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La Cour fédérale reconnaît que la Couronne a l'obligation de tenir une consultation sur les avantages économiques liés aux droits des Autochtones

Auteur(s) : Sean Sutherland, Maeve O'Neill Sanger, Martin Ignasiak, c.r., Martin Ignasiak, KC

Le 26 juillet 2021

Le 19 juillet 2021, la Cour fédérale du Canada a publié sa décision (disponible en anglais seulement) dans l'affaire Ermineskin Cree Nation and The Minister of Environment and Climate Change, the Attorney General of Canada and Coalspur Mines (Operations) Ltd., 2021 FC 758 (la décision). Dans sa décision, le juge Brown a conclu que le ministre de l'Environnement et du Changement climatique du Canada (le ministre) a illégalement omis de consulter les groupes autochtones avant de désigner, aux fins d’examen, les projets de charbon thermique Vista Test Underground Mine (VTUM) et de la phase II de Vista de Coalspur Mines (Operations) Ltd. (Coalspur) en vertu de la Loi sur l’Évaluation d'impact (la désignation). Par conséquent, le juge Brown a annulé la désignation.

La décision reconnaît expressément que la Couronne doit consulter les groupes autochtones qui détiennent des avantages économiques découlant des droits ancestraux ou étroitement liés à ces droits - y compris les prestations négociées qui seraient touchées défavorablement par la conduite de la Couronne, laquelle conduite serait susceptible de causer des retards ou des refus de projets. La reconnaissance par la Cour fédérale de l'obligation de la Couronne de consulter sur ces effets économiques a des conséquences importantes pour les promoteurs de projets et les groupes autochtones qui concluent des accords de prestations fondés sur les droits des Autochtones.

La décision

Contexte

Ermineskin est un signataire du Traité n° 6 qui exerce des droits autochtones protégés par la constitution dans des territoires traditionnels situés à proximité des projets VTUM et de la phase II de Vista[1].

En 2013 et en 2019, Ermineskin a conclu des accords de prestations avec Coalspur concernant les impacts potentiels de la phase I de Vista existante et de la phase II de Vista sur les droits des Autochtones de la bande Ermineskin (« Ermineskin »). Comme l'a reconnu le juge Brown, ces accords ont été conclus à la suite de consultations et ont procuré « [Traduction] de précieux avantages économiques, communautaires et sociaux à Ermineskin », lesquels étaient « [Traduction] destinés à compenser Ermineskin pour les impacts que le développement des ressources naturelles est susceptible de causer sur la capacité des membres d'Ermineskin à exercer leurs droits ancestraux dans leur territoire traditionnel. »[2]

Processus de désignation

La Loi l’Évaluation d'impact s'applique aux activités physiques qui entrent dans une catégorie de projets de la liste des projets établie en vertu d’un règlement ou qui sont « désignées » par le ministre, aux fins d’examen, du fait que la réalisation de l'activité physique peut entraîner des effets relevant d’un domaine de compétence fédérale qui sont négatifs ou des effets directs ou accessoires négatifs, ou que les préoccupations du public concernant ces effets le justifient. Une fois qu'un projet est désigné, il est interdit au promoteur d'exercer ces activités qui sont susceptibles d’avoir des effets relevant d’un domaine de compétence fédérale, tant que le processus d'évaluation fédéral n’est pas terminé.

En décembre 2019, le ministre a examiné les demandes visant à assujettir le projet de la phase II de Vista à un examen en vertu de la Loi sur l’Évaluation d'impact (Canada) et a refusé d’y donner suite. Cette décision était conforme à l'avis que le ministre a reçu de l'Agence canadienne d'évaluation d'impact (l'agence), laquelle avait été informée par les contributions de 31 groupes autochtones, dont Ermineskin.

Quelques mois plus tard, le ministre a reçu des demandes de groupes environnementaux et de deux groupes autochtones visant la désignation de la phase II de Vista et de VTUM. Contrairement à la phase II de Vista, VTUM se situe entièrement dans l'empreinte existante de la phase I de Vista. Une fois de plus, l'agence a recommandé de ne pas désigner ces projets, notamment parce que VTUM aurait, tout au plus, des incidences supplémentaires « négligeables ».

Cependant, contrairement à l'examen de la phase II de Vista quelques mois plus tôt, ni l'agence ni le ministre n'ont consulté Ermineskin ou d'autres groupes autochtones susceptibles d’être touchés. Au lieu de cela, l'agence et le ministre n'ont entendu que deux groupes autochtones ayant demandé la désignation de la phase II de Vista et de VTUM aux fins d’examen. En juillet 2020, malgré l'avis de l'agence et sans en aviser ni consulter Ermineskin, le ministre a fait volte-face et a décidé de désigner à la fois la phase II de Vista et VTUM.

En déclenchant le processus d'évaluation d’impact fédéral, la phase II de Vista risque d’accuser des retards importants, lesquels sont susceptibles de réduire à néant les intérêts économiques d’Ermineskin dans le projet.

Ermineskin et Coalspur ont tous deux déposé des demandes de contrôle judiciaire en contestation de la désignation. Un peu plus tard le même jour qu’il a rendu la décision (dans l’affaire Ermineskin), le juge Brown a déclaré que, comme il avait ainsi annulé la désignation, la constestation de la désignation par Coalspur était maintenant sans objet.

Principales conclusions sur l'obligation de consultation qui incombe à la Couronne

Le juge Brown a déclaré que la Couronne avait l’obligation de consulter Ermineskin à l’égard de la désignation, car cette désignation pourrait avoir une incidence défavorable sur les droits économiques d'Ermineskin. La Couronne a l'obligation de consulter Erminiskin, car les droits économiques de cette bande découlent de droits ancestraux et issus de traités ou y sont associés[3]. En particulier, l'objectif des accords de prestations est d'accorder des avantages économiques et communautaires en contrepartie des impacts potentiels sur les droits ancestraux et issus de traités[4].

Étant donné qu’« [Traduction] aucune consultation » n’a eu lieu, la Couronne a failli à son obligation de consultation[5].

Le ministre a fait valoir que la perte d’avantages économiques ne donnait pas lieu à une obligation de consultation, en l'occurrence parce que la désignation n'aura pas d'incidences défavorables sur les droits des Autochtones[6].

Le juge Brown a rejeté l’argument du ministre,[7] déclarant que la désignation pourrait toucher défavorablement les droits économiques précieux d’Ermineskin et, qu’en fait, ils le sont déjà en raison des retards occasionnés par cette désignation[8]. Contrairement à la position du ministre, selon laquelle les avantages économiques découlant des accords conclus entre Ermineskin et Coalspur étaient « spéculatifs » ou « indirects », et donc insuffisants pour déclencher une obligation de consultation[9], le juge Brown a estimé qu'un intérêt économique potentiel, qu’il soit ou non susceptible de se matérialiser (si le projet de la phase II de Vista va de l'avant) est suffisant pour déclencher l'obligation de consultation[10].

Les motifs du juge Brown soulignent la nature contemporaine et évolutive des droits des Autochtones et des obligations correspondantes de la Couronne, ainsi que l'importance de reconnaître les intérêts économiques des Autochtones dans le cadre du processus de réconciliation. En effet, le juge Brown a noté que l'obligation de consulter tient compte « [Traduction] de la réalité selon laquelle les peuples autochtones participent souvent à l'exploitation des ressources » et que « [Traduction] cela aussi fait partie du processus de réconciliation. »[11]

Ce que cela signifie pour les promoteurs de projets et les parties prenantes autochtones

La décision reflète une compréhension contemporaine et téléologique des droits ancestraux selon laquelle les intérêts économiques en font partie lorsqu’ils sont liés à l'exploitation des ressources qui a un impact sur ces droits. De plus, elle rejette une vision dualiste selon laquelle les droits des Autochtones entrent nécessairement en conflit avec les intérêts d'un promoteur.

En pratique, la décision confirme le droit des parties prenantes autochtones à être consultées chaque fois que la conduite de la Couronne peut avoir une incidence sur les intérêts économiques garantis par des accords qu’ils concluent avec des promoteurs, en reconnaissance des incidences potentielles sur leurs droits ancestraux et issus de traités. En outre, la décision indique clairement qu'une consultation « [Traduction] d’une seule partie » est inadéquate. La Couronne doit consulter les groupes autochtones qui sont susceptibles de tirer profit de l'exploitation des ressources et de la soutenir, et pas seulement les groupes qui s'y opposent.

Dans les mois à venir, cette obligation de consultation de la Couronne concernant les incidences sur les intérêts économiques devrait être au cœur du pourvoi à la Cour d'appel de l'Alberta à l’encontre de la décision de l'Alberta Energy Regulator (l'AER) de refuser les permis pour le projet de charbon à coke métallurgique de Grassy Mountain. En plus du promoteur du projet (Benga Mining Limited), deux groupes Autochtones avec lesquels Benga a conclu des accords de prestations ont demandé l’autorisation d’en appeler de la décision de l'ARE pour des motifs analogues à ceux décidés par le juge Brown.

Les conclusions de la décision du juge Brown accroissent la valeur du partenariat autochtone tant pour les promoteurs que pour les groupes autochtones et devraient favoriser la négociation et le partage des avantages économiques entre les promoteurs et les groupes autochtones potentiellement touchés. L'obligation de consultation de la Couronne en reconnaissance de tels accords est un domaine du droit en évolution qui a de profondes implications sur ce que signifie la réconciliation.


[1] Décision, paragraphe 4

[2] Décision, paragraphes 5 et 72

[3] Décision, paragraphes 8 et 9

[4] Décision, paragraphe 110, citant Conseil des Innus d'Ekuanitshit c. Canada (Pêches et Océans), 2015 CF 1298, paragraphes 176 et 177.

[5] Décision, paragraphe 129

[6] Décision, paragraphe 6

[7] Décision, paragraphes 7 à 10

[8] Décision, paragraphe 106

[9] Décision, paragraphe 113

[10] Décision, paragraphe 114

[11] Décision, paragraphe 87, citant Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, paragraphe 34.