Auteurs(trice)
Associé, Droit des sociétés, Toronto
Associé, Droit des sociétés, Toronto
Associé, Droit des sociétés, Toronto
Le recours à des ententes avec des courtiers démarcheurs – dans le cadre desquelles l’émetteur rémunère les courtiers en valeurs pour amener les porteurs de titres à voter en faveur de certaines mesures ou à les soutenir – fait l’objet d’un examen attentif depuis quelques années. La course aux procurations de 2013 mettant en cause JANA Partners et Agrium et celle de 2017 mettant en cause PointNorth Capital et Liquor Stores NS ont soulevé plusieurs questions à propos de telles ententes lors d’élections contestées d’administrateurs, en raison de la rémunération unilatérale versée à des groupes de démarchage uniquement pour les voix exprimées en faveur d’un candidat. Certains ont allégué que ces ententes étaient ni plus ni moins des « votes achetés » et qu’elles créaient des conflits d’intérêts chez les courtiers en valeurs. Ce type d’ententes est aussi utilisé dans plusieurs autres contextes, comme les offres d’achat sanctionnées et incontestées, où les conflits d’intérêts ne sont pas aussi grands.
En 2018, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont publié un Avis du personnel en vue d’obtenir de l’information et des commentaires sur l’utilisation des ententes avec des courtiers démarcheurs et l’approche réglementaire à leur égard. En guise de réponse, l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) – organisme d’autoréglementation des courtiers en valeurs – a récemment publié une Note d’orientation portant sur la gestion des conflits d’intérêts qui découlent de ces ententes. La Note clarifie enfin le point de vue de l’OCRCVM sur l’utilisation d’ententes avec des courtiers démarcheurs dans le cadre d’offres publiques d’achat, de plans d’arrangement, de courses aux procurations et d’autres opérations assorties de divers types de rémunération de démarchage.
Il ne s’agit pas d’un changement de règle ou d’une modification à la loi; par ailleurs, étant donné l’endossement de la Note d’orientation par les ACVM et la longue période de consultations auprès de la communauté des courtiers et des émetteurs, nous nous attendons à ce que la Note d’orientation ait désormais une incidence sur la façon dont sont structurées les ententes avec des courtiers démarcheurs. La rémunération unilatérale dans le cadre d’une élection contestée d’administrateurs sera presque certainement exclue, bien qu’un certain nombre de questions demeurent sans réponse sur l’évolution de la pratique. Plus particulièrement :
- Les courtiers concluront-ils que les conflits d’intérêts découlant de la rémunération unilatérale (c’est-à-dire si un candidat particulier remporte l’élection) pourront encore être gérés dans le cadre d’élections contestées ou de toute autre situation contestée?
- La Note d’orientation aura-t-elle une incidence sur la rémunération neutre dont le but est de « faire sortir le vote » ou est-ce que toutes les ententes avec des courtiers démarcheurs seront touchées?
- Les ententes avec des courtiers démarcheurs constituent-elles une utilisation légitime des fonds d’une société? Les conseils d’administration respectent-ils leurs devoirs fiduciaires lorsqu’ils concluent une entente de rémunération unilatérale?
- Les courtiers peuvent-ils s’acquitter de leurs obligations et gérer les conflits d’intérêts lorsqu’ils sont rémunérés en fonction de la réussite de l’opération dans le cadre d’ententes avec des courtiers démarcheurs?
Ententes avec des courtiers démarcheurs
Comme l’ont indiqué les ACVM et l’OCRCVM, une « entente avec des courtiers démarcheurs » désigne généralement des ententes intervenues entre des émetteurs et un ou plusieurs courtiers inscrits aux termes desquelles l’émetteur convient de verser aux courtiers une rémunération pour solliciter des porteurs aux fins suivantes : (i) le vote sur une opération nécessitant leur approbation, (ii) le dépôt de titres dans le cadre d’une offre publique d’achat, ou (iii) la participation à un placement de droits ou l’exercice de droits de rachat ou de conversion de titres, ou autrement dans le cadre d’opérations structurelles afin que soit atteint le quorum requis quant aux modifications de documents touchant les droits des porteurs. Ces ententes permettent aux émetteurs d’entrer en contact avec les porteurs et, généralement, de leur faire connaître les opérations de la société et de chercher leur participation. En contrepartie de leur travail, les courtiers démarcheurs reçoivent des honoraires ou des frais versés par l’émetteur – dans certains cas, cette rémunération est versée uniquement pour les voix exprimées en faveur d’une mesure ou d’un candidat par les porteurs pertinents.
Conflits d’intérêts et orientation de l’OCRCVM
La Note d’orientation confirme que la saine gestion des conflits d’intérêts est une priorité pour l’OCRCVM (et, par conséquent, les ACVM). Les conflits d’intérêts sont généralement régis par la Règle 42 des courtiers membres de l’OCRCVM et ses notes d’orientation connexes, en vertu desquelles les courtiers doivent régler les conflits d’intérêts qui découlent ou pourraient découler de divers modèles d’affaires.
En ce qui a trait aux ententes avec des courtiers démarcheurs, la Note d’orientation offre une combinaison de lignes directrices sur des politiques et procédures suggérées et désigne clairement les conflits qui devraient être évités.
Conflits à éviter
La Note d’orientation établit que, de l’avis de l’OCRCVM, les ententes avec des courtiers démarcheurs, lorsqu’elles ont trait à une élection contestée d’administrateurs, dans le cadre de laquelle une rémunération est versée uniquement pour les voix exprimées en faveur d’un candidat ou si un candidat particulier remporte l’élection, sont ingérables et, par conséquent, devraient être évitées. L’OCRCVM signale qu’en raison des évaluations qualitatives concurrentielles exigées dans ces situations, il est peu probable que le courtier puisse fournir des conseils objectifs, étant donné l’entente concernant la rémunération et la nature des renseignements accessibles dans le cadre d’une élection contestée d’administrateurs.
Par conséquent, nous croyons que la communauté des courtiers délaissera de telles ententes de rémunération dans le cadre d’élections contestées d’administrateurs au Canada.
Autres conflits d’intérêts
En ce qui a trait aux ententes avec des courtiers démarcheurs conclues dans le cadre de situations autres qu’une élection contestée d’administrateurs visée par une rémunération unilatérale, les courtiers ne devraient les envisager qu’en fonction de l’opération à l’étude et évaluer si cette entente engendre un important conflit d’intérêts. La Note d’orientation détermine également que les ententes unilatérales ou conditionnelles peuvent aussi donner lieu à des conflits liés à d’autres opérations contestées (par exemple, un plan d’arrangement contesté) et, par conséquent, que les courtiers doivent avoir mis en place des politiques et des procédures de gestion de ces conflits.
L’OCRCVM détermine que les ententes qui ne sont ni unilatérales ni conditionnelles à un résultat particulier peuvent ne pas créer de conflits ou soulever de préoccupations d’ordre réglementaire. Les courtiers devraient donc évaluer chaque entente de ce genre conformément aux pratiques de gestion des conflits d’intérêts qu’ils ont mises en place.
La Note d’orientation soutient que la divulgation d’un conflit d’intérêts potentiel est certes importante. Cela dit, la simple communication d’un conflit découlant d’une entente avec des courtiers démarcheurs est un mécanisme généralement insuffisant en raison de son incidence limitée (ou contradictoire) sur le processus décisionnel du client. Sur ce point, l’OCRCVM recommande au courtier de communiquer le conflit et aussi de préciser la façon dont il l’a réglé au mieux des intérêts du client.
Toutefois, lorsqu’il communique un conflit concernant une entente avec des courtiers démarcheurs, l’OCRCVM s’attend à ce que le courtier s’assure que la communication :
- est faite par écrit et en temps utile;
- est propre à l’entente et au conflit que celle-ci crée et fournit au client des renseignements suffisants pour lui permettre de prendre une décision éclairée;
- est compréhensible pour le client;
- est bien visible, complète, en un seul endroit et en langage simple.
Conclusion
À la lumière de la nouvelle Note d’orientation, les courtiers devront revoir leurs politiques et procédures de gestion des conflits d’intérêts et envisager leur application aux ententes avec des courtiers démarcheurs potentielles. Les émetteurs doivent tenir compte de la Note d’orientation et de son incidence potentielle sur les ententes avec des courtiers démarcheurs. Reste à voir de quelle façon la communauté des courtiers réagira à la Note d’orientation dans des situations autres que les élections contestées d’administrateurs. Il sera également intéressant de voir si les ententes avec des courtiers démarcheurs seront désormais fondées sur la participation plutôt que sur la réussite ou si, tout simplement, ces ententes deviendront choses du passé au Canada.