Auteurs(trice)
Associé, Affaires réglementaires, Autochtones et environnement, Calgary
Le 20 octobre 2020, le gouvernement albertain a déposé le projet de loi 36 : la Geothermal Resource Development Act[1], qui vise à créer un cadre de réglementation consacré à la mise en valeur des ressources géothermiques en Alberta. Le projet de loi 36 indique une approche plus proactive pour attirer les investissements dans cette industrie émergente en créant une plus grande certitude en matière de politique et de réglementation.
Ressources géothermiques de l’Alberta
L’énergie géothermique est une énergie thermique produite et stockée dans la terre, qui peut être utilisée pour produire de l’électricité renouvelable. Selon les données de la Canadian Geothermal Energy Association, il y a des ressources géothermiques potentielles de 388 500 mégawatts (MW) en Alberta qui peuvent être utilisées dans le cadre des restrictions techniques, structurelles et écologiques existantes (en supposant une récupération moyenne).[2] La capacité de ces ressources est presque 24 fois supérieure à la capacité électrique des installations de l’Alberta en 2019.[3]
L’Alberta est bien positionnée pour développer ses abondantes ressources géothermiques grâce à sa grande expérience en matière d’aménagement des ressources pétrolières et gazières. Voici quelques avantages :
- une vaste expertise dans le domaine du pétrole et du gaz, notamment en matière de forage, de complétion et de technologies de pointe;
- la disponibilité de données exhaustives sur la subsurface, un secteur des services bien établi et une infrastructure existante;
- des possibilités de coproduction avec le pétrole et le gaz et de transformation des puits de pétrole et de gaz inactifs.
En tant qu’option d’énergie renouvelable, l’énergie géothermique est attrayante, car elle ne présente pas le même problème de variabilité que les énergies éolienne et solaire, dont la production fluctue au cours de la journée et de l’année. Autrement dit, la géothermie est une option d’énergie renouvelable qui peut elle-même équilibrer les fluctuations qui se produisent dans le réseau en raison de la variation d’autres sources d’énergie renouvelable telles que les énergies éolienne et solaire.[4]
Jusqu’à présent, les demandes de projets géothermiques en Alberta ont été évaluées au cas par cas, ce qui été considéré comme une raison pour laquelle aucun projet commercial n’a été aménagé. Par exemple, un rapport de 2018 de la Canada West Foundation a noté ce qui suit :
Sans un cadre de réglementation clair, équitable et efficace, les promoteurs potentiels sont confrontés à l’incertitude d’une application inégale ou incohérente des structures réglementaires existantes à l’aménagement de la géothermie ou de la mise en œuvre d’un futur cadre incompatible avec leur technologie ou leur modèle d’affaires. Cette incertitude peut limiter considérablement les technologies émergentes en faisant accroître les risques et en éloignant les investisseurs – ce qui peut être fatal pour les innovations qui tentent de prendre leur envol.[5]
Le gouvernement de l’Alberta a expliqué que l’intérêt accru envers l’aménagement géothermique, son potentiel de création d’emplois ainsi que la réduction des émissions de gaz à effet de serre justifiaient la mise en place d’un cadre géothermique spécialisé.[6]
Nouveau cadre de réglementation pour l’aménagement géothermique
Le projet de loi 36 établit un nouveau cadre pour réglementer l’aménagement géothermique sous la base de protection des eaux souterraines (la profondeur à laquelle on estime que les eaux souterraines passent de non salines à salines). Il le fait au moyen de l’élaboration de la Geothermal Resource Development Act (la GRDA) et de la modification de plusieurs lois, dont la Mines and Minerals Act (la MMA).
La GRDA a été inspirée par la Oil and Gas Conservation Act (la OGCA) et mettrait en place un régime semblable dans lequel l’organisme de réglementation de l’énergie de l’Alberta (l’AER) est chargé de réglementer l’aménagement sécuritaire, efficace et responsable de la ressource. Il comprendrait des exigences et des processus semblables relatifs à l’utilisation des terres et à la responsabilité de celles-ci, notamment en ce qui concerne l’attribution de licences pour les puits et les installations, l’inspection, la suspension et la fermeture, la prévention de la dégradation et des dommages causés au puits ou aux installations, l’entrée sur les terres, la remédiation et la réhabilitation. Comme l’OGCA, la GRDA donnerait à l’ARE le pouvoir d’établir des règles concernant de nombreux points (y compris les licences, la surveillance et la conformité, la suspension et la fermeture, et les coûts de remédiation et de réhabilitation) et elle donnerait au lieutenant-gouverneur en conseil le pouvoir d’adopter des règlements concernant plusieurs points (y compris toute question jugée nécessaire pour réaliser les objectifs de la GRDA).
Le projet de loi 36 modifierait également plusieurs lois, dont la MMA. Les modifications apportées à la MMA conféreraient au propriétaire du titre minier (plutôt que du titre foncier de surface) le droit d’exploration, d’aménagement, de récupération et de gestion des ressources géothermiques associées à ces minéraux et à tout réservoir souterrain situé sous la terre (la modification sur la propriété). C’est ainsi que le gouvernement albertain prévoit établir son pouvoir de recevoir des revenus pour l’aménagement de ressources géothermiques, étant donné que la Couronne provinciale est la propriétaire du titre minier presque partout en Alberta. Les modifications apportées à la MMA par le projet de loi 36 permettraient à la Couronne provinciale d’exercer ce pouvoir en concluant des contrats visant des ressources géothermiques associées aux minéraux ou aux réservoirs souterrains qui appartiennent à la Couronne provinciale, et les montants payables à la Couronne provinciale pour l’exploration ou l’aménagement et la récupération de ces ressources. Le projet de loi 36 permettrait également au lieutenant-gouverneur en conseil d’établir des règlements visant les montants payables à la Couronne provinciale pour cette exploration ou cet aménagement et cette récupération.
Mise en œuvre du cadre et incertitude restante
S’il est adopté, le projet de loi 36 entrera en vigueur dès sa proclamation. De nombreux détails concernant la manière dont son nouveau cadre en matière de ressources géothermiques sera appliqué resteront flous jusqu’à ce que l’ARE établisse de nouvelles règles et que la province adopte de nouveaux règlements, y compris un éventuel régime de redevances. La modification sur la propriété apportée à la MMA peut en elle-même être modifiée, étant donné les préoccupations qu’elle suscite quant à l’efficacité de l’attribution des droits sur les ressources géothermiques au propriétaire du minerai (plutôt qu’au propriétaire de la surface),[7] car elle vise à établir le pouvoir du gouvernement de l’Alberta à recevoir des revenus.
En outre, alors que le projet de loi 36 vise à clarifier la manière dont le développement des ressources géothermiques sera réglementé, on ne sait pas encore comment ces projets s’inscriront dans le régime réglementaire actuel de l’électricité. Par exemple, le projet de loi 36 ne traite pas du rôle de la Public Service Commission de l’Alberta (l’AUC), qui est chargée d’examiner et d’approuver les centrales électriques et les raccordements au réseau. Pour les projets géothermiques qui incluent la production d’électricité, l’étendue du chevauchement réglementaire entre la CUA et l’ARE – qui ont tous deux des mandats semblables en matière d’évaluation et conciliation des conséquences – est actuellement inconnue. Il est également entendu, bien que cela ne soit pas confirmé, que les projets géothermiques qui produisent de l’électricité seraient considérés comme des actifs renouvelables qui génèrent des éléments environnementaux (crédits ou crédits compensatoires) en vertu du Technology Innovation and Emissions Reduction Regulation. Les promoteurs qui cherchent à obtenir un financement et à prendre des décisions d’investissement devront préciser si et, le cas échéant, comment ces projets s’inscrivent dans ce régime.
Pour donner des renseignements sur les prochaines étapes de la mise en œuvre du cadre politique et de réglementation pour les ressources géothermiques, le gouvernement de l’Alberta prévoit tenir des discussions avec les parties prenantes de l’industrie et d’autres groupes d’intervenants clés dans un avenir proche. Il peut s’agir de discussions sur les politiques visant à réduire le risque d’exploration et à fournir des certitudes quant aux rendements des investissements. Selon un rapport du Pembina Institute, les politiques gouvernementales cherchant à réduire les risques d’exploration aux premières étapes des projets géothermiques ont contribué au succès du développement des industries géothermiques dans d’autres pays.[8] En outre, le Pembina Institute[9] et les intervenants clés de l’industrie ont indiqué qu’un prix garanti à long terme pour l’électricité géothermique constitue un incitatif nécessaire pour assurer un rendement du capital investi et aménager des ressources géothermiques, les contrats d’achat d’électricité, comme ceux qui sont conclus dans le cadre du programme d’énergies renouvelables, étant une option pour fournir de telles garanties.[10]
[1] Projet de loi 36, Geothermal Resource Development Act, 2e session, 30e Législature, Alberta, 2020.
[2] Canadian Geothermal Energy Association, « Canadian National Geothermal Database And Territorial Resource Estimate Maps: Alberta », en ligne : https://www.cangea.ca/albertageothermal.html.
[3] Alberta Utilities Commission, « Alberta Electric Energy Net Installed Capacity (MCR MW) By Resource », en ligne : https://www.auc.ab.ca/Shared%20Documents/InstalledCapacity.pdf.
[4] U.S. Department of Energy, GeoVision: Harnessing the Heat Beneath Our Feet, 2019, p. 30-31, en ligne : https://www.energy.gov/sites/prod/files/2019/06/f63/GeoVision-full-report-opt.pdf.
[5] Canada West Foundation, Hot Commodity: Geothermal Electricity in Alberta, juillet 2018, p. 16, en ligne : https://cwf.ca/wp-content/uploads/2018/07/2018-07_CWF_HotCommodity_GeothermalElectricity_Report_WEB.pdf.
[6] Gouvernement de l’Alberta, « Setting the stage for clean geothermal development », 7 octobre 2020, en ligne : https://www.alberta.ca/release.cfm?xID=7341824DD37BD-01E5-6C50-33049485E06CEEAB.
[7] Ces préoccupations portent essentiellement sur le fait qu’il peut y avoir une présomption de common law en faveur du propriétaire de surface, et que la modification sur la propriété n’est pas suffisamment claire pour réfuter cette présomption. Voir Nigel Bankes, « A Legal Regime for the Development of Geothermal Resources in Alberta » (24 octobre 2020), en ligne : ABlawg, http://ablawg.ca/wp-content/uploads/2020/10/Blog_NB_Bill_36.pdf. Voir aussi Alberta, Assemblée législative, Hansard, 2e session, 30e législature (26 octobre 2020) à 2755 (K Ganley).
[8] Pembina Institute, Heat Seeking: Alberta’s geothermal industry potential and barriers, décembre 2017, p. 15, en ligne : https://www.pembina.org/reports/heat-seeking.pdf.
[9] Ibid, p . 6.
[10] The Canadian Business Journal, « The Canadian Oil Service Sector Supports the Emergence of New Canadian Geothermal Developers », 26 mai 2020, en ligne : https://www.cbj.ca/the-canadian-oil-service-sector-supports-the-emergence-of-new-canadian-geothermal-developers/.