Auteurs(trice)
Associé, Litiges
Chef: Droit pénal des affaires, Montréal
Avocat-conseil, Litiges, Toronto
Sociétaire, Litiges, Toronto
Le 9 juin 2025, le sous-procureur général des États-Unis a publié de nouvelles lignes directrices [PDF] régissant l’application de la Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) et les enquêtes criminelles connexes du département américain de la Justice (DOJ). Ces nouvelles lignes directrices font suite au décret pris par le président Trump le 10 février 2025, qui a « suspendu » l’application de la FCPA par le DOJ pendant 180 jours. Au cours de cette période, le procureur général des États-Unis a examiné toutes les enquêtes et mesures d’application actuelles de la FCPA afin, entre autres objectifs, de préserver les prérogatives du Président en matière de politique étrangère et d’émettre des lignes directrices ou des politiques à jour pour donner la priorité aux intérêts américains et à la compétitivité économique des États-Unis par rapport aux autres nations (comme nous l’avons déjà écrit). Ces lignes directrices suivent également la publication par le DOJ, le 12 mai 2025, de son White-Collar Enforcement Plan [PDF] (plan de lutte contre le crime en col blanc) et de sa politique révisée intitulée Corporate Enforcement and Voluntary Self-Disclosure Policy [PDF] (politique d’autodivulgation volontaire et d’application de la loi aux entreprises).
Les nouvelles lignes directrices laissent entrevoir que l’application de la FCPA se poursuivra bel et bien. Conjuguées au nouveau plan de lutte contre la corruption en col blanc du DOJ, elles semblent indiquer la poursuite des mesures américaines de lutte contre la corruption qui ciblent directement les entreprises étrangères, entraînant des conséquences importantes pour les entreprises canadiennes.
Résumé des nouvelles lignes directrices du DOJ relatives à la FCPA et du plan de lutte contre la corruption en col blanc
Les nouvelles lignes directrices [PDF] de la FCPA, présentées dans une note adressée au chef de la Criminal Division (division pénale) du DOJ, font d’abord écho aux sentiments exprimés dans le décret du président Trump, visant à limiter le fardeau excessif imposé aux entreprises américaines exerçant leurs activités à l’étranger et prévoyant des mesures coercitives contre les comportements qui minent directement les intérêts nationaux des États-Unis.
Elles établissent certains facteurs non exhaustifs clés que les procureurs sont désormais tenus de prendre en considération lorsqu’ils évalueront s’il y a lieu de poursuivre des enquêtes et des mesures d’exécution en vertu de la FCPA, qui seront appliqués à l’examen de toutes les enquêtes et mesures d’exécution existantes dans un délai de 180 jours. Ces facteurs englobent les suivants :
- Association avec des cartels et des organisations criminelles transnationales : Les procureurs ont reçu la directive de déterminer si l’inconduite alléguée est associée aux opérations criminelles d’un cartel ou d’une organisation criminelle transnationale (OCT), fait appel à des blanchisseurs d’argent ou à des sociétés fictives qui se livrent au blanchiment d’argent pour le compte d’un cartel ou d’une OCT, ou est liée à un employé d’une entité d’État ou à un autre représentant officiel étranger qui a reçu des pots-de-vin de la part d’un cartel ou d’une OCT. Cela fait suite au décret pris par le président Trump le 20 janvier 2025, qui a désigné certains cartels internationaux et autres organisations comme des « organisations terroristes étrangères ».
- Amélioration de la sécurité nationale des États-Unis : Les procureurs doivent concentrer leurs efforts d’application de la loi sur les « menaces les plus urgentes pour la sécurité nationale des États-Unis » qui résultent de pots-de-vin versés à des représentants officiels étrangers corrompus impliquant des infrastructures ou des actifs clés, en particulier dans les secteurs de la défense, du renseignement ou des infrastructures essentielles.
- Considérations relatives à l’application de la loi à l’étranger :D’après les lignes directrices, les procureurs doivent déterminer si les organismes étrangers d’application de la loi sont disposés à enquêter sur un cas d’inconduite et à intenter une poursuite en justice lorsqu’ils établissent l’ordre de priorité des cas. Comme nous l’avons déjà écrit, le Canada a une réputation historique de laxisme dans l’application des lois anticorruption, ce qui peut contribuer à la prise de décisions relatives aux poursuites.
- Impact sur les entreprises et les particuliers américains :Les procureurs doivent déterminer si l’inconduite alléguée a privé des entités ou des particuliers américains d’un accès équitable à la concurrence ou leur a causé un préjudice économique. Il convient de noter que cela reflète les préoccupations exprimées au moment de l’adoption de la FCPA et de la mise en œuvre ultérieure de la Convention de l’OCDE.
- Corruption du côté de la demande : Par ailleurs, les lignes directrices du DOJ font explicitement référence à l’application de la Foreign Extortion Prevention Act à la corruption du côté de la demande – lorsque des représentants officiels étrangers exigent ou acceptent des pots-de-vin – en enjoignant aux procureurs de déterminer si des entités ou des particuliers américains spécifiques et identifiables ont subi un préjudice à la suite de demandes de pots-de-vin faites par des représentants officiels étrangers (un vide qui perdure dans le domaine de la lutte mondiale contre la corruption).
- Priorité aux enquêtes sur les inconduites graves :Les procureurs doivent cibler les allégations d’inconduite qui comportent de solides indices d’intention frauduleuse liée à des personnes en particulier (pots-de-vin substantiels, tentatives prouvées et ingénieuses de dissimuler des pots-de-vin, comportement frauduleux dans une affaire de pot-de-vin, efforts visant à entraver la justice, etc.), plutôt que celles impliquant des pratiques commerciales courantes ou des cadeaux d’entreprise généralement reconnus de valeur négligeable.
Sur le plan de la procédure, les procureurs ont reçu la directive de faire diligence dans leurs enquêtes et de tenir compte des conséquences accessoires (comme la perturbation potentielle des activités licites) et de l’impact sur l’effectif d’une entreprise tout au long des enquêtes, et non seulement à l’étape de règlement.
Les nouvelles lignes directrices régiront toutes les enquêtes et mesures d’exécution actuelles et futures en vertu de la FCPA. De plus, toute nouvelle enquête et mesure d’exécution doit être expressément autorisée par le procureur général adjoint de la Criminal Division du DOJ (ou son suppléant) ou par un cadre du DOJ qui lui est supérieur.
Les nouvelles lignes directrices de la FCPA s’alignent également sur les directives précédentes du DOJ, qui accordent elles aussi la priorité aux intérêts commerciaux des États-Unis, à savoir :
- Le White-Collar Enforcement Plan [PDF] (plan de lutte contre le crime en col blanc) de la Criminal Division du DOJ, publié le 12 mai 2025, vise lui aussi à trouver un équilibre entre la lutte contre le crime en col blanc et les intérêts commerciaux et nationaux des États-Unis. Plus particulièrement, le plan indique que le DOJ accordera la priorité aux enquêtes et aux poursuites relatives aux crimes liés à la fraude commerciale et douanière, à la fraude qui victimise les investisseurs, les particuliers et les marchés américains (comme les combines à la Ponzi), aux sanctions, au blanchiment d’argent complexe, aux cartels et aux OCT (entre autres secteurs à incidence élevée), tout en allégeant le fardeau d’application de la loi qui pèse sur les entreprises américaines.
- Parallèlement au nouveau plan, le DOJ a également publié une version révisée du Corporate Enforcement and Voluntary Self-Disclosure Policy (CEP) [PDF] (politique d’autodivulgation volontaire et d’application de la loi aux entreprises), qui fournit des directives aux entités aux prises avec d’éventuelles enquêtes et mesures d’exécution du DOJ. Entre autres choses, le CEP décrit les résultats auxquels les entreprises peuvent s’attendre lorsqu’elles procèdent à une autodivulgation volontaire, notamment en confirmant qu’elles ne seront généralement pas poursuivies si elles répondent à d’autres critères (au lieu de faire l’objet d’une simple présomption d’absence de poursuite). Le CEP prévoit aussi (entre autres) que les entreprises qui répondent à certaines exigences de base (c.-à-d. qui procèdent à une autodivulgation volontaire à la Criminal Division, coopèrent pleinement, prennent rapidement les mesures appropriées pour remédier à la situation et n’ont pas de circonstances aggravantes) ne seront pas tenues de conclure un règlement, et précise les résultats pour les cas qui s’apparentent à une autodivulgation volontaire.
Répercussions pour les entreprises canadiennes
Historiquement, les mesures d’exécution les plus importantes en vertu de la FCPA, sur le plan tant de la portée que des sanctions pécuniaires, ont visé des entreprises étrangères, comme l’indique explicitement le DOJ dans son nouveau mémoire sur la FCPA. Il est peu probable que la situation change après les récentes directives au sujet de la FCPA. Les entreprises doivent s’attendre à ce que la tendance se maintienne : les mesures prises par le DOJ pour faire respecter la FCPA et aboutir la lutte contre le crime en col blanc cibleront sensiblement – et, dans l’avenir, principalement – les entités et les personnes physiques étrangères.
Parallèlement, les directives du DOJ laissent entrevoir des risques accrus dans les secteurs réputés impliquer la sécurité nationale des États-Unis (défense, renseignement et infrastructures) ou dans les territoires sérieusement menacés par les cartels et les OCT. Les entreprises canadiennes qui mènent des activités à l’étranger dans un pays ciblé par un décret qui traite de ces risques ou dans un secteur qui les court doivent être particulièrement attentives à la nouvelle approche en matière d’application de la loi.
Toute entreprise canadienne – surtout si elle exerce des activités internationales – doit continuer d’être pleinement consciente des risques de conformité et juridiques que présentent les comportements corrompus et de veiller à ce que son cadre de conformité soit suffisamment solide pour résister à un examen potentiellement plus approfondi de la part des autorités américaines. Il est également interdit aux entreprises canadiennes de verser des pots-de-vin à des étrangers aux termes de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers (LCAPE) et de corrompre des personnes au pays aux termes du Code criminel. Aux termes de la LCAPE, les citoyens canadiens, les résidents permanents et les entités constituées en vertu des lois du Canada ou d’une province qui ont déjà été jugés et traités hors Canada pour une infraction de corruption commise hors Canada (p. ex., à la FCPA) peuvent généralement invoquer la défense du double péril lorsqu’ils sont accusés de la même infraction au Canada visée par la LCAPE.
Pour réagir concrètement aux tendances du Canada en matière d’application de la loi et aux nouvelles lignes directrices de la FCPA des États-Unis, les entreprises canadiennes doivent veiller à maintenir des contrôles internes solides afin de déceler et de corriger les inconduites individuelles.