Auteurs(trice)
Associé, Litiges et Chef: Gestion de risques et réponse aux crises, Toronto
Associé, Litiges
Chef: Droit pénal des affaires, Montréal
Avocat-conseil, Litiges, Toronto
Sociétaire, Droit de la concurrence et investissement étranger, Toronto
Sociétaire, Litiges, Toronto
Key Takeaways
- En 2025, l’évolution des relations canado‑américaines a eu une grande incidence sur le cadre de lutte contre le crime économique du Canada, ce qui a exacerbé les risques de non‑conformité pour les entreprises.
- Les États‑Unis ont renforcé leurs mesures d’application de la loi visant les entreprises canadiennes et ont intensifié leurs efforts de lutte contre le blanchiment d’argent (notamment transfrontalier).
- Pour être prêtes à affronter ce que 2026 pourraient leur réserver, les entreprises canadiennes devraient adopter des stratégies en matière de conformité proactives, notamment en se dotant de programmes de conformité robustes pour leurs chaînes d’approvisionnement.
En 2025, l’évolution des relations canado‑américaines a eu une grande incidence sur les politiques commerciales et de lutte contre le crime économique du Canada. La nature changeante des droits de douane et de diverses autres mesures introduites par les gouvernements canadien et américain crée beaucoup d’incertitude pour les entreprises, leur impose de lourds fardeaux administratifs et les expose à des risques de conformité. Parallèlement, les autorités américaines semblent redéfinir leurs priorités en matière d’application de la loi pour se concentrer sur les entités étrangères et la protection des intérêts américains.
Cette situation en constante évolution posera des défis de conformité particuliers aux entreprises canadiennes au cours de l’année à venir.
Mesures d’application de la loi des États‑Unis visant les entreprises canadiennes
On peut s’attendre à ce que les mesures d’application de la loi des autorités américaines visent surtout les entités étrangères en 2026 et qu’elles misent surtout sur la défense des intérêts économiques des États‑Unis.
Cette priorité est énoncée dans les lignes directrices relatives aux enquêtes criminelles et à l’application de la loi intitulée Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) que le département de la Justice des États‑Unis (DOJ) a publiées le 9 juin 2025.
Ce rééquilibrage est en outre décrit dans le White‑Collar Enforcement Plan (plan de lutte contre le crime en col blanc) du DOJ publié le 12 mai 2025. Selon ce document, le DOJ accordera la priorité aux enquêtes et aux poursuites relatives aux crimes liés à la fraude commerciale et douanière, à la fraude lésant les investisseurs américains, aux sanctions, au blanchiment d’argent complexe, aux cartels et aux organisations criminelles transnationales (entre autres secteurs à incidence élevée), tout en allégeant le fardeau d’application de la loi qui pèse inutilement sur les entreprises américaines. Ces lignes directrices font suite à la suspension de l’application de la FCPA décrétée par le président Trump pour, entre autres, examiner les mesures d’application de la loi en vigueur et « accorder la priorité […] à la compétitivité économique des États‑Unis par rapport aux autres nations », comme nous l’écrivions précédemment.
Les nouvelles lignes directrices ne laissent pas de doute sur l’intention des États‑Unis de cibler les entreprises étrangères dans leurs mesures d’application de la loi et de promouvoir les intérêts économiques américains. L’accent est mis sur des secteurs considérés comme pouvant menacer la sécurité nationale des États‑Unis, notamment la défense, le renseignement et les infrastructures, ainsi que sur les territoires très à risque d’abriter des cartels et des organisations criminelles transnationales. Les entreprises canadiennes, en particulier celles qui mènent des activités à l’étranger ou dans les secteurs ciblés par les décrets, doivent s’attendre à demeurer sous la loupe des autorités américaines.
Dans la mire : la lutte contre le blanchiment d’argent transfrontalier
Certains des motifs invoqués pour justifier le conflit commercial qui perdure entre les États‑Unis et le Canada ont remis les projecteurs sur des préoccupations entourant le blanchiment d’argent au Canada.
Le Canada a souvent été critiqué pour des faiblesses perçues de son régime de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes, comme nous l’avons déjà écrit (en anglais seulement). Des mesures adoptées précédemment destinées à le renforcer sont présentées dans la Stratégie du régime canadien de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes 2023‑2026 [PDF] du gouvernement fédéral, comme nous l’écrivions dans cet article de 2024 de Perspectives juridiques Osler.
Le décret du président Trump du 1er février 2025, qui a lancé la première salve de droits de douane, a remis le sujet à l’avant‑scène. Il faisait référence à une alerte opérationnelle [PDF] datée du 23 janvier 2025 du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) portant sur blanchiment de produits du trafic d’opioïdes synthétiques illicites. Le CANAFE affirme dans ce document que « plusieurs groupes nationaux sont soupçonnés de jouer un rôle de plus en plus grand dans le marché du fentanyl au Canada, la majeure partie de ceux‑ci agissent à titre de producteurs ou de distributeurs en Colombie‑Britannique, la majorité des expéditions de précurseurs du fentanyl étant destinées à cette province ». Ces considérations attirent de plus en plus l’attention non seulement sur la sécurité frontalière, mais aussi sur des questions entourant les activités de blanchiment d’argent. Il en résulte une surveillance accrue des opérations financières. Nous nous penchons sur les effets plus généraux des droits de douane et de la politique commerciale des États‑Unis dans notre article de Perspectives juridiques Osler (en anglais seulement).
Les mesures américaines ont remis ces questions à l’ordre du jour au Canada, comme en témoignent divers chantiers en cours, législatifs et autres. Le nouveau Partenariat intégré sur le renseignement en matière de blanchiment d’argent (PIRBA) a tenu sa première réunion de travail le 19 février 2025. Le PIRBA se compose de responsables du programme de la Police fédérale de la GRC et de responsables de la lutte contre le blanchiment d’argent des principales institutions financières canadiennes. Il vise à encadrer le partage autorisé du renseignement sur le blanchiment d’argent et le crime organisé entre les organismes d’application de la loi et les grandes banques du Canada.
Des modifications à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et à ses règlements d’application sont entrées en vigueur en avril 2025. Les changements apportés ont notamment créé un nouveau régime administré par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). L’ASFC a ainsi été habilitée à recueillir des déclarations et à procéder à des perquisitions et à des saisies à l’égard de marchandises importées au Canada et exportées à l’étranger afin d’établir des liens avec des produits de la criminalité, le blanchiment d’argent, le financement d’activités terroristes ou le contournement de sanctions. Les nouvelles mesures lui permettent de déclarer si des marchandises sont liées au blanchiment d’argent ou au contournement de sanctions. Sont aussi introduits des exigences de tenue de registres et des pouvoirs de saisie et de confiscation, de même que des sanctions administratives pécuniaires en cas de non‑conformité, comme nous l’expliquions dans un article de 2024 de Perspectives juridiques Osler.
Enfin, dans la foulée du premier décret sur les droits de douane, un communiqué annonçait en février 2025 la création d’une « force de frappe conjointe canado‑américaine » chargée de lutter contre le crime organisé, le trafic de fentanyl et le blanchiment d’argent.
C’est dans ces circonstances que le Canada se soumettra à une évaluation mutuelle du Groupe d’action financière (GAFI) en 2025‑2026. L’exercice consistera à évaluer l’efficacité des mesures prises pour lutter contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes, de même que l’application des recommandations formulées lors de l’évaluation mutuelle précédente réalisée en 2016.
Si certaines de ces mesures se rapportaient au trafic transfrontalier de drogues illicites en cause dans le différend commercial entre le Canada et les États‑Unis, elles en ont entraîné d’autres qui ont eu, et qui auront dans l’avenir, des conséquences réglementaires pour les entreprises en général. Le blanchiment d’argent est au premier plan des mesures de conformité canadiennes depuis plusieurs années déjà. Le conflit commercial canado‑américain n’a fait que mettre le dossier encore plus directement sous les projecteurs.
Les entreprises doivent s’attendre à ce que le blanchiment d’argent demeure au cœur des mesures de conformité et d’application de la loi au cours de l’année à venir, en particulier en ce qui a trait aux opérations et au commerce transfrontaliers. Nous analysons les changements d’ordre réglementaire liés à la lutte contre le blanchiment d’argent dans cet autre article de Perspectives juridiques Osler (en anglais seulement).
Risques de conformité découlant de la perturbation des chaînes d’approvisionnement
Les droits de douane américains et canadiens ont contraint de nombreuses entreprises à réorganiser leurs chaînes d’approvisionnement pour se procurer ailleurs qu’aux États‑Unis des biens et des services qu’elles s’y procuraient jusque‑là. Si le virage vers de nouveaux partenaires peut s’imposer du point de vue économique, celui‑ci peut aussi comporter des risques importants. Il faudra impérativement se renseigner sur la nouvelle contrepartie et sur la conformité de sa chaîne d’approvisionnement pour s’assurer qu’elle exerce ses activités de manière éthique.
Faire des affaires avec des parties qu’on connaît mal accroît les risques liés aux sanctions, au blanchiment d’argent, à la fraude, à la corruption et à l’esclavage moderne, notamment. Dans le cadre de leurs recherches de nouveaux fournisseurs, les entreprises doivent s’assurer d’appliquer des mesures rigoureuses de diligence raisonnable à toute nouvelle contrepartie, pour garantir au mieux la conformité d’un bout à l’autre de leurs chaînes d’approvisionnement. À défaut de le faire, elles pourraient en payer le prix sur le plan commercial, mais aussi subir des conséquences pénales.
Apprenez‑en plus sur notre groupe Droit pénal des affaires et enquêtes gouvernementales.
En savoir plusLes entreprises canadiennes sont aussi assujetties à de nouveaux contrôles depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaines d’approvisionnement, qui leur a imposé des obligations de déclaration et elles resteront tenues de faire rapport sur leurs processus d’identification des risques et de diligence raisonnable en 2026.
Se préparer à d’autres changements
Tant que les perturbations persisteront ou qu’il en surviendra de nouvelles, les entreprises devront s’attendre à vivre de l’incertitude et se préparer en conséquence, notamment en se dotant de programmes de conformité robustes visant à atténuer les risques juridiques et financiers et d’atteinte à la réputation.
Pour résister aux vents que 2026 pourrait faire souffler, les entreprises canadiennes ont tout intérêt à adopter une attitude proactive en matière de conformité. L’instauration de programmes intégrés de conformité commerciale fait partie des bonnes pratiques à préconiser. La mise en place de systèmes de surveillance des sanctions en temps réel et la conduite d’audits des fournisseurs périodiques sont essentielles. Les entreprises devraient également imposer des mesures de transparence à leurs fournisseurs. Il sera crucial de veiller à ce que les politiques internes reflètent les attentes de tous les territoires compétents.