Auteurs(trice)
Associé, Fiscalité, Toronto
Sociétaire, Fiscalité, Calgary
Sociétaire, Fiscalité, Toronto
Les entreprises canadiennes et leurs sociétés mères doivent composer, en matière de fiscalité internationale, avec des changements considérables, qui, en raison de leur volume et de leur complexité, peuvent se révéler écrasants. Elles doivent s’attendre à ce que les importantes modifications qui ont été proposées à l’échelle mondiale et intégrées aux lois canadiennes aient des répercussions importantes sur elles. Pour s’adapter à ce paysage complexe marqué par l’introduction de nouveaux impôts et de coûteuses obligations de déclaration, elles doivent bénéficier d’une planification rigoureuse qui assurera leur conformité et leur évitera des pénalités et des différends.
Deux nouveautés, en particulier, modifieront fondamentalement le cadre fiscal international existant au Canada et dans d’autres pays. Tout d’abord, il y a la Loi sur l’impôt minimum mondial (LIMM), qui met en œuvre un impôt minimum mondial de 15 % conformément au Pilier Deux de l’OCDE/G20. Ensuite, il y a la taxe sur les services numériques de 3 % instaurée comme filet de sécurité contre le Pilier Un de l’OCDE/G20. Nous avons déjà discuté de la LIMM et de la taxe sur les services numériques dans des bulletins d’actualités Osler.
Les contribuables canadiens devront s’adapter rapidement au changement de paysage et se préparer de façon active aux premières étapes de ces mesures et à d’autres modifications touchant la fiscalité internationale en 2025.
Impôt minimum mondial
Promulguée en juin 2024, la LIMM met en œuvre un impôt minimum mondial canadien visant les grands groupes multinationaux ayant des revenus consolidés d’au moins 750 millions d’euros, conformément au Pilier Deux du Cadre inclusif OCDE/G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS).
La LIMM comprend un impôt complémentaire minimum national (ICMM) et une règle d’inclusion du revenu (RDIR) qui sont entrés en vigueur pour les exercices ouverts le 31 décembre 2023 ou après cette date. Ensemble, ces mesures visent à faire en sorte que les grands groupes multinationaux faisant affaire au Canada ou ayant leur siège social au Canada paient de l’impôt à un taux d’au moins 15 % sur leur revenu gagné au Canada ou par l’entremise de filiales étrangères et de succursales étrangères, respectivement.
La mise en œuvre de la RPII au Canada augmente le risque de représailles commerciales de la part des États-Unis, bien qu’un régime de protection facultatif d’une durée de deux ans ait été prévu pour les pays (comme les États-Unis) dont le taux d’imposition des sociétés est d’au moins 20 %.
Il est proposé qu’une règle relative aux paiements insuffisamment imposés (RPII) entre en vigueur pour les exercices ouverts le 31 décembre 2024 ou après cette date. Dans un bulletin d’actualités Osler, nous avons déjà discuté de l’avant-projet de loi prévoyant l’adoption de la RPII. La RPII pourrait appliquer un impôt complémentaire sur certains revenus insuffisamment imposés de sociétés mères étrangères et de sociétés sœurs étrangères au sein d’un groupe multinational. La mise en œuvre de la RPII au Canada augmente le risque de représailles commerciales de la part des États-Unis, bien qu’un régime de protection facultatif d’une durée de deux ans ait été prévu pour les pays (comme les États-Unis) dont le taux d’imposition des sociétés est d’au moins 20 %.
De nombreux groupes multinationaux sont déjà tenus de divulguer l’impact potentiel de la LIMM et du Pilier Deux dans leurs états financiers. La première date butoir pour le dépôt de la déclaration de renseignements concernant la RPII et la RDIR est le 1er juin 2026. Dans son budget de 2024, le gouvernement du Canada a estimé l’augmentation des recettes attribuable à l’impôt minimum mondial à 6,6 milliards de dollars sur trois ans à compter de 2026,
Le Canada n’a pas encore rédigé de règles en vue d’intégrer la LIMM aux règles nationales relatives aux sociétés étrangères affiliées. Par conséquent, d’ici la mise en application de ces règles, il se pourrait qu’il y ait des cas de double imposition.
Taxe sur les services numériques
Le Canada a récemment adopté une taxe sur les services numériques, qui s’applique depuis l’année d’imposition 2022. La Loi sur la taxe sur les services numériques (LTSN) est entrée en vigueur en juin 2024.
La taxe sur les services numériques s’applique au revenu canadien des grands groupes multinationaux provenant de quatre sources déterminées : les services de marché en ligne, les services de publicité en ligne, les services de médias sociaux et les données d’utilisateurs. Eu égard à ces quatre sources, le revenu doit généralement provenir d’utilisateurs canadiens ou d’une opération conclue ou d’un bien situé au Canada pour être dans le champ d’application.
La représentante au commerce des États-Unis a brandi la menace de tarifs douaniers ou d’autres mesures de représailles en réponse à la taxe sur les services numériques du Canada, qui, selon ses dires, ciblerait injustement les multinationales établies aux États-Unis.
Le revenu provenant de services de marché en ligne inclut les commissions sur les opérations, les services de liste de préférences et les frais d’abonnement pour l’utilisation d’un marché en ligne, comme le covoiturage, la commande de nourriture en ligne et la location d’appartements à court terme pour les touristes. Le revenu provenant de services de publicité en ligne serait, par exemple, des frais facturés par une plateforme de médias sociaux lorsque les utilisateurs cliquent sur une publicité ciblée tenant compte des données d’utilisateurs, comme l’emplacement ou les centres d’intérêt. Le revenu provenant de services de médias sociaux comprend, par exemple, les frais d’abonnement des membres d’un site de rencontres en ligne et les frais supplémentaires payés à une plateforme de médias sociaux aux fins du retrait des publicités. Enfin, le revenu provenant de données d’utilisateurs inclurait notamment le revenu gagné par une plateforme de médias sociaux qui vend à des tiers les données recueillies auprès de ses utilisateurs.
Le 31 janvier 2025 est la première date limite de présentation d’une demande d’inscription en vertu de la LTSN. L’obligation de s’inscrire s’applique aux contribuables ayant au moins 10 millions de dollars en revenu dans le champ d’application et 750 millions d’euros en revenu mondial gagné par le groupe consolidé. La date limite de versement du premier paiement et de production de la première déclaration en vertu de la LTSN est le 30 juin 2025. Le paiement et la déclaration attendus en 2025 se rapportent au revenu gagné pour la période allant de 2022 à 2024. Une certaine planification pourrait être nécessaire pour s’assurer de la suffisance des liquidités pour couvrir ce paiement unique qui sera plus élevé. L’Agence du revenu du Canada (ARC) n’a pas encore publié le formulaire pour la déclaration prévue par la LTSN.
Les États-Unis n’ont pas bien réagi à l’adoption de la taxe sur les services numériques par le Canada. La représentante au commerce des États-Unis a brandi la menace de tarifs douaniers ou d’autres mesures de représailles en réponse à cette mesure unilatérale, qui, selon ses dires, ciblerait injustement les multinationales établies aux États-Unis. Le risque de mesures de représailles s’est accru en raison de l’élection récente de Donald Trump au poste de président. Le Canada a indiqué que la taxe sur les services numériques se voulait une mesure temporaire qui sera abrogée si le montant A du Pilier Un entre en vigueur. Toutefois, l’OCDE a déjà raté plusieurs échéances annoncées pour l’adoption du montant A. De plus, les États-Unis ont un droit de veto effectif sur le montant A, et il semble improbable qu’ils appuient la mise en application du montant A, à brève échéance ou plus tard.
Autres mesures fiscales internationales
Un certain nombre d’autres modifications apportées au droit fiscal international devraient avoir des répercussions importantes au Canada.
Règles de RDEIF
Le Canada a récemment adopté les règles de restriction des dépenses excessives d’intérêts et de financement (RDEIF). En règle générale, les règles de RDEIF limitent la déductibilité des dépenses d’intérêts et de financement lorsque les dépenses nettes d’intérêts et de financement dépassent un ratio du BAIIA rajusté de 30 %. Elles s’appliquent aux années d’imposition ouvertes le 1er octobre 2023 ou après cette date. Les contribuables dont l’année d’imposition se termine le 30 septembre doivent produire leur première déclaration de renseignements aux termes des règles de RDEIF au plus tard le 31 mars 2025. Les règles de RDEIF mettent en œuvre au Canada le rapport BEPS, Action 4 de l’OCDE/G20. Pour en savoir plus sur les règles de RDEIF, consultez notre bulletin d’actualités Osler sur le sujet.
La déclaration de renseignements à produire aux termes des règles de RDEIF figurera à l’annexe 130 de la déclaration de revenus des sociétés et des fiducies. L’ARC n’a pas encore publié l’annexe 130 ni les divers formulaires requis pour faire un choix aux termes des règles de RDEIF. L’ARC a toutefois publié des directives administratives décrivant comment les contribuables peuvent s’acquitter de leur obligation de déclaration ou faire un tel choix.
Règles d’asymétrie hybride
Les règles d’asymétrie hybride adoptées en 2024 mettent en œuvre certains aspects du rapport BEPS, Action 2 au Canada. Aux termes de ces règles, des revenus peuvent être inclus et des déductions refusées dans certaines situations où des dispositifs d’asymétrie hybride sont en présence. Les contribuables constitués en société doivent produire une déclaration de renseignements conforme aux règles d’asymétrie hybride pour les paiements qui ont été effectués et les dividendes qui ont été reçus depuis le 1er juillet 2023 et auxquels les nouvelles règles s’appliquent. Les règles d’asymétrie hybride applicables au calcul du revenu étranger accumulé tiré de biens (REATB) ne s’appliqueront qu’aux paiements effectués depuis le 1er juillet 2024.
Même si certains contribuables devraient avoir déjà produit la déclaration de renseignements conforme aux règles d’asymétrie hybride, l’ARC n’a pas encore publié le formulaire à cet égard. De plus, d’autres révisions et ajouts aux règles d’asymétrie hybride, y compris pour d’autres aspects du rapport BEPS, Action 2, devraient suivre, même si le moment de leur publication demeure incertain.
Pour en savoir plus sur les règles d’asymétrie hybride et leur incidence sur le REATB, consultez notre bulletin d’actualités Osler sur les avant-projets de loi publiés en août 2024.
Règles de divulgation obligatoire
Le Canada a étendu ses règles de divulgation obligatoire en 2023. Les nouvelles règles exigent que les contribuables produisent auprès de l’ARC des déclarations de renseignements détaillées faisant état des opérations à déclarer ou à signaler qui, selon le gouvernement, posent un risque accru. Les règles de divulgation obligatoire et le projet d’accroissement des pouvoirs de vérification de l’ARC augmentent le volume de renseignements à déclarer à l’ARC, ce qui pourrait avoir des répercussions considérables sur les activités de vérification connexes et la façon dont les contribuables doivent s’y préparer.
Pour en savoir plus sur les règles de divulgation applicables aux opérations à déclarer ou à signaler, consultez notre rapport intitulé Les règles de divulgation obligatoire au Canada.
Lisez notre guide complet sur les règles de divulgation obligatoire considérablement étendues du Canada.
En savoir plusRègle générale anti-évitement
Comme nous l’avons mentionné dans notre article de la revue Perspectives juridiques Osler parue en 2023, le Canada a apporté à sa règle générale anti-évitement (RGAE) des modifications qui sont entrées en vigueur en 2024. Ces modifications comprennent, entre autres, un nouveau critère de « substance économique » et une pénalité substantielle (25 % de l’avantage fiscal demandé) qui peut être évitée si le contribuable déclare volontairement l’opération à l’ARC. Comme pour les règles de divulgation obligatoire, les modifications à la RGAE et l’application possible d’une pénalité compliquent encore plus la mise en œuvre de nouvelles mesures fiscales internationales.
On s’attend à ce que le droit fiscal international fasse l’objet de plusieurs autres changements importants en 2025. Le gouvernement fédéral a proposé une nouvelle pénalité pour les ordonnances d’exécution, dont nous traitons dans un autre article de la revue Perspectives juridiques Osler (en anglais seulement). Le gouvernement a également déposé un projet de modification des règles canadiennes sur les prix de transfert, dont nous avons discuté dans l’article de la revue Perspectives juridiques Osler de 2023 intitulé « Un projet de modification des règles sur les prix de transfert incorpore les concepts de l’OCDE dans les lois fiscales du Canada ».
Perspectives d’avenir
Le paysage de la législation fiscale au Canada évolue rapidement. Au cours des prochaines années, le paysage fiscal international subira de nombreux autres changements. Les contribuables et leurs conseillers devront suivre les dates importantes et bien s’y préparer. Comme pour toute nouvelle mesure législative, le manque actuel de directives de la part des tribunaux canadiens crée de l’incertitude quant à la façon dont certains de ces changements devraient être mis en œuvre et interprétés.
La lourdeur et la lenteur du processus au moyen duquel l’OCDE semble fournir des directives administratives pour les mesures relatives au Pilier Deux du Cadre inclusif sur le BEPS qu’elle a instaurées constituent une autre difficulté liée aux mesures fiscales internationales. Ce problème est aggravé en raison de l’absence de directives administratives nationales pour ces mesures.
Enfin, en raison de l’incidence de la situation politique sur ces mesures, il est difficile de prédire si d’autres modifications seront apportées aux mesures, en particulier à la LIMM et à la LTSN, compte tenu de l’opposition des États-Unis. Les résultats des élections fédérales qui auront lieu au plus tard en octobre 2025 pourraient aussi se répercuter sur les modifications apportées à la législation fiscale canadienne.