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La réglementation du forage en mer crée des gains d’efficacité appréciables en vertu de la Loi sur l’évaluation d’impact

Auteur(s) : Sander Duncanson, Tommy Gelbman, Simon C. Baines

Le 11 juin 2020

Le 3 juin 2020, le ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada (le « Ministre ») a publié le Règlement visant des activités concrètes exclues (puits d’exploration au large des côtes Terre-Neuve et Labrador) (le « Règlement ») en vertu de la Loi sur l’évaluation d’impact (la LEI). Le Règlement dispense les opérations de forage exploratoire proposées au large des côtes de Terre-Neuve et Labrador de l’obligation de se soumettre à une évaluation fédérale des incidences propres à chaque projet. Le Règlement est entré en vigueur le 4 juin 2020.

Cette dispense est bienvenue pour créer un processus réglementaire plus efficace, conforme à la « réglementation intelligente », le principe selon lequel le degré de surveillance réglementaire de toute activité doit refléter le niveau de risque environnemental que présente cette activité. Non seulement le Règlement s’appuie sur des études antérieures pour réduire de manière significative la charge réglementaire pesant sur les nouveaux projets de forage, mais il fournit également un modèle sur la manière dont les évaluations régionales peuvent être utilisées pour réaliser des gains d’efficacité pour d’autres types d’activités dans le cadre de la LEI. Toutefois, le Règlement n’est pas un laissez-passer et les promoteurs de nouveaux projets de forage exploratoire sont incités à s’assurer qu’ils satisfont à toutes les conditions prévues par le Règlement, en accordant une attention particulière à la consultation des groupes autochtones. Si ces conditions ne sont pas remplies, la proposition devra à nouveau faire l’objet d’une évaluation d’impact en vertu de la LEI, ce qui entraînera des retards et une augmentation des coûts pour ce projet.

Historique du Règlement

En vertu de la LEI (le fondement législatif du projet de Loi C-69 adopté l’année dernière), des évaluations d’impact fédérales sont requises pour les « projets désignés » énoncés dans le Règlement sur les activités concrètes, à moins que ces activités ne soient exemptées en vertu d’un règlement adopté par le ministre conformément à l’alinéa 112(1)(a.1) de la LEI. L’article 34 du Règlement sur les activités concrètes porte sur « le forage, la mise à l’essai et la fermeture de puits d’exploration qui sont situés au large des côtes et qui font partie du premier programme de forage — au sens du paragraphe 1(1) du Règlement sur le forage et la production de pétrole et de gaz au Canada, DORS/2009-315, dans une zone visée par un ou plusieurs permis de prospection octroyés conformément à la Loi fédérale de mise en œuvre de l’Accord atlantique Canada — Terre-Neuve-et-Labrador ou à la Loi de mise en œuvre de l’Accord Canada — Nouvelle-Écosse sur les hydrocarbures extracôtiers. ».

Le Règlement est le premier à être adopté en vertu de l’alinéa 112(1)(a.1). Il dispense les activités de forage, de mise à l’essai et de fermeture de puits d’exploration en mer régies par le Règlement de la nécessité de réaliser une évaluation d’impact fédérale conformément au paragraphe 112.1 de la LEI. Le Règlement a été publié à la suite de la publication du rapport final de l’Évaluation régionale du forage exploratoire extracôtier pétrolier et gazier à l’est de Terre-Neuve-et-Labrador (l’Évaluation régionale) par les gouvernements du Canada, de Terre-Neuve et Labrador le 29 février 2020. L’Évaluation régionale a révélé que les activités de forage exploratoire au large de Terre-Neuve et du Labrador comportent généralement des conditions et des risques environnementaux similaires et que les récentes évaluations d’impact de ces projets ont largement imposé des mesures d’atténuation similaires. Les auteurs de l’Évaluation régionale ont donc recommandé que les mesures d’atténuation et de suivi requises dans le cadre des récentes évaluations environnementales réalisées en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, 2012 (la législation qui a précédé la LEI) soient codifiées en tant qu’exigences réglementaires pour les puits d’exploration au large de Terre-Neuve et du Labrador et que ces puits soient désormais dispensés des évaluations d’impact fédérales en vertu de la LEI.

Détails du Règlement

L’annexe 2 du Règlement contient plusieurs exigences détaillées pour tous les programmes de forage dans le cadre de l’application du Règlement, qui s’alignent généralement sur les conditions imposées pour les projets récents approuvés en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, 2012. Ces conditions exigent du promoteur les éléments suivants :

  • Renseignements à fournir à l’Agence d’évaluation d’impact du Canada — Fournir un avis contenant des catégories définies de renseignements à l’Agence au moins 90 jours avant le début du programme de forage.
  • Publication sur le site Web — Maintenir à jour le site Web contenant un ensemble défini de renseignements et de documents et publier une liste de 41 groupes autochtones du Canada atlantique et du Québec qui sont visés par la publication initiale de ces documents et de toute mise à jour subséquente des documents sur le site Web.
  • Plans et études - Élaborer une série de plans et d’études en consultation avec diverses parties prenantes et organismes de réglementation (y compris, pour certains plans et études, tous les groupes autochtones visés) : un plan de communication sur les pêches, un plan de suivi des mammifères marins et des tortues de mer, un plan d’intervention en cas de déversement, un plan de fermeture des puits et des têtes de puits, une étude du fond marin, un plan de gestion des glaces et un plan de prévention des collisions entre les installations de forage et les navires.
  • Programme de suivi — Développer un programme de suivi des oiseaux migrateurs, des poissons et de leur habitat.
  • Mesures de réduction des dommages — Adopter et mettre en œuvre les mesures prescrites pour réduire les dommages causés aux mammifères marins, aux tortues de mer et aux oiseaux migrateurs.
  • Stratégies de contrôle de puits et réactions aux déversements — Adopter une série de stratégies et de mesures prescrites de contrôle de puits conçues pour prévenir les accidents.
  • Respect des directives - Respecter diverses directives, notamment les Lignes directrices sur la sélection des produits chimiques pour les activités de forage et de production sur les terres domaniales extracôtières, des Directives sur le traitement des déchets extracôtiers, des Directives sur l’Environnement physique et des Drilling and Production Guidelines.
  • Respect des autres lois applicables — Se conformer aux exigences de toutes les autres législations et règlements applicables en cas de déversement, d’accident ou de défaillance.

Les principaux organismes de réglementation chargés de faire appliquer les exigences ci-dessus sont l’Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers et le ministère des Pêches et Océans Canada, bien que l’Agence d’évaluation d’impact (l’Agence) soit responsable de définir la conformité aux fins du Règlement.

En outre, l’annexe 2 prescrit les exigences relatives à la « consultation » du promoteur avec les parties prenantes et les groupes autochtones. Chaque fois que la « consultation » est requise par le Règlement, le promoteur doit :

  • fournir à chaque partie des informations sur les questions à consulter « dans un délai qui permet à la partie ou aux parties consultées de préparer leurs points de vue et renseignements »
  • tenir compte de toutes les opinions et renseignements présentés par chaque groupe
  • renseigner, en temps opportun, chaque groupe sur la façon dont leurs points de vue et renseignements ont été pris en compte.

Pour les groupes autochtones, le promoteur doit également procéder à des consultations préalables sur la façon dont les consultations susmentionnées seront effectuées.

Incidences pour les promoteurs

En ce qui concerne le Règlement, il doit être considéré comme une étape positive pour les entreprises intéressées par le développement de projets au large de Terre-Neuve-et-Labrador, et plus généralement pour le développement des ressources au Canada. Le fait que le Règlement s’appuie sur des études antérieures pour simplifier le processus réglementaire pour les nouveaux projets réduira considérablement le processus réglementaire. Cela permettra également à l’Agence de concentrer ses ressources sur des projets dont les effets environnementaux sont moins bien compris ou ceux qui sont plus susceptibles d’avoir des impacts environnementaux et socio-économiques importants. Il s’agit d’un bon exemple de l’adaptation par le gouvernement du niveau de surveillance réglementaire d’une activité pour refléter le niveau de risque environnemental posé par cette activité. Nous encourageons le gouvernement fédéral à identifier des possibilités similaires ailleurs au Canada.

Toutefois, les promoteurs de programmes de forage exploratoire au large de Terre-Neuve-et-Labrador devront à l’avenir gérer certains nouveaux risques. Par exemple :

  • Si un grand nombre des exigences énoncées dans l’annexe 2 sont claires et normatives, d’autres peuvent donner lieu à de multiples interprétations ou à des constatations de non-respect par l’Agence.
  • L’exigence de consultation élargie engendre le risque qu’un groupe autochtone ou l’Agence prétendent que la consultation est inadéquate, avec pour conséquence que la dispense du Règlement ne s’applique pas.
  • Le Règlement ne prévoit pas ce qui se passe si un promoteur se conforme au Règlement, mais ne respecte pas par la suite l’une des conditions du Règlement une fois que le forage a été lancé.

Les promoteurs devront aborder et gérer avec soin chacune de ces questions afin de pouvoir bénéficier pleinement de la dispense prévue par le Règlement.

Contestation juridique du Règlement

Avant l’entrée en vigueur du Règlement, la Fondation Sierra Club Canada, le Fonds mondial pour la nature et le Ecology Action Centre (les « Demandeurs ») ont introduit une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale concernant l’Évaluation régionale (Dossier de la Cour fédérale T-541-20). Ils ont demandé une ordonnance pour annuler l’Évaluation régionale et pour interdire au ministre d’adopter le Règlement.

Les Demandeurs contestent l’Évaluation régionale au motif que le comité chargé de sa rédaction n’a pas rempli le mandat qui lui a été confié dans le cadre de la LEI. Les Demandeurs affirment que l’Évaluation régionale est déraisonnable et entachée de vices de procédure et qu’elle ne répond donc pas à la définition d’une « évaluation régionale » au sens de la LEI. En l’absence d’une « évaluation régionale » adéquate, les Demandeurs font valoir que le ministre n’avait pas l’autorité légale pour adopter le Règlement conformément à la section 112 (2) de la LEI. Parmi les autres recours, les Demandeurs demandent l’annulation de l’Évaluation régionale. Ils ont également introduit une requête urgente pour interdire au ministre d’adopter le Règlement.

Le 3 juin, la juge Roussel a rendu son jugement sur la demande d’injonction provisoire et la requête en radiation de la Couronne dans l’affaire Fondation Sierra Club Canada et al c. ministre du changement climatique du Canada et al, 2020 FC 663. Elle a rejeté la demande d’injonction, estimant que les Demandeurs n’avaient pas démontré que le fait de permettre au ministre de rédiger le Règlement causerait un préjudice irréparable. La Cour fédérale a également rejeté la requête de la couronne visant à annuler le contrôle judiciaire, rejetant l’argument de la Couronne selon lequel l’Évaluation régionale n’était pas soumise à un contrôle. La Cour fédérale a donc décidé que l’affaire serait soumise à un contrôle judiciaire dans le cours normal de ses activités.

Nous continuerons à suivre l’évolution de ce litige, car son issue influencera le développement extracôtier et le potentiel de réglementation intelligente dans tout le Canada.