Premier contentieux climatique contre une banque commerciale : Des ONG assignent BNP Paribas en justice pour son financement des énergies fossiles

27 Avr 2023 7 MIN DE LECTURE

Le 23 février 2023, trois ONG – Les Amis de la Terre France, Notre Affaire à Tous et Oxfam France – ont annoncé qu’elles avaient intenté une action en justice contre BNP Paribas, invoquant la loi française relative au devoir de vigilance à l’encontre des politiques de prêts énergétiques de la banque. C’est la première fois au monde qu’une banque est visée par des poursuites en matière climatique.

Cette assignation intervient seulement quelques semaines après l’introduction par ClientEarth, une ONG londonienne, de la première procédure en matière climatique contre le conseil d’administration d’une société, sous la forme d’une action dérivée devant la Haute Cour de l’Angleterre et du Pays de Galles, alléguant que la stratégie climatique de Shell PLC est déraisonnable (voir notre précédent article sur cette demande ici).

Les activités d’investissement de BNP Paribas dans le collimateur des demanderesses

À l’appui de leur action, les ONG invoquent la Loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, adoptée par la France en 2017, qui a ajouté l’article L225-102-4 au Code du commerce de ce pays. Cet article impose à certaines sociétés exerçant des activités en France, y compris les sociétés françaises de plus de 5 000 employés, d’établir et de mettre en œuvre un plan de vigilance énonçant les mesures qu’elles prennent pour prévenir les atteintes graves envers les droits de la personne et l’environnement. À défaut d’un plan adéquatement formulé qui recense et atténue de manière effective les risques d’atteintes, la société peut être tenue responsable des dommages qu’elle aurait pu prévenir. En outre, toute partie justifiant d’un intérêt à agir peut demander une injonction ordonnant à la société de respecter la loi. L’article L225-102-4 constitue une mesure préventive pionnière dans le contexte du système judiciaire français. Cependant, jusqu’à présent, aucune société en France n’a été contrainte par un tribunal à modifier son comportement en application de cette loi, même si plusieurs actions en justice ont été intentées sur le fondement de celle-ci depuis sa promulgation en 2017.

En l’espèce, les trois ONG allèguent que BNP Paribas a enfreint la loi française sur le devoir de vigilance en ne se dotant pas d’un plan solide pour recenser, atténuer et prévenir les risques liés aux changements climatiques. Les ONG soutiennent que, bien que BNP Paribas ait élaboré plusieurs politiques visant à limiter son soutien aux énergies fossiles, celles-ci sont trop limitées et ne permettront pas d’atteindre l’objectif établi dans l’Accord de Paris de limiter l’élévation de la température à 1,5 °C. Elles demandent à la banque de réduire son financement de la production d’énergies fossiles en adoptant un plan de sortie des secteurs du pétrole et du gaz d’ici 2050.

En réponse, BNP Paribas a nié les allégations et dit regretter que les groupes de pression aient choisi la voie judiciaire plutôt que le dialogue. La banque a convenu que la transition écologique était la seule voie durable pour l’économie future et a réaffirmé sa volonté d’accélérer le financement des énergies renouvelables et d’aider les clients à passer aux sources d’énergie renouvelables. Toutefois, elle a déclaré qu’elle ne pouvait pas cesser immédiatement tout financement des combustibles fossiles, comme le demandaient les ONG.

Législation sur la responsabilité des entreprises au Canada

D’autres pays dans le monde ont adopté ou sont en voie d’adopter des lois semblables à la loi française sur le devoir de vigilance, par lesquels ils imposent aux sociétés en activité sur leur territoire de prendre des mesures de diligence raisonnable précises pour mettre en œuvre des pratiques commerciales durables et respectueuses de l’environnement.

L’une de ces propositions de loi est la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité de l’Union européenne (UE). La directive proposée imposerait aux entreprises l’obligation de recenser, de prévenir, d’atténuer et de prendre en considération toute incidence négative de leurs activités sur l’environnement. En outre, certaines grandes entreprises seraient tenues d’élaborer un plan visant à garantir la compatibilité de leur stratégie d’affaire avec l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C énoncé dans l’Accord de Paris. La proposition de directive fait présentement l’objet de la procédure législative ordinaire de l’UE, qui requiert l’approbation du Parlement européen et du Conseil avant son adoption. Une fois la directive adoptée, les États membres de l’UE auraient deux ans pour la transposer en droit national.

Il n’existe pas actuellement de loi similaire à la loi française sur le devoir de vigilance au Canada. Toutefois, des projets de lois fédérales imposant aux sociétés une obligation similaire de faire rapport sur leurs processus de diligence raisonnable ont été introduits. En mars 2023, quatre projets de loi avaient été déposés au Parlement : i) le projet de loi C-243, Loi concernant l’élimination du recours au travail forcé et au travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement; ii) le projet de loi C-262, Loi concernant la responsabilité des entreprises de prévenir les incidences négatives sur les droits de la personne qui sont liées à leurs activités commerciales à l’étranger, d’en tenir compte et d’y remédier; iii) le projet de loi S-204, Loi modifiant le Tarif des douanes (marchandises en provenance du Xinjiang); et iv) le projet de loi S-211, Loi édictant la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement et modifiant le Tarif des douanes. De ces quatre projets de loi, le projet S-211 est le plus avancé, puisqu’il en est à l’étape de la dernière lecture à la Chambre des communes, et devrait devenir une loi. Le projet de loi S-211 propose d’instaurer un régime de rapports annuels dans le cadre duquel certaines sociétés auraient l’obligation de publier un rapport annuel sur les mesures de diligence raisonnable prises pour prévenir et atténuer le risque relatif au recours au travail forcé ou au travail des enfants dans ses chaînes d’approvisionnement. En outre, en février de cette année, le gouvernement fédéral du Canada a annoncé son intention de mettre à jour la Loi canadienne sur la protection de l’environnement de 1999 et d’y affirmer le droit à un environnement sain.

Il reste à voir si, advenant l’adoption de ces projets de loi, ces dispositions pourraient servir de fondement à un recours en responsabilité, dans la veine de la loi française sur le devoir de vigilance. Osler continue de suivre ces développements et est prêt à conseiller ses clients exerçant leurs activités dans cet espace.

À ce stade, il est prématuré de prédire l’effet que cette affaire pourrait avoir sur les entreprises en activité au Canada. Néanmoins, cette affaire étant susceptible d’établir un précédent, il convient de suivre de près son cheminement dans le système judiciaire français.