136 pays du Cadre inclusif de l’OCDE et du G20 approuvent la solution à deux piliers pour la réforme fiscale internationale

12 Oct 2021 14 MIN DE LECTURE

Le paysage fiscal international de certaines entreprises multinationales (EMN) évoluera – probablement. Toutefois, il reste à régler certains détails et à surmonter l’incertitude politique (en particulier aux États-Unis) pour parvenir à un accord qui vise la perception annuelle d’environ 150 milliards de dollars américains auprès d’EMN et une nouvelle répartition des droits d’imposition supplémentaires aux juridictions du marché.

L’OCDE et le G20 ont travaillé au cours des deux dernières années sur une approche à deux piliers pour la réforme fiscale internationale afin de régler la taxation de l’économie numérique et des questions non résolues dans le cadre du projet BEPS (érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices). Le 8 octobre 2021, 136 pays du Cadre inclusif de l’OCDE et du G20 ont annoncé avoir approuvé cette solution reposant sur deux piliers [PDF] (la Déclaration). La Déclaration confirme en grande partie les éléments énoncés dans leur déclaration du 1er juillet 2021, mais elle comprend quelques ajouts. De nombreux autres détails restent à préciser. Pour en savoir davantage sur la Déclaration du 1er juillet 2021, consultez notre bulletin d’actualités Osler et nos observations présentées à l’OCDE [PDF] sur les rapports directeurs sur les piliers un et deux.

Les modifications prévues dans le cadre du pilier un s’effectueront principalement par l’élaboration d’une Convention multilatérale qui sera signée au milieu de 2022 et entrera en vigueur en 2023. Les règles visant à donner effet aux modifications prévues aux termes du pilier deux doivent être élaborées d’ici la fin de novembre 2021, de plus, un instrument multilatéral supplémentaire sera mis sur pied d’ici la moitié de 2022, ainsi qu’un cadre de mise en œuvre d’ici la fin de 2022.

Pilier un

Les trois éléments clés du pilier un demeurent les mêmes : un nouveau droit d’imposition permettant aux juridictions de marché (où les clients sont situés) d’obtenir une part des bénéfices résiduels d’une EMN (un « Montant A »), le calcul d’un rendement fixe pour certaines activités de marketing et de distribution de base dans les territoires où une EMN a une présence physique (le « Montant B »), et des mécanismes de prévention et de règlement des différends (appelés « Certitude fiscale » par l’OCDE).

Le champ d’application pour les EMN ciblées reste le même que celui annoncé précédemment en juillet 2021 et est axé sur les EMN les plus grandes et les plus rentables (le concept qui prévoyait d’appliquer les règles uniquement aux entreprises numériques ou aux entreprises en contact direct avec les consommateurs a été abandonné). Les règles suivantes s’appliquent (les trois premières sont les mêmes que dans la Déclaration de juillet 2021) :

  • Les EMN seront couvertes si leur chiffre d’affaires mondial dépasse 20 milliards d’euros et leur rentabilité est supérieure à 10 %, sachant que le seuil de chiffres d’affaires sera abaissé à 10 milliards d’euros, sous réserve d’une mise en œuvre réussie (déterminée 7 à 8 ans après l’entrée en vigueur du pilier un), notamment en ce qui concerne la sécurité juridique en matière fiscale pour le montant A.
  • Les bénéfices et les pertes seront déterminés en se référant au résultat comptable, moyennant quelques rajustements. Les pertes seront reportées (bien qu’il ne soit pas clair si la période de report sera indéfinie).
  • Une segmentation sera limitée aux circonstances exceptionnelles où, en se fondant sur les segments communiqués dans les états financiers, un segment respecte les règles relatives au champ d’application.
  • Vingt-cinq pour cent du bénéfice résiduel (défini comme le bénéfice au-dessus d’un seuil de 10 %) sera attribué aux juridictions de marché qui satisfont au critère du nexus (mesuré à partir d’une clé de répartition fondée sur le chiffre d’affaires). La Déclaration de juillet 2021 indiquait une fourchette de 20 à 30 %.

La règle spéciale de nexus demeure la même que celle qui a été annoncée précédemment et elle permettra de déterminer si une EMN a un lien suffisant pour que le montant A soit calculé pour cette juridiction – au moins 1 million d’euros de recettes dans cette juridiction (ou 250 000 euros pour les juridictions dont le PIB est inférieur à 40 milliards d’euros).

Cependant, la Déclaration ne contient aucune indication supplémentaire sur la façon de calculer la source de revenus, mais on y fait mention que des règles détaillées seront élaborées.

Le régime de protection annoncé précédemment applicable aux bénéfices issus d’activités de commercialisation et de distribution, qui devait s’appliquer lorsque les bénéfices résiduels d’une EMN couverte sont déjà imposés dans une juridiction de marché, est toujours prévu par le cadre, mais aucun autre détail n’a été fourni à ce sujet.

L’élimination de la double imposition se fondera sur la méthode de l’exemption ou de l’imputation – l’entité (ou les entités) qui supportera la charge fiscale pour le Montant A sera celle qui réalise un bénéfice résiduel.

La Déclaration ne fournit pas plus de détails sur les mécanismes obligatoires et contraignants de prévention et de règlement des différends envisagés pour éviter la double imposition au titre du Montant A. La Déclaration confirme que le mécanisme de prévention et de règlement des différends sera facultatif pour les pays en développement qui sont admissibles au report de leur examen par les pairs au titre de l’Action 14 de la BEPS et dont le nombre de cas soumis à la procédure amiable est faible ou nul.

L’avantage prévu pour les EMN par ce nouveau cadre est que la Convention multilatérale exigera des pays qu’ils éliminent toutes les taxes sur les services numériques, ainsi que d’autres mesures semblables pertinentes, et qu’ils s’engagent à ne pas introduire de telles mesures dans l’avenir. Les parties se sont engagées à ne pas imposer de nouvelles taxes sur les services numériques ou autres mesures semblables pertinentes à compter du 8 octobre 2021 jusqu’au 31 décembre 2023 ou à la date d’entrée en vigueur de la Convention multilatérale, selon la date la plus rapprochée. Les détails sur les taxes comprises dans la définition de « taxe sur les services numériques » ne sont pas fournis et le calendrier et la méthode d’élimination des taxes existantes ne sont pas précisés.

Peu de temps après la publication de la Déclaration, la vice-première ministre et ministre des Finances du Canada, Chrystia Freeland, a déclaré ce qui suit : « [A]fin de protéger les intérêts des Canadiens en toute circonstance », le gouvernement canadien a l’intention de proposer la taxe sur les services numériques présentée dans son budget 2021 (qui sera perçue dès le 1er janvier 2024). Cependant, la ministre a reconnu que la taxe ne serait appliquée que si la proposition de l’OCDE et du G20 n’était pas mise en œuvre, notant ce qui suit : « [N]ous espérons sincèrement que la mise en œuvre en temps voulu du nouveau système international rendra ce processus inutile. » La loi qui permettra de mettre en œuvre une taxe sur les services numériques du Canada entrera en vigueur en 2021, de sorte que la taxe s’appliquera rétroactivement au 1er janvier 2022, si l’accord international n’a pas encore pris effet en date du 1er janvier 2024.

Tous les regards seront tournés vers les États-Unis afin de surveiller s’ils auront la volonté et la capacité de mettre en œuvre les propositions du pilier un en temps opportun. Bien que l’administration américaine actuelle ait appuyé les propositions, il sera probablement difficile de les faire adopter par le Congrès américain. Si les États-Unis décident de ne pas approuver les propositions, le risque d’échec de l’accord international augmentera de façon considérable.

Pilier deux

Les propositions du pilier deux (également appelées « proposition de règles de lutte contre l’érosion de la base d’imposition » ou « GloBE ») demeurent en grande partie les mêmes qu’en juillet 2021, à l’exception de quelques détails qui ont été ajoutés ou modifiés légèrement. Voici une description des propositions.

  • Deux règles nationales :
    • la règle d’inclusion du revenu (RDIR) imposerait un impôt courant sur le revenu d’une entité étrangère contrôlée (ou d’une succursale étrangère) si ce revenu était autrement assujetti à un taux d’imposition effectif en deçà d’un certain taux minimum;
    • la règle relative aux paiements insuffisamment imposés (RPII), selon laquelle toute déduction serait refusée ou un rajustement équivalent serait nécessaire pour les paiements ayant pour effet d’éroder la base d’imposition, à moins que les paiements ne soient assujettis à un impôt de taux égal ou supérieur à un taux minimum précisé dans le territoire du destinataire;
  • une règle conventionnelle, appelée la règle d’assujettissement à l’impôt (RAI), qui veillerait à ce que les avantages prévus par les conventions pour certains paiements entre parties liées (plus particulièrement en ce qui concerne les intérêts et les redevances) qui sont assujettis à un taux d’imposition en deçà du taux minimum d’imposition précisé dans la juridiction du destinataire. La Déclaration précise également que les impôts visés par la RAI seront crédités en vertu des règles GloBE.

Alors que la Déclaration précédente indiquait que le taux d’imposition minimum mondial serait d’au moins 15 % et serait déterminé pays par pays, la nouvelle Déclaration confirme que le taux sera de 15 %. (Il s’agissait d’une concession nécessaire pour rallier l’Irlande aux propositions.)

La Déclaration envisage que le pilier deux aura le statut d’une « approche commune », ce qui signifie que les membres ne seront pas tenus d’adopter les mesures du pilier deux, mais s’ils décident de les adopter, ils mettront en œuvre et administreront les règles d’une manière qui permettra d’atteindre les résultats attendus aux termes du pilier deux. Si une EMN n’est pas soumise à un taux minimum convenu dans un pays en particulier, un autre pays (p. ex., où une société mère est située) aurait alors le droit de prélever un impôt supplémentaire à la société mère pouvant aller jusqu’au taux minimum.

En ce qui concerne le champ d’application du pilier deux, la Déclaration confirme ce qui suit :

  • les nouvelles règles s’appliqueront aux EMN qui atteignent le seuil de 750 millions d’euros utilisé aux fins de la déclaration pays par pays. Les pays sont libres d’assujettir à la RDIR les EMN ayant leur siège social dans leur pays, même si celles-ci n’atteignent pas le seuil.
  • Il y aura une exclusion fondée sur des critères de substance et reposant sur une formule qui excluront un montant de revenu représentant 5 % de la valeur comptable des actifs corporels et de la masse salariale dans une juridiction, et une exclusion de minimis (pour les EMN dont les revenus sont inférieurs à 10 millions d’euros et les bénéfices sont inférieurs à 1 million d’euros). Une période de transition de 10 ans exclura 8 % de la valeur comptable des actifs corporels et 10 % de la masse salariale, diminuant annuellement de 0,2 point de pourcentage pendant les cinq premières années, et de 0,4 point de pourcentage pour les actifs corporels et de 0,8 point de pourcentage pour la masse salariale pendant les cinq dernières années. De plus, une exception sera prévue pour les revenus issus du transport international.
  • Une exclusion à la RPII pendant cinq ans pour les EMN dans la phase initiale de leurs activités internationales, définies comme les EMN qui ont un maximum de 50 millions d’euros d’actifs corporels à l’étranger et qui mènent des activités dans tout au plus cinq autres juridictions.

Des exclusions sont envisagées pour les entités gouvernementales, les organisations internationales, les organismes à but non lucratif, les fonds de pension et les fonds d’investissement qui sont l’entité mère ultime du groupe ou de toute structure de détention utilisée par ces entités, organisations ou fonds.

Selon la Déclaration, le calcul du taux d’imposition effectif dans une juridiction (qui déterminera l’application du pilier deux) utilisera une définition commune des impôts couverts et une base d’imposition déterminée par référence au résultat comptable (avec des ajustements correspondants aux objectifs de politique fiscale poursuivis par le pilier deux et des mécanismes afin de remédier aux différences temporelles).

La Déclaration a également précisé que le taux minimum pour la RAI sera de 9 % (la déclaration précédente avait indiqué une fourchette de 7,5 % à 9 %).

Bien que la Déclaration reconnaisse la nécessité de clarifier les liens entre les règles GloBE et le régime GILTI des États-Unis, les détails concernant la manière dont les règles coexisteront restent en suspens. Ces détails sont nécessaires pour régler des questions importantes telles que la détermination du régime qui aura la priorité, par exemple, lorsqu’une filiale faiblement imposée est détenue par une société américaine qui, à son tour, est détenue par une société dans une juridiction qui adopte le pilier deux.

Prochaines étapes

La Déclaration contient une annexe qui présente le calendrier de mise en œuvre des deux piliers qui doit être ratifié par les dirigeants du G20 à Rome, à la fin du mois d’octobre 2021.

Pilier un

La Convention multilatérale énoncera les règles nécessaires pour déterminer et attribuer le montant A et éliminer la double imposition, ainsi que le processus administratif simplifié, le processus d’échange de renseignements et les processus de prévention et de résolution des différends.

La Convention multilatérale sera complétée par une note explicative qui décrira l’objectif et le fonctionnement des règles et des processus.

Le Cadre inclusif de l’OCDE et du G20 a comme objectifs de finir la rédaction de la Convention multilatérale et de la note explicative avant le début de 2022 et de tenir une cérémonie de signature d’ici la moitié de 2022, et prévoit l’entrée en vigueur de la Convention multilatérale en 2023, une fois que le seuil critique de territoires l’ayant ratifiée aura été atteint.

La Déclaration reconnaît que des modifications à la législation nationale peuvent être nécessaires pour mettre en œuvre les propositions du pilier un. Des règles modèles (accompagnées d’un commentaire) seront élaborées d’ici le début de 2022.

Pilier deux

Des règles modèles visant à donner effet aux règles nationales GloBE et à la RAI seront élaborées d’ici la fin de novembre 2021.

Un instrument multilatéral (IM) sera élaboré d’ici la moitié de 2022 pour faciliter la mise en œuvre de la RAI dans les traités bilatéraux pertinents.

D’ici la fin de 2022, un cadre de mise en œuvre sera élaboré pour faciliter la mise en œuvre coordonnée des règles GLoBE. Ce cadre de mise en œuvre couvrira les procédures administratives convenues (p. ex., les obligations de dépôt détaillées et les processus d’examen multilatéral) et les régimes de protection visant à faciliter à la fois la conformité des EMN et l’administration par les autorités fiscales, et peut comprendre une convention multilatérale afin d’assurer une meilleure coordination et une mise en œuvre uniforme des règles GLoBE.

Pour plus de renseignements sur ces développements en matière de fiscalité internationale et leur incidence sur les entreprises canadiennes (ou d’autres questions fiscales), veuillez communiquer avec un membre du groupe de droit fiscal d’Osler.