Dispositions relatives à la fixation des salaires et au non-débauchage dans la Loi sur la concurrence : fiche d’information et foire aux questions

2 Juin 2023 18 MIN DE LECTURE

Le 23 juin 2023, les dispositions pénales relatives au non-débauchage et à la fixation des salaires, ajoutées à la Loi sur la concurrence (Loi) en juin 2022, entreront en vigueur. Le Bureau de la concurrence (Bureau) a publié en début de semaine ses lignes directrices officielles, très attendues, sur les nouvelles dispositions (lignes directrices). Les lignes directrices s’appuient sur une version antérieure publiée pour consultation en janvier et fournissent des indications utiles sur l’approche et les priorités du Bureau en matière d’application des nouvelles dispositions pénales. Les lignes directrices fournissent également quelques exemples de scénarios et d’analyses.

Les lignes directrices confirment qu’il sera toujours possible de conclure des accords qui peuvent se justifier sur le plan commercial entre employeurs concernant l’embauche et le traitement des employés dans un certain nombre de circonstances, notamment dans le cadre d’opérations structurelles, de systèmes de franchise, d’accords d’externalisation et d’autres accords de services. D’autre part, les lignes directrices décrivent clairement le large éventail de circonstances dans lesquelles les entreprises devront prévoir des risques accrus et les gérer, notamment en ce qui concerne les accords de non-débauchage, les activités d’analyse comparative des emplois et les communications entre les professionnels en ressources humaines.

Les lignes directrices ne sont pas contraignantes pour les tribunaux ou le Bureau, mais elles fournissent néanmoins des indications utiles sur l’interprétation des nouvelles dispositions et sur l’approche attendue en matière d’application.

Faisant suite à nos exposés antérieurs[1], le présent bulletin revient brièvement sur les nouvelles dispositions et propose une foire aux questions (FAQ).

Fiche d’information : nouvelles infractions et sanctions pénales

À compter du 23 juin 2023, les employeurs non affiliés qui s’accordent pour fixer ou contrôler les salaires ou d’autres conditions d’emploi (disposition relative à la fixation des salaires) et les employeurs non affiliés qui s’accordent pour ne pas solliciter ou embaucher les employés les uns des autres (disposition relative au non-débauchage) commettront une infraction pénale en vertu du paragraphe 45(1.1) de la Loi. Ces dispositions s’appliqueront aux accords conclus par les employeurs à compter du 23 juin 2023, ainsi qu’aux comportements qui réaffirment ou mettent en œuvre d’anciens accords qui contreviennent à ces dispositions. Il est important de noter que les infractions pénales s’appliquent aux accords entre employeurs, qu’ils soient ou non en concurrence, et qu’il n’est pas nécessaire qu’un accord ait un impact sur le marché pour être illégal.

Tout comme pour l’infraction pour complot criminel prévue au paragraphe 45(1) de la Loi :

  • l’accusation doit prouver les éléments de ces nouvelles infractions hors de tout doute raisonnable; toutefois, le tribunal peut déduire l’existence d’un accord en se basant sur une preuve circonstancielle;
  • les défenses et les exemptions existantes continueront à s’appliquer, en particulier, dans ce contexte, la défense fondée sur les restrictions accessoires et les négociations collectives;
  • les sanctions prescrites sont une amende, sans limite prévue par la loi, qui doit être fixée à la discrétion du tribunal ou une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 14 ans, ou les deux;
  • les responsabilités supplémentaires comprennent l’exposition à des actions civiles par des parties privées (sur une base individuelle ou collective) pour des dommages civils, que le commissaire ou le procureur général prennent ou non des mesures, l’exclusion en vertu du régime d’intégrité fédéral ou de ses équivalents provinciaux, et l’atteinte à la réputation.

La FAQ qui suit concerne l’exécution et le contrôle d’application des nouvelles dispositions pénales. De nature générale, elle ne doit pas être considérée comme un avis juridique.

Foire aux questions

Qui est soumis aux nouvelles dispositions pénales?

Les nouvelles dispositions pénales s’appliquent aux accords conclus entre des employeurs non affiliés :

  • soit pour fixer, maintenir, réduire ou contrôler les salaires, les traitements ou les conditions d’emploi;
  •  soit pour ne pas solliciter ou embaucher les employés de l’autre employeur.

Les nouvelles dispositions pénales visent les accords entre employeurs non affiliés qui imposent des « restrictions pures et simples » à la concurrence sur les marchés du travail, y compris des restrictions sur les salaires, la mobilité professionnelle ou les perspectives d’emploi. Il est illégal pour des employeurs non affiliés de conclure de tels accords, indépendamment de l’effet ou de l’incidence de l’accord, et indépendamment du fait que les employeurs soient ou non des concurrents.

Qui est considéré comme un employeur?

Dans les lignes directrices, le terme « employeur » est interprété dans un sens large et comprend les administrateurs, les dirigeants ainsi que les agents ou employés, tels que les professionnels en ressources humaines. Les lignes directrices confirment que les personnes ayant conclu un accord s’exposent à des poursuites, tout comme les entités pour lesquelles ces personnes ou ces employés agissent, si ceux-ci agissent à titre de « cadres supérieurs ».

L’interprétation par le Bureau de ce qu’est un « cadre supérieur » s’appuie sur la définition du terme dans le Code criminel, qui inclut les agents qui jouent un rôle important dans l’élaboration des orientations de l’organisation visée ou qui assurent la gestion d’un important domaine d’activités de celle-ci, y compris, dans le cas d’une personne morale, les administrateurs, le premier dirigeant (aussi appelé chef de la direction) et le directeur financier (aussi appelé chef des finances).

Qui sont des employeurs « non affiliés »?

Les nouvelles dispositions pénales ne concernent que les accords entre employeurs « non affiliés ». Les accords de non-débauchage et de fixation des salaires entre employeurs affiliés sont autorisés.

En vertu de la Loi, une entité est affiliée à une autre si : a) l’une d’elles est la filiale de l’autre; b) toutes deux sont des filiales d’une même entité; ou c) chacune d’elles est contrôlée par la même entité ou la même personne physique. En outre, si deux entités sont affiliées à la même entité au même moment, elles sont réputées être affiliées l’une à l’autre, et une personne physique est affiliée à une entité si elle la contrôle. En vertu de la Loi, une entité contrôle une personne morale si elle est propriétaire de la majorité de ses actions comportant droit de vote. Pour l’entité qui n’est pas une personne morale, elle contrôle une autre entité si elle a droit à plus de 50 % des bénéfices de cette entité ou à plus de 50 % des éléments d’actif de celle-ci au moment de sa dissolution.

Lorsque la relation entre les employeurs n’entre pas dans l’une des catégories présentées ci-dessus, les employeurs sont considérés comme des employeurs non affiliés pour l’application de la Loi et, par conséquent, les nouvelles dispositions pénales s’appliquent.

Qui est considéré comme un « employé »?

La Loi ne définit pas le terme « employé ». Les lignes directrices indiquent que le statut d’employé sera évalué comme une question de fait et de droit applicable.

Quelles sont les preuves nécessaires pour conclure à l’existence d’un « accord » entre des employeurs?

Comme pour l’infraction pour complot criminel prévue au paragraphe 45(1), la question de savoir s’il existe un « accord » entre des employeurs non affiliés dépend des faits et de la question de savoir si les preuves établissent une « rencontre des volontés » implicite ou explicite en vue d’adopter la conduite prescrite par les nouvelles dispositions pénales. Bien entendu, la Loi prévoit explicitement que « le tribunal peut déduire l’existence du complot, de l’accord ou de l’arrangement en se basant sur une preuve circonstancielle, avec ou sans preuve directe de communication entre les présumées parties au complot, à l’accord ou à l’arrangement ». Quelle que soit la manière dont l’existence de l’accord est prouvée, elle doit l’être hors de tout doute raisonnable.

La conclusion de l’accord constitue en soi l’infraction. À l’instar de l’infraction pour complot criminel, les nouvelles dispositions pénales n’exigent pas de preuve que l’accord a été mis en œuvre ou qu’il a eu un effet anti-concurrentiel.

Quels types d’accords sont couverts par la disposition relative à la fixation des salaires?

La disposition relative à la fixation des salaires englobe les accords entre employeurs non affiliés pour fixer, maintenir, réduire ou contrôler les salaires ou les traitements, ainsi que les « conditions d’emploi ».

Dans les lignes directrices, l’expression « conditions d’emploi » est interprétée dans son sens large et comprend les conditions pouvant influer sur la décision d’une personne d’accepter un contrat d’emploi ou de le conserver. Les exemples fournis incluent les descriptions de poste, les allocations (telles que les indemnités quotidiennes ou le remboursement des déplacements), la rémunération non monétaire, les heures de travail, le lieu de travail et les dispositions de non-concurrence.

Quels sont les types d’accords de non-sollicitation et de non-embauche entre employeurs qui sont couverts?

La disposition relative au non-débauchage interdit les accords entre employeurs non affiliés pour ne pas solliciter ou embaucher les employés de l’autre employeur.

Conformément au libellé de la disposition, les lignes directrices confirment que la disposition relative au non-débauchage n’interdit que les accords réciproques entre les employeurs pour ne pas solliciter ou embaucher et donnent l’exemple suivant :

L’entreprise A est une société de conseil qui intègre ses employés dans les entreprises de ses clients pendant une période déterminée. Dans le cadre d’un contrat de consultation, l’entreprise B accepte de ne pas embaucher les employés intégrés de l’entreprise A. L’entreprise A ne conclut pas le même accord concernant les employés de l’entreprise B.

Les lignes directrices confirment qu’un tel accord n’enfreint pas la disposition relative au non-débauchage, car il n’y a pas de réciprocité entre l’entreprise A et l’entreprise B. L’accord de non-débauchage ne s’applique qu’à l’entreprise B, qui s’engage à ne pas embaucher les employés de l’entreprise A, et l’entreprise A ne conclut pas pareil accord avec l’entreprise B concernant ses employés.

Il convient également de noter que les lignes directrices précisent que, lorsqu’un accord limite les possibilités d’emploi d’un employé, le Bureau pourrait examiner si la limitation résulte d’un accord de non-débauchage. Les limitations en question peuvent inclure, par exemple, le fait de restreindre la communication de renseignements en lien avec les offres d’emploi et d’adopter des mécanismes d’embauche biaisés. Dans de telles circonstances, il doit quand même y avoir des preuves de l’existence d’un accord pour ne pas embaucher ou solliciter les employés de l’autre employeur.

Que se passe-t-il si un accord n’a pas d’effet négatif sur la concurrence ou sur les employés couverts?

Selon les nouvelles dispositions pénales, les accords de non-débauchage sont illégaux en soi. Cela signifie que la conclusion de l’accord suffit à établir l’infraction, que l’accord soit ou non mis en œuvre et qu’il ait ou non des effets anti-concurrentiels ou des répercussions sur les employés.

Quand la défense fondée sur les restrictions accessoires s’applique-t-elle?

La défense fondée sur les restrictions accessoires (DRA) s’applique lorsqu’une partie prouve, selon la prépondérance des probabilités, qu’une restriction qui violerait autrement l’article 45 est : a) accessoire à un accord légitime plus large ou distinct entre les mêmes parties, et b) directement liée à l’objectif de l’accord plus large ou distinct et raisonnablement nécessaire à sa réalisation.

À titre d’exemple, les lignes directrices indiquent que le Bureau n’enquêtera généralement pas sur les accords de non-débauchage qui sont accessoires aux transactions de fusion, aux coentreprises, aux alliances stratégiques, ainsi qu’aux accords commerciaux tels que les accords de franchise et certaines relations liant un fournisseur de services et un client, en vertu des nouvelles dispositions pénales relatives au non-débauchage, sauf si les accords sont « clairement plus larges qu’il est nécessaire en ce qui concerne la durée ou les employés couverts », ou si l’accord plus large est un « subterfuge ».

Pour déterminer si une restriction est accessoire, le Bureau examinera les modalités et la forme de l’accord, la relation entre la restriction et l’accord plus large, et la façon dont la restriction favorise l’objectif de l’accord plus large. Le Bureau examinera la durée, l’objet et la portée géographique de la restriction (par exemple, si elle s’applique ou non à des employés n’ayant pas de lien avec la collaboration). À l’instar de l’analyse effectuée par le Bureau dans le contexte de la disposition relative au complot criminel prévue au paragraphe 45(1), les lignes directrices indiquent que, bien que le Bureau n’ait généralement pas l’intention de remettre en question le choix des parties, il sera prêt à conclure qu’un accord n’était pas raisonnablement nécessaire dans l’éventualité où il aurait été possible pour les parties de parvenir à un accord équivalent ou comparable en ayant recours à des moyens pratiques significativement moins restrictifs qui leur étaient raisonnablement accessibles.

Comme pour la disposition relative au complot criminel prévue au paragraphe 45(1), si le Bureau détermine qu’un accord n’enfreint pas le paragraphe 45(1.1), il pourrait toujours examiner l’accord en vertu des dispositions sur les affaires que le Tribunal de la concurrence peut examiner se trouvant à la partie VIII de la Loi et, si le Bureau détermine que l’accord aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence, le commissaire peut demander au Tribunal de la concurrence de prendre une mesure corrective.

Qu’est-ce qui serait un exemple d’une disposition à laquelle s’appliquerait la défense fondée sur les restrictions accessoires?

Les dispositions de non-sollicitation sont couramment conclues dans le cadre de coentreprises, car elles visent généralement à protéger les secrets commerciaux et le fonds de commerce ou à protéger (et donc à encourager) les investissements dans la formation des employés. Il est peu probable que de telles dispositions, si elles sont raisonnablement rédigées, soulèvent des problèmes au regard du paragraphe 45(1.1).

Quelle est la différence entre un accord de non-sollicitation et un accord de non-embauche?

Un accord de non-embauche est, quant au fond, différent d’un accord de non-sollicitation; il restreint davantage la mobilité et les perspectives d’emploi d’un employé. Par conséquent, dans le cas d’un accord de non-embauche, il faudra probablement une justification très convaincante pour qu’il soit considéré comme raisonnablement nécessaire et, de ce fait, que la DRA s’applique.

Le partage de renseignements et les activités d’analyse comparative des emplois sont-ils toujours autorisés?

Le partage de renseignements visés par la nouvelle disposition, tels que les salaires ou les conditions d’emploi, n’est pas illégal en soi. Toutefois, comme c’est le cas pour le partage de renseignements sensibles sur le plan de la concurrence avec des concurrents en aval, le partage de renseignements entre employeurs peut, par mégarde, donner lieu à un accord illégal et être considéré comme une preuve circonstancielle de l’existence d’un accord contraire au paragraphe 45(1.1). Par conséquent, si les activités d’analyse comparative des emplois entre employeurs sont autorisées, il convient de faire preuve de prudence dans la manière dont ils échangent ces renseignements afin d’éviter de donner lieu à un accord entre employeurs sur le sujet en question ou de suggérer qu’il en existe un.

Les meilleures pratiques en matière d’analyse comparative des emplois consistent notamment à s’assurer de ce qui suit :

  • un tiers neutre, soumis à des obligations de confidentialité, gère tous les aspects de l’échange de renseignements;
  • l’échange de renseignements ne porte que sur des renseignements historiques;
  • l’échange de renseignements vise suffisamment de participants pour que des points de données spécifiques ne puissent pas faire l’objet d’une rétro-ingénierie ou être reliés à la source d’origine;
  • les renseignements sont anonymisés (et, dans certains cas, agrégés) avant d’être communiqués aux participants.

Les nouvelles dispositions pénales s’appliquent-elles rétroactivement à des comportements antérieurs?

Non. Le paragraphe 45(1.1) ne s’applique qu’aux nouveaux accords conclus par des employeurs non affiliés à partir du 23 juin 2023 et aux mesures qu’ils prennent à partir de cette date pour réaffirmer ou mettre en œuvre d’anciens accords.

Que dois-je faire des dispositions de non-débauchage ou de non-sollicitation contenues dans des accords existants qui sont toujours en vigueur?

Comme l’indiquent les lignes directrices, le Bureau est d’avis que les accords existants comportant des dispositions de non-débauchage ou de non-sollicitation ne devraient pas faire l’objet d’un examen minutieux dans la mesure où les employeurs qui les ont conclus ne prennent aucune mesure pour réaffirmer ou mettre en œuvre les dispositions en question à partir du 23 juin 2023. Même si les employeurs ne sont pas tenus de modifier les accords existants, il pourrait être judicieux, selon les circonstances, de documenter le fait que l’employeur n’a pas l’intention de respecter ou d’appliquer les dispositions en question. En outre, il convient d’être très prudent avant de prendre des mesures qui pourraient être interprétées comme l’application d’une disposition de non-sollicitation ou de non-embauche existante. Les lignes directrices précisent utilement qu’au moins deux parties à un accord préexistant doivent réaffirmer ou mettre en œuvre la restriction pour établir qu’il y a eu la « rencontre des volontés » requise.

Comment les nouvelles dispositions s’appliquent-elles dans le contexte des franchises?

Les dispositions relatives à l’embauche et à la limitation de la sollicitation sont courantes dans les contrats de franchise, par exemple lorsque, comme condition de participation au système de franchise, le franchisé convient avec le franchiseur qu’il ne sollicitera ni n’embauchera les employés d’autres franchisés du système. Les lignes directrices reconnaissent que certaines restrictions peuvent jouer un rôle légitime et important dans le contexte des franchises, et que le Bureau ne s’opposera pas à de telles restrictions tant qu’elles n’outrepassent pas ce qui est nécessaire.

Il est important de noter que les lignes directrices précisent que, lorsqu’un franchiseur conclut avec chacun de ses franchisés un accord selon lequel le franchisé ne débauchera pas les employés d’autres franchisés, et que les franchisés s’entendent pour dire que chaque franchisé a conclu un accord similaire, cet accord ne sera pas considéré comme un accord entre les franchisés, à moins qu’il n’y ait une preuve de l’intention des franchisés de conclure un accord de non-débauchage entre eux.

Des règles particulières s’appliquent-elles aux négociations collectives?

Oui. Conformément à l’article 4 de la Loi, aucune disposition de la Loi ne s’applique à certaines activités de négociation collective, y compris les accords que concluent les employeurs appartenant à un secteur commercial, industriel ou professionnel au sujet des négociations collectives avec leurs employés. Les négociations collectives peuvent porter sur les traitements, les salaires ou les conditions d’emploi, et ces accords sont exemptés, qu’ils aient été conclus directement entre les employeurs ou par l’intermédiaire d’une association dont ils font partie.