Une gouvernance et une conformité appropriées sont essentielles pour réduire les risques de crime financier

20 Mai 2021 9 MIN DE LECTURE

Stéphane Eljarrat est associé du groupe de litige d’Osler et dirige la pratique nationale du droit pénal des affaires. Établi à Montréal et à Toronto, il travaille en étroite collaboration avec l’équipe de gestion des risques et de réponse aux crises d’Osler, et représente des entreprises et des institutions dans un large éventail d’enquêtes internes et d’enquêtes et de procédures pénales. Stéphane est connu pour son expertise en matière de droit pénal des affaires, acquise au fil de décennies d’expérience en pratique privée et dans le secteur public.


Stéphane Eljarrat: Chaque entreprise devrait procéder à une analyse de ses activités afin de déterminer où se situent les risques potentiels. Si vous faites des affaires aux États-Unis ou au Royaume-Uni ou dans d’autres juridictions pays qui ont adopté des lois en matière de répression des crimes financier tel que la corruption transnationale qui pourraient avoir une portée extraterritoriale.


Q: Stéphane, vous représentez des entreprises et des institutions dans un large éventail de procédures. Quelles sont les priorités de votre pratique maintenant?

Stéphane: Ma pratique se concentre sur trois axes principaux : les enquêtes internes en lien avec des allégations d’actes répréhensibles, qu’ils soient de nature criminelle ou réglementaire ou qu’il s’agisse d’une conduite contraire à l’éthique, d’une violation à la conformité ou d’une fraude; la défense d’entreprises faisant l’objet de poursuites en matière de criminalité économique, y compris la défense d’entreprises faisant l’objet d’enquêtes réglementaires ou criminelles; et la fourniture de conseils en matière de conformité et de gouvernance aux clients relativement aux problèmes qui pourraient être soulevés par une enquête.

Nous nous occupons d’un large éventail d’enjeux, notamment : des enquêtes sur les valeurs mobilières, mais aussi les questions de lutte contre la corruption sur la scène internationale et nationale, des questions d’application des lois et règlements portant sur le blanchiment d’argent applicables notamment aux institutions financières, des questions de sanctions économiques et de violations des contrôle en matière d’exportation, ainsi que l’évasion fiscale. Nous prenons également en charge des enquêtes et des procédures en matière de concurrence en coopération avec notre groupe de droit sur la concurrence, ainsi que des dossiers de sécurité nationale. Par exemple, des acteurs étatiques étrangers ou des concurrents peuvent essayer d’accaparer des secrets commerciaux d’entreprise ou des renseignements gouvernementaux, dans le cas d’entrepreneurs desservant des organismes gouvernementaux. Nous connaissons bien les processus internationaux dans le contexte d’enquêtes criminelles et possédons une expérience comme conseiller de dirigeants et d’administrateurs d’entreprises publiques faisant l’objet de demandes d’extraditions et mandats d’arrêt internationaux (notices rouges d’Interpol).


Q: Quels types de problèmes éprouvent les entreprises canadiennes en ce moment?

Stéphane: Au début de la pandémie de COVID-19, il existait des indicateurs à l’effet que le volume de fraudes internes et externes augmenterait. Cette augmentation serait causée par des problèmes économiques engendrés par la crise et d’autres problèmes personnels auxquels font face certains employés, en plus du fait que les télétravailleurs ont l’impression qu’ils sont moins surveillés. Ces indicateurs se sont avérées puisque nous avons constaté une augmentation des fraudes internes, mais les fraudes externes ont également beaucoup augmenté incluant la cyberfraude.


Q: Vous avez récemment été reconnu par Benchmark Canada en tant qu’avocat en litige de l’année dans le domaine du droit pénal et de l’application de la loi pour la deuxième année consécutive. Pourquoi avez-vous reçu cet honneur?

Stéphane: L’année dernière, nous nous sommes particulièrement occupés d’enquêtes internes sur des cas de fraude dans des institutions financières. Nous sommes non seulement en mesure d’aider le client dans le cadre de procédures criminelles connexes, mais nous collaborons aussi avec des collègues du groupe de litige sur des procédures de recours et des actions collectives connexes. Actuellement, nous nous occupons aussi d’affaires notamment en corruption étrangère et d’enquêtes sur les valeurs mobilières.


Q: Votre pratique a-t-elle évolué au fil des ans?

Stéphane: La pratique du droit pénal des affaires est encore émergente au Canada. Elle s’est répandue au cours de la dernière décennie. Comparativement aux États-Unis où les enquêtes sur des crimes financiers sont devenus routiniers, le Canada pour sa part a été critiqué dans le passé pour son manque efforts en termes d’application de la loi à ce domaine. Toutefois, on assiste à une augmentation du nombre d’enquêtes sur des crimes financiers au Canada. Cette tendance semble aussi se manifester ailleurs dans le monde.

Depuis la récente introduction d’accords de réparation au Canada (aussi appelés dans d’autres juridictions « accords de poursuite suspendue »), nous nous attendons à voir un accroissement du nombre d’affaires criminelles corporatives être résolues sans procès. Lorsque vous avez un système qui permet aux entreprises de se rattraper et de poursuivre leurs activités, je crois que c’est une excellente solution et une très bonne façon de combattre les crimes financiers. Lorsque vous sanctionnez une entreprise, des employés, des créanciers, des investisseurs, des fournisseurs et d’autres parties prenantes innocentes subiront de graves conséquences financières. Vous voulez donner aux entreprises qui ont commis des actes répréhensibles dans le passé la chance de se réformer et de se conformer à la loi.


Q: Les crimes économiques sont-ils une des principales préoccupations des clients en ce moment?

Stéphane: Les entreprises sont plus conscientes de ces problèmes. C’est devenu un problème mondial. Le Royaume-Uni, la France, l’Australie, la Nouvelle-Zélande – la majorité des pays dans le monde prennent les crimes économiques plus au sérieux. En Europe, par le passé, on ne voyait pas d’entreprises faire couramment l’objet de poursuites ou des membres de la haute direction aller en prison pour des crimes financiers graves. Maintenant, ce sont des choses qui arrivent plus souvent. C’est un mouvement planétaire et le Canada en fait partie.


Q: Les entreprises sont-elles plus proactives dans la prévention de crimes économiques?

Stéphane: De plus en plus d’entreprises revoient leurs politiques de conformité, codes de conduite et politiques sur l’utilisation des technologies de l’information. Les télétravailleurs pourraient, par exemple, avoir des occasions de voler des renseignements confidentiels importants. Le stress inhérent et la pression causés par les conditions de travail à la maison créent des occasions pour commettre des crimes. Je donne souvent comme exemple le principe MISE (argent, idéologie, sexualité et ego) pour expliquer les diverses raisons qui motivent les êtres humains à adopter des comportements criminels et contraires à l’éthique. Les personnes commettent parfois un crime, non pas pour obtenir de l’argent, mais parce qu’elles sont déçues par l’entreprise qui les emploie, ou elles veulent prouver qu’elles peuvent régler un problème et, ce faisant, elles causent des ennuis à la société.


Q: Les entreprises devraient-elles se concentrer sur des enjeux en matière d’application de règles interne en ce moment?

Stéphane: Au Canada, nous sommes rendus à l’étape où il est important que des évaluations de risques ne soient pas effectuées seulement pour identifier des risques réglementaires, mais aussi pour réduire l’exposition relative à la responsabilité criminelle des entreprises. Si, par exemple, une entreprise a besoin d’un permis pour exercer ses activités dans une autre juridiction, le risque est plus élevé. Si vous exercez des activités dans un territoire où le risque de corruption est plus élevé, votre analyse devrait certainement en tenir compte. Chaque entreprise devrait examiner ses activités dans leur ensemble et déterminer où se situent les risques, en particulier si vous faites des affaires principalement aux États-Unis ou au Royaume-Uni, pays, parmi d’autres, qui ont adopté une législation exhaustive sur la corruption ayant une portée extraterritoriale. Les entreprises devraient prendre du recul et identifier les sources potentielles de risques. Sans malhonnêteté en tant qu’entité, les entreprises pourraient engager des personnes ou des agents qui, à un certain moment, pourraient décider de poser des gestes qui vont à l’encontre des intérêts de l’entreprise et lui causer de sérieux ennuis. Il y a toujours des façons d’améliorer les programmes de conformité en place.


Q: Le Canada a été critiqué pour son retard face à d’autres pays lorsqu’il est question d’appliquer sa législation sur la lutte contre la corruption. Pensez-vous que la situation s’améliore?

Stéphane: En ce qui a trait à l’application des lois, nous sommes encore en retard. L’application des lois demeure sous-financée, ce qui nuit à la capacité de faire avancer les dossiers. Les affaires de corruption internationale sont généralement assez complexes et nécessitent de longues enquêtes dans plusieurs pays. La bonne nouvelle dans le cadre de l’application des lois est qu’il n’y a généralement aucune prescription pour ce type de crime. Il arrive souvent que le recours d’application des lois soit entamé dans un autre pays et qu’il y ait un élément lié au Canada. C’est ainsi que le Canada est impliqué.


Q: Que peuvent faire les entreprises en ce moment pour se protéger?

Stéphane: Mettre en œuvres les meilleures pratiques en matière de gouvernance et de conformité. C’est ce permet de créer et maintenir une culture de conformité fondée sur des valeurs éthiques. Avec le temps, les pressions économiques et le stress en général peuvent nuire à cette culture. Cela est particulièrement vrai dans le contexte actuel de la COVID-19. Les valeurs d’entreprise risquent d’être reléguées au second plan dans le contexte où plupart des employés travaillent à distance. C’est dans ces moments que ça devient risqué, particulièrement lorsque les personnes subissent un stress financier ou sont aux prises avec des problèmes de santé mentale liés au stress causé par pandémie et l’incertitude qu’elle engendre.

Le code d’éthique de l’entreprise n’est pas un document que les employés devraient signer seulement une fois par année. Il doit être mis en application et créer un climat adhésion. Certains le voient comme « ce document sans intérêt que je dois signer chaque année ». C’est un document qui constitue le point de départ en matière. De plus, ne négligez pas l’application des règles éthiques et de conformité. Un individu qui a posé un petit geste répréhensible finira par être tenté en poser un geste plus grave. Soyez constant dans l’application des politiques d’entreprise.