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Au cours des dernières années, le gouvernement de l’Alberta a révisé la Municipal Government Act (MGA), puissant texte législatif qui accorde aux municipalités des pouvoirs en matière de gouvernance, de taxation et de planification de la croissance. La dernière révision majeure de la MGA a eu lieu en 1995, et le gouvernement provincial déclare vouloir [traduction] « mettre à jour la MGA pour lui permettre de continuer à favoriser l’édification de collectivités solides, prospères et durables, à la grandeur de l’Alberta ».
Le processus de révision a été d’une ampleur considérable et le nombre de modifications proposées est important. En 2015, l’Assemblée législative de l’Alberta a adopté la Municipal Government Amendment Act (projet de loi 20) qui a été suivie de la Municipal Government Act (projet de loi 21) en 2016. Plus récemment, le projet de loi 8, An Act to Strengthen Municipal Government, a été déposé à l’Assemblée législative. Le gouvernement provincial a classé les modifications en trois grandes catégories : (1) les pouvoirs dont disposent les municipalités pour gouverner; (2) la collaboration entre municipalités et la planification de leur croissance; (3) le financement des municipalités.
Bien que nous abordions brièvement la gouvernance et le financement, le texte qui suit porte principalement sur la deuxième catégorie de modifications, soit celles relatives au régime applicable à l’aménagement du territoire et à l’urbanisme. Le gouvernement provincial a lancé un site Web dédié à cette révision, présentant les motifs à l’appui des modifications, de façon détaillée.
Gouvernance
Bon nombre des modifications en matière de gouvernance ont pour fonction d’apporter des précisions sur les pouvoirs municipaux existants et d’accroître la transparence et la responsabilisation de l’administration locale. Par exemple, toutes les municipalités seront tenues d’adopter un code de conduite pour les élus, et la portée du mandat du protecteur du citoyen de l’Alberta sera étendue de façon qu’il englobe les municipalités. Parmi les autres modifications importantes, on compte la capacité des municipalités de constituer des personnes morales à but lucratif qu’elles contrôleront, sans devoir obtenir une approbation ministérielle, et la capacité de collaborer avec des collectivités autochtones avoisinantes et de conclure des ententes de services avec elles.
Financement et imposition
Voici quelques-unes des modifications proposées :
- la centralisation de l’évaluation de la machinerie industrielle et du matériel à l’échelon provincial;
- l’établissement de nouvelles catégories de propriétés non résidentielles auxquelles on pourra appliquer des taux différents;
- l’arrimage des taux d’impôt foncier non résidentiel à ceux des taux d’impôt foncier résidentiel, en limitant l’impôt non résidentiel à cinq fois l’impôt résidentiel le plus bas.
En ce qui concerne la contestation de l’évaluation foncière, les modifications proposées visent à clarifier, à augmenter l’efficience et à accélérer le processus d’appel à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, en ayant recours au contrôle judiciaire.
Aménagement et urbanisme
L’aménagement du territoire est l’une des principales fonctions d’une administration municipale; il n’est donc pas étonnant que d’importantes modifications aient été proposées aux dispositions pertinentes, lesquelles figurent à la partie 17 de la MGA. Certaines des modifications importantes sont présentées ci-dessous.
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Taxes hors site
Les modifications proposent d’étendre les types de coûts d’infrastructure que les promoteurs immobiliers pourraient être tenus de payer comme condition de l’obtention de l’approbation d’un aménagement ou d’un lotissement. La MGA désigne ces coûts sous le nom de [traduction] « taxes hors site », bien qu’on les appelle plus souvent « des droits d’aménagement ». Par le passé, des taxes hors site pouvaient être imposées pour couvrir le coût en capital des infrastructures de transport et de services publics (p. ex., les installations d’approvisionnement en eau, les canalisations d’égouts et de collecteurs pluviaux) alors que les modifications permettraient également d’imposer des taxes pour couvrir le coût en capital des casernes de pompiers, des postes de police, des bibliothèques et des installations récréatives.
D’autres modifications proposées permettraient d’ajouter les systèmes de transport provinciaux dans les infrastructures de transport faisant l’objet d’une imposition et autoriseraient les municipalités à imposer des taxes sur des infrastructures situées à l’extérieur du territoire d’une municipalité, lorsque la zone desservie par l’infrastructure est située dans plus d’une municipalité. De plus, un promoteur pourrait en appeler de l’imposition d’une taxe hors site directement auprès du Municipal Government Board.
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Logement d’inclusion
Les municipalités auraient dorénavant le pouvoir d’exiger des promoteurs que leurs projets immobiliers comprennent des logements hors marché ou qu’ils versent aux municipalités une indemnité correspondante qui serait affectée à la construction de logements sociaux. On s’attend à ce que des précisions sur ce nouveau pouvoir soient publiées dans un règlement provincial et à ce que les municipalités soient tenues d’offrir une certaine contrepartie (p. ex. une densité accrue) au promoteur qui serait tenu de construire des logements d’inclusion.
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Zone de terrains réservés
Le gouvernement provincial investit les municipalités de la capacité d’utiliser le modèle courant d’affectation de terrains aux fins des réserves municipales (p. ex., des terrains réservés pour des parcs publics, des écoles et des installations récréatives), processus déclenché dans le cadre du processus d’approbation d’un lotissement, en vue de financer le regroupement de terrains situés à l’extérieur du lotissement proposé. Pour se prévaloir de ce pouvoir, une municipalité devra adopter un règlement sur le regroupement de terrains afin de délimiter une zone géographique, ce qui lui permettrait par la suite d’exiger le versement d’un montant correspondant à 5 % de la valeur du terrain devant faire l’objet d’un lotissement, si le terrain fait partie de la zone préétablie. On ignore encore si un règlement sera adopté pour définir les modalités de la mise en œuvre de ce processus, mais du point de vue conceptuel, il semblerait que ce nouveau pouvoir pourrait être exercé tant à l’égard de nouveaux lotissements qu’à l’égard de projets de réaménagement urbain dont la superficie est supérieure à 0,8 hectare (environ 2 acres), soit le seuil actuel au-delà duquel les municipalités peuvent exiger des affectations réservées dans le cadre du processus d’approbation d’une demande de lotissement.
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Gestion de la croissance régionale
La mise sur pied d’une commission de la gestion de la croissance et l’élaboration d’un plan de croissance seront exigées pour la région de Calgary (la région de la capitale d’Edmonton s’est dotée d’une commission et d’un plan de croissance régionale depuis déjà un certain temps). Il est loisible aux autres régions de se doter, elles aussi, de commissions de gestion de la croissance. Ces modifications rendraient obligatoire la collaboration régionale dans les deux plus grandes zones métropolitaines de la province. Des précisions sur la façon de gérer la croissance seront données par règlement et, si l’on se fonde sur l’expérience d’Edmonton, la commission de gestion de la croissance sera probablement chargée de l’approbation des plans présentés en vertu de la loi et de la gestion des différends entre municipalités.
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Consultation des Autochtones
Dans le cas des municipalités voisines d’une réserve (terme défini dans la Loi sur les Indiens [Canada]) indienne existante ou d’un établissement métis, il sera dorénavant exigé que ces réserves indiennes ou ces établissements métis avoisinants soient avisés lors de l’élaboration de plans directeurs d’aménagement municipal, de façon qu’ils aient l’occasion de faire des suggestions ou de présenter des observations à l’égard de ces plans. Cette nouvelle « obligation d’aviser » prescrite par la loi suscitera l’intérêt de ceux qui sont bien au fait de l’obligation constitutionnelle de la Couronne de consulter les peuples autochtones avant de prendre des décisions qui pourraient avoir une incidence sur les droits des Autochtones ou sur les droits issus de traités.
Villes à charte
En plus de tout ce qui précède, deux nouveaux règlements seront adoptés en vue de l’établissement d’une charte pour chacune des villes de Calgary et d’Edmonton, ce qui les dotera d’outils supplémentaires pour traiter certaines questions particulières à leur statut de plus grandes villes de la province. Ces règlements devraient donner davantage de pouvoir à ces villes en ce qui concerne les constructions résidentielles hors marché, la gestion de l’environnement et l’aménagement du territoire.
La suite des choses
L’examen, par le gouvernement provincial, de la Municipal Government Act et les modifications qu’il y apporte constituent beaucoup plus qu’une mise à jour d’un texte législatif existant. En fait, bon nombre de ces modifications sont de nature à apporter des transformations. Bien que certaines modifications proposées soient déjà en vigueur, les changements les plus importants ne prendront effet que plus tard cette année, probablement aux alentours de la date prévue pour les élections municipales en Alberta.
En ce qui concerne les modifications apportées à la gouvernance et au financement, l’ensemble de ces modifications semble accroître la responsabilisation, la transparence et l’équité, et bon nombre de ceux qui ont déjà pris part au processus de contestation d’une évaluation seront probablement ravis de la simplification du processus d’appel et de contrôle judiciaire.
Dans les modifications proposées, on peut constater que l’accent a été placé sur la planification régionale et sur la collaboration intermunicipale. Ce n’est guère étonnant, si l’on songe au changement de politique effectué par la province au cours des dernières années : en effet, le gouvernement provincial s’est tourné vers la planification régionale de l’aménagement, en adoptant l’Alberta Land Stewardship Act. Ce qui est moins certain, c’est la réponse à la question de savoir si ces nouveaux outils législatifs inciteront vraiment les municipalités à collaborer à l’atteinte d’objectifs régionaux, ou si les municipalités se feront concurrence pour l’aménagement des terrains périphériques. Dans la région de Calgary, du moins, l’imposition d’une nouvelle commission de gestion de la croissance s’accompagnera probablement de « difficultés de croissance », dans une région qui a déjà eu sa part de soucis en matière de collaboration régionale jusqu’à maintenant.
L’éternelle question de savoir « qui devrait assumer les coûts de la croissance » semble pointer plus que jamais en direction du promoteur. Par le passé, les municipalités ne pouvaient imposer des droits d’aménagement que pour le coût des infrastructures matérielles (p. ex. les routes et les services publics); cependant, étant donné que les municipalités ont maintenant le pouvoir d’imposer des droits ou des taxes qui contribuent au paiement des infrastructures communautaires et sociales (p. ex., les postes de police, casernes de pompiers, bibliothèques, etc.), il est évident que le gouvernement provincial a l’intention de mettre davantage à contribution les promoteurs en ce qui concerne les coûts engagés pour la création de collectivités complètes. Si l’on ajoute à cela l’obligation de prévoir des logements d’inclusion, le fardeau financier imposé aux promoteurs va de toute évidence augmenter, à moins que des compensations ou d’autres avantages ne viennent en atténuer les effets.
L’un des principaux rôles des administrations municipales est de prendre des décisions en matière d’aménagement du territoire, et les municipalités exercent un pouvoir considérable à cet égard. Le cadre existant en matière d’aménagement et d’urbanisme a été principalement mis en place en vertu de la Planning Act de 1977, laquelle a été incorporée à la MGA en 1995. Même si le moment est peut-être venu de réviser les décisions politiques qui sous-tendent les dispositions actuelles de la MGA relatives à l’aménagement du territoire, l’avantage d’une stabilité législative à long terme est qu’elle offre une grande certitude et une grande prévisibilité aux municipalités, aux citoyens et aux promoteurs, et qu’elle sera bénéfique alors que l’Alberta émerge d’une longue période de faible croissance. Ces modifications, si elles sont mises en œuvre sous leur forme actuelle, apporteront sans nul doute un élément d’incertitude à cette stabilité. À long terme, on ignore encore si ces modifications entraîneront les résultats favorables et durables qu’espère atteindre le gouvernement provincial.