Passer au contenu

L’honnêteté est la meilleure politique : la Cour suprême du Canada cherche à clarifier l’obligation d’exécution honnête du contrat

Auteur(s) : Jacqueline Code, Lindsay Rauccio, Mary Angela Rowe

Le 23 decembre 2020

N’induisez pas vos contreparties contractantes en erreur au sujet de questions liées à l’exécution du contrat. C’est apparemment le message simple véhiculé par la Cour suprême du Canada (la Cour) dans l’arrêt C.M. Callow Inc. c. Zollinger. En appliquant le principe directeur de la bonne foi et, plus particulièrement, l’obligation d’exécution honnête du contrat (reconnue dans l’arrêt Bhasin c. Hrynew) à une affaire portant sur un droit de résiliation d’une entente sur préavis pour des raisons de commodité, l’affaire Callow cherche à préciser les circonstances dans lesquelles l’obligation d’exécution honnête peut exiger d’une partie contractante qu’elle fournisse des renseignements à son cocontractant sur une question faisait intervenir l’exercice d’un droit aux termes du contrat. La Cour a statué comme suit :

  • Tous les droits et obligations contractuels, même ceux apparemment absolus, doivent être exercés conformément à l’obligation d’exécution honnête, qui ne peut être expressément ou implicitement exclue par le contrat.
  • Même si une partie se conforme à un contrat au pied de la lettre, la manière dont elle exerce un droit ou s’acquitte d’une obligation peut toujours constituer un manquement à l’obligation d’exécution honnête.
  • Bien qu’il n’y ait pas d’obligation positive de divulgation, une partie contractante ne peut se livrer à une « tromperie active » et, lorsque les faits font apparaître une conduite malhonnête, elle peut être tenue de corriger une fausse impression créée par ses propres gestes.
  • Un manquement à l’obligation d’exécution honnête peut donner lieu à une demande de dommages‑intérêts fondés sur l’attente pour mettre la partie innocente dans la position où elle se serait trouvée si le contrat avait été exécuté.

Cela ne devrait pas surprendre les parties contractantes, étant donné que ces principes ont déjà été établis dans les motifs de la Cour dans l’arrêt Bhasin. Ce que l’arrêt Callow ajoute à l’arrêt Bhasin concerne principalement l’application de l’obligation d’exécution honnête du contrat lorsqu’une partie contractante sait que l’autre partie a une fausse impression des droits découlant du contrat. Dans le même temps, l’arrêt Callow apporte une confirmation importante du fait que la Cour n’a pas modifié sa position antérieure selon laquelle l’obligation d’exécution honnête n’impose pas d’obligation de divulgation de type fiduciaire, ne donne pas non plus droit au cocontractant d’obtenir des avantages qu’il n’a pas négociés ni n’empêche généralement les parties contractantes d’agir dans leur propre intérêt.

L’arrêt Callow laisse encore des questions sans réponse sur les circonstances exactes dans lesquelles l’omission d’une partie de fournir des renseignements à un cocontractant constitue un manquement à l’obligation d’exécution honnête. En outre, dans les motifs concordants et dissidents, la question de savoir comment le principe directeur de la bonne foi s’applique (le cas échéant) pour limiter l’exercice des pouvoirs discrétionnaires de nature contractuelle n’a pas été expressément abordée. Le prochain jugement de la Cour dans l’affaire Wastech Services Ltd. c. Greater Vancouver Sewerage and Drainage District (C.-B.), qui a été entendue avec l’affaire Callow et qui est en délibéré, abordera probablement cette question.

Faits

En 2012, Baycrest a conclu deux séries de contrats d’entretien avec Callow : un contrat d’entretien hivernal de deux ans et un contrat d’entretien estival. En vertu du contrat d’entretien hivernal, si pour quelque autre raison que ce soit, les services de Callow n’étaient plus requis, Baycrest pouvait résilier le contrat en donnant un préavis écrit de 10 jours.

Au début de 2013, Baycrest a décidé de résilier le contrat d’entretien hivernal, mais a choisi de ne pas informer Callow de sa décision à ce moment‑là. Dans l’intervalle, Callow a eu des discussions avec Baycrest sur le renouvellement du contrat d’entretien hivernal. À la suite de ces discussions, Callow a eu la fausse impression qu’elle allait probablement obtenir un renouvellement de deux ans de son contrat d’entretien hivernal. Baycrest était consciente de la méprise de Callow, mais ne l’a pas corrigée. Au cours de l’été 2013, Callow a exécuté des travaux à titre gratuit, qui, souhaitait‑elle, inciteraient Baycrest à renouveler le contrat d’entretien hivernal. Baycrest a accepté le travail gratuit, mais a néanmoins résilié le contrat d’entretien hivernal en donnant le préavis requis en septembre.

Callow a intenté une poursuite pour violation de contrat, alléguant que Baycrest se serait prévalue de la clause de résiliation contrairement aux exigences de la bonne foi.

En première instance, le tribunal a conclu que Baycrest avait manqué à son obligation d’exécution honnête du contrat en faisant sciemment croire à Callow que le contrat d’entretien hivernal serait renouvelé jusqu’à ce que Callow ait exécuté ses services aux termes du contrat d’entretien estival. La Cour d’appel a annulé le jugement de première instance, en déclarant que Callow n’avait négocié qu’un préavis de 10 jours pour une résiliation anticipée, et que c’était la durée de préavis qui avait été donnée par Baycrest. Callow a porté en appel la décision devant la Cour suprême du Canada.

L’obligation d’exécution honnête sous-tend tous les droits et obligations contractuels

Huit des neuf juges de la Cour suprême (la juge Côté étant dissidente) ont accueilli le pourvoi et se sont prononcés en faveur de Callow. Baycrest a manqué à son obligation d’exécution honnête en induisant délibérément Callow en erreur concernant sa décision de résilier le contrat d’entretien hivernal. Le juge Kasirer s’est exprimé au nom des cinq juges majoritaires, tandis que le juge Brown a obtenu le soutien de deux de ses collègues pour ses motifs concordants.

Le juge Kasirer a réaffirmé les motifs antérieurs de la décision de la Cour dans l’arrêt Bhasin, selon lesquels l’obligation d’exécution honnête du contrat sous-tend tous les droits et obligations contractuels et ne peut être expressément ou implicitement exclue par le contrat. Néanmoins, le juge Kasirer a constaté que la portée de cette obligation n’est pas illimitée : elle ne concerne que les questions liées à l’exécution du contrat, et non pas simplement toute question découlant de la relation entre les parties contractantes.

L’obligation d’exécution honnête impose l’obligation de ne pas induire délibérément une contrepartie contractante en erreur sur les questions découlant du contrat. Ce principe avait été reconnu par la Cour dans l’arrêt Bhasin. Dans cette affaire, Baycrest a violé cette obligation en omettant délibérément de corriger la croyance erronée de Callow que Baycrest a créée, selon laquelle celui-ci avait l’intention de renouveler le contrat en question. Ce n’est pas le fait que Baycrest a exercé son droit de résilier qui a constitué un manquement à l’obligation, mais la manière dont elle a exercé ce droit. Même si une partie se conforme à toutes les modalités d’un contrat, il est cependant toujours possible de manquer à son obligation d’exécution honnête du contrat.

En outre, le juge Kasirer a exprimé son désaccord avec la position de Baycrest, qui avait été acceptée par la Cour d’appel, selon laquelle la résiliation dans cette affaire ne concernait pas l’exécution du contrat d’entretien hivernal existant, mais le renouvellement d’un contrat futur qui n’existait pas encore. Bien comprise, la tromperie de Baycrest était directement liée au contrat en vigueur, parce que son recours à la clause de résiliation du contrat en question a été malhonnête.

Baycrest a omis de corriger la méprise de Callow

Le juge Kasirer a reconnu que le fait d’obliger une partie à divulguer des renseignements au-delà des exigences contractuelles pourrait conférer au cocontractant un avantage non négocié. Par conséquent, les juges majoritaires ne visaient pas à élargir l’obligation d’exécution honnête pour exiger une telle divulgation. Toutefois, le juge Kasirer a noté que dans certaines circonstances, l’omission de s’exprimer peut équivaloir à de la malhonnêteté active qui est directement liée à l’exécution du contrat. Dans un tel cas, la responsabilité découle de la « tromperie active » de la partie innocente et non d’un manquement à l’obligation positive de divulguer ou de l’obligation de veiller en priorité aux intérêts de l’autre partie contractante.

La question de savoir si une conduite peut aller jusqu’à induire sciemment une autre partie en erreur dépend des faits et peut inclure (mais sans s’y limiter) des mensonges éhontés, des demi-vérités et même des omissions, selon le contexte. En l’absence de toute erreur manifeste et déterminante, le juge Kasirer a été obligé de s’en remettre aux conclusions de fait de la juge de première instance selon lesquelles Baycrest avait agi de manière délibérément malhonnête en recourant à son droit de résiliation.

Ainsi, Baycrest n’avait pas l’obligation positive de divulguer immédiatement qu’elle avait l’intention de résilier le contrat d’entretien hivernal une fois qu’elle avait pris la décision de le faire au printemps. Cependant, Baycrest n’avait pas non plus le droit d’induire délibérément Callow en erreur, à son détriment, sur ses intentions. Baycrest a délibérément retenu des informations en prévision de son recours à ses droits de résiliation, sachant qu’un tel silence, conjugué à ses communications actives assurant à Callow que tout allait bien, avait induit celle-ci en erreur. À la lumière des autres conduites et déclarations de Baycrest, le fait que Baycrest n’ait pas corrigé la méprise de Callow constituait une « tromperie active » et un manquement à son obligation d’exécution honnête du contrat.

Le juge de première instance aurait exigé de Baycrest qu’il aborde certains problèmes d’exécution allégués, qu’il donne un préavis dans les plus brefs délais de son intention de résilier le contrat ou qu’il s’abstienne de faire des assertions en prévision de la période de préavis afin de se conformer à l’obligation d’agir de bonne foi. Les juges majoritaires de la Cour suprême ne sont pas allés aussi loin, indiquant que Baycrest aurait dû soit s’abstenir de faire de fausses déclarations pendant la période de préavis, soit corriger la méprise causée par les déclarations qu’elle avait faites.

Les motifs du juge Kasirer ne vont pas jusqu’à aborder la question de savoir si Baycrest avait l’obligation de corriger les méprises qu’elle n’a pas causées ou auxquelles elle n’a pas contribué de façon significative, ou si la partie qui a été à l’origine de ce malentendu doit avoir eu une base raisonnable pour le faire. Les juges concordants auraient formulé le jugement sur la base d’une contribution « significative » à la méprise du cocontractant.

Calcul des dommages-intérêts : l’attente ou la confiance?

La méthodologie appropriée pour calculer les dommages-intérêts découlant de la violation de Baycrest est une distinction essentielle entre l’arrêt rendu à la majorité et les motifs concordants du juge Brown. Le juge Kasirer a conclu que Callow avait droit à des « dommages‑intérêts fondés sur l’attente » qui sont habituels du droit contractuel et qui placent un demandeur dans la position où il se serait trouvé si le défendeur avait rempli ses obligations contractuelles. Le juge Brown est en désaccord, soulignant que Callow devrait recevoir des « dommages‑intérêts fondés sur la confiance » qui indemnisent un demandeur pour les pertes découlant de sa confiance à l’égard de l’exécution du défendeur.

Malgré cette différence d’approche, les juges Kasirer et Brown ont tous deux calculé les dommages-intérêts de Callow en se basant sur le fait que Baycrest avait omis de corriger la méprise selon laquelle le contrat de Callow serait renouvelé, ce qui l’a privée de l’occasion d’obtenir d’autres travaux pour remplacer le contrat d’entretien hivernal.

Dans d’autres affaires, les dommages-intérêts fondés sur l’attente et les dommages‑intérêts fondés sur la confiance peuvent produire des résultats radicalement différents. Selon le raisonnement du juge Brown, un défendeur peut scrupuleusement remplir ses obligations contractuelles, mais manquer à son obligation d’exécution honnête, causant un préjudice au demandeur du fait de la confiance accordée à la conduite malhonnête. Dans de telles circonstances, les dommages‑intérêts fondés sur la confiance peuvent être plus appropriés.

Compte tenu de ce débat, les parties contractantes pourraient envisager de réexaminer les clauses de dommages-intérêts prédéterminés et de limitation de responsabilité dans leurs contrats afin de s’assurer qu’elles sont suffisamment larges pour englober les manquements à l’obligation d’exécution honnête du contrat, ainsi que l’obligation d’agir de bonne foi en général.

Rôle du droit civil québécois

Une autre distinction entre les motifs des juges Kasirer et Brown reflète une division de la Cour sur le recours au droit civil québécois. Le juge Kasirer s’est inspiré du concept de droit civil d’« abus de droit » et a conclu qu’il pourrait être utile pour les sources québécoises d’interpréter la portée de l’obligation d’exécution honnête du contrat en common law, en particulier, la nécessité d’un lien entre la conduite en cause et les droits ou obligations découlant du contrat. Le concept d’« abus de droit » en droit québécois prévoit qu’aucun droit discrétionnaire dans un contrat ne peut être exercé de manière excessive et déraisonnable. Ce concept est étranger à la common law.

Le juge Brown a totalement rejeté cette approche, soutenant que l’application de l’obligation dans ce cas pourrait et devrait être résolue en recourant uniquement aux sources de common law. Bien qu’on puisse avoir recours au droit civil dans les situations où il faut combler une lacune de la common law ou à des fins de comparaison, il n’y a aucune lacune de ce type ici. Selon le juge Brown, l’introduction de concepts de droit civil dans la common law ne peut que créer une confusion et des difficultés supplémentaires aux avocats et aux juges de common law pour interpréter les normes applicables.

Les motifs de l’arrêt Callow ne déterminent pas clairement dans quelle mesure la Cour entend appliquer le concept de droit civil d’« abus de droit » à la common law. Il reste à voir si cet aspect des motifs du juge Kasirer est vraiment un simple « dialogue » engagé pour fournir un contexte utile. Il n’est pas non plus certain que le fait que les juges majoritaires se soient appuyés sur le droit civil dans l’arrêt Callow se reproduise dans des affaires futures portant sur des sujets sans rapport.