Auteurs(trice)
Associé, Droit du travail et de l'emploi, Calgary
La Cour suprême de la Colombie-Britannique, dans l’affaire Parmar v. Tribe Management Inc., 2022 BCSC 1675, est le premier tribunal au Canada à confirmer qu’une employée non syndiquée n’a pas fait l’objet d’un congédiement déguisé lorsqu’elle a été placée en congé sans solde pour ne pas s’être conformée à la politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 de l’employeur.
La décision représente une victoire importante pour les employeurs du Canada qui font face à des recours similaires d’anciens employés alléguant un congédiement déguisé eu égard à leur défaut de se conformer aux politiques de vaccination obligatoire. La décision s’inscrit dans l’évolution de la jurisprudence en matière de la COVID-19 en milieu de travail non syndiqué. Elle démontre par ailleurs la volonté des tribunaux de maintenir les politiques et les exigences raisonnables en matière de vaccination qui ont été adoptées pendant la pandémie de la COVID-19 et qui sont conformes aux orientations des gouvernements et des autorités de santé publique[1].
Contexte
La demanderesse était à l’emploi de Tribe Management Inc. (Tribe) lorsque la pandémie de la COVID-19 a commencé. En réponse à la pandémie, Tribe a introduit un certain nombre de mesures de santé et de sécurité, y compris des modalités de télétravail et de distanciation sociale. Éclairée par les orientations des gouvernements fédéral et provincial et des autorités de santé publique, Tribe a mis en œuvre une politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 en octobre 2021 pour compléter et renforcer sa réponse à la COVID-19 (la « politique »). La politique a été appliquée de manière cohérente à tous les employés et visiteurs du lieu de travail de Tribe, tout en envisageant une exemption pour des raisons médicales ou religieuses, conformément à la législation sur les droits de la personne. Aux termes de cette politique, les employés ne s’étant pas fait vacciner pour des raisons personnelles (ou en l’absence de raisons médicales ou religieuses) seraient placés en congé sans solde.
La demanderesse a refusé de se faire vacciner, citant certains médias et certaines publications concernant l’efficacité et les risques potentiels associés aux vaccins. La demanderesse n’a pas fait valoir de raisons médicales ou religieuses qui auraient pu lui permettre de bénéficier d’une exemption aux termes de la politique, et a suggéré des mesures de substitution, comme effectuer du télétravail et passer des tests rapides lorsqu’elle devait se rendre au bureau. Tribe a refusé ces mesures de substitution et a insisté sur l’application cohérente de la politique à tous les employés. En conséquence, la demanderesse a été placée en congé sans solde le 1er décembre 2021 pour ne pas avoir respecté la politique. Le 26 janvier 2022, elle a par ailleurs démissionné de son emploi chez Tribe et a entamé une poursuite civile alléguant un congédiement déguisé.
Décision
Le tribunal a rejeté l’action pour congédiement déguisé de la demanderesse et a énoncé certaines conclusions clés :
- La politique était raisonnable eu égard à son contenu et à sa mise en œuvre. Le tribunal a estimé que la politique établissait un équilibre approprié entre les intérêts commerciaux de Tribe, les droits de ses employés à un environnement de travail sain et sûr, les intérêts de ses clients et les intérêts des résidents des propriétés dont elle assurait le service. Surtout, le tribunal a évalué la politique en fonction des connaissances sur le coronavirus et les vaccins accessibles au moment de la mise en œuvre de la politique.
- Le fait que les politiques d’emploi de Tribe n’aient pas exigé auparavant que ses employés soient vaccinés n’a pas eu d’incidence. Le tribunal a estimé que la COVID-19 représentait un défi mondial sans précédent pour les gouvernements, les autorités sanitaires et les prestataires de soins, ainsi qu’un défi unique et imprévu pour les employeurs et les employés.
- La demanderesse avait le droit d’avoir des convictions à l’égard aux vaccins, mais ses convictions ne pouvaient pas avoir de répercussions sur les autres employés de Tribe ou, potentiellement, sur les milliers de résidents des immeubles auxquels Tribe fournit des services de gestion immobilière. Le tribunal a expressément souligné que les objections de la demanderesse à l’égard de la politique avaient été formulées dans des circonstances où l’écrasante majorité des autres employés de Tribe s’étaient conformés à ses modalités.
- Le refus de la demanderesse de se conformer à la politique constituait une répudiation de son contrat de travail et Tribe a agi raisonnablement en la plaçant en congé sans solde conformément à la politique. En conséquence, la demanderesse n’a pas fait l’objet d’un congédiement déguisé et a été considérée comme ayant démissionné de Tribe de son propre choix personnel.
- Dans le contexte des défis sanitaires extraordinaires posés par la pandémie de la COVID-19, les politiques ayant des répercussions sur l’intégrité corporelle d’un employé (comme la politique dont il est ici question) sont raisonnables et n’obligent pas un employé à se faire vacciner. Le tribunal a estimé que de telles politiques ne font qu’obliger un choix entre se faire vacciner, et continuer à gagner un revenu, ou ne pas se faire vacciner, et perdre son revenu.
Le tribunal a notamment pris connaissance de certains faits relatifs à la pandémie de la COVID-19. Ces faits comprennent les conséquences potentiellement graves et mortelles de la COVID-19, la facilité avec laquelle le virus se transmet, le fait qu’il n’existe aucune immunité connue du fait de contracter la COVID-19 et aucune preuve vérifiable d’une immunité naturelle contre le virus, et le fait que les vaccins fonctionnent et sont efficaces pour réduire la gravité des symptômes et les conséquences néfastes. La volonté du tribunal de prendre connaissance de ces faits vient clairement porter un coup à d’autres poursuites déposées par d’anciens employés qui s’appuient sur la remise en question de la science du virus et des vaccins dans le cadre de leur attaque de la politique de vaccination obligatoire d’un employeur.
[1] À titre d’exemple, voir Benke v. Loblaw Companies Limited, 2022 ABKB 461 et Lewis, v. Alberta Health Services, 2022 ABKB 479, la Cour du Banc du Roi de l’Alberta a confirmé diverses exigences en matière de port du masque et de vaccination.