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Les fonds de capital-investissement et autres véhicules de placement collectif ouvrent-ils droit aux avantages des conventions fiscales ?

12 janvier 2017

En novembre 2015, le premier ministre Justin Trudeau et les autres leaders du G20 ont approuvé les mesures du Projet de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices (BEPS) de l’OCDE. Le Projet BEPS est un plan ambitieux mis au point conjointement par les pays de l’OCDE et du G20 pour revoir en profondeur le système fiscal international qui a donné lieu à la publication des rapports finaux 2015 du Projet BEPS contenant des centaines de pages de recommandations. (Vous trouverez un sommaire des rapports finaux 2015 du Projet BEPS en cliquant ici.

Rapport de 2015 sur le Projet BEPS – Normes minimales de l’action 6

L’action 6 du rapport de 2015 sur le Projet BEPS (Empêcher l’octroi des avantages des conventions fiscales lorsqu’il est inapproprié d’accorder ces avantages) incluait une « norme minimale » convenue par les pays, afin de prévenir l’utilisation abusive des conventions fiscales, notamment en adoptant les mesures suivantes : 

  1. inclure dans leurs conventions fiscales une mention indiquant clairement leur intention commune d’éliminer la double imposition sans créer des possibilités de non-imposition et d’imposition réduite à la suite d’évasion fiscale ou d’évitement fiscal, incluant les stratégies de chalandage fiscal ;
  2. mettre en œuvre cette intention commune par a) une règle générale anti-abus basée sur les objets principaux des transactions ou arrangements (le critère des objets principaux ou règle « COP ») ; b) une règle de limitation des avantages complétée par un mécanisme visant à contrer les entités relais ou c) une combinaison des deux règles.

Le rapport de 2015 sur le Projet BEPS a conclu que les avantages des conventions fiscales devraient être accordés aux véhicules de placement collectif (VPC), car il s’agit de fonds détenus par un grand nombre de porteurs qui détiennent un portefeuille diversifié de titres et qui sont assujettis à la réglementation de protection des investisseurs dans le pays où ils sont établis, dans les circonstances énoncées dans le rapport de 2010 de l’OCDE (L’octroi des avantages des conventions fiscales aux revenus des véhicules de placement collectif) [PDF]. Le rapport de 2010 proposait différentes solutions de rechange que les pays pouvaient choisir d’utiliser. 

Le rapport de 2015 sur le Projet BEPS reconnaissait également l’importance économique des investissements transfrontaliers par des fonds qui ne sont pas des VPC, comme les fonds de capital-investissement et les fonds de couverture, et le besoin de veiller à ce que les avantages des conventions soient accordés dans les circonstances appropriées. Sans se prononcer sur le traitement approprié des fonds qui ne sont pas des VPC, l’OCDE a indiqué que des travaux plus approfondis seraient effectués au cours de la « première moitié de 2016 » afin que les nouvelles dispositions des conventions tiennent compte adéquatement du droit aux avantages des conventions fiscales de différents fonds qui ne sont pas des VPC.   

Projet de rapport de 2016

En mars 2016, l’OCDE a publié un projet de rapport (Octroi des avantages des conventions fiscales aux fonds de placement qui ne sont pas des VPC [PDF]) et a entrepris des consultations publiques. Osler et bien d’autres ont donné suite au projet de rapport en formulant des suggestions sur la façon dont l’OCDE pourrait établir clairement les circonstances dans lesquelles les avantages des conventions fiscales devraient être accordés aux fonds de capital-investissement et autres VPC [PDF]. 

Instrument multilatéral 2016

En novembre 2016, l’OCDE a publié une Convention multilatérale [PDF] ainsi qu’une Note explicative détaillée [PDF] à la suite des négociations auxquelles ont participé plus de 100 pays, incluant le Canada. L’instrument multilatéral vise la mise en œuvre rapide d’une série de mesures relatives aux conventions fiscales contenues dans le rapport de 2015 sur le Projet BEPS, y compris les « normes minimales » pour prévenir l’utilisation abusive des conventions fiscales de l’action 6. Malheureusement, l’instrument multilatéral et la note explicative n’ont pas tenu compte des préoccupations formulées à la suite du projet de rapport de mars 2016, et n’ont fourni aucune indication quant à l’octroi des avantages des conventions fiscales aux fonds de capital-investissement et autres véhicules de placement collectif. (Vous trouverez un sommaire de l’instrument multilatéral et du processus de modification des conventions fiscales existantes en cliquant ici.) Même si le Canada n’a pas clairement signifié son intention de signer la convention multilatérale, l’OCDE a prévu une cérémonie de signature générale en juin 2017.

Projet de rapport de 2017 – Exemples

Le 6 janvier 2017, l’OCDE a publié son plus récent projet de rapport intitulé « BEPS Action 6 Discussion Draft on non – CIV examples » [PDF] (projet de commentaires sur des exemples de fonds qui ne sont pas des VPC). Le projet de rapport inclut trois exemples visant à illustrer la mise en application des normes minimales proposées par l’OCDE à l’égard du chalandage fiscal pour les fonds de capital-investissement et les fonds autres que les VPC.   Dans chaque exemple, l’OCDE conclut qu’en l’absence de faits défavorables supplémentaires, la règle COP ne devrait pas s’appliquer pour refuser les avantages des conventions fiscales malgré le fait que ces avantages aient été pris en compte lors de la structuration de l’investissement en question.

  • Exemple 1Plateforme d’investissement régionale : Cet exemple porte sur la société RCo, résidant dans le pays R, qui est une filiale d’un investisseur institutionnel réglementé (investisseur) résidant dans le pays T.  RCo réalise des investissements dans les pays d’un groupement régional qui inclut le pays R et le pays S, et touche des dividendes dans le pays S. Bien que le facteur de groupement régional puisse limiter la pertinence de cet exemple dans le contexte de l’UE, cet exemple peut se révéler le plus utile des trois exemples puisque RCo a droit à un taux d’imposition moins élevé sur les dividendes dans le pays S que le taux auquel aurait eu droit l’investisseur s’il avait investi directement auprès d’un émetteur du pays S (5 % pour RCo comparativement à 10 % pour l’investisseur). Cependant, la conclusion voulant que la règle COP ne s’applique pas dans cet exemple repose en partie sur certains facteurs non fiscaux présumés à l’origine du choix de l’établissement de la société RCo dans le pays R et sur le fait que des fonctions importantes en matière d’investissement et d’autres activités sont exercées dans le pays R. Également, l’exemple peut uniquement s’appliquer de manière analogue aux fonds multi-investisseurs, car il s’agit d’un véhicule à objet spécial d’un seul investisseur institutionnel.

  • Exemple 2 – Entité de titrisation : La société RCo, une entité de titrisation résidant dans le pays R, a été constituée par une banque du pays T qui a vendu à RCo un portefeuille de créances de débiteurs situés dans différents pays. RCo est financée par l’émission de titres largement détenus qui sont cotés et négociés en bourse. Pour des raisons réglementaires, la banque détient un petit pourcentage des titres de RCo. RCo prétend avoir droit à un taux réduit de retenues d’impôt au titre de la convention fiscale du pays S où se trouvent 60 % de ses créances. La banque aurait eu droit à des avantages équivalents sur les paiements d’intérêt au titre d’un traité entre le pays de résidence de la banque et le pays S. L’exemple n’indique pas si les autres détenteurs de titres auraient droit aux mêmes avantages des conventions fiscales s’ils avaient détenu les créances directement, mais conclut qu’étant donné que la banque a tenu compte de facteurs non fiscaux légitimes pour choisir le pays R comme territoire de compétence pour RCo, en général, la règle COP ne s’applique pas.

  • Exemple 3 – Fonds immobilier : Un fonds immobilier est traité comme fiscalement transparent en vertu de la loi fiscale du pays C, où il a été constitué pour investir dans un portefeuille de placements immobiliers. Le fonds immobilier investit indirectement par l’intermédiaire de sa société de portefeuille RCo qui bénéficie des avantages des conventions fiscales pour ses placements immobiliers. Les investisseurs dans le fonds immobilier auraient eu droit aux mêmes avantages des conventions fiscales et les pays où sont situés les placements immobiliers peuvent imposer directement le revenu gagné sur ces placements (p. ex., le loyer). En se basant sur ces facteurs et sur le fait que les placements immobiliers de RCo sont réalisés à des fins commerciales, en général, la règle COP ne devrait pas s’appliquer.

Même si l’OCDE a reconnu qu’il est important d’accorder les avantages des conventions fiscales aux fonds de capital-investissement et autres véhicules de placement collectif dans les circonstances « appropriées », elle n’offre pas aux investisseurs l’assurance dont ils ont besoin avant d’investir. Les exemples ci-dessus donnent quelques indications, mais peu de certitude. Dans chaque cas, l’OCDE déclare que la règle COP pourrait s’appliquer si d’autres faits ou circonstances indiquent que les investissements de RCo font partie d’un arrangement où sont liés à une autre transaction réalisée principalement dans le but de profiter des avantages de la convention fiscale applicable, ce qui donne une marge de manœuvre aux autorités fiscales qui veulent différencier les exemples. Également, il y a peu d’indications sur la façon d’appliquer la règle COP lorsque la plupart des investisseurs sont des bénéficiaires équivalents. Finalement, la pertinence de certains faits demeure inexpliquée. En effet, dans l’exemple 2, les avantages des conventions fiscales pourraient-ils être refusés si les titres n’étaient pas cotés en bourse (comme c’est souvent le cas) ? Cette absence de mesures concrètes est particulièrement décevante puisque l’OCDE, après avoir étudié la question depuis plusieurs années, semble satisfaite de procéder à une cérémonie de signature de l’instrument multilatéral en se contentant de fournir trois exemples limités dans son dernier projet de rapport et en omettant d’indiquer si les fonds de capital-investissement ou les autres véhicules de placement collectifs ouvriront droit ou non aux avantages des conventions fiscales. 

La règle COP est vague et subjective, et permet aux autorités fiscales de refuser les avantages des conventions fiscales à l’égard de pratiquement tout investissement transfrontalier. La situation fait l’objet de vives critiques de la part du Trésor américain et de nombreux autres pays. L’incertitude générale au titre de la règle du COP est aggravée par l’utilisation par l’OCDE de la règle « l’un des objectifs principaux » et très peu d’indications sont fournies pour déterminer si, et à quel moment, une considération fiscale en particulier peut être considérée comme un objet principal, plus particulièrement lorsqu’un investisseur peut avoir de multiples objets.

Les exemples du dernier projet de rapport donnent peu d’indications sur la façon de différencier un « objet principal » d’une considération plus générale. Si un avantage fiscal est important, une autorité fiscale pourrait-elle toujours déterminer qu’il s’agissait d’un objet principal ? Les avantages des conventions fiscales pourraient-ils être refusés en l’absence de l’un des faits présumés dans les exemples (par exemple, lorsque les investissements ne sont pas limités à une région en particulier) ? Ainsi, la règle COP pourrait éventuellement servir de critère de transparence suivant lequel les autorités fiscales pourraient décider unilatéralement si les avantages des conventions fiscales doivent être accordés. Il est peu probable que les investisseurs décident d’investir en espérant que les autorités fiscales accepteront ultérieurement d’accorder les avantages des conventions fiscales.  

L’OCDE a déclaré qu’elle avait délibérément limité le nombre d’exemples dans le projet de rapport et évité tout exemple prêtant à controverse, dans le but peut-être d’entretenir l’illusion d’un consensus entre ses membres. Cependant, ce sont précisément les exemples litigieux qui doivent être clarifiés, plus particulièrement dans les situations où les pays peuvent interpréter différemment un enchaînement de faits. Il est important de mettre en lumière différents points de vue, plutôt que de les occulter. 

L’OCDE a suggéré que les pays pouvaient trancher la question de l’octroi des avantages des conventions fiscales aux fonds de capital-investissement ou véhicules de placement collectif de façon bilatérale. Bien qu’une telle approche puisse fonctionner, il est difficile de comprendre pourquoi l’OCDE n’inclurait pas des exemples de dispositions dans son modèle (et dans l’instrument multilatéral) à cette fin. Par exemple, l’instrument multilatéral pourrait énoncer que la règle COP ne s’applique pas si au moins 75 % des principaux investisseurs dans un fonds auraient eu droit aux mêmes avantages ou à des avantages similaires s’ils n’avaient pas investis sur une base collective (l’utilisation d’un seuil de 75 % assure une cohérence entre la règle COP et la règle proposée des avantages dérivés au titre de la règle de limitation des avantages simplifiée de l’instrument multilatéral). Les pays seraient alors libres d’inclure une telle règle ou d’utiliser une autre approche. De plus, si les pays devaient régler la question sur une base bilatérale, ils pourraient fournir d’autres exemples ou d’autres indications sur l’application de la règle dans des circonstances particulières. Bien qu’une telle approche bilatérale puisse être utile, il serait néanmoins préférable que l’OCDE fournisse des indications sur une base multilatérale avant la prise d’effet des changements apportés à l’instrument multilatéral.

Finalement, nous constatons que l’OCDE pourrait également lier les normes minimales de l’action 6 à ses recommandations de l’action 14 (Accroître l’efficacité des mécanismes de règlement des différends). On pourrait y arriver par exemple en utilisant un mécanisme qui permettrait de déterminer à l’avance et rapidement si un investissement dans un fonds de capital-investissement ou dans des véhicules de placement collectif ouvrirait droit aux avantages des conventions fiscales. 

Les commentaires sur le projet de rapport doivent être envoyés à l’OCDE d’ici le 3 février 2017. Osler compte faire part de ses préoccupations à l’OCDE, y compris des points susmentionnés.

Pour en savoir plus sur le Projet BEPS, les avantages des conventions fiscales et le régime fiscal international du Canada, veuillez communiquer avec l’un des membres de notre service de fiscalité.