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Mesures fiscales liées à la COVID-19 et proposition de réforme fiscale internationale

Auteur(s) : Patrick Marley, Peter Macdonald, Ilana Ludwin, Kaitlin Gray, Taylor Cao

Le 8 décembre 2020

Les mesures prises par le Canada en réponse à la COVID-19 et sa participation à la poursuite d’une réforme fiscale internationale par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) constituent deux développements fiscaux importants survenus en 2020.

Les mesures liées à la COVID-19 comprenaient des allégements de diverses échéances en matière d’administration de l’impôt et de contentieux fiscal, ainsi que de nouveaux programmes de soutien financier. Le Canada a utilisé son système fiscal comme un moyen efficace pour apporter un soutien économique à divers secteurs de l’économie touchés par la pandémie. Par conséquent, l’on prévoit que le Canada enregistrera son déficit le plus important depuis la Seconde Guerre mondiale. Les déficits budgétaires importants résultant des dépenses liées à la COVID-19 forceront le Canada à augmenter ses recettes futures.

La proposition de réforme fiscale internationale pilotée par l’OCDE est l’une des façons d’y parvenir. Les propositions de l’OCDE étendraient les droits d’imposition attribués à la juridiction du marché (« Pilier 1 ») et établiraient un taux minimum d’imposition auquel seraient assujetties les multinationales à l’échelle mondiale (« Pilier 2 »). Si elles sont adoptées, ces mesures modifieront substantiellement le cadre fiscal international actuel du Canada.

Réponse du Canada à la COVID-19 – allégement administratif et soutien financier

En réponse à la pandémie de COVID-19 en cours, l’Agence du revenu du Canada (ARC) a accordé un allégement administratif procédural en reportant la plupart des échéances de déclaration de revenus et de paiement des impôts sur le revenu et des acomptes provisionnels de 2019, ainsi qu’en reportant temporairement les échéances pour la présentation des avis d’opposition. Un allégement des intérêts et des pénalités qui auraient normalement dû s’accumuler pendant ces prolongations a été automatiquement accordé. Les dates limites pour les versements de la TPS/TVH (mais pas pour les retenues à la source) ont également été reportées. L’ARC a suspendu les mesures de recouvrement des nouvelles dettes et a indiqué qu’elle était prête à accepter des ententes de paiement flexibles pour les dettes existantes.

Un allégement administratif limité a été accordé. L’ARC a publié des directives temporaires (qui ont expiré le 30 septembre et n’ont pas été mises à jour) en matière de résidence et d’établissement stable, ainsi que sur d’autres questions de portée internationale soulevées pendant la crise de la COVID-19. L’allégement s’appliquait aux particuliers et aux sociétés résidant dans des pays qui ont conclu des conventions fiscales avec le Canada et, autrement, était accordé au cas par cas. En général, les contribuables touchés ne seraient pas considérés comme des résidents du Canada, ou comme exploitant une entreprise ou ayant un établissement stable au Canada, uniquement en raison des restrictions de voyage et de mobilité liées à la pandémie. L’ARC a également accordé certains allégements des exigences de retenue et de versement transfrontaliers pour les cas où une exemption ou un certificat de décharge aurait autrement été requis. Sur le plan national, l’ARC a indiqué que les remboursements de 500 $ aux employés pour l’achat d’équipement nécessaire au travail à domicile ne constitueraient pas un avantage imposable.

La COVID-19 a fait des ravages dans le domaine du contentieux fiscal. La Cour de l’impôt a été fermée de mars à juillet. Les délais de procédure applicables aux procédures judiciaires, y compris les délais de prescription, ont été prolongés par des lois fédérales et en vertu d’ordonnances de la Cour. L’arriéré d’audiences qui en a résulté a conduit la Cour à soutenir de plus en plus les règlements entre les parties, y compris au moyen d’une nouvelle initiative de processus accéléré de conférences de règlement.

Diverses prestations liées à la pandémie ont été mises en place à partir du mois de mars. Pour les particuliers, la Prestation canadienne d’urgence (PCU) consistait en une prestation de 2 000 $ par mois généralement accessible aux personnes mises à pied qui avaient eu des revenus d’au moins 5 000 $ au cours de l’année précédente. La PCU a maintenant été remplacée par la Prestation canadienne de la relance économique (PCRE). Les employeurs pouvaient demander la Subvention salariale d’urgence du Canada (SSUC) qui subventionnait jusqu’à 75 % des salaires payés par les entreprises subissant une baisse de revenus. Les employeurs pouvaient également demander le remboursement de certains versements de retenues à la source. Les conditions d’admissibilité à la SSUC sont complexes et le programme a fait l’objet d’une importante révision au cours de l’été. Les paiements reçus dans le cadre de la PCU et de la SSUC constituent des revenus imposables. De nombreuses autres prestations ciblées ont été mises en place, notamment pour les petites entreprises, les étudiants, les fournisseurs de soins et les personnes malades ou obligées de s’isoler.

Mesures proposées pour l’imposition des entreprises du marché numérique et des entreprises en contact direct avec les consommateurs et pour l’adoption d’un taux d’imposition minimum mondial

Le Canada a participé activement au projet pluriannuel de l’OCDE et du G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS) qui cible les stratégies de planification fiscale visant à transférer les bénéfices vers des territoires à faible taux d’imposition.

Les rapports BEPS publiés en 2015 visaient à améliorer la cohérence, la substance et la transparence du système fiscal international. Le projet BEPS a également créé un instrument multilatéral (IM) en 2016 pour mettre en œuvre les mesures relatives aux conventions. À ce jour, l’IM a été signé par 94 pays (et ratifié par 53 d’entre eux). L’IM est entré en vigueur au Canada à la fin de 2019 pour la plupart des conventions du pays, bien que pour certains gains en capital, il n’entrera pas en vigueur avant le 1er janvier 2021.[1]

De nombreux pays n’étant pas satisfaits des résultats du projet BEPS, l’OCDE a introduit en 2019 une approche à deux piliers de la réforme de la fiscalité internationale afin de prendre en compte l’économie numérique et les questions non résolues dans le cadre du projet BEPS.

Les propositions du Pilier 1 du projet BEPS représentent un changement fondamental du système fiscal international du fait de l’attribution à la juridiction du marché (où se trouvent les clients) de nouveaux droits d’imposition à l’égard des entreprises de services numériques automatisés et de certaines entreprises en contact direct avec les consommateurs. Bien que diverses questions techniques et politiques restent en suspens, certaines exemptions propres à des secteurs particuliers ainsi qu’un seuil de revenu minimum consolidé de 750 M€ pour les entreprises multinationales sont envisagés. 

Le nouveau droit d’imposition est intentionnellement libéré des principes fiscaux existants qui exigent une présence physique dans le territoire et permettrait de réaffecter un montant estimé à 100 G$ d’impôt sur les bénéfices résiduels des sociétés hors des territoires de résidence vers les juridictions d’origine ou de marché. 

Les propositions se heurtent à des écueils créés par les États-Unis qui ont suggéré que les règles soient appliquées sur une base d’option d’adhésion. Les États-Unis sont sans aucun doute préoccupés par les répercussions potentielles sur un certain nombre de géants américains du secteur numérique. Inversement, l’Union européenne s’est généralement montrée très favorable aux propositions. Un certain nombre de pays de l’Union européenne ont introduit séparément des taxes nationales autonomes sur les produits et services numériques (et d’autres menacent de le faire en l’absence d’un consensus sur le Pilier 1). 

Les propositions relatives au Pilier 2 introduisent un taux d’imposition minimum mondial pour les groupes d’entreprises multinationales dont le revenu total consolidé est d’au moins 750 M€.

Si le taux d’imposition effectif d’un groupe d’entreprises multinationales dans un certain territoire est inférieur au taux minimum convenu, un impôt complémentaire sera généralement perçu auprès des membres du groupe dans d’autres territoires aux termes soit d’une « règle d’inclusion du revenu » (RIR), soit d’une « règle relative aux paiements insuffisamment imposés » (RPII). Les calculs utilisent les résultats de la comptabilité générale comme point de départ et tiennent compte des pertes subies au cours d’autres périodes ou par d’autres entités dans le même territoire, des impôts locaux « excédentaires » payés et d’une formule d’exclusion pour les activités de fond dans le territoire local.

Les impôts complémentaires seraient perçus aux termes de la RIR auprès des entités mères résidant dans les territoires qui adoptent le Pilier 2. La RPII agit comme un filet de sécurité en attribuant tout impôt complémentaire restant aux autres membres du groupe en fonction des paiements déductibles effectués par ces derniers à l’entité faiblement imposée et de leurs dépenses intragroupes nettes.

Les propositions du Pilier 2 comprennent également des exceptions pour les entités et fonds d’investissement exonérés d’impôt, ainsi qu’une « règle d’assujettissement à l’impôt » fondée sur une convention fiscale qui permet d’appliquer une retenue à la source complémentaire à certains types de paiements entre personnes liées.

Pour plus de détails sur les propositions du Pilier 1 et du Pilier 2, veuillez consulter notre mise à jour Osler intitulée « L’OCDE publie des rapports directeurs sur la réforme fiscale internationale (premier et deuxième piliers) et lance une consultation publique » sur osler.com.

Des progrès significatifs ont été réalisés en ce qui a trait aux détails techniques concernant le Pilier 1 et le Pilier 2, mais de nombreux points restent à résoudre et des modifications importantes devront également être apportées aux lois et conventions nationales. L’OCDE espère que les questions politiques et techniques en suspens seront résolues d’ici la mi-2021.

Plutôt que d’attendre un consensus mondial, de nombreux pays ont introduit des mesures fiscales numériques unilatérales (ce à quoi les États-Unis ont répondu en imposant ou menaçant d’imposer des tarifs douaniers). Dans son programme électoral de 2019, le Parti libéral a préconisé une taxe de 3 % sur les revenus canadiens générés par certaines entreprises de services de publicité et d’intermédiation numérique dont les revenus mondiaux s’élèvent à au moins 1 G$ et dont les revenus générés au Canada excèdent 40 M$. Bien que le budget fédéral de 2020 ait été retardé en raison de la COVID-19, dans son discours du Trône de 2020, le gouvernement a signalé que faire payer aux géants du numérique leur juste part d’impôt constituait une priorité. Il reste à voir si le Canada ira de l’avant avec sa démarche avant de connaître le résultat des négociations actuelles de l’OCDE et des menaces de guerre tarifaire.

Nous prévoyons que le Canada cherchera à introduire de nouvelles mesures fiscales nationales et internationales en 2021 et au-delà, d’autant plus que notre gouvernement libéral minoritaire actuel est soutenu par le Nouveau Parti démocratique, une formation de gauche. Il sera important de suivre ces mesures de près, car elles pourraient avoir une incidence importante sur les investissements intérieurs et transfrontaliers au Canada.


[1]     L’IM pourra prendre effet à une date ultérieure dans certains autres pays. De plus, l’IM ne s’appliquera pas aux conventions fiscales intervenues entre le Canada et les États-Unis (qui n’ont pas signé l’IM), ni à celles entre le Canada et l’Allemagne ou la Suisse (pays avec lesquels le Canada a annoncé des négociations d’accord bilatéral).