Une Première Nation se voit refuser une demande d’injonction sur le fondement du préjudice subi par la société défenderesse

2 Mai 2018 4 MIN DE LECTURE

Malgré « la probabilité réelle et non conjecturale d’un préjudice irréparable »[1] pour la Première Nation de Namgis (PNN), la Cour fédérale, dans l’affaire La Première Nation de Namgis c. Canada (Pêches, Océans et Garde côtière), a refusé d’accorder à la PNN une injonction interlocutoire en raison de la présentation tardive de la requête et du manque de consultation réciproque avec l’exploitant de pisciculture touché. 

Cette décision confirme le fait qu’un préjudice aux exploitants et aux promoteurs de projets constitue le fondement du refus d’accorder une injonction interlocutoire, autrement valable en droit.

Contexte

La PNN a déposé une demande visant à faire interdire au ministre des Pêches et des Océans et de la Garde côtière l’octroi d’un permis (« permis de transfert ») à Marine Harvest Canada Inc. (« Marine Harvest »). Ce permis autoriserait Marine Harvest à transférer jusqu’à un million de saumoneaux de l’Atlantique à son installation aquacole de l’île Swanson (« l’installation »), située sur le territoire revendiqué par la PNN. La PNN cherchait également à faire interdire à Marine Harvest de demander et d’obtenir un permis de transfert pour l’installation ou d’y donner suite.

La requête de la PNN visait l’octroi d’une injonction interlocutoire en attendant la décision ultime relativement au contrôle judiciaire d’une politique de Pêches et Océans Canada de ne pas soumettre les saumoneaux à un test de dépistage du réovirus pisciaire ou de l’inflammation des muscles squelettiques et cardiaques (« les maladies ») avant de délivrer un permis de transfert.

Décision

La Cour a appliqué le critère en trois volets pour l’injonction interlocutoire comme suit :[2]

Questions sérieuses à juger : les parties s’entendent pour dire qu’il existe des questions sérieuses à juger ayant trait à l’obligation du ministre de réglementer les transferts de poissons et à l’obligation de consultation et d’accommodement à l’endroit de la demanderesse.

Préjudice irréparable : en se fondant en grande partie sur les témoignages d’experts, la PNN a établi un sérieux risque de préjudice irréparable, en raison, notamment, de ce qui suit :

  1. l’absence totale de consultation auprès de la PNN de la part du ministre au sujet du transfert du saumon dans le territoire revendiqué, malgré la reconnaissance de la revendication des droits de pêche autochtones;
  2. un risque grave d’épuisement des stocks de saumon si les maladies se propagent.

Prépondérance des inconvénients : malgré le risque de préjudice irréparable à la PNN, la Cour a conclu que la prépondérance des inconvénients fait pencher en faveur de Marine Harvest et a rejeté la demande d’injonction, pour les motifs suivants :

  1. Marine Harvest exploite l’installation avec permis de transfert depuis des années;
  2. Marine Harvest essuierait une perte de 2,1 millions de dollars si l’injonction était accordée;
  3. la PNN n’a déposé sa demande d’injonction urgente que quelques jours avant le début prévu du transfert des saumoneaux, soit environ 11 semaines après que Marine Harvest eut avisé la PNN de ses projets de transfert.

Dans sa conclusion, la Cour a noté que « les groupes autochtones ne doivent pas entraver les tentatives de consultation de bonne foi ».[3] La Cour a conclu que, dans l’ensemble, Marine Harvest avait poursuivi le dialogue avec la PNN; par contre, la PNN n’a pas donné d’avertissement à Marine Harvest de la requête imminente en redressement interlocutoire. Si la PNN avait avisé Marine Harvest qu’elle demandait une injonction, ou si elle avait déposé sa demande d’injonction en temps opportun, Marine Harvest aurait été en position d’atténuer les risques de préjudice.[4]

Leçons à tirer par les exploitants et les promoteurs

Cette décision confirme que le préjudice aux exploitants et aux promoteurs constitue le fondement du refus d’accorder une injonction interlocutoire à laquelle un groupe autochtone aurait autrement droit. De plus, à titre de bonne pratique d’exploitation et en vue de protéger les droits légaux, les exploitants et les promoteurs devraient toujours offrir de consulter les groupes autochtones concernés et de discuter avec eux de l’incidence potentielle de leurs projets sur les droits et les titres revendiqués ou établis. Lorsque les groupes autochtones refusent de se conformer à leurs obligations réciproques de consultation, le redressement devrait être refusé.

 


[1] La Première Nation de Namgis c. Canada (Pêches, Océans et Garde côtière), 2018 CF 334, alinéa 93 [Décision].

[2] RJR-MacDonald Inc c. Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS, aux pages 347 à 349.

[3] Décision, alinéa 109.

[4] Ibid.