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L’OCDE publie des règles modèles pour l’impôt minimum mondial

Auteur(s) : Patrick Marley, Amanda Heale, Ilana Ludwin

Le 23 décembre 2021

Dans ce bulletin d’actualités :

  • L’OCDE a publié un modèle de règles de la proposition globale de lutte contre l’érosion de la base d’imposition (GloBE) dans le cadre du deuxième pilier pour mettre en œuvre un impôt minimum mondial le 20 décembre 2021
  • Le modèle de règles GloBE définit le champ d’application et le mécanisme de l’impôt minimum mondial proposé, qui comporte deux composantes nationales : la règle d’inclusion du revenu (RIR) et la règle relative aux paiements insuffisamment imposés (RPII)
  • La RIR et la RPII ont été décrites précédemment à un haut niveau, mais les règles modèles publiées plus tôt cette semaine fournissent des détails importants sur la façon dont celles-ci s’appliqueront et interagiront
  • Le modèle de règles GloBE comporte des renseignements sur son administration, notamment le processus de dépôt des déclarations des renseignements
  • La mise en œuvre des règles de la proposition GloBE au Canada ne sera pas simple et le calendrier proposé est ambitieux compte tenu du programme déjà très chargé du ministère des Finances Canada.
  • Un commentaire relatif aux règles modèles est attendu au début de 2022, qui devrait également traiter de la coexistence avec les règles américaines sur le revenu mondial à faible taux d’imposition tiré de biens incorporels (GILTI)
  • De plus amples détails sur la règle conventionnelle d’assujettissement à l’impôt (RAI) du deuxième pilier sont attendus au début de 2022
  • Des consultations publiques sur les nouvelles règles sont prévues en février et mars 2022

 

Le 20 décembre 2021, l’OCDE a publié des règles modèles pour la mise en œuvre d’un impôt minimum mondial. Les règles de la proposition globale de lutte contre l’érosion de la base d’imposition (GloBE) ont été élaborées dans le cadre du deuxième pilier du Cadre inclusif de l’OCDE et du G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS) et ont été approuvées en principe le 8 octobre 2021. L’accord d’octobre avait prévu l’élaboration de règles modèles GloBE d’ici la fin novembre 2021, un nouvel instrument multilatéral d’ici la mi-2022 et un cadre de mise en œuvre d’ici la fin 2022.

Les propositions du deuxième pilier comprenaient deux règles à inclure dans les systèmes fiscaux nationaux des pays – la règle d’inclusion du revenu (IIR) et la règle relative aux paiements insuffisamment imposés (RPII) – et une règle conventionnelle – la règle d’assujettissement à l’impôt (RAI). Le modèle de règles GloBE publié cette semaine traite des éléments nationaux du deuxième pilier, de la RIR et de la RPII. Ils ne contiennent pas de renseignements supplémentaires sur la RAI, qui est attendue au début de 2022.

Les commentaires sur les règles GloBE proposées devraient être publiés au début de 2022, ainsi que des détails sur la coexistence proposée avec les règles américaines sur le GILTI. Ce commentaire sera important pour garantir des conditions de concurrence équitables entre les États-Unis et d’autres membres du Cadre inclusif (comme le Canada).

Principales caractéristiques des règles GloBE

Les règles GloBE sont censées s’appliquer à partir de 2023, mais elles doivent d’abord être mises en œuvre dans le droit national du Canada ou d’autres membres du Cadre inclusif. Les règles GloBE s’appliqueront aux entreprises multinationales (EMN) dont le chiffre d’affaires annuel mondial a atteint au moins 750 millions d’euros au cours de deux (ou plus) des quatre exercices précédents. Certaines entités – dont des entités gouvernementales, des entités sans but lucratif et des fonds de pension, ainsi que des fonds d’investissement et des instruments de placement immobilier s’ils sont l’entité-mère originaire de l’EMN – sont exclues. Certaines filiales peuvent également être exclues i) lorsqu’au moins 95 % de la valeur de l’entité appartient directement ou indirectement à des entités exclues, et lorsque l’entité exerce ses activités exclusivement ou presque exclusivement pour détenir des actifs ou investir des fonds au profit d’entités exclues ou exerce des activités accessoires à des entités exclues, ou ii) lorsqu’au moins 85 % de la valeur de l’entité appartient directement ou indirectement à des entités exclues, à condition que la quasi-totalité des revenus de l’entité soit constituée de dividendes exclus ou de gains ou de pertes d’actions exclues. Il est possible de choisir de ne pas traiter certaines entités comme des entités exclues (ce choix ne peut être révoqué avant cinq ans). Séparément, les revenus issus du transport international sont généralement exclus.

Conformément à l’accord d’octobre, les règles GloBE comprennent un impôt « complémentaire » permettant d’augmenter le taux d’imposition effectif jusqu’à 15 % pour les filiales et les établissements stables d’une EMN dans un territoire. Le montant de l’impôt complémentaire est calculé en déterminant le taux d’imposition effectif de l’EMN, les bénéfices excédentaires et l’impôt complémentaire pour chaque territoire :

  1. Taux d’imposition effectif : total des impôts sur le revenu divisé par le total des revenus ou des pertes des filiales et établissements stables d’une EMN dans un territoire. Le modèle de règles GloBE indique comment déterminer le revenu ou la perte et les impôts sur le revenu, qui sont généralement basés sur le revenu ou la perte et les impôts sur le revenu aux fins de la préparation des états financiers (calculés selon les IFRS ou les PCGR de certains pays), comme modifiés par un nombre limité de rajustements (par exemple, les dividendes exclus et les gains ou les pertes sur les actions, les gains ou les pertes asymétriques sur les devises, les dépenses non admises, les erreurs de la période précédente et les changements de principes comptables). Des règles précises régissent la manière de comptabiliser les impôts différés, dont un mécanisme de récupération des passifs d’impôt différé qui sont inclus dans le calcul du taux d’imposition effectif pour une année, mais qui ne sont pas payés dans les cinq ans.

    Les opérations entre différents territoires au sein d’un groupe d’EMN doivent être comptabilisées pour le même montant et d’une manière conforme au principe de pleine concurrence. Un choix est possible pour utiliser les règles fiscales (plutôt que les règles comptables) pour les déductions de la rémunération à base d’actions (qui ne peuvent être révoquées pendant cinq ans). D’autres choix quinquennaux s’appliquent aux actifs ou aux passifs qui font l’objet d’une comptabilisation à la juste valeur ou d’une dépréciation, ou aux fins de l’élimination de certains montants au sein du même territoire d’un groupe consolidé. Des règles spéciales s’appliquent à la répartition des gains et des pertes entre les différentes filiales et les établissements stables d’un groupe d’EMN (notamment au moyen d’entités intermédiaires et hybrides), ainsi qu’aux situations fiscales incertaines.
  2. Bénéfice excédentaire : le revenu du territoire déterminé lors de la première étape est réduit par une exclusion des revenus fondée sur la substance, égale à un pourcentage de la valeur comptable i) des actifs corporels (immobilisations corporelles, ressources naturelles, droits du preneur à bail d’utiliser des actifs corporels et certaines licences d’utilisation de biens immobiliers ou d’exploitation de ressources naturelles) et ii) des coûts salariaux relatifs à ce territoire. Le pourcentage applicable sera de 8 % et de 10 % respectivement pour la première année, puis diminuera progressivement sur dix ans pour atteindre 5 % pour les deux années.
  3. Impôt complémentaire : bénéfice excédentaire multiplié par le pourcentage d’impôt complémentaire (la différence entre 15 % et le taux d’imposition effectif du territoire), moins certains impôts complémentaires minimums nationaux existants.

Conformément à la RIR, la responsabilité première du paiement de l’impôt complémentaire incombe à l’entité mère la plus élevée de l’EMN résidant dans un territoire qui a mis en œuvre la RIR. Ce passif est proportionnel à la participation de l’entité mère dans les entités à l’égard desquelles l’impôt complémentaire est calculé. Des règles détaillées sont prévues pour répartir la RIR entre différentes entités afin de tenir compte de la propriété fractionnée.

Dans la mesure où une partie de l’impôt complémentaire n’est pas payée dans le cadre de la RIR, la RPII s’applique sur une base résiduelle. L’impôt complémentaire résiduel est réparti entre les territoires qui ont mis en œuvre la RPII et celles dans lesquelles une EMN a des filiales ou des établissements stables. L’attribution est fondée sur la proportion d’employés et la valeur des actifs corporels dans le territoire par rapport au total des employés et de la valeur des actifs corporels de l’EMN (à pondération égale). La RPII est perçue en interdisant les déductions auxquelles les entités du territoire concerné auraient autrement droit, de sorte que leur charge fiscale décaissée accrue est égale à l’impôt complémentaire résiduel attribué à ce territoire.

Un choix annuel existe afin d’empêcher l’imposition d’un impôt complémentaire aux termes des règles modèles à l’égard des territoires d’une année où une EMN génère des revenus inférieurs à 10 millions d’euros et un revenu de moins de 1 million d’euros (ou une perte), comme déterminé en établissant la moyenne de ces montants pour l’exercice en cours et les deux exercices précédents. Le modèle de règles GloBE prévoit également des règles refuges potentielles, qui seront élaborées ultérieurement. Certaines EMN « en phase de démarrage » sont exclues de l’application de la RPII pendant les cinq premières années pour lesquels elles devraient par ailleurs des impôts complémentaires.

Des règles supplémentaires s’appliquent aux restructurations d’entreprises et aux structures de détention – y compris les fusions et les scissions-dissolutions – ou lorsqu’une filiale ou un établissement stable rejoint ou quitte un groupe d’EMN au cours de l’année. Ces règles concernent également les groupes d’ENM à plusieurs parents, les coentreprises et les transferts d’actifs ou de passifs dans le cadre d’une réorganisation.

D’autres règles s’appliquent à certains régimes de neutralité fiscale et de distribution (par exemple, lorsqu’une entité-mère originaire figure comme une entité intermédiaire ou a le droit de déduire les paiements de dividendes, ou quand les impôts s’appliquent aux bénéfices au moment où ils sont distribués ou réputés l’être). Des choix quinquennaux sont également possibles pour i) traiter certaines entités de placement comme étant transparentes sur le plan fiscal lorsque le propriétaire est assujetti à l’impôt sur la base de l’évaluation à la valeur du marché à un taux égal ou supérieur au taux minimum, ou ii) appliquer une méthode de distribution imposable aux entités de placement lorsque l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que le propriétaire soit soumis à l’impôt sur les distributions à un taux égal ou supérieur au taux minimum. 

Les règles modèles prévoient que chaque entité d’une EMN doit soit déposer une déclaration de renseignements, soit désigner une autre entité du territoire pour le faire en son nom. Par ailleurs, une entité d’un autre territoire peut effectuer le dépôt en son nom si cet autre territoire a conclu un accord avec l’autorité compétente qui prévoit l’échange annuel automatique des renseignements GloBE.

Conséquences et prochaines étapes

Les règles modèles GloBE ont été rédigées afin que les territoires puissent les mettre en œuvre rapidement. Il convient de noter que le 22 décembre 2021, la Commission européenne a publié une proposition de directive européenne [PDF, en anglais seulement] qui vise à intégrer les règles du deuxième pilier dans le droit européen. Les règles GloBE sont conçues en tant qu’« approche commune », ce qui signifie que les pays ne sont pas tenus d’adopter les règles, mais qu’ils doivent accepter leur application par les autres membres du Cadre inclusif. Le Canada devrait adopter les règles de GloBE, bien qu’on ne sache pas trop quand exactement.

De nombreuses différences entre le système fiscal actuel du Canada et la conception des règles GloBE feront de leur adoption un processus difficile. En particulier, le Canada ne se fie actuellement pas à la consolidation ou au résultat comptable, qui sont des éléments centraux des règles modèles de GloBE. Au lieu de cela, les lois canadiennes sur l’impôt sur le revenu calculent le revenu sur la base d’une entité juridique et des différences importantes subsistent entre le revenu tel qu’il est déterminé aux fins de l’impôt sur le revenu canadien et celui présenté en vertu des IFRS ou des PCGR du pays. Parmi les autres domaines susceptibles de créer de la complexité, citons l’interaction entre les règles GloBE et le régime canadien des CFC (les règles sur le revenu étranger accumulé, tiré de biens ou REATB), ainsi que les différends entre deux territoires qui entraînent une réattribution du revenu – ce qui peut se produire des années après l’exercice au cours duquel le revenu a été généré.

De plus, le ministère des Finances du Canada a une longue liste de projets de propositions législatives et de consultations en suspens pour mettre en œuvre les initiatives annoncées précédemment. Le budget fédéral de 2021 a proposé deux modifications législatives importantes pour traiter du dépouillement des bénéfices et des transactions « hybrides ». La publication de l’avant-projet de loi relatif à ces propositions n’est pas encore achevée (bien qu’il soit prévu pour la règle sur le dépouillement des bénéfices à l’été 2021, et pour les mesures anti-hybrides « plus tard en 2021 »). Le budget 2021, publié en avril 2021, a également promis de déposer un document de consultation sur les changements à apporter aux règles canadiennes en matière de prix de transfert international « dans les mois à venir ». L’énoncé économique fédéral d’automne 2020 publié en novembre 2020 avait de même proposé de lancer des consultations « dans les prochains mois » pour modifier la règle générale anti-évitement du Canada. Aucune consultation sur ces deux initiatives n’a été publiée à ce jour. Pour plus de renseignements sur ces propositions, veuillez consulter les bulletins d’actualités Osler datés du 19 avril 2021 et du 30 novembre 2020.

La proposition de l’OCDE selon laquelle les nouvelles règles devraient entrer en vigueur en 2023 est ambitieuse compte tenu de la complexité de la mise en œuvre des règles de GloBE au Canada et des autres points en suspens à l’ordre du jour du ministère de Finances Canada. Les contribuables auront besoin d’être informés longtemps à l’avance des mécanismes précis de la mise en œuvre des règles GloBE par le Canada afin de déterminer l’impact financier et administratif de ces règles sur leurs activités d’une manière qui leur permette d’être sûrs, prévisibles et équitables. La Cour suprême du Canada a récemment souligné l’importance de ces principes comme étant essentielle au bon fonctionnement du système fiscal. Le ministère des Finances du Canada devrait publier tout projet de loi visant à mettre en œuvre la proposition GloBE au Canada avec suffisamment de temps pour permettre une consultation solide et significative des parties prenantes.

Pour plus de renseignements sur l’application éventuelle des règles du deuxième pilier au Canada, veuillez communiquer avec un membre du groupe de droit fiscal d’Osler.