Auteurs(trice)
Associé, Droit des sociétés, Toronto
Associé, Droit des sociétés, Toronto
Coprésident national, Toronto
Cet article décrit quelques-uns des développements juridiques principaux au Canada en matière de fusions et acquisitions publiques et de courses aux procurations en 2019.
Offres d’achat restreintes
Une offre d’achat restreinte est une offre visant l’acquisition de moins de 20 % des actions d’une catégorie auprès d’un émetteur qui n’est pas assujetti aux règles formelles en matière d’offre publique d’achat. Les offres d’achat restreintes ne sont pas assujetties à une réglementation particulière en matière d’offres publiques d’achat en vertu des lois sur les valeurs mobilières. Les initiateurs ont par conséquent théoriquement une latitude considérable à l’égard de la façon de structurer les offres d’achat restreintes.
Au cours de la dernière année, des actionnaires dissidents se sont servis des offres d’achat restreintes dans le but de perturber deux opérations de fusion et acquisition marquantes. En août 2019, The Catalyst Capital Group Inc. (Catalyst) a acquis près de 18,5 millions d’actions ordinaires de la Compagnie de la Baie d’Hudson (la Baie) aux termes d’une offre d’achat restreinte, représentant environ 10,05 % des actions ordinaires émises et en circulation de la Baie. L’offre de Catalyst visait environ 19,8 millions d’actions au prix de 10,11 $ l’action. Le prix de l’offre de Catalyst était conditionnel à la proposition de retirer la Baie de la cote au prix de 9,45 $ l’action d’un groupe dirigé par Richard Baker, président de la Baie, qui possédait environ 57 % de la Baie. Le groupe Baker a depuis conclu un accord pour retirer la Baie de la cote au prix de 10,30 $ l’action.
Groupe Mach Acquisition Inc. (Mach) a aussi fait une offre d’achat restreinte en août 2019 afin d’acquérir 19,5 % des actions à droit de vote de catégorie B de Transat A.T. Inc. (Transat) au prix de 14 $ l’action. Mach a fait son offre dans le cadre d’une tentative expresse de voter contre la proposition d’Air Canada d’acquérir Transat au prix de 13 $ l’action.
Aux termes de celle-ci, l’offre de Mach a seulement été faite aux actionnaires à la date de clôture des registres aux fins d’une assemblée des actionnaires de Transat afin d’approuver l’opération d’Air Canada et demeurait uniquement ouverte pendant 11 jours. Si l’offre s’avérait sursouscrite, les actions devaient alors être prises au prorata en fonction du nombre d’actions déposées. Fait intéressant, et ce qui est plus controversé, l’offre stipulait également que Mach aurait le droit de voter et d’exercer des droits à la dissidence à l’égard de toutes les actions déposées sans ajustement au prorata. De plus, Mach avait le droit de retirer son offre et de ne pas prendre livraison des actions, même si elle avait déjà exercé son droit de vote rattaché aux actions contre l’opération d’Air Canada ou exercé ses droits à la dissidence.
Transat a fait une demande auprès du Tribunal administratif des marchés financiers du Québec (le Tribunal) contestant l’offre d’achat restreinte de Mach au motif qu’elle était abusive et contraire à l’intérêt public. Les juges administratifs majoritaires ont estimé que l’offre d’achat restreinte était abusive. Il a interdit à Mach d’acquérir des actions aux termes de l’offre et d’utiliser les procurations reçues par Mach suivant le dépôt des actions en réponse à celle-ci. Peu de temps après la décision du Tribunal, Air Canada a accru son offre d’acquérir Transat à 18 $ l’action et l’opération a subséquemment été approuvée par les actionnaires.
Le fait que l’offre d’achat restreinte de Catalyst ait été autorisée indique que les offres d’achat restreintes ne sont pas illégales ou contraires à l’intérêt public lorsqu’elles sont structurées de manière appropriée. Les offres d’achat restreintes peuvent constituer une tactique légitime à l’égard de la contestation d’une opération ou d’une tentative de gagner une course aux procurations. Cela dit, dans des circonstances dans lesquelles des offres d’achat restreintes sont utilisées pour atteindre un objectif qui ne serait pas autorisé dans le cadre d’une offre en bonne et due forme et qui pourrait être perçu comment étant abusif, l’affaire Mach démontre que les organismes de réglementation sont prêts à agir.
Les droits à la dissidence – la décision InterOil
Dans une décision extraordinaire, la cause Carlock c. ExxonMobil Canada Holdings ULC (PDF), la Cour suprême du Yukon a accordé aux actionnaires dissidents une prime de 43 % sur le prix négocié dans le cadre de l’acquisition d’InterOil par ExxonMobil en 2017. Le prix bonifié de 71,46 $ US l’action établi par le tribunal est d’autant plus étonnant que le prix négocié de 45 $ US offert par ExxonMobil, majoré d’un paiement de ressources conditionnel évalué à un peu moins de 5 $ US l’action, constituait lui-même une offre supérieure à une opération antérieure avec Oil Search, qui avait été avalisée par le conseil. De plus, l’opération avait été approuvée par une forte majorité des actionnaires, non pas une seule fois, mais deux fois, en raison d’un litige relatif à la divulgation d’information.
La décision a depuis été portée en appel. Si la décision n’est pas infirmée, l’attribution d’une prime aussi importante sur le prix d’achat négocié envoie aux intervenants du marché le message que le processus utilisé par les parties à une opération dans le cadre de la négociation d’une fusion pourrait être revu par les tribunaux en cas de dissidence des actionnaires. La décision s’écarte également des conclusions de la récente jurisprudence provenant du Delaware qui fait preuve de déférence envers le prix négocié et qui retient celui-ci comme indicateur de la juste valeur. Si la décision est maintenue, cela pourrait encourager de plus en plus d’actionnaires à exercer leur droit à la dissidence.
Pour plus de renseignements sur la décision, veuillez consulter notre bulletin intitulé « La Cour rejette le prix négocié comme indicateur de la juste valeur dans une décision en matière de dissidence » sur le site osler.com.
Ententes avec des courtiers démarcheurs
Le recours à des ententes avec des courtiers démarcheurs au Canada – dans le cadre desquelles l’émetteur rémunère les courtiers en valeurs pour inciter les porteurs de titres à voter en faveur de certaines mesures de la société ou à les soutenir – fait l’objet d’un examen attentif depuis quelques années. La course aux procurations de 2013 mettant en cause JANA Partners et Agrium et celle de 2017 mettant en cause PointNorth Capital et Liquor Stores NS ont soulevé plusieurs questions à propos de la rémunération unilatérale versée à des groupes de démarchage uniquement pour les voix exprimées en faveur d’un candidat dans le cadre d’une élection contestée d’administrateurs. Certains ont allégué que ces ententes étaient ni plus ni moins des « votes achetés » et qu’elles créaient des conflits d’intérêts chez les courtiers en valeurs. Ce type d’ententes est aussi utilisé dans plusieurs autres contextes, comme les offres d’achat sanctionnées et incontestées, où les conflits d’intérêts ne sont pas aussi grands.
En 2018, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont publié un Avis du personnel en vue d’obtenir de l’information et des commentaires sur l’utilisation des ententes avec des courtiers démarcheurs et l’approche réglementaire à leur égard. En guise de réponse, l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) – organisme d’autoréglementation des courtiers en valeurs – a publié une Note d’orientation en 2019 portant sur la gestion des conflits d’intérêts qui découlent de ces ententes. La Note clarifie enfin le point de vue de l’OCRCVM sur l’utilisation d’ententes avec des courtiers démarcheurs dans le cadre d’offres publiques d’achat, de plans d’arrangement, de courses aux procurations et d’autres opérations assorties de divers types de rémunération de démarchage.
Il ne s’agit pas d’un changement de règle ou d’une modification à la loi; toutefois, étant donné l’approbation de la Note d’orientation par les ACVM et la longue période de consultations auprès de la communauté des courtiers et des émetteurs, nous nous attendons à ce que la Note d’orientation ait désormais une incidence sur la façon dont sont structurées les ententes avec des courtiers démarcheurs. La rémunération unilatérale dans le cadre d’une élection contestée d’administrateurs sera presque certainement exclue, bien qu’un certain nombre de questions demeurent sans réponse sur l’évolution de la pratique.
Pour plus de renseignements sur la Note d’orientation, veuillez consulter notre bulletin intitulé « Nouvelles lignes directrices relatives aux ententes conclues avec des courtiers démarcheurs » sur le site osler.com.
Moins d’offres hostiles
Il n’y a eu que deux offres publiques d’achat hostiles en 2019, ce qui s’inscrit dans la tendance récente des offres d’achat non sollicitées peu nombreuses depuis l’instauration du délai minimal de dépôt de 105 jours et de l’obligation de dépôt minimal de 50 %, en mai 2016. Il n’y a eu que cinq offres hostiles en 2018 et trois en 2017. Il n’est pas clair si les modifications apportées au régime d’OPA en 2016 sont la cause de cette baisse, mais elles pourraient être un facteur y ayant contribué. Parmi les autres facteurs, on pourrait compter une diminution du nombre de sociétés cotées en bourse et les défis économiques que présente le secteur des ressources naturelles.