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COVID-19 et décisions difficiles pour les employeurs : les défis de l’emploi en 2020

Le 8 décembre 2020

L’année 2020 a été capitale en matière de droit du travail. Les professionnels des ressources humaines, les conseillers juridiques et d’autres personnes ont été obligés de composer avec des règles et des risques de nature juridique en constante évolution. Ces changements découlent non seulement des répercussions de la pandémie de COVID-19, mais aussi des principaux développements de la jurisprudence qui pourraient profondément toucher l’interprétation et le caractère exécutoire des contrats de travail, des clauses d’arbitrage et des régimes de rémunération. 

La COVID-19 en milieu de travail

On a beaucoup écrit sur la COVID-19 et les répercussions de la pandémie en milieu de travail au Canada. Nous abordons ci-dessous les principaux points à retenir. Veuillez consulter Le guide COVID-19 pour le retour sur le lieu de travail d’Osler pour en savoir davantage sur ces sujets et d’autres sujets liés à la COVID-19 et au lieu de travail.

1. Le télétravail peut créer autant de problèmes qu’il n’en résout

Au cours du printemps et de l’été 2020, de nombreux employeurs – dont certains ont été contraints d’adopter précipitamment des dispositions de « travail à domicile » en raison de la fermeture de leur lieu de travail – ont rapidement adopté la flexibilité (et dans certains cas, la réduction de coûts) du travail à domicile (ou du « travail virtuel » ailleurs). Certains employeurs ont été surpris d’apprendre que les lois relatives au lieu de travail physique peuvent également s’appliquer aux lieux de travail éloignés. Voici quelques exemples de questions liées au télétravail :

La législation sur les normes d’emploi : les exigences minimales contenues dans la législation sur les normes d’emploi, comme celles relatives aux heures de travail, aux périodes de repas et aux heures supplémentaires, ne sont pas suspendues ou restreintes lorsque les employés font du télétravail à partir de leur domicile ou ailleurs. À ce titre, les employeurs doivent se demander s’ils contrôleront le temps de travail de leurs employés et de quelle manière ils le feront – pas nécessairement (ou exclusivement) pour gérer le rendement ou la productivité, mais aussi pour s’assurer que toutes les exigences minimales applicables sont respectées. Cela peut constituer un défi, plus particulièrement en l’absence de pouvoir superviser directement le lieu de travail. Des politiques claires qui sont communiquées aux employés, dont celles qui concernent les heures de travail, peuvent aider à cet égard. Cette protection peut être renforcée lorsqu’elle est associée à des logiciels et à des systèmes, y compris des mécanismes de déclaration volontaire, qui facilitent le respect des obligations de l’employeur en matière de tenue de dossiers.

L’indemnisation des travailleurs lorsqu’ils travaillent virtuellement tout comme les accidents du travail peuvent donner lieu à des demandes d’indemnisation sur le lieu de travail physique, les employés travaillant virtuellement qui se blessent dans le cadre de leur travail à domicile peuvent également être couverts par le régime d’indemnisation des travailleurs applicable. La couverture dépendra du lieu et du moment où la blessure se produit, ainsi que de l’activité à laquelle l’employé se livrait au moment où elle s’est produite. Pour les employeurs dont les entreprises sont couvertes par un régime provincial d’assurance pour indemniser les accidentés du travail, la détermination de la question de savoir si un accident est lié au travail doit être effectuée par la commission des accidents du travail compétente.

Travailler en dehors du territoire « domiciliaire » de l’employeur les employés demandent couramment de travailler à distance en dehors de la province ou du pays où leur employeur est établi. Ces types d’arrangements ne sont pas sans risque et doivent être envisagés avec prudence. Par exemple, cette situation soulève des questions quant à savoir si la couverture de l’indemnisation des travailleurs s’étend au-delà des territoires et pourrait exposer les employeurs à un risque en cas d’accident du travail. Pour les employeurs régis par la réglementation provinciale, la législation sur les normes d’emploi de la province où le travail est effectué peut s’appliquer à l’employé (et à ses contrats de travail), même si le lieu de travail réel de l’employeur se trouve ailleurs. De même, les employés travaillant à l’extérieur du Canada (et leurs employeurs) peuvent être assujettis aux lois sur l’emploi du pays dans lequel ils travaillent. Les questions potentielles relatives à la fiscalité, à l’immigration, à la vie privée et à la protection des données doivent également être prises en compte dans le cadre des arrangements de télétravail à l’extérieur de la province.

2. Les exigences en matière de dépistage de la COVID-19 en Ontario ont été codifiées

À la fin de septembre, le gouvernement de l’Ontario a imposé des exigences obligatoires en matière de dépistage de la COVID-19 visant les lieux de travail en Ontario (Dépistage obligatoire). Avant cela, le dépistage de la COVID-19 était recommandé, mais pas clairement obligatoire. En conséquence, les employeurs (ainsi que leurs conseillers juridiques dans certains cas) ont été laissés à eux-mêmes pour créer des outils de dépistage. 

Le Dépistage obligatoire doit être entrepris à l’égard de tous les travailleurs et « visiteurs essentiels » qui pénètrent sur le lieu de travail et comprend une liste de trois questions :

  1. Avez-vous l’un des symptômes ou signes nouveaux ou aggravés suivants? (La liste des symptômes « officiels » peut être consultée ici.)
  2. Avez-vous voyagé à l’extérieur du Canada au cours des 14 derniers jours?
  3. Avez-vous été en contact étroit avec un cas confirmé ou un cas probable de la COVID-19?

Si la personne répond NON à toutes les questions, elle peut accéder au lieu de travail. Si la personne répond OUI à une des questions, elle doit être empêchée d’accéder au lieu de travail. Les employeurs sont autorisés à ajouter d’autres éléments au contenu du Dépistage obligatoire, mais ne peuvent pas en retirer. Plus particulièrement, la liste des symptômes qui font l’objet d’un dépistage doit, au minimum, toujours comprendre les symptômes énumérés dans le Dépistage obligatoire. 

Lorsque le Dépistage obligatoire a été mis en œuvre pour la première fois, il n’existait aucune directive écrite sur la manière dont l’outil de dépistage préalable devait être mis en œuvre et les employeurs ont de nouveau été laissés à eux-mêmes pour déterminer la meilleure façon de procéder. Toutefois, depuis le déploiement du Dépistage obligatoire, le gouvernement de l’Ontario a mis à jour ses directives sur l’élaboration d’un plan de sécurité lié à la COVID-19. À la date de rédaction du présent article, cette directive fait désormais la distinction entre le dépistage actif et passif et énonce que les employeurs doivent désormais activement soumettre chaque travailleur à un dépistage. Vous trouverez plus de détails sur le dépistage actif dans le bulletin d’actualités d’Osler intitulé « Nouvel outil de dépistage (obligatoire) de la COVID-19 sur les lieux de travail » sur le site osler.com. Les employeurs doivent savoir qu’ils ne peuvent pas simplement compter sur leurs employés pour effectuer une auto-évaluation et déterminer s’ils peuvent venir travailler. Un représentant de l’employeur doit plutôt examiner les réponses aux questions du Dépistage obligatoire et évaluer si la personne peut accéder au lieu de travail. 

3. Les mesures de sécurité physique sur le lieu de travail demeurent impératives 

Comme toujours, évaluer et traiter les risques liés à la transmission de la COVID-19 sur le lieu de travail physique représente l’une des principales obligations des employeurs. Le guide COVID-19 pour le retour sur le lieu de travail d’Osler présente un tour d’horizon exhaustif de ces obligations et des mesures à prendre pour faire face aux risques liés à la COVID-19 sur le lieu de travail. Au minimum, les employeurs sont tenus de mettre en place des plans de sécurité particuliers en matière de COVID-19, conçus pour atténuer les risques dans le contexte de leur lieu de travail. Idéalement, ces plans devraient être élaborés en consultation avec le comité mixte de santé et de sécurité au travail et régulièrement examinés par celui-ci.

4. Examiner encore et encore les directives de santé publique et les directives gouvernementales

L’importance des directives de santé publique et des annonces et des directives gouvernementales à l’égard des questions liées au droit du travail a augmenté de façon spectaculaire depuis le début de la pandémie. Les renseignements publiés par les différentes autorités de santé publique et gouvernementales sont susceptibles de changer et le feront fréquemment, avec peu ou pas de préavis, et il s’agit là de l’une des principales leçons à retenir de cette année. Contrairement à la législation, les conseils et les directives de santé publique que les employeurs doivent suivre sont actuellement souvent répartis sur plusieurs sites Web fédéraux, provinciaux et municipaux. Le contenu de ces sites Web peut changer et change effectivement d’une semaine à l’autre. Le volume même des messages de santé publique peut également être difficile à suivre, en particulier pour les industries considérées comme étant à risque plus élevé. Ainsi, dans la mesure où les employeurs fondent les décisions relatives à leur lieu de travail sur des recommandations de santé publique et du gouvernement, il est important de conserver une trace de ces conseils (par exemple, en sauvegardant une copie du site Web comme il existait à la date de la décision et en la conservant dans le dossier) au cas où ces décisions devraient être justifiées ultérieurement.

Principaux développements de la jurisprudence

En 2020, un certain nombre de développements jurisprudentiels importants posent des défis aux employeurs au Canada. La tendance de la jurisprudence continue d’aller dans le sens d’un contrôle et d’une interprétation judiciaires stricts des contrats de travail et des régimes et politiques d’intéressement. Ces décisions ont pour effet d’augmenter les indemnités de départ pour les entreprises et d’accroître l’incertitude quant au caractère exécutoire des contrats. Une sélection des décisions de 2020 les plus marquantes en droit du travail est présentée ci-dessous.

1. Matthews c. Ocean Nutrition Canada Ltd. (Matthews)

La décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Matthews est centrée sur le régime d’intéressement à long terme d’une société (RILT), qui stipulait que l’employé demandeur aurait droit à un paiement si la société était vendue. Le RILT contenait également des clauses d’exclusion qui stipulaient ce qui suit : a) le RILT ne s’appliquait pas aux employés qui ont démissionné ou ont été congédiés, avec ou sans motif ; et b) le RILT ne serait pas compris dans le calcul de l’indemnité de départ. L’employé en question a fait l’objet d’un congédiement déguisé et la société a été vendue pendant la période de préavis. L’employé a fait valoir qu’il aurait dû recevoir le paiement du RILT malgré la cessation d’emploi antérieure et les clauses d’exclusion.

La Cour suprême du Canada a unanimement jugé que les clauses d’exclusion du RILT n’avaient pas supprimé le droit de l’employé au paiement du RILT et que l’employé avait droit à des dommages-intérêts. Pour déterminer si une indemnité, par exemple aux termes d’un RILT, était due malgré le congédiement de l’employé, la Cour a tenu compte de ce qui suit : 

  1. si, n’eût été son congédiement, l’employé aurait eu le droit de toucher la prime ou les avantages pendant la période de préavis raisonnable ;
  2. si le régime de prime ou d’avantages modifie ou supprime clairement le droit à des dommages-intérêts reconnu à l’employé par la common law pendant la période de préavis.

En ce qui concerne le deuxième volet de ce critère, la Cour a adopté un cadre très technique qui établit une distinction entre le droit à l’attribution, aux avantages, à la prime ou au versement (l’attribution) lui-même et le droit distinct de demander des dommages-intérêts en ce qui concerne la perte de la possibilité de gagner le montant de l’attribution. Par conséquent, tous les employeurs exerçant des activités au Canada devraient revoir leurs régimes, contrats et politiques de rémunération afin de s’assurer que leur libellé traite des questions présentées par cet arrêt.

Des commentaires supplémentaires concernant l’arrêt Matthews peuvent être trouvés dans le bulletin d’actualités d’Osler, ici.

2. Waksdale v. Swegon North America Inc. (Waksdale)

Dans la décision Waksdale (en anglais), la Cour d’appel de l’Ontario a jugé que les dispositions relatives à la résiliation d’un contrat de travail sont indivisibles, indépendamment de la manière dont elles sont organisées ou de l’endroit où elles figurent dans le document écrit. Par conséquent, une disposition « avec motif » (with cause) inapplicable rendra toute la clause de résiliation inapplicable, y compris une disposition « sans motif » (without cause) par ailleurs applicable. La Cour d’appel a également confirmé qu’une clause de divisibilité visant à diviser la disposition incriminée plutôt qu’à invalider la clause ou le contrat en entier sera sans effet pour retirer la partie incriminée de la clause de résiliation et sauver la disposition restante. 

Comme dans la décision Matthews, la Cour a confirmé dans la décision Waksdale que les tribunaux rechercheront tout défaut technique dans le libellé des dispositions sur la résiliation afin d’accorder aux employés des indemnités de départ plus élevées. En conséquence de la décision Waksdale, les employeurs de l’Ontario devraient revoir et mettre à jour toutes leurs clauses de résiliation, ainsi que leurs lettres d’offre d’emploi ou contrats de travail types, dont leurs contrats de travail concernant les hauts dirigeants.

Des commentaires supplémentaires concernant l’arrêt Waksdale peuvent être trouvés dans le bulletin d’actualités d’Osler intitulé « The Ontario Court of Appeal’s latest decision striking down attempts to control severance cost » (en anglais) sur le site osler.com.

3. Uber Technologies Inc. c. Heller (Uber)

Dans la très attendue décision Uber, la Cour suprême du Canada a conclu que les conducteurs pouvaient intenter une action collective contre Uber devant les tribunaux de l’Ontario en invoquant des violations des lois sur les normes d’emploi. Uber n’a pas pu s’appuyer sur une clause d’arbitrage dans son contrat de services type qui aurait obligé les conducteurs à porter leurs réclamations devant un arbitre aux Pays-Bas. Les juges majoritaires ont déterminé que la clause d’arbitrage était déraisonnable eu égard au fait 1) qu’il y avait une inégalité de pouvoir de négociation entre les parties ; et 2) que la clause d’arbitrage constituait un engagement déraisonnable, car elle obligeait M. Heller à payer des frais administratifs initiaux presque égaux à son revenu annuel provenant d’Uber et à se rendre dans un territoire étranger afin de poursuivre un différend.

La Cour n’est pas intervenue à l’égard de la décision de la Cour d’appel de l’Ontario établissant que les clauses d’arbitrage sont inapplicables si, à première vue, elles empêchent l’accès à la procédure de plainte légale faisant appel au ministère du Travail dont les employés ont le droit de bénéficier en vertu de la législation sur les normes d’emploi. Par conséquent, les sociétés qui souhaitent que les différends soient traités dans le cadre d’un arbitrage confidentiel aux termes d’une clause d’arbitrage figurant dans un contrat de travail ou un contrat d’entrepreneur indépendant devraient revoir ces contrats pour s’assurer que leur libellé résistera à un examen judiciaire.

Des commentaires supplémentaires concernant la décision Uber peuvent être trouvés dans le bulletin d’actualités intitulé « La CSC déclare la clause d’arbitrage d’Uber nulle et un “cas classique d’iniquité” » (en anglais) sur le site osler.com.

4. Battiston v. Microsoft Canada Inc.

Comme abordé dans l’article intitulé « Une année de bouleversements et de déceptions : nouveautés liées à la rémunération des dirigeants en 2020 » de la Rétrospective de l’année juridique de 2020 d’Osler, une décision (en anglais) de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu que la renonciation aux primes de rendement à long terme à la cessation d’emploi sans motif était [traduction] « sévère et oppressante ». 

La Cour d’appel de l’Ontario est saisie du dossier en appel et, bien qu’Osler n’ait pas participé au procès de première instance, nous représentons Microsoft à l’égard de celui-ci.

La Cour d’appel de l’Ontario est saisie du dossier en appel et, bien qu’Osler n’ait pas participé au procès de première instance, nous représentons Microsoft à l’égard de celui-ci.

Conclusion

À l’horizon 2021, il subsiste une grande incertitude quant à l’évolution de la pandémie de COVID-19 et à ses répercussions sur les questions relatives aux lieux de travail, ainsi qu’aux répercussions de la récente jurisprudence en droit du travail au Canada. Les sociétés devraient continuer à suivre ces développements et d’autres développements juridiques liés aux lieux de travail afin de s’assurer qu’elles gèrent efficacement les risques en matière de ressources humaines pour leurs entreprises.