La réglementation des services financiers en 2022 : Combler les lacunes

11 Jan 2023 14 MIN DE LECTURE

À la suite d’importantes évolutions législatives et réglementaires dans le secteur canadien des services financiers au cours des dernières années, en 2022, les organismes de réglementation se sont attaqués à combler des lacunes dans la réglementation, à ajouter encore des détails et à travailler à rendre opérationnels de nouveaux systèmes et cadres. Les paiements ont fait l’objet d’une attention particulière, le but étant de moderniser et de réglementer plus efficacement l’écosystème canadien. Les principaux sujets d’intérêt comprenaient des initiatives de modernisation en matière de paiements, comme le système de paiement en temps réel de Paiements Canada et la Loi sur les activités associées aux paiements de détail (LAAPD)De nouvelles mesures de lutte contre le blanchiment d’argent (LBA) visant certaines entreprises ont été imposées dans l’industrie des paiements. Le lancement tant attendu d’un système bancaire ouvert au Canada a progressé. Enfin, nous observons un accroissement de la coopération inter-réglementaire en matière de cryptoactifs. Le travail est en cours et des changements sont certainement à venir.

Lutte contre le blanchiment d’argent

Le 14 février 2022, le gouvernement fédéral a pris des mesures extraordinaires, en réponse aux blocus et aux manifestations qui paralysaient Ottawa, en invoquant la Loi sur les mesures d’urgence pour la première fois depuis son adoption dans les années 1980. Les mesures d’urgence précises annoncées le 15 février visaient à combler des lacunes perçues dans le régime de lutte contre le blanchiment d’argent. Il s’agissait notamment d’obligations supplémentaires pour certaines entités déclarantes déjà assujetties à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (la LRPCFAT) afin de suivre des paiements destinés à financer les blocus. En outre, de nouvelles obligations ont été imposées à des entités qui n’étaient jadis pas assujetties à la LRPCFAT, dont des plateformes de sociofinancement et des fournisseurs de services de paiement. Pour en savoir plus sur l’invocation par le gouvernement de la Loi sur les mesures d’urgence, veuillez consulter notre article de blogue.

Les mesures d’urgence ont fini par être de courte durée, la déclaration d’état d’urgence en vertu de la Loi sur les mesures d’urgence ayant été révoquée le 23 février 2022. Toutefois, les mesures d’urgence de février ont ouvert la voie à des changements plus permanents qui se sont concrétisés au cours de 2022. Dans le budget fédéral de 2022, le gouvernement s’est engagé à élargir le champ d’application de la LRPCFAT pour qu’elle s’applique aux fournisseurs de services de sociofinancement, aux fournisseurs de services de paiement et à toutes les sociétés actives dans le secteur du crédit hypothécaire. Pour en savoir plus sur les répercussions du budget fédéral 2022 en matière de réglementation des services financiers, veuillez consulter notre bulletin d’actualités Osler.

Le 5 avril 2022, la première série de changements réglementaires prévus par la LRPCFAT est entrée en vigueur. Ces changements obligent les plateformes de sociofinancement à s’inscrire auprès du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières (CANAFE) en tant qu’entreprises de services monétaires (ESM) ou ESM étrangères. Les changements ont également exigé de ces plateformes qu’elles mettent en œuvre un programme de conformité complet en matière de lutte contre le blanchiment d’argent répondant aux exigences de la LRPCFAT. En outre, ces changements réglementaires ont élargi la définition de « transfert électronique de fonds » pour les ESM et les ESM étrangères. Cela a permis au CANAFE de revenir sur sa position antérieure selon laquelle les fournisseurs de services de règlement des opérations auprès des commerçants et les fournisseurs de systèmes de traitement étaient exemptés des obligations imposées aux ESM en vertu de la LRPCFAT.

Dans un avis publié le 21 juillet 2022, le CANAFE a précisé que les fournisseurs de services de paiement de factures et certains fournisseurs de services de paiement auparavant exemptés de la LRPCFAT doivent s’inscrire auprès du CANAFE et mettre en œuvre des programmes de conformité. Une personne ou une entité fournit des services de paiement de factures lorsqu’elle agit « en tant qu’intermédiaire entre un payeur et un bénéficiaire pour effectuer des paiements de factures, telles que celles relatives aux services publics, aux salaires et aux commissions, aux hypothèques et aux loyers, ou aux frais de scolarité. » Une personne ou une entité fournit des services de paiement lorsque trois critères sont satisfaits :

  • elle reçoit une instruction de paiement et agit en tant qu’intermédiaire entre un payeur qui achète des biens ou des services et un bénéficiaire qui fournit des biens ou des services ; 
  • le payeur consent à effectuer le paiement des biens ou des services par leur intermédiaire ;
  • le bénéficiaire a conclu un accord avec eux pour avoir accès aux virements effectués en paiement des biens ou des services.

Plusieurs exceptions à l’obligation d’inscription peuvent s’appliquer. Une de ces exceptions s’applique à la personne ou l’entité qui accepte uniquement un paiement pour des biens ou des services qu’elle a fournis à son propre client. Une autre exception s’applique à la personne ou à l’entité qui fournit uniquement du matériel (par exemple, un terminal de paiement physique) et qui n’offre pas d’autres services de paiement connexes.

Bien qu’un plus grand nombre de fournisseurs de services de paiement soient maintenant visés par le régime des ESM de la LRPCFAT, la définition d’une « ESM » selon la LRPCFAT ne correspond pas tout à fait à la définition d’un « fournisseur de services de paiement » selon la Loi sur les activités associées aux paiements de détail (LAAPD), analysée plus en détail ci-dessous. Par conséquent, un certain nombre d’entreprises peuvent relever de la LAAPD, mais pas du régime des EMS de la LRPCFAT, et vice versa. Ces lacunes pourront être comblées une fois que les deux régimes seront mieux établis.

Pour en savoir plus sur le traitement par le CANAFE des activités de services aux commerçants et de traitement des paiements, veuillez consulter notre bulletin d’actualités Osler.

Modernisation des paiements

À l’été 2021, Paiements Canada a lancé la première version de Lynx, qui remplace l’ancien Système de transfert de paiement de grande valeur. La première version de Lynx a introduit une nouvelle infrastructure de paiement pour les paiements de grande valeur et a présenté un modèle de risques actualisé.

Le lancement d’une deuxième version du système Lynx est toujours prévu vers la fin de 2022. Cette deuxième version mettra en œuvre la norme de messagerie ISO 20022, qui remplacera à terme les messages existants. Cela permettra aux institutions financières canadiennes de répondre aux exigences mondiales de la norme ISO 20022 – qui doit être mise en œuvre par SWIFT en novembre 2022 – et permettra des règlements plus efficaces et riches en données d’opérations d’envergure. Alors que les institutions financières se préparent à la deuxième version de Lynx, Paiements Canada a publié les caractéristiques se rapportant aux messages ISO 20022.

Le système de paiements en temps réel (PTR) phare de Paiements Canada était initialement prévu pour 2022. Toutefois, le lancement a été repoussé à la mi-2023, puis de nouveau repoussé, sans qu’aucune date ne soit annoncée. Lorsque le système PTR sera lancé, il constituera le premier système national de paiements en temps réel. Il devrait permettre l’accès à la fois aux institutions financières membres et aux fournisseurs non bancaires de services de paiement réglementés par la LAAPD, une fois que les dispositions législatives pertinentes seront en vigueur.

Loi sur les activités associées aux paiements de détail

Les travaux se poursuivent également sur la LAAPD à venir, qui a été approuvée par le Parlement à l’été 2021. Aucune date d’entrée en vigueur n’a encore été annoncée, mais un projet de règlement pour soutenir la LAAPD devrait être publié et faire l’objet d’une consultation auprès de parties prenantes dans les mois à venir. Alors que de nombreux détails resteront flous jusqu’à ce que le règlement final soit publié et que des orientations supplémentaires soient diffusées, la LAAPD exigera des fournisseurs de services de paiement qu’ils s’inscrivent auprès de la Banque du Canada, qu’ils traitent et atténuent des risques opérationnels et qu’ils protègent les fonds des utilisateurs. Les fournisseurs devront également mettre en place un système permettant d’informer la Banque du Canada de tout incident ayant des répercussions importantes sur les utilisateurs finaux, les autres fournisseurs de services de paiement ou les chambres de compensation.

La Banque du Canada a indiqué que les fournisseurs de services de paiement réglementés pourront présenter une demande d’adhésion directe au système PTR s’ils répondent à certaines exigences. Cela aurait le potentiel de beaucoup transformer le paysage des paiements au Canada.

De plus amples renseignements sur la LAAPD figurent dans notre bulletin d’actualités Osler.

Système bancaire ouvert

L’élaboration d’un système bancaire ouvert canadien demeure également un important projet sur lequel le gouvernement du Canada travaille en continu. À l’été 2021, le Comité consultatif sur le système bancaire ouvert a publié son rapport final recommandant des règles pour protéger les consommateurs, un système d’accréditation pour les tiers fournisseurs de services ainsi que des exigences techniques pour assurer la transmission de données de façon sécurisée et efficiente. Le rapport recommande une approche progressive vis‑à‑vis de la gouvernance d’un système bancaire ouvert, les deux premières phases étant axées sur la conception et la mise en œuvre du système ainsi que sur l’administration courante.

La troisième phase, portant sur la mise en œuvre d’un cadre bancaire ouvert, a suivi la publication du rapport final. Dans le cadre de la troisième phase, le 22 mars 2022, le gouvernement a nommé Abraham Tachjian pour diriger l’élaboration d’un cadre complet de services bancaires ouverts « de fabrication canadienne ». Quatre groupes de travail – axés sur l’accréditation, la responsabilité, la protection de la vie privée et la sécurité – ainsi qu’un comité directeur ont également été formés. Les groupes de travail se sont réunis au cours des trois derniers mois et les résultats de leurs réunions ont été rendus publics.

La première phase des services bancaires ouverts est prévue d’être en « lecture seulement » ; autrement dit, les données peuvent être partagées, mais aucune action ne peut être prise. Cependant, les développements parallèles de la modernisation des paiements et de la supervision des paiements de détail en vertu de la LAAPD devraient constituer des cas d’utilisation plus convaincants pour les services bancaires ouverts et les faire entrer dans une phase d’« accès en écriture ». L’« accès en écriture » permettrait aux entités de lancer une action, comme un paiement, au nom d’un client.

Cryptoactifs

Au Canada, les organismes de réglementation fédéraux et provinciaux cherchent à combler les lacunes dans la réglementation des cryptoactifs. Il s’agit d’un vaste chantier qui nécessitera une coopération poussée entre les organismes de réglementation afin d’assurer une surveillance efficace sans toutefois étouffer l’innovation. Le besoin de coopération est mis en évidence par la déclaration commune du Bureau du surintendant des institutions financières, de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada et de la Société d’assurance-dépôts du Canada, publiée le 16 novembre 2022. Si ce type de déclaration commune est actuellement rare, nous ne serions pas surpris d’en voir d’autres à l’avenir.

Vous trouverez plus d’information sur la déclaration commune dans notre bulletin d’actualités Osler. Vous trouverez plus d’information sur l’évolution des cryptoactifs en 2022 ici.

Réglementation du titre des professionnels des finances

Le ministre des Finances de l’Ontario a approuvé la nouvelle règle sur la protection du titre des professionnels des finances (règle PTPF) de l’Autorité ontarienne de réglementation des services financiers (ARSF) dans le cadre de la Loi de 2019 sur la protection du titre des professionnels des finances connexe. Cette règle est entrée en vigueur le 28 mars 2022. Maintenant qu’elle est en vigueur, la règle PTPF établit des normes minimales en matière de formation, de conduite et de surveillance des planificateurs et conseillers financiers de l’Ontario.

Une période de transition s’appliquera à tout planificateur financier ou conseiller financier qui utilisait le titre le ou avant le 1er janvier 2020. Cette période de transition est d’une durée de quatre ans pour les planificateurs financiers et de deux ans pour les conseillers financiers.

Le nouveau régime repose sur la surveillance directe des planificateurs financiers et des conseillers financiers par des organismes d’accréditation approuvés par l’ARSF. Par conséquent, nombre de planificateurs financiers professionnels et de conseillers financiers professionnels ont suivi de près le processus d’approbation d’organismes d’accréditation. À ce jour, les organismes d’accréditation approuvés comprennent FP Canada, l’Institute for Advanced Financial Education (IAFE), CSI, une société de Moody’s Analytics (Canada) inc. et le Canadian Institute of Financial Planning (CIFP).

La Financial and Consumer Affairs Authority (FCAA) de la Saskatchewan continue de travailler à la mise en œuvre de son propre régime de protection des titres des professionnels des finances, la dernière période de consultation concernant le projet de règlement (en anglais) [PDF] ayant pris fin le 20 septembre 2022. Conçue à l’origine pour refléter étroitement le régime de protection des titres des professionnels des finances de l’Ontario, la FCAA a introduit plusieurs caractéristiques clés qui s’écartent du cadre ontarien au cours des multiples consultations publiques. Il s’agit notamment de périodes de transition différentes, de profils de compétences de base supplémentaires pour les utilisateurs de titres de professionnels des finances et d’exigences supplémentaires en matière de conflits et de convenance.

Le Nouveau-Brunswick a également mené récemment des consultations sur son propre régime de protection des titres des professionnels des finances et pourrait se joindre à l’Ontario, à la Saskatchewan et au Québec pour resserrer les exigences applicables aux utilisateurs de titres de professionnels des finances dans un avenir proche.

Vous trouverez plus d’information concernant les modifications apportées aux exigences applicables aux utilisateurs de titres de professionnels de la finance dans notre bulletin d’actualités Osler.

Quoi surveiller en 2023

Alors que les organismes de réglementation s’efforcent d’étoffer les détails des nouveaux mandats et des cadres de transformation en matière de réglementation des services financiers, les participants et les intervenants du secteur peuvent s’attendre à ce que les développements tant attendus pour moderniser le système et en combler les lacunes commencent à prendre forme en 2023.


*Lawrence Ritchie est actuellement membre du conseil d’administration de l’Autorité ontarienne de réglementation des services financiers (ARSF). Les opinions exprimées dans cet article sont celles de ces auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles du conseil d’administration, des dirigeants ou des employés de l’ARSF.