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Nouvelle norme canadienne sur les combustibles propres – obligations pour les fournisseurs de combustibles liquides et possibilités pour les producteurs d’énergie à faible teneur en carbone

Auteur(s) : Jacob A. Sadikman, Sander Duncanson, Paula Olexiuk, Simon Baines, Jesse Baker, Lisa Rodríguez et Ashley Light

Le 6 juillet 2022

Le 20 juin 2022, la version finale du Règlement sur les combustibles propres[1] en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999)[2] a été enregistrée, donnant ainsi force de loi à la Norme sur les combustibles propres (NCP) du Canada. Une version préliminaire de la NCP (NCP proposée), dont il a été question dans un billet précédent sur notre blogue sur la transition énergétique au Canada (en anglais), avait été publiée en décembre 2020 pour solliciter les commentaires du grand publics. La version finale de la NCP a été publiée dans la Gazette du Canada le 6 juillet 2022; toutefois, elle est entrée en vigueur dès son enregistrement, à l’exception de deux articles abrogeant le Règlement sur les carburants renouvelables (RCR) préexistant, qui entreront en vigueur le 30 septembre 2024[3].

La NCP vise à réduire les émissions de carbone provenant de la teneur en carbone des combustibles fossiles liquides, principalement ceux utilisés dans les transports, et à stimuler l’innovation et la croissance économique dans le secteur des combustibles à faible teneur en carbone. Le gouvernement fédéral s’attend à ce que la NCP pousse les consommateurs à choisir des sources d’énergie à faible teneur en carbone comme carburant de transport (comme le biocarburant et l’électricité) en diminuant leur prix tout en augmentant le prix des combustibles fossiles liquides[4].

Ce bulletin d’actualités expose les obligations que la NCP impose aux « fournisseurs principaux » qui produisent ou importent au pays au moins 400 mètres cubes (m3) d’essence ou de diesel au cours d’une « période de conformité » (périodes de six mois en 2023, lorsque les obligations prennent effet, et années civiles par la suite)[5], et met en évidence les possibilités pour les producteurs d’énergie à faible teneur en carbone de générer des unités de conformité dans le cadre de ce nouveau régime.

Limites d’intensité en carbone pour les combustibles en vertu de la NCP

La NCP remplacera le RCR[6] établi en août 2010. Le RCR exige que les fournisseurs principaux aient un contenu renouvelable moyen d’au moins 5 % pour l’essence qu’ils produisent au Canada ou qu’ils importent, et de 2 % pour le carburant diesel (et le mazout de chauffage)[7]. La NCP maintient ces exigences volumétriques en plus des obligations mentionnées ci-dessous, ce qui signifie que les fournisseurs principaux doivent continuer à atteindre une teneur en carburant renouvelable d’au moins 5 % dans l’essence et 2 % dans le diesel qu’ils produisent au Canada ou qu’ils importent au cours d’une période de conformité[8].

Contrairement au RCR, la NCP exige des réductions de gaz à effet de serre (GES) sur la base du cycle de vie, en comptabilisant les émissions de la production à l’utilisation finale du carburant. Le NCP établit des limites de l’intensité carbone (IC) sur le cycle de vie pour chaque type de carburant (essence et diesel), exprimées en grammes d’équivalent dioxyde de carbone par mégajoule (gCO2e/MJ)[9]. Les fournisseurs principaux doivent abaisser l’indice de l’IC de l’essence et du diesel qu’ils produisent au Canada ou qu’ils importent conformément à ces limites. Plutôt que d’exiger de chaque fournisseur principal qu’il calcule l’IC actuelle de ses stocks d’essence et de diesel, la NCP établit une IC de référence pour chaque carburant[10]. Les fournisseurs principaux doivent abaisser l’IC de leurs propres stocks d’essence et de diesel d’un montant égal à la différence entre l’IC de référence pour ce carburant et la limite de l’IC pour la période de conformité correspondante[11]. Nous notons que la NCP proposée se serait appliqué au kérosène, au mazout léger, au mazout lourd et au carburéacteur en plus de l’essence et du diesel, mais ces combustibles ont été supprimés dans la version finale de la NCP. Le carburant produit au Canada qui est finalement exporté pour être utilisé dans un autre pays est également exempté de la NCP[12].

Les premières limites annuelles de l’IC sont de 91,5 gCO2e/MJ pour l’essence et de 89,5 gCO2e/MJ pour le diesel, pour l’année civile 2023[13]. D’après les IC de référence de 95 gCO2e/MJ pour l’essence et de 93 gCO2e/MJ pour le diesel[14], les fournisseurs principaux devront, en 2023, réduire de 3,5 gCO2e/MJ l’IC de l’essence et du diesel qu’ils produisent au Canada ou qu’ils importent. Les exigences de réduction augmenteront de 1,5 gCO2e/MJ par an jusqu’en 2030[15], ce qui représente un taux d’augmentation plus élevé que celui initialement prévu dans la NCP proposée[16].

Les fournisseurs principaux devront respecter leur exigence de réduction à l’échelle de l’entreprise, en fonction du volume total d’essence et de diesel qu’ils produisent au Canada ou qu’ils importent au cours d’une période de conformité donnée[17]. En d’autres termes, la NCP impose aux fournisseurs principaux de surveiller le volume total (m3) de leurs stocks d’essence ou de diesel pour calculer leur exigence de réduction. Ces stocks comprennent le combustible qui a été (i) expédié à partir de leurs installations de production de combustible, (ii) utilisé pour alimenter des équipements dans leurs installations de production de combustible et (iii) importé. Les fournisseurs principaux peuvent soustraire de ce stock le combustible vendu ou livré pour certaines utilisations (p. ex. le chauffage des locaux et la production d’électricité dans les zones mal desservies)[18]. Par conséquent, les fournisseurs principaux doivent tenir compte de l’utilisation finale prévue du combustible qu’ils vendent.

La NCP permet aux fournisseurs principaux de reporter jusqu’à cinq ans la satisfaction d’une petite partie de leurs exigences de réduction pour une période de conformité, sous réserve de certaines conditions[19].

Unités de conformité et marché des unités de conformité

Les fournisseurs principaux doivent réduire l’IC de leur carburant en utilisant des « unités de conformité »[20]. Chaque unité de conformité correspond à une réduction d’émissions d’une tonne d’équivalent CO2 (éq. CO2 ou CO2e) sur le cycle de vie pour la période de conformité applicable. Au cours de chaque période de conformité, les fournisseurs principaux doivent utiliser le nombre d’unités de conformité nécessaires pour satisfaire à leur exigence de réduction. Les unités de conformité peuvent être créées par les fournisseurs principaux ou leur être transférées par d’autres « créateurs enregistrés »[21]. Nous notons que les unités de conformité sont le seul mécanisme permettant aux fournisseurs principaux de se conformer à leur exigence de réduction. L’abaissement de l’IC réelle du combustible produit par un fournisseur principal n’a aucun effet sur son exigence de réduction, qui est basée sur une IC de référence déterminée.

Création d’unités de conformité

Tout créateur enregistré – y compris les fournisseurs principaux – peut générer des unités de conformité par le biais de mesures relevant des trois catégories principales suivantes[22] :

  1. Catégorie de conformité 1 : projets de réduction des émissions de CO2, comme des projets de captage et de stockage du carbone[23]
  2. Catégorie de conformité 2 : production ou importation de carburant à faible IC (c’est-à-dire un carburant dont l’IC est inférieure à la limite de l’IC applicable)[24]
  3. Catégorie de conformité 3 : changement de combustible par l’utilisateur final dans les transports (p. ex. un utilisateur final qui change ou modifie son véhicule pour qu’il soit alimenté par un carburant ou une source d’énergie à faible teneur en carbone)[25]

Pour la catégorie 3, l’exploitant d’un réseau de recharge de véhicules électriques (VE)[26] est l’une des entités qui peuvent créer des unités de conformité en remplaçant le carburant utilisé dans les transports. Toutefois, il ne peut le faire au cours d’une période de conformité que si la totalité des recettes qu’il reçoit du transfert des unités de conformité créées antérieurement est réinvestie dans l’expansion de l’infrastructure de recharge des VE ou dans la réduction du coût de la possession d’un VE (par des incitations financières à l’achat ou à l’utilisation d’un VE). Les recettes provenant des transferts d’unités de conformité doivent également être réinvesties dans les deux ans suivant la fin de la période de conformité au cours de laquelle les unités sont transférées[27].

Les créateurs enregistrés peuvent également générer des unités de conformité en réduisant l’IC des combustibles gazeux (par opposition aux combustibles liquides), au moyen de mesures semblables à celles énumérées dans les catégories 1 et 2 ci-dessus. Cela comprend les projets qui réduisent les émissions de combustibles gazeux tout au long de leur cycle de vie et qui favorisent les combustibles gazeux à faible IC (p. ex. le gaz naturel renouvelable, le biogaz, l’hydrogène, le propane renouvelable)[28]. Cependant, un fournisseur principal ne peut pas satisfaire à plus de 10 % de son exigence de réduction avec des unités de conformité dérivées de la réduction de l’IC de combustibles gazeux[29].

Seules les unités de conformité créées avant la fin d’une période de conformité peuvent satisfaire à l’exigence de réduction d’un fournisseur principal pour cette période de conformité, ce qui signifie que les créateurs enregistrés ne peuvent pas accumuler d’unités pour plus d’une période de conformité[30].

Conformité – marché des unités de conformité

La NCP contient des dispositions qui établissent un marché pour les unités de conformité, auquel peuvent participer à la fois les fournisseurs principaux et les autres créateurs enregistrés. En plus de fournir aux fournisseurs principaux d’autres options de conformité, ce marché permettra aux producteurs d’énergie à faible émission de carbone de générer des revenus en générant volontairement des unités de conformité et en les vendant sur ce nouveau marché du carbone.

Les fournisseurs principaux peuvent conclure des accords de création d’unités de conformité avec d’autres créateurs enregistrés – y compris les producteurs de biocarburants, les hôtes de sites de recharge de VE, les propriétaires/exploitants de stations-service et les entreprises en amont et en aval – en vertu desquels les fournisseurs principaux acquièrent les unités de conformité que produisent les créateurs enregistrés pendant une période de conformité[31]. Les fournisseurs principaux et autres créateurs enregistrés peuvent également transférer les unités de conformité qu’ils ont déjà créées à d’autres participants pour une « juste valeur marchande »[32].

Une autre option pour les créateurs enregistrés qui ont des unités de conformité excédentaires est de s’engager à transférer ces unités par le biais du « marché de compensation des unités de conformité », selon lequel les fournisseurs principaux qui ne peuvent pas satisfaire autrement à leurs exigences de réduction des IC doivent acquérir des unités de conformité par le biais du marché de compensation des unités de conformité à un prix qui ne peut pas dépasser le montant maximal fixé dans la NCP (300 $ par unité de conformité, ajusté en fonction de l’inflation), jusqu’à concurrence du montant nécessaire pour satisfaire à leur exigence de réduction[33].

Contrairement à d’autres marchés de crédits compensatoires, comme le régime du Technology Innovation and Emissions Reduction Regulations (TIER) en Alberta, le régime de la NCP permet aux activités de réduction des émissions dans un territoire de compétence d’être utilisées pour créer des unités de conformité pour les fournisseurs principaux dans un autre territoire. En fait, à la demande d’un créateur d’unités de conformité, le ministre peut reconnaître les projets de réduction des émissions de CO2dans d’autres pays pour les unités de conformité en vertu de la NCP si une entente est en place avec ce pays[34]. Cette caractéristique de la NCP éliminera l’un des principaux obstacles à un marché liquide que nous avons constaté dans d’autres régimes de crédits compensatoires, où l’offre de crédits compensatoires est limitée aux activités de réduction des émissions dans un seul territoire de compétence (p. ex. une province). Le régime de la NCP peut donc offrir plus d’options aux parties par rapport aux autres marchés de crédits compensatoires de conformité actuellement en vigueur au Canada.

D’autre part, le régime de la NCP peut inciter les producteurs potentiels de crédits compensatoires à créer des unités de conformité pour le régime de la NCP plutôt que pour d’autres (p. ex. le TIER) et réduire ainsi la disponibilité des crédits compensatoires dans le cadre d’autres régimes. La NCP peut également augmenter le fardeau administratif des producteurs de crédits compensatoires, car ces parties auront désormais un autre marché de crédits compensatoires à comprendre et respecter, ce qui pourrait accroître la fragmentation des marchés du carbone actuel au Canada.

Fonds aux fins de conformité

En tant qu’option de conformité provisoire supplémentaire, les fournisseurs principaux peuvent satisfaire jusqu’à 10 % de leur obligation annuelle de réduction de l’IC par des paiements dans un « fonds aux fins de conformité » enregistré à un prix fixé par tonne de CO2 (tCO2) (correspondant à une unité de conformité)[35]. Ce prix débutera à 350 $/tCO2[36]. Les unités de conformité obtenues en effectuant un paiement dans un fonds aux fins de conformité ne peuvent être échangées et doivent être utilisées aux fins de conformité au cours de la même période de conformité[37].

Le Canada tiendra une liste des fonds aux fins de conformité approuvés. Les fonds admissibles doivent utiliser les contributions pour financer des projets et des activités au Canada « qui appuient le déploiement ou la commercialisation de technologies ou de processus qui réduiront […] les émissions de CO2e » à court terme. D’autres critères d’admissibilité visent à garantir la transparence, la bonne gestion et l’indépendance des fonds[38].

Bien qu’il ne s’agisse que de l’une des nombreuses options de conformité offertes aux fournisseurs principaux dans le cadre de la NCP, le mécanisme des fonds aux fins de conformité permettra probablement d’augmenter le financement des technologies de réduction des émissions au Canada.

Observations finales

Les détails énoncés dans la NCP tant attendue aideront les fournisseurs de combustibles de tout le Canada à comprendre leurs obligations en vertu de ce nouveau régime, et les parties auront maintenant six mois pour le faire avant l’entrée en vigueur des obligations de conformité, en 2023. Les obligations des fournisseurs de combustibles dans le cadre de la NCP sont importantes, et ces entreprises devront gérer soigneusement leurs obligations à l’avenir pour assurer leur conformité au régime et leur compétitivité avec les autres fournisseurs de combustibles. Le nouveau régime de la NCP créera un nouveau marché de crédits compensatoires au Canada, qui sera essentiel à la conformité pour les fournisseurs de combustibles et qui pourrait devenir le marché le plus liquide de crédits compensatoires au Canada. Ce régime stimulera probablement les investissements dans les combustibles de remplacement à faible teneur en carbone et dans d’autres projets de réduction des émissions qui sont admissibles pour créer des unités de conformité en vertu de la NCP. 


[1] DORS/2022-140 [NCP].

[2] LC 1999, c 33.

[3] NCP, art. 176.

[4] NCP proposée, Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, Approche fondée sur le marché – Accroissement du prix de la tarification du carbone et Coûts et avantages, publiée le 19 décembre 2020 : Gazette du Canada, partie 1, vol. 154, no 51 : Règlement sur les combustibles propres (19 décembre 2020) en ligne : https://www.gazette.gc.ca/rp-pr/p1/2020/2020-12-19/html/reg2-fra.html [NCP proposée].

[5] NCP, paragr. 1(1) et 4(1). En 2023, il y aura deux périodes de conformité de six mois (du 1er janvier au 30 juin et du 1er juillet au 31 décembre). À partir de 2024, chaque période de conformité correspondra à une année civile complète.

[6] DORS 2010-189 [RCR].

[7] RCR, paragr. 5(1), 6(1) et 6(2).

[8] NCP, paragr. 6(1) et 7(1). Veuillez noter que ces exigences ne s’appliquent pas aux combustibles produits ou importés dans la province de Terre-Neuve-et-Labrador pour être utilisés dans cette province.

[9] NCP, paragr. 5(1).

[10] NCP, paragr. 5(3).

[11] NCP, paragr. 5(2). La formule utilisée pour calculer l’exigence de réduction d’un fournisseur principal se trouve à l’article 9.

[12] NCP, paragr. 4(2).

[13] NCP, paragr. 5(1).

[14] NCP, paragr. 5(3).

[15] NCP, paragr. 5(1).

[16] NCP proposée, paragr. 4(1).

[17] NCP, paragr. 8(1).

[18] NCP, paragr. 8(2).

[19] NCP, art. 16.

[20] NCP, art. 5(2).

[21] NCP, paragr. 11(1) et 11(2).

[22] NCP, paragr. 19(1) et 25(1).

[23] NCP, art. 30 à 40.

[24] Voir NCP, art. 94 à 97 pour les méthodes de quantification des unités de conformité pour les mesures de cette catégorie de conformité. Il est à noter qu’aux fins du calcul du nombre d’unités de conformité générées dans cette catégorie, l’IC des différents combustibles à faible IC est établie à l’annexe 1 de la NCP.

[25] Voir NCP, art. 98 à 104 pour les méthodes de quantification des unités de conformité pour les mesures relevant de cette catégorie de conformité.

[26] Défini comme « la personne qui exploite un système de communication qui collecte les données relatives à l’électricité fournie par une borne de recharge et qui est le propriétaire de ces données » : NCP, paragr. 1(1).

[27] NCP, paragr. 102 et 103.

[28] NCP, art. 20.

[29] NCP, paragr. 15(2) et 28(b).

[30] NCP, paragr. 11(3).

[31] NCP, art. 21 et 22.

[32] NCP, art. 105 à 109.

[33] NCP, art. 110 à 112.

[34] NCP, art. 38 et 39.

[35] NCP, paragr. 15(1), 19(2) et 118.

[36] NCP, paragr. 118(3) et 118(4).

[37] NCP, paragr. 19(2), art. 118, paragr. 119(1) et 119(2).

[38] NCP, paragr. 115(1) et 115(2).