet d’élargir la marge de manœuvre des organismes de réglementation des marchés financiers pour affecter les fonds obtenus en application de la loi. On cite le risque de conflits d’intérêts, ainsi que celui de voir minées les perceptions d’équité, qui ont finalement amené l’Ontario à séparer les fonctions de tribunal de la CVMO de ses activités de réglementation. Malgré les contraintes institutionnelles susceptibles de compliquer l’harmonisation totale des changements à l’échelle nationale, nous nous attendons à ce que tous les organismes de réglementation du pays continuent de préconiser des pouvoirs accrus et une plus grande souplesse. Il reste à voir si ces pouvoirs renforcés se traduiront par des mesures réglementaires plus efficaces.

Efforts continus en vue de sévir contre les entreprises de cryptomonnaies en l’absence de clarté réglementaire

Les cryptoactifs et les activités relatives aux cryptomonnaies demeurent un sujet de grande préoccupation pour les organismes de réglementation des valeurs mobilières au Canada et ailleurs, qui appliquent des mesures à leur égard. Ainsi que nous l’avons déjà écrit et évoqué plus en détail dans notre article Actifs numériques et chaînes de blocs : l’année du plein développement, la question de la réglementation de certains cryptoactifs, comme les jetons, continuera de faire débat.

L’ACVM émet toujours des avis du personnel énonçant les attentes de ses membres quant au comportement des intervenants dans l’industrie des cryptomonnaies lorsqu’ils offrent des produits aux Canadiens. Toutefois, en l’absence d’une plus grande clarté par voie législative ou, plus probablement, par voie d’arbitrage, les questions les plus fondamentales demeurent ouvertes : les cryptomonnaies s’inscrivent-elles dans le régime de réglementation des valeurs mobilières, et si oui, comment? L’année 2024 apportera peut-être davantage de certitude dans ce secteur complexe.

Incidence de la compétence distincte du Tribunal des marchés financiers de l’Ontario

En Ontario, les nouvelles limites de compétence entre le Tribunal des marchés financiers et la CVMO soulèvent des questions qui continueront sans doute de se poser en 2024. Bien qu’il s’agisse de questions de procédure, elles peuvent dans certains cas avoir une incidence importante sur les droits fondamentaux des parties concernées, car elles touchent aux moyens dont disposent les plaideurs pour garantir que les enquêtes sont menées de façon équitable et dans le respect des contraintes juridiques applicables.

Dans une affaire de 2022 en Ontario, Binance a intenté une série de contestations judiciaires après que le personnel de la CVMO a commencé à enquêter sur ses activités et sur les violations présumées d’un engagement qu’avait pris l’entreprise. En contestant la portée du pouvoir d’assignation de la CVMO dans cette affaire, les diverses procédures judiciaires ont soulevé la question des compétences respectives de la CVMO et du Tribunal des marchés financiers qui ont été séparés il y a peu de temps, en ce qui concerne la supervision du personnel au cours d’une enquête. En fin de compte, le Tribunal a déterminé que sa compétence en matière de supervision des processus d’enquête du personnel de la CVMO était limitée par le libellé révisé de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario, susceptible d’exclure la mise en place d’une surveillance adéquate des pouvoirs d’assignation du personnel dans le cadre de ses enquêtes. Cependant, des questions demeurent quant au rôle du Tribunal à l’étape de l’enquête dans le cadre d’une affaire liée à l’application d’un règlement, et les tribunaux en seront probablement saisis de nouveau en 2024.

Ces décisions, ainsi que les décisions futures qui seront sans doute nécessaires, s’avèrent instructives. Bien qu’elles portent sur des ensembles uniques de faits, elles font ressortir les lacunes qui découlent des révisions législatives visant à rationaliser les changements structurels apportés à l’ancien organisme intégré de l’Ontario. Les plaideurs touchés devront naviguer dans ce paysage inconnu et chercher activement à obtenir des conseils d’experts pour y arriver.

Perspectives

En fin de compte, même si les activités d’application de la loi n’ont pas augmenté de façon notable en 2023, l’accent accru mis par les organismes de réglementation sur l’élaboration d’outils innovants d’application de la loi donne à penser qu’on pourrait prendre davantage de mesures réglementaires dans les années à venir, surtout à l’égard des infractions de moindre importance qui peuvent être traitées d’une manière plus simple et automatisée. Étant donné les tendances du marché, nous prévoyons qu’une prise en charge simplifiée de ce type d’infraction permettra au personnel des organismes de réglementation de déployer plus d’efforts pour cibler les comportements dans les secteurs en développement du marché, comme celui des cryptomonnaies.