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La Cour d’appel de l’Ontario réaffirme les principes d’interprétation contractuelle en maintenant une clause de licenciement

Auteur(s) : Jennifer Dolman, Lindsay Rauccio

Le 11 juillet 2018

Dans ce bulletin d’actualités

  • La Cour d’appel de l’Ontario a récemment rendu ses motifs dans l’arrêt Amberber v. IBM Canada Ltd. (disponible en anglais seulement), 2018 ONCA 571 (Amberber).
  • Dans l’arrêt Amberber, la Cour a appliqué une clause de licenciement à l’encontre d’un employé qui souhaitait obtenir un préavis raisonnable en common law.
  • En maintenant cette clause, la Cour a réaffirmé que les principes généraux d’interprétation contractuelle s’appliquent aux contrats de travail, et elle a fourni des lignes directrices en matière d’ambiguïté contractuelle.
  • Cet arrêt est encourageant pour les employeurs qui veulent faire exécuter les clauses de licenciement stipulées dans leurs contrats de travail.

Dans son plus récent arrêt sur le caractère exécutoire des clauses de licenciement prévues dans des contrats de travail, la Cour d’appel de l’Ontario a rendu dernièrement ses motifs dans Amberber v. IBM Canada Ltd., 2018 ONCA 571. La Cour a accueilli l’appel d’IBM et a appliqué une clause de licenciement à l’encontre d’un employé qui souhaitait obtenir un préavis raisonnable en common law. En maintenant cette clause, la Cour a réaffirmé que les principes généraux d’interprétation contractuelle s’appliquent aux contrats de travail, et elle a fourni des lignes directrices en matière d’ambiguïté contractuelle.

Selon le droit en vigueur en Ontario, un employé congédié sans motif est présumé avoir droit à un préavis raisonnable de la cessation de son emploi en common law, à moins que les parties ne conviennent de se soustraire au préavis raisonnable en prévoyant une autre période de préavis. Pour que cette entente ait force exécutoire, elle ne doit pas contrevenir aux normes d’emploi prescrites par la Loi de 2000 sur les normes d’emploi (la « LNE »), et l’intention d’écarter les règles de la common law doit être formulée expressément ou être implicitement claire. Au cours des dernières années, les tribunaux se sont penchés sur plusieurs affaires dans lesquelles les clauses de licenciement étaient contestées, au motif qu’elles ne respectaient pas la LNE ou qu’elles n’écartaient pas la common law en langage suffisamment clair.

Dans l’arrêt Amberber, la Cour a appliqué une clause de licenciement à l’encontre d’un employé qui souhaitait obtenir un préavis raisonnable en common law. En raison du langage « de sécurité » utilisé dans la clause de licenciement, en aucun cas, la clause n’aurait pu contrevenir à la LNE. De plus, l’intention d’écarter la common law était non équivoque et, dans son ensemble, l’insertion de ce libellé dans la clause ne dérogeait pas à l’intention de la clause.

En maintenant cette clause, la Cour a réaffirmé que les principes généraux d’interprétation contractuelle s’appliquent aux contrats de travail, et elle a fourni des lignes directrices en matière d’ambiguïté contractuelle. La simple différence d’interprétation dans les opinions des avocats ne rend pas un contrat ambigu. Le contrat devrait plutôt donner raisonnablement lieu à plusieurs sens.

Contexte factuel

Le demandeur est entré au service d’un client d’IBM le 25 septembre 2000. Il est entré en fonction chez IBM le 30 mars 2015, à la suite d’une offre d’emploi (l’« Offre ») datée du 16 mars 2015, dans laquelle IBM convenait de reconnaître l’ancienneté du demandeur aux fins de l’établissement de ses droits en cas de licenciement.

IBM a mis fin sans motif à l’emploi du demandeur, en lui remettant une lettre datée du 19 avril 2016. La lettre de licenciement informait M. Amberber que son emploi prendrait fin le 8 juillet 2016.

L’Offre contenait une clause de licenciement, qui permettait à IBM de mettre fin à l’emploi du demandeur sans motif, pourvu qu’IBM lui verse le montant le plus élevé entre l’indemnité calculée selon une formule donnée ou le montant prescrit par la LNE. La clause de licenciement stipulait :

Si IBM vous licencie sans motif, IBM vous remettra un préavis ou une indemnité tenant lieu de préavis correspondant au plus élevé des montants qui suivent : (a) un (1) mois de votre salaire de base annuel courant, ou (b) une semaine de votre salaire de base hebdomadaire courant, pour chaque tranche de six mois de services effectués à partir de la date de référence de votre entrée en fonction chez IBM, jusqu’à concurrence de douze (12) mois de votre salaire de base annuel. [la « disposition facultative »] Ce versement comprend toutes les indemnités de cessation d’emploi et tenant lieu de préavis de licenciement auxquelles vous pouvez avoir droit aux termes de la loi provinciale sur les normes d’emploi et de la common law. [la disposition sur le « paiement global »] Toute indemnité de départ sera assujettie aux retenues légales applicables. De plus, vous aurez droit au maintien de vos avantages sociaux pendant la période de préavis minimale conformément à la loi provinciale applicable sur les normes d’emploi. Si la loi provinciale applicable sur les normes d’emploi vous accorde des droits supérieurs en cas de licenciement (« droits conférés par la loi ») à ceux énoncés dans la présente offre d’emploi, IBM vous accordera vos droits conférés par la loi au lieu de vos droits en vertu de la présente offre d’emploi [la « disposition de sécurité »]. [Nous soulignons]

En plus de son préavis, le demandeur a reçu la somme de 22 675,50 $, qui représentait 18 semaines de salaire de base.

Le demandeur a intenté une action contre IBM en dommages-intérêts pour congédiement injustifié le 16 août 2016. Il réclamait des dommages-intérêts de 86 000 $, ce qui représentait le salaire perdu pour une période de 16 mois.

IBM a présenté une motion en vue d’obtenir un jugement sommaire devant la Cour supérieure de justice visant à faire rejeter l’action du demandeur, en se fondant sur le fait que le demandeur avait reçu les montants auxquels il avait droit en vertu de la clause de licenciement.

La décision sur la motion

La juge saisie de la motion a focalisé sa décision sur trois principales questions :

  1. La clause de licenciement viole-t-elle (ou peut-elle violer) les normes d’emploi prévues dans la Loi de 2000 sur les normes d’emploi (la « LNE »)?
  2. La clause de licenciement réfute-t-elle la présomption de préavis raisonnable en common law?
  3. IBM peut-elle s’appuyer sur la clause de licenciement, étant donné qu’elle n’a pas versé le montant total calculé selon la formule prévue dans la clause de licenciement, mais qu’elle a corrigé cette erreur par la suite?

En ce qui concerne les questions 1 et 3, la juge saisie de la motion a statué en faveur d’IBM. Plus particulièrement, la juge a conclu que la clause de licenciement ne peut pas violer la LNE en raison du libellé de la dernière phrase de la clause, qui agit essentiellement comme une « sécurité » garantissant la conformité à la LNE.

En ce qui concerne la deuxième question, la juge a conclu à une ambiguïté dans la clause, à la suite de sa décision de subdiviser la clause en deux parties. Elle a tranché cette ambiguïté en faveur du demandeur, conformément à la règle contra proferentum.

À la demande du demandeur, la juge saisie de la motion a considéré la clause comme étant en fait deux dispositions : la première, constituée de la « disposition facultative » et de la disposition sur le « paiement global », et la deuxième, constituée de la « disposition de sécurité ». De l’avis de la juge saisie de la motion, dans les cas où la « disposition de sécurité » s’applique, étant donné que la disposition sur le « paiement global » n’est pas répétée après la « disposition de sécurité », cela donne lieu à une ambiguïté qui doit être tranchée en faveur de l’employé. La juge saisie de la motion a estimé qu’IBM aurait pu répéter la « disposition sur le paiement global » en vue d’atteindre le degré de clarté requis.

L’arrêt de la Cour d’appel

IBM a porté en appel la décision de la juge saisie de la motion en ce qui concerne la question de savoir si la clause de licenciement niait le droit du demandeur d’obtenir un préavis aux termes de la common law, et le demandeur a interjeté un appel incident relativement à la question de savoir si la clause était exécutoire étant donné qu’elle ne se conformait pas à la LNE.

La Cour d’appel a accueilli l’appel d’IBM et a rejeté l’appel incident du demandeur. En rejetant l’appel incident, le juge Gray, s’exprimant au nom de la Cour, a rejeté l’argument selon lequel la « clause de sécurité » venait corriger une illégalité après le fait, à l’instar de la clause de divisibilité du contrat de travail dans l’arrêt de la Cour d’appel relativement à l’affaire North v. Metaswitch Networks Corporation (disponible en anglais seulement), 2017 ONCA 790. Plutôt que de corriger une illégalité, la « clause de sécurité » incorpore par renvoi les exigences minimales de la LNE, et fait en sorte que toute portion de la clause de licenciement qui viole la LNE soit interprétée de façon à être conforme à la LNE.

En ce qui a trait à l’appel d’IBM, le juge Gray a abordé la clause de licenciement d’un point de vue pratique, et a affirmé que la Cour ne devrait pas s’efforcer de trouver des ambiguïtés là où il n’en existe pas. De plus, le juge Gray a réaffirmé l’application des principes généraux d’interprétation contractuelle aux contrats de travail. Même si les contrats de travail ne sont pas interprétés comme des contrats commerciaux ordinaires et en tenant compte de considérations différentes en matière de politique,[1] la juge saisie de la motion a commis une « erreur fondamentale » en subdivisant la clause de licenciement en ce qu’elle considérait comme ses parties constituantes et en les interprétant séparément, plutôt que d’interpréter la clause dans son ensemble. L’incorporation particulière de la « disposition sur le paiement global » ne change en rien le sens de la clause lorsqu’on la lit dans son ensemble, et la répéter ne ferait que mener à la confusion.

De plus, lorsqu’on lit l’ensemble de la clause, son sens est clair : un employé recevrait le montant le plus élevé entre une semaine de salaire hebdomadaire de base par tranche de six mois de travail effectué (jusqu’à concurrence de 12 mois) et ses droits conférés par la loi, mais dans aucun des deux cas, le demandeur n’aurait droit à un préavis raisonnable en common law.

En résumé, la clause respectait la LNE, l’intention d’écarter la common law était claire, et comme la clause avait été appliquée, M. Amberber n’avait droit à rien de plus.

Répercussions

Cet arrêt est encourageant pour les employeurs qui veulent faire exécuter les clauses de licenciement stipulées dans leurs contrats de travail. Avec l’arrêt rendu par la Cour plus tôt cette année dans l’affaire Nemeth v. Hatch Ltd. (disponible en anglais seulement), 2018 ONCA 7, ces deux jugements favorisent une approche pragmatique de l’interprétation des contrats de travail, qui s’appuie sur les règles générales d’interprétation contractuelle afin de tirer le sens du libellé du contrat dans son ensemble. De plus, l’arrêt de la Cour aide les parties à dissocier véritables ambiguïtés et simples différences d’opinions entre avocats. Il n’est plus acceptable qu’un employé s’appuie sur l’interprétation la moins favorable en vue de créer une ambiguïté pour invalider le contrat. Pour qu’il y ait une véritable ambiguïté, il doit y avoir au moins deux interprétations qui soient raisonnables. Ce n’est que dans ce cas que l’ambiguïté sera interprétée en défaveur de l’employeur.

 


[1] Étant donné l’importance du travail dans la vie d’une personne et la vulnérabilité des employés lors de la cessation de leur emploi, la Cour, dans Wood v. Fred Deeley Imports Ltd. (disponible en anglais seulement), 2017 ONCA 158, a établi six points à prendre en considération et qui sont pertinents à l’interprétation et au caractère exécutoire d’une clause de licenciement.