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De la consultation au consentement : l’intégration de la DNUDPA dans le droit canadien De la consultation au consentement : l’intégration de la DNUDPA dans le droit canadien

7 mars 2025 7 MIN DE LECTURE

Dans l’affaire Première Nation de Kebaowek c. Laboratoires nucléaires canadiens, 2025 CF 319, la Cour fédérale du Canada a conclu que l’intégration de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (la DNUDPA) dans le droit canadien (par le biais de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (la LDNU)) constituait un facteur contextuel qui accroit l’obligation de consulter dans les circonstances.

L’affaire concerne la décision de la Commission canadienne de sûreté nucléaire (la CCSN) qui autorisait la construction d’une installation de gestion des déchets près de la surface (l’IGDPS) sur le site des Laboratoires de Chalk River. La Première Nation de Kebaowek a demandé un contrôle judiciaire parce que, selon elle, la CCSN n’avait pas correctement pris en compte la DNUDPA et la LDNU dans son processus de consultation. La Cour a conclu, entre autres,que l’intégration de la DNUDPA dans le droit canadien renseignait sur la portée et le contenu de l’obligation de consulter et d’accommoder, et donc sur la détermination du caractère approprié de la consultation.

Le contexte

La Première Nation de Kebaowek a contesté la décision de la CCSN accueillant la demande de modification du permis d’exploitation de Laboratoires nucléaires canadiens (LNC) afin que soit autorisée la construction d’une IGDPS. L’installation proposée permettrait de stocker les déchets nucléaires de faible activité générés au cours des 75 dernières années. LNC a entamé des discussions avec la Première Nation de Kebaowek à l’été 2016, a présenté sa demande de modification de permis à la CCSN en mars 2017 et a finalement obtenu la modification du permis en janvier 2024.

L’affaire portait sur plusieurs questions, notamment les suivantes :

  1. la question de savoir si la CCSN avait compétence pour tenir compte de la DNUDPA et de la LDNU dans son processus décisionnel
  2. la question de savoir si la Couronne s’était acquittée de son obligation de consulter et d’accommoder envers la Première Nation de Kebaowek à la lumière de l’intégration de la DNUDPA dans le droit canadien

La Première Nation de Kebaowek a fait valoir principalement que la CCSN n’avait pas correctement pris en compte la DNUDPA en tant que facteur contextuel pour évaluer le processus de consultation mené par la Couronne.

L’analyse de la Cour

La Cour fédérale a commencé son analyse par la norme de contrôle. Elle a déterminé que la question concernant la compétence et celle concernant l’obligation de consulter et d’accommoder étaient toutes deux des questions constitutionnelles ou des questions générales de droit d’une importance capitale qui exigeaient la norme de la décision raisonnable[1]. La Cour a estimé que la CCSN avait commis une erreur en concluant qu’elle n’avait pas compétence pour examiner l’applicabilité de la DNUDPA et de la LDNU. Elle a souligné qu’un tribunal administratif possédant le pouvoir de trancher des questions de droit pouvait résoudre une question constitutionnelle se rapportant à une affaire dont il est saisi. En omettant de trancher ces questions, la CCSN avait commis une erreur de droit[2].

Après avoir examiné la jurisprudence relative à l’obligation de consulter, la Cour s’est penchée sur la DNUDPA et sur la manière dont ses principes devaient être interprétés à la lumière de la jurisprudence relative à l’obligation de consulter. Dans les circonstances de la présente affaire, la Cour a noté que le processus de consultation de la CCSN ne prenait pas suffisamment en compte les principes de la DNUDPA et, en particulier, la norme du « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause » (le CPLCC) énoncée au paragraphe 29(2) de la DNUDPA. La Cour a précisé que, s’il ne s’agissait pas d’un droit de veto ou d’un droit à un résultat donné[3], le CPLCC constituait un droit à un processus rigoureux qui tend vers la conclusion d’un accord mutuel.

Comparant la question concernant l’obligation de consulter et d’accommoder et celle concernant le CPLCC, la Cour a noté que les éléments qui soulèvent ces questions étaient similaires, mais qu’il existait d’importantes distinctions entre les deux notions. Tout d’abord, la jurisprudence et la doctrine internationales définissent le CPLCC comme une norme « unique » et universelle, alors que l’obligation de consulter et d’accommoder se rapporte au contexte et s’inscrit dans un continuum. L’autre distinction entre le CPLCC et l’obligation de consulter et d’accommoder concerne les limites au droit en question. La Cour a accepté l’argument de la Première Nation de Kebaowek selon lequel « il serait erroné de soutenir que la portée et le contenu de l’obligation de consulter et d’accommoder se réduisent aux seules obligations découlant de l’article 35 issues de la common law, et, du fait de l’intégration de la DNUDPA dans le droit canadien, il en faut désormais plus ».

La Cour a noté que les principes de la DNUDPA fournissent un cadre permettant de comprendre et de mettre en œuvre l’obligation de consulter et d’accommoder, et, en particulier, de garantir que les points de vue autochtones sont pris en compte de manière significative dans les processus décisionnels. Cette interprétation est conforme à l’esprit de la réconciliation et à la reconnaissance continue des droits des Autochtones dans le cadre juridique canadien.

En fin de compte, la Cour a estimé qu’en omettant de prendre en compte la DNUDPA en tant que facteur contextuel pour évaluer le caractère approprié de la consultation menée par la Couronne, la Commission avait commis une erreur de droit. L’IGDPS relève du paragraphe 29(2) de la DNUDPA et déclenche la norme de CPLCC qui, sans être un droit de veto, exige un processus important et rigoureux qui tient compte du droit, du savoir et des pratiques des nations autochtones touchées. Dans cette affaire, la Cour a estimé que le refus de la Commission et de la CCSN de modifier leurs processus pour répondre aux demandes d’accommodement de Kebaowek n’était pas raisonnable. Elle a accueilli le contrôle judiciaire en partie et renvoyé la décision devant la CCSN pour que celle-ci approfondisse son examen[4].

Points à retenir

La décision dans l’affaire Première Nation de Kebaowek est importante. Comme l’a noté la Cour, nulle part dans la jurisprudence canadienne il n’est indiqué comment les principes de la DNUDPA devraient être interprétés ni comment ils peuvent aider à l’interprétation des lois canadiennes. Cette décision est l’une des premières à établir comment la DNUDPA, telle qu’elle a été intégrée dans les lois fédérales par le biais de la LDNU, peut être utilisée comme aide à l’interprétation. À cet égard, la Cour a déclaré ce qui suit :

  1. les décideurs de la Couronne doivent tenir compte des principes de la DNUDPA dans le cadre de toute obligation de consultation
  2. dans certaines circonstances, la DNUDPA peut imposer à la Couronne des obligations de consultation accrues

Le lendemain de la publication de la décision dans l’affaire Première Nation de Kebaowek, la Cour fédérale a rendu sa décision dans l’affaire Concerned Citizens of Renfrew County c. Laboratoires nucléaires canadiens, 2025 CF 334, qui concernait également l’approbation du projet d’IGDPS de la CCSN. Même si elle ne concernait pas spécialement les droits des Autochtones, cette affaire portait également sur l’examen du processus décisionnel de la CCSN à l’égard du projet d’IGDPS. Dans l’affaire Concerned Citizens, les demandeurs ont fait valoir que, en ce qui concerne les limites de dose des déchets radioactifs, les critères de vérification des déchets et les effets sur l’environnement, l’évaluation par la CCSN était inadéquate. La Cour fédérale a conclu que la décision de la Commission était justifiée et raisonnable, soulignant l’expertise de la CCSN et l’examen approfondi du dossier. Confirmant la décision de la CCSN, la Cour a noté que la Commission avait correctement pris en compte les effets possibles sur l’environnement et avait mis en place des mécanismes de surveillance appropriés.


[1] Arrêt Vavilov, par. 17; voir également l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, par. 62–64, et l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, par. 8.

[2] Arrêt R c. Conway, 2010 CSC 22, par. 78, et arrêt Mason c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21, par. 39–44, 47, 117.

[3] Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme et des libertés fondamentales des populations autochtones, CDHNU, 2009, 12e session, Doc NU A/HRC/12/34, par. 46.

[4] La « Commission » lorsqu’il est question du tribunal; la « CCSN » lorsqu’il est question de l’organisation.