Auteurs(trice)
Associée, Droit de la concurrence et investissement étranger, Toronto
Associée, chef du groupe de pratique du droit de la concurrence et de l’investissement étranger, Toronto
Associé, Droit de la concurrence et investissement étranger, Toronto
Associée, Droit de la concurrence et de l'investissement étranger, Calgary
Associé, Droit immobilier, Toronto
Sociétaire, Droit immobilier, Toronto
Sociétaire, Concurrence, commerce international et investissement étranger, Toronto
Sociétaire, Droit immobilier, Toronto
Sociétaire, Concurrence, commerce international et investissement étranger, Toronto
Le 4 juin 2025, le Bureau de la concurrence (le Bureau) a publié la version définitive de son document d’orientation intitulé Les contrôles de propriété visant des concurrents et la Loi sur la concurrence (le document d’orientation), qui porte sur l’application de la Loi sur la concurrence (la Loi) aux contrôles de propriété visant des concurrents. Les contrôles de propriété visant des concurrents (notamment les clauses d’exclusivité et les clauses restrictives) sont des restrictions à l’utilisation de biens immobiliers stipulées dans des baux et d’autres accords immobiliers commerciaux.
Reflétant le scepticisme affiché de façon générale par le Bureau à l’égard de l’utilisation des contrôles de propriété, le document d’orientation mêle défense des droits et description de l’approche en matière d’application de la loi. Bien que ce ton orienté vers la défense des droits puisse limiter son utilité d’un point de vue strictement juridique, le document d’orientation dans sa version définitive offre quelques améliorations notables par rapport à sa version provisoire publiée en août 2024. En particulier, le document d’orientation précise que les contrôles de propriété ne sont pas, par présomption, anticoncurrentiels et qu’ils ne peuvent faire l’objet d’une action en vertu de la Loi que si les critères juridiques applicables sont remplis. En outre, grâce aux indications détaillées fournies à propos du cadre d’analyse du Bureau, le document d’orientation procure aux parties prenantes une plus grande prévisibilité quant aux priorités du Bureau en matière d’application de la loi.
Le Bureau ou des parties privées (ayant obtenu l’autorisation) peuvent contester des contrôles de propriété satisfaisant à certaines exigences légales en vertu des dispositions relatives aux accords civils prévues à l’article 90.1 ou des dispositions relatives à l’abus de position dominante prévues à l’article 79 de la Loi. En vertu de l’article 79, le Tribunal de la concurrence peut rendre une ordonnance d’interdiction lorsqu’une entreprise à la fois i) est en position dominante et ii) se livre soit a) à une pratique d’agissements anti-concurrentiels, soit b) à un comportement qui a eu ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence (effet EDSC), cet effet ne résultant pas d’un rendement concurrentiel supérieur. Si ces trois éléments sont réunis, le Tribunal de la concurrence peut rendre des ordonnances enjoignant une personne, par exemple, de se départir d’actifs ou d’actions, ou de payer des sanctions financières (y compris des sanctions administratives pécuniaires considérables et des mesures de redressement pécuniaire établies en fonction des avantages tirés du comportement anticoncurrentiel). En vertu de l’article 90.1, des mesures d’application de la loi peuvent être prises et des mesures de redressement similaires peuvent être obtenues lorsque des personnes non concurrentes concluent un accord qui aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence et que « l’un des objets importants de l’accord ou de l’arrangement – ou d’une partie de celui-ci – est d’empêcher ou de diminuer la concurrence dans un marché ».
Principaux points à retenir
1. Le document d’orientation reconnaît les limites des mesures d’application de la Loi.
Dans la version provisoire, le Bureau avait mis l’accent sur la « justification » en tant que critère principal en fonction duquel seraient évalués tous les contrôles de propriété et avait indiqué que ceux-ci ne pouvaient être justifiés que lorsqu’ils étaient exigés par un locataire potentiel pour procéder à un investissement. Dans la version définitive, le Bureau continue de plaider en faveur d’une utilisation limitée des contrôles de propriété (c.-à-d. uniquement lorsqu’ils sont nécessaires pour encourager l’investissement), mais reconnaît que les contrôles de propriété qui peuvent ne pas être « justifiés » du point de vue du Bureau ne répondent pas nécessairement aux exigences relatives aux comportements anticoncurrentiels prévus par la Loi, et ne peuvent donc pas faire l’objet de mesures d’application de la Loi. Le Bureau a révisé son document d’orientation pour indiquer que, dans les cas où il n’y a pas d’entreprise en position dominante, l’incidence d’un contrôle de propriété sur le marché, établie en fonction du critère de l’effet EDSC, sans égard à la justification, déterminera si celui-ci constitue un comportement anticoncurrentiel en vertu de la Loi.
2. Le document d’orientation donne un aperçu de la manière dont le Bureau évaluera si un contrôle de propriété a eu un effet EDSC.
Le critère de l’effet EDSC est une condition préalable nécessaire à l’application des dispositions de l’article 90.1 relatives aux accords civils et à l’obtention d’une mesure de redressement, en sus d’une ordonnance d’interdiction, en vertu des dispositions de l’article 79 relatives à l’abus de position dominante. Le document d’orientation souligne que, pour évaluer l’effet EDSC d’un contrôle de propriété, il faut s’en remettre expressément aux faits et analyser le contrôle de propriété en question en se demandant s’il a ou aura vraisemblablement pour effet de créer, d’augmenter ou de protéger la puissance commerciale de l’un des participants au marché.
L’analyse du Bureau est axée sur les barrières à l’entrée ou à l’expansion que le contrôle de propriété peut imposer aux concurrents de la partie bénéficiant du contrôle, ainsi que sur l’état général de la concurrence sur le marché. Le Bureau peut prendre en considération les questions suivantes :
- Y a-t-il déjà d’autres concurrents déjà présents sur le marché?
- Quelle est l’efficacité des concurrents?
- Les concurrents disposent-ils d’autres options possibles en matière de biens immobiliers commerciaux?
- Les concurrents seraient-ils moins efficaces s’ils utilisaient d’autres biens immobiliers commerciaux?
- Un concurrent doit-il ouvrir plusieurs magasins dans une zone pour être efficace?
- Existe-t-il déjà d’autres obstacles à l’entrée ou à l’expansion, susceptibles de renforcer les effets du contrôle de propriété?
Même si, d’après nous, il aurait été profitable de présenter dans le document d’orientation plus de détails sur la manière dont ces facteurs seront pondérés, l’inclusion de certaines indications sur l’approche du Bureau est une bonne chose.
3. Le document d’orientation préconise que les entreprises ne doivent utiliser les contrôles de propriété que lorsqu’ils sont justifiés et donne un aperçu de la manière dont la justification sera évaluée.
Le Bureau indique également qu’aucune mesure d’application de la loi ne sera prise en ce qui concerne les contrôles de propriété qui peuvent être justifiés. Toutefois, contrairement à sa version provisoire, le document d’orientation reconnaît que l’absence de justification légitime ne suffira pas à enfreindre l’article 90.1 lorsqu’un effet EDSC n’est pas constaté ou à obtenir plus qu’une ordonnance d’interdiction en vertu de l’article 79 lorsqu’une position dominante est constatée. Le document d’orientation décrit la justification comme comprenant à la fois des éléments de logique et de portée. Le Bureau conseille aux entreprises de se poser les questions suivantes :
- Le contrôle de propriété est-il nécessaire pour permettre à une nouvelle entreprise d’entrer sur le marché ou pour encourager un nouvel investissement?
Le Bureau suggère aux entreprises de se poser les questions suivantes : « Existe-t-il d’autres moyens de permettre une telle entrée ou un tel investissement sans rendre la concurrence plus difficile pour les rivaux? » Le document d’orientation suggère qu’un tel raisonnement soit pris en compte du point de vue aussi bien du locataire potentiel que du propriétaire. Pour les propriétaires, le Bureau recommande d’évaluer si une clause d’exclusivité est vraiment nécessaire. Par exemple, si un propriétaire reçoit plusieurs offres de location de la part de locataires présentant des caractéristiques comparables, et que certains exigent une clause d’exclusivité alors que d’autres ne le font pas, le Bureau suggère que l’acceptation d’une clause d’exclusivité peut ne pas être nécessaire dans ces circonstances. Ce commentaire est remarquable, car, dans les affaires visant des entreprises dominantes, l’évaluation juridique se concentre sur la seule logique de l’entreprise prétendument dominante. L’inclusion de cette perspective élargie peut refléter une approche axée sur la défense des intérêts, étant donné qu’elle apparaît dans la partie du document d’orientation qui traite de la justification en termes généraux, et non dans la partie sur l’application des dispositions relatives à l’abus de position dominante. Cette distinction suggère que le Bureau pourrait encourager les entreprises à adopter des pratiques qui cadrent avec les objectifs généraux de la politique sur la concurrence, même lorsque le cadre juridique n’exige pas explicitement de telles considérations.
- Ce contrôle de propriété pourrait-il durer moins longtemps?
Selon le Bureau, plus le contrôle de propriété dure longtemps, moins il a de chances d’être justifié. Les contrôles de propriété ne doivent durer que le temps nécessaire pour protéger les incitatifs à l’entrée sur un marché ou à l’investissement.
- Ce contrôle de propriété pourrait-il être plus restreint géographiquement?
Selon le Bureau, le contrôle de propriété doit être appliqué à la zone géographique la plus restreinte possible (par exemple, il ne doit pas limiter la concurrence dans les établissements avoisinants appartenant au propriétaire).
- Ce contrôle de propriété pourrait-il couvrir moins de produits ou de services?
Selon le Bureau, les restrictions concernant les produits et services offerts par les concurrents doivent être limitées au strict nécessaire. Plus les restrictions sont étendues, moins le Bureau sera enclin à conclure qu’elles sont justifiées.
4. Le document d’orientation décrit la manière dont le Bureau évaluera si une entreprise est en position dominante par rapport à son utilisation des contrôles de propriété.
Le Bureau analyse la position dominante au cas par cas et peut l’analyser au niveau local, régional ou sectoriel, en fonction de l’étendue de l’utilisation des contrôles de propriété visant des concurrents et de la manière dont la concurrence s’exerce. Le Bureau indique que, par exemple, si la mise en place par une entreprise de contrôles de propriété visant des concurrents dans une région mène un nouveau détaillant à devoir développer une chaîne d’approvisionnement locale pour desservir plusieurs magasins, il sera plus enclin à analyser la position dominante au niveau régional. Le Bureau tiendra également compte des facteurs suivants :
- la capacité du contrôle de propriété de restreindre les concurrents ou la concurrence;
- la présence de concurrents efficaces (souvent en fonction de la part de marché);
- les barrières à l’entrée sur le marché, y compris les barrières à l’entrée créées par le contrôle de propriété;
- la position de l’entreprise dans l’industrie en général;
- la preuve d’un pouvoir de négociation, y compris la capacité de demander le contrôle de propriété visant des concurrents.
En outre, le document d’orientation précise que, selon le Bureau, la position dominante « peut être créée par le contrôle de propriété en soi, dans les cas où il y a déjà un manque de concurrents efficaces existants et où il crée un obstacle important aux concurrents qui entrent sur le marché ».
5. Le document d’orientation met fortement en garde contre l’utilisation de clauses restrictives.
Les clauses restrictives sont similaires aux clauses d’exclusivité, car elles limitent toutes deux l’utilisation des biens immobiliers commerciaux. Toutefois, à la différence d’une clause d’exclusivité, une clause restrictive est une restriction imposée sur le bien-fonds lui-même (et non dans le cadre du bail commercial) qui « empêche l’acheteur ou le propriétaire d’un bien commercial d’utiliser l’emplacement pour exploiter certains types d’entreprises qui font concurrence à un propriétaire précédent ou de le louer à de tels exploitants ». Dans le document d’orientation, le Bureau indique que les clauses restrictives sont considérées comme particulièrement préoccupantes, car elles peuvent restreindre les exploitants et l’utilisation de l’établissement par les futurs propriétaires pendant une longue période. Le Bureau indique qu’il ne considère pas les clauses restrictives comme justifiées en dehors de circonstances exceptionnelles.
6. Le document d’orientation indique clairement qu’aussi bien les propriétaires que les locataires peuvent être visés par des mesures d’application de la Loi.
Le Bureau indique que la personne qui a proposé le contrôle de propriété ou qui en bénéficie fera généralement l’objet d’une enquête en vertu des dispositions relatives à l’abus de position dominante. En revanche, le document d’orientation indique que, lorsqu’il s’agit d’enquêter sur un accord en vertu de l’article 90.1, le Bureau enquêtera généralement sur toutes les parties à l’accord, y compris les locataires et les propriétaires (dans le cas de clauses d’exclusivité) ou les vendeurs et les acheteurs (dans le cas de clauses restrictives). Lorsqu’il conteste un contrôle de propriété en vertu de l’article 90.1, le Bureau pourra rechercher diverses mesures correctives, notamment l’interdiction des modalités du contrôle de propriété et de leur application, l’imposition d’autres mesures pour rétablir la concurrence au besoin et l’imposition de sanctions financières. Toutefois, il pourra demander des mesures correctives distinctes aux différentes parties, selon les circonstances.
7. Le document d’orientation est remarquable en ce sens qu’il contient le premier commentaire du Bureau sur son approche quant à l’interprétation du critère de l’« objet important » prévu au paragraphe 90.1(1.01) récemment introduit.
Cette disposition permet de prendre des mesures d’application de la loi à l’égard d’un accord ou d’un arrangement entre personnes non concurrentes qui aura vraisemblablement un effet EDSC lorsque « l’un des objets importants de l’accord ou de l’arrangement – ou d’une partie de celui-ci – est d’empêcher ou de diminuer la concurrence dans un marché ». Le critère de l’« objet important » est nouveau dans la Loi et fera probablement l’objet d’une interprétation de la part des tribunaux. Le document d’orientation précise que le Bureau a l’intention d’accorder peu d’importance à l’« objet important » de ces clauses contractuelles (du moins en ce qui concerne les contrôles de propriété) et entend plutôt se concentrer sur l’incidence des contrôles de propriété sur le marché, en partant du principe que « si un accord a pour effet de nuire à la concurrence, il est alors vraisemblable que l’objet d’une partie importante de l’accord soit de nuire à la concurrence ».
8. Le document d’orientation encourage les entreprises à examiner tout contrôle de propriété, nouveau ou existant, pour s’assurer qu’il respecte la Loi, et encourage « les locataires, les locateurs, les propriétaires fonciers et les anciens propriétaires fonciers à éliminer ou à modifier les contrôles de propriété visant des concurrents qui ne sont pas justifiés ».
Le document d’orientation ne dit rien sur le fait que les contrôles de propriété prévus dans les contrats demeurent légaux à moins que le Tribunal de la concurrence ne rende une ordonnance les interdisant. Les dispositions pertinentes de la Loi portent sur des pratiques susceptibles d’examen qui ne sont pas automatiquement illégales (comme le serait une infraction pénale).
Il convient de noter que les parties privées ne sont pas tenues de suivre les orientations du Bureau lorsqu’elles décident de demander au Tribunal de la concurrence l’autorisation de présenter une demande en vue d’obtenir des mesures correctives concernant des contrôles de propriété en vertu des articles 79 ou 90.1 de la Loi. Il reste donc à voir si, en matière d’application de la Loi, les parties privées adopteront l’approche du Bureau telle qu’elle est décrite dans le document d’orientation ou si elles chercheront à tester cette approche devant le Tribunal de la concurrence.
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