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Autorisation d’actions collectives en matière de valeurs mobilières : un juste milieu

Auteur(s) : Craig Lockwood, Lipi Mishra

Le 13 décembre 2021

Au cours de la dernière année, une série de décisions éclairantes rendues par les tribunaux de l’Ontario a réaffirmé le rôle de l’obligation juridique d’autorisation dans le cadre de recours fondés sur la présentation inexacte de faits sur le marché secondaire en tant qu’outil de contrôle efficace. Ce faisant, les tribunaux ontariens ont confirmé leur volonté d’éliminer les procédures non fondées sur le marché secondaire à un stade précoce. Plus précisément, les décisions rendues dans les affaires Cronos et Peters illustrent le fait que les tribunaux de l’Ontario sont de plus en plus disposés à s’engager dans une évaluation significative de la viabilité des actions collectives proposées en vue d’obtenir un allégement en vertu de la partie XXIII.1 de la Loi sur les valeurs mobilières (Ontario) (la « Loi sur les valeurs mobilières ») au stade de l’autorisation préalable, contrairement à l’approche plus réservée adoptée dans le contexte de requêtes sous-jacentes de certification des actions collectives. De même, la décision rendue dans l’affaire Pretium illustre la volonté des tribunaux d’éliminer les actions collectives proposées en matière de valeurs mobilières fondées sur une requête en jugement sommaire, même lorsque l’autorisation en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières a été précédemment accordée.

Prises ensemble, ces affaires confirment que les tribunaux interviennent de plus en plus en vue d’exercer leur contrôle, tout particulièrement dans le contexte des recours non fondés sur le marché secondaire. Ces tendances devraient rassurer quelque peu les émetteurs. L’approche interventionniste des tribunaux devrait, souhaitons-le, dissuader les demandeurs d’entamer des recours manifestement indéfendables et faire état des avantages, pour les défendeurs, d’utiliser les outils dont ils disposent, tels que l’obligation d’autorisation ou le jugement sommaire, pour mettre fin rapidement à ces recours.

Ces trois décisions fournissent également des indications utiles sur ce que les tribunaux considèrent comme « important » lorsqu’ils déterminent si une présentation inexacte des faits donnant lieu à une action collective a été communiquée ou non. Au stade de l’autorisation, le défaut de plaider avec précision ou sans preuve suffisante en faveur d’une présentation inexacte des faits peut s’avérer fatal dans le cadre de la requête d’un demandeur visant une autorisation. La fiabilité de l’information (y compris l’expertise de la partie qui la fournit) est essentielle pour déterminer si l’information sera considérée comme « importante ».

Fondement juridique de la responsabilité sur le marché secondaire

En Ontario, les règles qui régissent la responsabilité sur le marché secondaire sont énoncées dans la partie XXIII.1 – Responsabilité civile quant aux obligations d’information sur le marché secondaire de la Loi sur les valeurs mobilières. Des dispositions essentiellement similaires ont été adoptées dans d’autres lois provinciales sur les valeurs mobilières. Les requêtes pour présentation inexacte de faits en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières permettent aux investisseurs sur le marché secondaire de réclamer des dommages-intérêts pour présentation inexacte dans les documents d’information continue ou les déclarations publiques d’un émetteur sans exiger de preuve quant à une obligation de diligence ou de fiabilité. En vertu de la Loi sur les valeurs mobilières, l’admissibilité d’une « présentation inexacte » de faits, pour une déclaration ou une omission, dépend du caractère substantiel de la déclaration ou de l’omission, étant donné qu’une présentation inexacte s’applique à un « fait important ». En vertu de la Loi sur les valeurs mobilières, un fait important est « un fait dont il est raisonnable de s’attendre qu’il aura un effet appréciable sur le cours ou la valeur [des] valeurs mobilières ».

Une action pour présentation inexacte sur le marché secondaire en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières nécessite l’autorisation du tribunal. Celui-ci n’accordera une autorisation que s’il estime que l’action est intentée de bonne foi et qu’« il est raisonnablement possible que l’action soit réglée au moment du procès en faveur du demandeur ». Dans l’affaire Theratechnologies, la Cour suprême du Canada a énoncé le critère juridique applicable à l’autorisation en 2015, en affirmant qu’il est censé être un « mécanisme de filtrage dissuasif musclé » et qu’il doit représenter plus qu’un « dos d’âne ». Pour atteindre le critère préliminaire, le demandeur porte le fardeau de la preuve. Le demandeur doit fournir une analyse plausible des dispositions législatives applicables et présenter des éléments de preuve crédibles à l’appui de son recours.

Dans les décisions rendues dans les affaires Theratechnologies et Banque Canadienne Impériale de Commerce, la Cour suprême du Canada a également confirmé que le critère d’obtention d’une autorisation est différent du critère d’autorisation ou de certification d’une action collective. De plus, il impose un critère préliminaire plus élevé.

Les tribunaux affirment leur rôle de contrôleur dans des décisions récentes (2021)

La décision dans l’affaire Cronos

Dans les affaires Cronos et Peters, les tribunaux ont rejeté les requêtes respectives des demandeurs visant une autorisation de procéder à des recours pour présentation inexacte de faits en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières et, par extension, leurs requêtes complémentaires de certification en vertu de la Loi de 1992 sur les recours collectifs. En réaffirmant la fonction de contrôle du critère d’autorisation en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières, les deux affaires soulèvent des questions intéressantes sur le critère préliminaire du caractère substantiel.

Dans l’affaire Cronos, le demandeur a fait valoir 7 449 allégations de présentations inexactes de faits liées à certaines opérations financières effectuées par Cronos, une société de cannabis. Ces présentations inexactes auraient donné lieu à une comptabilisation erronée des produits. À cet effet, la société a par la suite admis, dans des états financiers et des rapports de gestion retraités, des lacunes importantes dans ses contrôles internes à l’égard de l’information financière, contrôles qu’elle avait présentés comme étant fonctionnels au préalable.

Au début de ses explications, le juge Morgan a précisé que l’obligation d’autorisation laisse place à une évaluation du recours plus substantielle plutôt qu’à une évaluation des procédures uniquement. En revanche, il est interdit au juge saisi de la requête d’évaluer la rigueur du recours au stade de certification.

Le juge Morgan a donc rejeté l’autorisation, car il trouvait qu’aucun élément ne prouvait qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que les milliers de présentations inexactes de faits alléguées aient un effet considérable sur le cours ou la valeur des titres de Cronos. Il est important de noter que dans sa réflexion ayant mené à sa décision, le juge Morgan a souligné qu’un retraitement des états financiers peut être la preuve d’une inexactitude préalable, mais qu’il ne pèse pas suffisamment lourd dans la balance pour renverser les preuves soumises par des experts en matière de caractère substantiel comme quoi de telles corrections avaient peu ou pas d’incidence sur le marché. Ce sont les investisseurs qui considèrent le retraitement comme étant important et non les comptables.

Dans ce cas particulier, les preuves liées au caractère substantiel fournies par les demandeurs étaient pratiquement inexistantes. Selon le juge Morgan, les preuves qui ont été présentées n’étaient pas très solides et avaient tendance à confondre les fluctuations du cours des actions dans l’ensemble du marché, tout particulièrement les cours qui coïncidaient avec le début de la pandémie de COVID-19 en mars 2020, avec les fluctuations propres à l’entreprise. Par conséquent, le juge a conclu que le défaut du demandeur de plaider avec précision en faveur d’une présentation inexacte de faits, combiné à un manque de preuves quant au caractère substantiel, ont fait en sorte que le demandeur a été incapable de prouver qu’il pouvait être raisonnablement possible, dans le cadre d’un procès, que la présentation inexacte des faits alléguée soit considérée comme importante.

En ce qui concerne la certification, le juge Morgan a tenu compte des recours en common law du demandeur pour négligence relative à la présentation inexacte, ainsi que du recours en cas d’abus en vertu de la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario. Ces recours ont été rapidement rejetés du fait que le demandeur n’a pas fourni de faits pertinents et suffisamment importants pour prouver sa cause. Selon le juge Morgan, les recours pour présentation inexacte de faits contre Cronos, qu’ils soient formulés en vertu des lois ou de la common law, étaient dépourvus de précisions quant à la nature de la présentation inexacte ayant entraîné la perte. Selon ce fondement, les requêtes visant l’autorisation et la certification ont été rejetées.

La décision dans l’affaire Peters

Dans l’affaire Peters, le juge Perell a également refusé les requêtes du demandeur visant l’autorisation de procéder à une action collective en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières et en vue de la certification. Dans cette affaire, le demandeur a allégué que SNC avait omis de présenter un changement important en ne divulguant pas la décision du directeur des poursuites pénales du Canada de ne pas inviter SNC à négocier un accord de réparation.

À cet égard, le juge Perell a noté que la principale erreur dans l’argumentaire du demandeur a été d’analyser les faits importants au lieu des changements importants. L’analyse juridique du demandeur a ignoré le principe fondamental selon lequel les « faits importants » sont un concept plus vaste que les « changements importants », qui se limitent aux changements dans l’entreprise ou ses activités, ou dans le capital de l’émetteur. À l’inverse, les « faits importants » englobent tout fait dont on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il ait un effet considérable sur le cours ou la valeur des titres d’un émetteur, ce qui va au-delà des questions qui touchent l’entreprise ou ses activités, ou encore le capital de l’émetteur.

Le juge Perell a fait remarquer qu’aucun facteur unique, comme la fluctuation du cours de l’action, ne permet de déterminer de façon concluante qu’un changement important s’est produit. Ainsi, pour qu’un manquement à l’obligation de présenter un changement important puisse donner lieu à une action collective, il faut plus qu’un simple changement suivi d’une baisse du cours de l’action. En fin de compte, le juge Perell a conclu que comme les preuves dont il disposait n’indiquaient pas de manière crédible un changement important susceptible de mettre rapidement en péril les obligations d’information de l’entreprise, il était raisonnablement impossible de croire que le demandeur pourrait avoir gain de cause dans le cadre de son action collective en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières.

Le juge Perell a également rejeté la requête visant la certification, étant donné que l’autorisation n’a pas été accordée pour la présentation inexacte de faits prévue par la loi et que, par conséquent, il était logique que le recours en vertu de la loi n’obtienne pas la certification à titre d’action collective. En ce qui concerne les recours pour négligence quant à la présentation inexacte de faits selon la common law, le juge Perell a déclaré que lorsqu’une autorisation de faire valoir un recours en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières est refusée, un recours fondé sur les mêmes allégations de présentation inexacte des faits selon la common law ne répondra pas au critère de procédure à privilégier et n’obtiendra donc pas de certification.

Un juste milieu

Il existe un principe bien établi comme quoi les défendeurs ne sont pas tenus de présenter des preuves quant à la requête d’autorisation. Le fardeau repose uniquement sur les demandeurs, ce qui reflète la politique sous-jacente selon laquelle l’obligation d’autorisation n’a pas été adoptée pour avantager les demandeurs, ni pour les mettre sur un pied d’égalité dans le cadre d’une action collective en vertu de la partie XXIII.1, mais plutôt pour protéger les défendeurs contre les litiges coercitifs et réduire les risques de procédures coûteuses. On retrouve cet objectif dans les décisions des affaires Cronos et Peters.

En effet, la première décision sur le fond dans le cadre d’un recours pour présentation inexacte de faits sur le marché secondaire rendue cette année a fait état d’une approche semblable de la part des tribunaux. Dans l’affaire Pretium, le juge Belobaba a rejeté de façon sommaire la requête du demandeur, car il était d’avis que les défendeurs n’avaient pas commis de présentation inexacte par omission et que, de toute façon, les défendeurs disposaient d’une défense valable fondée sur une enquête raisonnable. Le juge Belobaba a conclu que, même si le demandeur a pu satisfaire au critère d’autorisation et procéder à une action collective en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières, il n’a pas pu prouver, selon la prépondérance des probabilités, la présentation inexacte des faits ni la fiabilité des allégations. Autrement dit, même si le critère d’autorisation a été satisfait, le tribunal est toujours prêt à refuser la procédure selon un jugement sommaire à la suite d’une évaluation préliminaire du bien-fondé sous-jacent.

Le demandeur dans l’affaire Pretium alléguait que l’entreprise avait commis une présentation inexacte des faits par omission lorsqu’elle avait refusé de divulguer un avis négatif de l’un de ses conseillers relativement à la viabilité de sa mine. Lors de la requête visant l’autorisation, le juge Belobaba a souligné que des investisseurs raisonnables auraient jugé comme important le désaccord fondamental entre les conseillers miniers de Pretium quant à l’existence de ressources minérales valides sur le site de la nouvelle mine de Pretium. Toutefois, face à de nouvelles preuves présentées lors des motions incidentes visant un jugement sommaire, le juge Belobaba a conclu que l’opinion sous-jacente n’avait pas été sollicitée, qu’elle n’a pas été émise par des experts et qu’elle était prématurée et non fiable. Compte tenu du fait que les opinions non fiables sur une base objective ou erronées ne constituent pas des faits importants, le juge a conclu qu’aucune présentation inexacte n’avait eu lieu.

Au début de sa réflexion qui a mené à sa décision, le juge Belobaba a confirmé la distinction entre la norme de preuve au stade de l’autorisation et le jugement sur le fond. Il a noté avoir accordé l’autorisation au demandeur parce que les preuves fournies à ce stade étaient suffisantes pour satisfaire à la condition de possibilité raisonnable d’avoir gain de cause. Comme l’a souligné le juge Belobaba, la requête correspond à un juste milieu : sans n’être qu’un « dos d’âne », elle n’est pas non plus l’Everest. Sur le fond, cependant, le demandeur doit satisfaire à la norme plus élevée de la prépondérance des probabilités. Selon les faits qui lui ont été présentés, le juge a finalement conclu que le demandeur ne pouvait tout simplement pas satisfaire à la norme de preuve plus élevée et a accordé un jugement sommaire en conséquence.

Principaux points à retenir

Pris dans leur ensemble, les décisions rendues dans les affaires CronosPeters et Pretium illustrent bien la volonté des tribunaux de s’engager sur le fond dans des dossiers de présentation inexacte des faits sur le marché secondaire et – lorsque ces dossiers sont jugés insuffisants – de les rejeter à un stade précoce en exerçant leur contrôle. En effet, ce rôle juridique se poursuit même après l’approbation de l’autorisation, de sorte que même si le demandeur a gain de cause au stade de l’autorisation, il n’est pas nécessairement exclu qu’un défendeur ait gain de cause sur le fond. Ces décisions soulignent également l’importance du critère préliminaire quant au caractère substantiel pour que des allégations de présentation inexacte de faits dans des divulgations publiques donnent lieu à des poursuites. Le défaut de plaider avec précision ou d’obtenir suffisamment de preuves en faveur d’allégations de présentation inexacte des faits – notamment des preuves d’experts quant au caractère substantiel des déclarations ou des omissions – peut nuire grandement à la requête d’un demandeur visant une action collective sur le marché secondaire.