Auteur
Associé, Droit des sociétés, Toronto
La récente décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans l’affaire Sandpiper Real Estate Fund 4 Limited Partnership v. First Capital Realty Real Estate Investment Trust [PDF], 2023 ONSC 794 (Sandpiper), fournit des indications utiles aux conseils d’administration quant au moment où ils doivent tenir une assemblée des actionnaires sur demande et au processus qu’ils doivent suivre pour s’assurer que leur appréciation commerciale bénéficie du plus haut degré de déférence.
Contexte
Le 22 septembre 2022, First Capital a annoncé un plan amélioré d’imputation sur les fonds propres et d’optimisation du portefeuille (le Plan d’optimisation). Sandpiper Group, un fonds activiste qui détenait la propriété effective d’environ neuf pour cent de toutes les parts émises et en circulation de First Capital avec un intervenant conjoint, n’avait pas confiance dans le conseil d’administration de First Capital (le conseil) pour la supervision du Plan d’optimisation. Le 12 décembre 2022, Sandpiper a demandé une assemblée extraordinaire des participants devant se tenir au plus tard le 1er mars 2023, dans le but de démettre quatre membres du conseil (dont les présidents du conseil, du comité de gouvernance et du comité de rémunération) et de les remplacer par les personnes proposées par Sandpiper.
Le 30 décembre 2022, First Capital a publié un communiqué de presse annonçant qu’une assemblée générale annuelle et une assemblée extraordinaire combinées se tiendraient le 16 mai 2023. En réponse, Sandpiper a demandé au tribunal d’ordonner à First Capital de tenir l’assemblée le 1er mars 2023, ou dès que possible après cette date.
En vertu du droit canadien des sociétés, les conseils d’administration doivent « envoyer une convocation » pour une réunion demandée dans les 21 jours suivants la date de la demande. À l’exception de la Colombie-Britannique, qui exige qu’une assemblée soit « tenue » dans les quatre mois suivant la date de la demande, les autres lois provinciales et fédérales sur les sociétés n’imposent aucun délai spécifique pour la tenue d’une assemblée demandée. Confirmant la jurisprudence antérieure, la Cour a déclaré que la programmation de la réunion est laissée à l’appréciation commerciale des administrateurs, à condition que la réunion soit tenue [traduction] « rapidement et dans un délai raisonnable ». Cela ne signifie pas que la réunion doit être tenue à la date la plus proche possible, mais qu’elle doit être tenue [traduction] « sans retard déraisonnable ou injustifiable ».[1]
La décision de la Cour
En examinant la décision du conseil d’administration de tenir la réunion cinq mois après la date de la demande, la Cour a noté que la règle de l’appréciation commerciale exige que les tribunaux s’en remettent à l’appréciation commerciale du conseil d’administration, dans la mesure où la décision du conseil demeure dans une limite raisonnable. Le degré de déférence à accorder au conseil, cependant, dépend du processus suivi par ce dernier et de la question de savoir s’il [traduction] « a appliqué le degré approprié de prudence et de diligence pour rendre sa décision ».[2]
La Cour a constaté que le conseil n’a tenu qu’une seule réunion le 14 décembre 2022 pour discuter de la demande, que cette réunion n’a duré qu’environ deux heures et que d’autres points de l’ordre du jour ont été abordés. Tout en soulignant qu’il n’était pas nécessaire de réunir un comité composé de conseillers spéciaux pour examiner une demande, la Cour a néanmoins été interpellée par le fait que les quatre administrateurs que Sandpiper cherchait à faire remplacer étaient présents à la réunion et ont voté à propos de la résolution visant à tenir l’assemblée le 16 mai 2023. La Cour a déclaré [traduction] « [qu’]une seule réunion relativement courte au cours de laquelle la possibilité d’un conflit ne semble pas avoir été reconnue ou prise en considération ne reflète pas un processus de délibération rigoureux, indépendant et objectif ».[3] Par conséquent, la Cour a conclu que la décision du conseil ne justifiait pas un niveau élevé de déférence.
Quant au bien-fondé, la Cour a examiné les trois raisons données par le conseil pour fixer la date de la réunion au 16 mai 2023. La première était d’éviter des coûts supplémentaires et la distraction que représente la tenue d’une assemblée spéciale en mars suivie d’une assemblée générale annuelle en mai. La seconde était de donner plus de temps aux participants pour examiner l’information et pour communiquer avec le conseil d’administration avant l’assemblée extraordinaire. La Cour n’a trouvé aucune de ces deux raisons convaincantes.
La troisième justification évoquée était le désir de donner au Plan d’optimisation une chance d’être déployé et de se matérialiser durant un autre trimestre au niveau des résultats financiers. La Cour a conclu qu’il ne s’agissait pas là d’un facteur raisonnable à prendre en considération pour déterminer la date de la réunion. Le conseil d’administration n’a énoncé aucune étapes ou événements spécifiques susceptibles de se produire et de se refléter au cours du premier trimestre, ce qui, selon la Cour, était [traduction] « trop vague et spéculatif pour être significatif ».[4] Sandpiper a demandé la tenue d’une réunion dans le but d’élire de nouveaux administrateurs, afin de contrôler la supervision du Plan d’optimisation par le conseil. La Cour a estimé que cet objectif serait [traduction] « à tout le moins diminué, même s’il n’est pas rendu inutile, en permettant au conseil existant de poursuivre sa mise en œuvre plus longtemps que ce qui est nécessaire et justifié jusqu’à la tenue de la réunion spéciale ».[5]
Par conséquent, la Cour a conclu que le conseil n’a pas tenu la réunion spéciale avec célérité et dans un délai raisonnable, et que le retard de cinq mois pour la tenue de la réunion a entraîné un [traduction] « retard déraisonnable ou injustifiable ». La Cour a ordonné que l’assemblée extraordinaire se tienne dès que possible après le 1er mars 2023 et que l’information fournie aux participants comprenne les états financiers de First Capital pour l’exercice 2022. La Cour a noté que cela mènerait à la tenue de la réunion à la fin mars ou au début d’avril 2023.
Points à retenir
La décision de la Cour rappelle que lorsqu’ils répondent à des demandes de réunions, les conseils d’administration doivent s’engager dans un processus de délibération bien documenté durant lequel les conflits d’intérêts sont identifiés et traités de manière appropriée. Bien que la création d’un comité spécial ne soit pas obligatoire, le recours à des séances à huis clos au cours desquelles les administrateurs ciblés par le conflit ne participent pas à une partie de la réunion et se récusent du vote sur la résolution finale sont des pratiques potentiellement utiles. Le procès-verbal doit indiquer les raisons et les facteurs spécifiques pris en compte par le conseil pour le choix de la date de la réunion.