Auteurs(trice)
Associé, Fiscalité, Montréal
Associé, Fiscalité, Montréal
Dans le cadre de sa stratégie globale de lutte contre les planifications fiscales agressives, le ministère des Finances du Québec (le « Ministère ») a publié le Bulletin d’information 2019-5 le 17 mai 2019, dans lequel il annonce trois mesures additionnelles entrant en vigueur à compter du 17 mai 2019. Entre autres choses, les mesures prévoient la mise en œuvre d’exigences de divulgation obligatoire à l’égard des contrats de prête-nom, l’élargissement de la portée des exigences actuelles de divulgation obligatoire aux « opérations prescrites » (consulter le Bulletin d’Actualités Osler daté du 20 octobre 2009, intitulé « Québec expose les modalités d’application des mesures pour lutter contre les planifications fiscales agressives ») et l’introduction de pénalités particulières à l’égard d’opérations de trompe-l’œil. Chacune de ces mesures est examinée ci-dessous.
1) Divulgation obligatoire des contrats de prête-nom
Le Ministère a annoncé de nouvelles règles prévoyant la divulgation des contrats de prête-nom, qui sont décrits comme étant des situations où les liens existant entre les parties sont régis par un « contrat secret » exprimant leur volonté réelle, au lieu d’un contrat apparent mis à la disposition des tiers tels que l’Agence du revenu du Québec (l’« ARQ »).[1] De tels « contrats secrets » comprendraient des ententes, communément appelées contrats de « prête-nom », et des contrats de mandat.
Les parties à un contrat de prête-nom doivent produire un formulaire prescrit dans un délai de 90 jours suivant la conclusion du contrat. Lorsque les conséquences fiscales d’une opération conclue avant le 17 mai 2019 se poursuivent après cette date, les parties impliquées dans l’opération ont jusqu’au 16 septembre 2019 pour divulguer les renseignements relatifs au contrat de prête-nom. Lorsque la divulgation est faite par l’une des parties au contrat de prête-nom, toutes les parties au contrat seront réputées avoir fait la divulgation requise.
Formulaire prescrit et pénalité journalière
Les renseignements suivants doivent être fournis dans le formulaire prescrit : i) la date du contrat de prête-nom, ii) l’identité des parties à ce contrat et iii) une description complète des faits relatifs à l’opération ou à la série d’opérations à l’égard de laquelle le contrat de prête-nom se rapporte ainsi que l’identité de toute personne ou entité à l’égard de laquelle cette opération ou série d’opérations entraîne des conséquences fiscales.
Le défaut de produire le formulaire prescrit ou de fournir les renseignements prescrits entraîne une pénalité de 100 $ par jour, à compter du deuxième jour, que dure l’omission, en plus d’une pénalité de base de 1 000 $. Les parties à un contrat de prête-nom non divulgué encourront solidairement une pénalité jusqu’à concurrence de 5 000 $.
Délai de prescription prorogé indéfiniment
Par ailleurs, le délai de prescription applicable à l’année au cours de laquelle l’opération qui s’inscrit dans le cadre d’un contrat de prête-nom a eu lieu est suspendu indéfiniment relativement aux conséquences fiscales résultant du contrat. Par conséquent, un contrat de prête-nom qui s’applique à un certain nombre d’années, tel qu’un contrat concernant la possession de biens immobiliers, s’il n’est pas divulgué, donnerait lieu à la levée indéterminée du délai normal d’établissement d’une nouvelle cotisation pour les deux parties au contrat, pour chaque année au cours de laquelle le contrat de prête-nom s’applique.
Les contribuables qui ont précédemment divulgué par ailleurs l’existence d’un contrat de prête-nom à l’ARQ ne sont pas dispensés de la nouvelle obligation de divulgation obligatoire relative au contrat de prête-nom.
Le formulaire prescrit n’est pas encore disponible. Néanmoins, les contribuables qui sont parties à un contrat de prête-nom doivent fournir les renseignements susmentionnés dans un délai de 90 jours suivant la conclusion du contrat, ou avant le 16 septembre 2019, dans le cas des contrats de prête-nom en vigueur le 17 mai 2019.
2) Élargissement de la portée des règles de divulgation obligatoire aux opérations prescrites
Actuellement, la loi prévoit la divulgation obligatoire d’un nombre limité d’opérations, telles que l’opération à l’égard de laquelle le conseiller exige la confidentialité de la part de son client, celle où la rémunération du conseiller est conditionnelle au fait que certains évènements se produisent et celle comportant une protection contractuelle visant à protéger le client à l’encontre de certaines éventualités. Le défaut de se conformer en temps opportun aux règles de divulgation obligatoire expose les contribuables à une pénalité de 10 000 $, plus 1 000 $ par jour (à compter du deuxième jour du retard), jusqu’à concurrence de 100 000 $.
Le Ministère a annoncé qu’il allait étendre la portée des règles de divulgation obligatoire aux opérations qui sont des opérations prescrites. Une opération prescrite désignera une opération ou une série d’opérations réalisée par un contribuable dont le fonds et la substance s’apparenteront de façon significative à celles des opérations décrites par l’ARQ sur une liste rendue publique.
Le bulletin d’information ne précise pas les opérations qui seront prescrites pour l’application des règles de divulgation obligatoire, mais il prévoit que l’ARQ rendra publiques, au moment où elle le jugera approprié, les opérations qui devront faire l’objet d’une divulgation obligatoire.
L’ARQ n’a pas annoncé le type d’opération ou de série d’opérations qui sera prescrit pour l’application des règles de divulgation obligatoire ni la façon dont ces opérations seront rendues publiques.
Au moment de la rédaction du présent Bulletin d’actualités, aucune opération n’avait encore été prescrite pour l’application des règles de divulgation obligatoire.
Pénalités et prolongation indéfinie du délai de prescription
L’obligation de divulgation est satisfaite par le dépôt d’un formulaire prescrit renfermant les renseignements requis dans les 60 jours suivant le début de l’opération prescrite ou dans les 120 jours suivant la date à laquelle la divulgation de l’opération prescrite est rendue obligatoire par l’ARQ, selon la dernière éventualité. Le défaut de produire le formulaire prescrit entraîne une pénalité pouvant atteindre 100 000 $, ainsi qu’une pénalité de 50 % de l’avantage fiscal découlant de la non-divulgation de l’opération. De plus, le défaut de respecter l’échéance de production mène à la suspension du délai de prescription applicable à l’année d’imposition jusqu’à ce que l’ARQ ait reçu ledit formulaire renfermant les renseignements prescrits. Pour cette raison, le non-respect de l’exigence de divulgation produit une prolongation indéfinie du délai de prescription applicable à l’année pour laquelle la divulgation était requise.
Les règles de divulgation de renseignements supplémentaires s’appliquent aux conseillers fiscaux et aux promoteurs
Tout comme les règles de divulgation obligatoire de renseignements en vigueur, les règles de divulgation de renseignements supplémentaires s’appliqueront également aux conseillers fiscaux et aux promoteurs. La production des renseignements doit respecter le délai applicable aux contribuables qui participent à l’opération. Plus précisément, les conseillers et les promoteurs doivent produire les renseignements exigés sur le formulaire prescrit pour chaque opération prescrite pouvant être mise en œuvre sans que d’importants changements de forme et de fond soient apportés d’un contribuable à l’autre.
Pénalités aux conseillers et aux promoteurs
Un conseiller ou un promoteur qui omet de produire la déclaration de renseignements prescrite sera passible d’une pénalité journalière de 1 000 $ à compter du deuxième jour de l’omission, s’ajoutant à une pénalité de base de 10 000 $ pouvant atteindre 100 000 $. Les conseillers et les promoteurs sont également responsables du montant total des frais reçus des contribuables visés par les efforts de promotion ou de commercialisation de l’opération prescrite non divulguée.
L’annonce par le Ministère de règles de divulgation obligatoire pour les opérations prescrites est semblable à certains égards à l’approche de l’Internal Revenue Service des États-Unis, qui exige la divulgation de certaines opérations à déclarer (reportable transactions), désignées comme des opérations abusives et répertoriées reconnues (recognized abusive and listed transactions). Pour plus de renseignements sur ce répertoire ou sur d’autres questions de fiscalité américaine, n’hésitez pas à communiquer avec un membre du groupe de droit fiscal de New York.
3) Opérations de trompe-l’œil
Dans une décision récente, où il est question de cette notion,[2] la Cour canadienne de l’impôt a déclaré qu’une opération donnée constitue un trompe-l’œil lorsque les parties font une fausse déclaration quant à l’existence ou à la véritable nature de leurs droits et obligations dans le but d’induire en erreur l’administration fiscale. En termes clairs, il y a trompe-l’œil lorsque les parties ont l’intention commune de tromper l’administration fiscale. Le nouveau régime spécial annoncé par le Ministère pour contrer les opérations de trompe-l’œil prévoit trois modifications principales de la législation.
Pénalités
En vertu des nouvelles mesures, lorsque l’ARQ émet une cotisation à un contribuable relativement à une opération de trompe-l’œil ou à une série qui comporte une opération de trompe-l’œil, l’ARQ peut aussi imposer des pénalités aux autres contribuables impliqués dans ladite opération, ainsi qu’aux conseillers fiscaux et aux promoteurs qui ont conseillé l’opération ou qui en ont fait la promotion. L’ARQ impose cette nouvelle pénalité supplémentaire au moment où elle détermine l’existence de l’opération de trompe-l’œil. Le contribuable devra donc s’opposer à l’avis de cotisation pour que la pénalité soit annulée. Cette nouvelle pénalité sera donc établie de la même manière qu’une pénalité pour faute lourde.
Un conseiller fiscal est une personne ou une société de personnes qui fournit de l’aide, de l’assistance ou des conseils relativement à la conception ou à la mise en œuvre de l’opération.[3] Un promoteur est une personne ou une société de personnes qui exerce ou dont il est raisonnable de considérer qu’elle exerce un rôle important dans la commercialisation, la promotion ou le soutien d’une opération moyennant une contrepartie.[4]
Les contribuables seront passibles de pénalités équivalant au plus élevé des montants suivants : 25 000 $, ou 50 % de l’écart entre l’impôt qui aurait été payé si le contribuable n’avait pas été impliqué dans une opération de trompe-l’œil et l’impôt qu’il a effectivement payé avant l’établissement de la cotisation. Quant aux conseillers fiscaux et aux promoteurs, leur pénalité sera égale à tous les frais reçus des contribuables relativement à l’opération de trompe-l’œil en cause.
Délai de prescription
En plus du délai de prescription normal qui s’établit actuellement à trois ou quatre ans, les mesures accordent à l’ARQ un délai supplémentaire de trois ans pour émettre une nouvelle cotisation découlant de l’opération de trompe-l’œil aux parties à une opération de trompe-l’œil, au membre d’une société de personnes qui était partie à une opération de trompe-l’œil ou à une personne qui était associée à une telle personne. Cette modification signifie que le délai normal pour l’émission de cotisations nouvelles sera prolongé de trois ou quatre ans pour chaque membre d’un groupe de sociétés dans le cas où une société membre est considérée comme ayant participé à une opération de trompe-l’œil. Le délai de prescription peut également être suspendu à partir du moment où l’ARQ dépose une demande d’autorisation auprès d’un juge de la Cour du Québec relativement à une demande officielle visant des personnes non désignées nommément jusqu’au règlement final et jusqu’à ce que le contribuable se conforme à la demande officielle.
Accès aux contrats publics
Dès que la « pénalité pour opération de trompe-l’œil » devient définitive, en ce sens qu’aucune objection ni aucun autre appel de la cotisation ne peuvent être formulés, les contribuables et leurs conseillers fiscaux ou promoteurs seront inscrits au Registre des entreprises non admissibles aux contrats publics (RENA) auprès de l’Autorité des marchés publics. De plus, cette dernière tiendra compte de ces pénalités pour déterminer s’il y a lieu ou non d’autoriser une entreprise à conclure des contrats publics.
Même si les modifications sont en vigueur depuis le 17 mai 2019, une opération s’inscrivant dans une série d’opérations qui a commencé le 17 mai 2019 ou avant et pris fin avant le 1er août 2019 est exemptée.
Nous continuerons de suivre de près les faits nouveaux au cours des mois à venir.
Pour plus de renseignements sur les modifications ci-dessus ou d’autres questions fiscales, veuillez communiquer avec l’un des auteurs ci-dessus ou avec un membre de notre groupe de droit fiscal de Montréal.
[1] Art. 1451 CCQ.
[2] Cameco Corporation v. The Queen, 2018 TCC 195, par. 592 (Cameco). Dans Cameco, la Cour canadienne de l’impôt a tranché en faveur de Cameco en concluant qu’il n’existait aucun élément pouvant constituer un trompe-l’œil.
[3] Loi sur les impôts du Québec, art. 1079.8.1.
[4] Ibid, art. 1079.9.