Auteurs(trice)
Associé directeur du bureau de New York, New York
Associé, Droit des sociétés, Toronto
Associé, Droit des sociétés, New York
Associé, Droit des sociétés, Toronto
Associé, Droit des sociétés, Toronto
La décision très attendue du Tribunal des marchés financiers de l’Ontario (le Tribunal) dans l’affaire Cormark Securities Inc. (Re) [PDF; en anglais seulement] fournit des indications importantes aux participants au marché qui effectuent des opérations de couverture en lien avec des placements privés. Le Tribunal a définitivement confirmé que certains « swaps » (par exemple, lorsque l’investisseur dans le cadre d’un placement privé emprunte des actions librement négociables dans le but de les vendre à découvert, tout en donnant en garantie au prêteur les actions assujetties à des restrictions qu’il a achetées dans le cadre du placement privé) sont légaux en vertu de la législation ontarienne en valeurs mobilières. La décision aborde également la question de savoir ce qui constitue un « placement » de valeurs mobilières et qui est un « souscripteur à forfait », et apporte quelques éclaircissements à ce sujet. En outre, elle met en évidence certaines différences importantes entre la législation canadienne et la législation américaine sur ces questions.
Contexte
Au cœur de l’affaire, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (la CVMO ou la Commission) a allégué que certaines opérations connexes que Valeurs mobilières Cormark Inc. (Cormark) avait proposées et effectuées constituaient un placement illégal de valeurs mobilières, en violation des obligations relatives au prospectus prévues par la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario (la LVMO).
Canopy Growth Corporation (Canopy), un émetteur assujetti en Ontario, a vendu à Saline Investment Ltd. (Saline) aux termes d’une dispense de prospectus 2,5 millions d’actions ordinaires nouvellement émises assujetties à une période de détention de quatre mois dans le cadre d’un placement privé (les actions assujetties à des restrictions). Parallèlement, Saline a emprunté 2,5 millions d’actions ordinaires librement négociables de Canopy (les actions librement négociables) à Goldman Holdings (GH), une société contrôlée par un administrateur de Canopy, aux termes d’un contrat de prêt de valeurs mobilières. Saline a donné les actions assujetties à des restrictions à GH en garanti du prêt des actions librement négociables. Saline a ensuite vendu sur le marché les actions librement négociables qu’elle avait empruntées. En fin de compte, les actions assujetties à des restrictions ont été libérées en faveur de GH après l’expiration de la période de détention de quatre mois à laquelle étaient assujetties les actions assujetties à des restrictions, en satisfaction de l’obligation de Saline de restituer les actions que celle-ci avait empruntées à GH dans le cadre du prêt de valeurs mobilières. Il est à noter que Canopy n’a pas été mise en cause dans la procédure et n’a été accusée d’aucun acte répréhensible par la CVMO.
La position de la CVMO
La CVMO a fait valoir que ces deux opérations connexes et simultanées (les opérations) constituaient un placement illégal et indirect d’actions ordinaires de Canopy dans le public par Cormark et Saline, car elles avaient pour effet de permettre à Canopy et aux autres parties participant aux opérations de vendre indirectement sur le marché 2,5 millions d’actions ordinaires nouvellement émises, sans être autorisées aux termes d’un prospectus.
La CVMO a cité la définition du terme « placement » prévue à la LVMO, qui s’entend également des transactions ou séries de transactions supposant un achat et une vente de valeurs mobilières dans le cadre d’un placement ou accessoirement à un placement. La CVMO a affirmé que, bien que le placement par Canopy des actions assujetties à des restrictions auprès de Saline ait été conforme à une dispense disponible des obligations relatives au prospectus, la vente sur le marché par Saline des actions librement négociables que celle-ci avait empruntées constituait en soi un placement, car elle avait lieu dans le cadre du placement privé des actions assujetties à des restrictions ou accessoirement à ce placement.
Les acheteurs des actions librement négociables auraient dû bénéficier, selon elle, des mêmes protections (un prospectus et la possibilité d’exercer des droits et des recours en cas d’informations fausses ou trompeuses dans le prospectus) que celles auxquelles ils auraient eu droit si Canopy les avait elle-même vendues directement sur le marché.
La décision du Tribunal
Le Tribunal a conclu qu’il n’y avait pas eu violation des obligations relatives au prospectus prévues par la LVMO. Il a estimé que la définition élargie du terme « placement », qui inclut les transactions effectuées dans le cadre d’un placement ou accessoirement à un placement, ne s’appliquait pas. Le Tribunal a expressément déclaré qu’il n’acceptait pas « [traduction libre] la prémisse, au cœur des observations de la Commission, selon laquelle les opérations ont, dans les faits, converti les actions assujetties à des restrictions émises dans le cadre du placement privé en actions librement négociables empruntées dans le cadre de l’accord de prêt de valeurs mobilières[1] ».
La CVMO a fait valoir que les opérations s’inscrivaient dans le cadre d’un placement parce que les intimés avaient l’intention subjective de se livrer à deux opérations distinctes mais connexes portant sur des valeurs mobilières différentes de la même catégorie (une opération triangulaire). En conséquence, les acheteurs du marché public ont acquis des actions librement négociables empruntées à un prêteur, plutôt que des actions nouvellement émises par Canopy dans le cadre d’un placement privé. Le Tribunal a rejeté d’emblée la proposition selon laquelle l’intention subjective est pertinente pour déterminer s’il y a placement (même selon la définition élargie) lorsque des valeurs mobilières sont émises aux termes d’une dispense de prospectus, tant que ces valeurs mobilières restent dans le « système fermé » (closed system) et ne sont pas revendues sans prospectus ou dispense de prospectus, pendant la période de détention requise en vertu de la législation ontarienne en valeurs mobilières. Le Tribunal a accepté que les actions assujetties à des restrictions soient restées dans le système fermé jusqu’à la fin de la période de détention de quatre mois.
Le Tribunal a expressément statué que les actions assujetties à des restrictions et les actions librement négociables constituaient deux « ensembles distincts de valeurs mobilières » (distinct sets of securities) et qu’une opération triangulaire conçue pour avoir deux composantes qui fonctionnent ensemble ne changeait pas le fait que l’opération triangulaire supposait deux ensembles distincts de valeurs mobilières. En d’autres termes, le nantissement des actions assujetties à des restrictions et leur utilisation éventuelle aux fins du remboursement du prêt de valeurs mobilières, après l’expiration de la période de détention de quatre mois, n’a pas entraîné l’application de la définition élargie du terme « placement » aux ventes sur le marché des actions librement négociables qui avaient été empruntées.
La CVMO a également fait valoir que le Tribunal devrait tenir compte des directives énoncées dans l’Instruction générale relative au Règlement 41-101, qui énonce les facteurs à prendre en compte pour décider si un placement de valeurs mobilières par voie de prospectus auprès d’acheteurs connus peut en fait constituer un « placement indirect » auprès d’un groupe élargi d’acheteurs inconnus, lesquels devraient alors aussi bénéficier des droits et recours plus étendus offerts dans le cadre d’un placement par voie de prospectus. Les intimés ont fait valoir, et le Tribunal a accepté, que ces directives ne s’appliquaient pas en l’espèce parce que les actions assujetties à des restrictions n’étaient pas en soi revendues et qu’elles étaient en fait conservées dans le « système fermé » pendant la période de détention requise. Le Tribunal a expressément confirmé que rien n’interdisait le nantissement de valeurs mobilières assujetties à une période de détention comme garantie d’un prêt, à condition que celles-ci ne soient pas vendues sur le marché public sans prospectus ou dispense de prospectus avant l’expiration de la période de détention. Il s’ensuit qu’en vertu de la LVMO, rien n’interdit l’utilisation de valeurs mobilières assujetties à une période de détention — que la période de détention ait expiré ou non — aux fins du remboursement d’un prêt de valeurs mobilières librement négociables, pour autant que le prêteur ait détenu les valeurs mobilières assujetties à une période de détention pendant le reste de la période en question.
Le Tribunal a également rejeté les arguments selon lesquels les opérations étaient des opérations anti-évitement contraires aux directives énoncées dans l’Instruction générale relative au Règlement 45-106 sur les dispenses de prospectus et la Companion Policy 45-501CP – Ontario Prospectus and Registration Exemptions. Le Tribunal a conclu que Saline n’agissait pas comme un souscripteur à forfait (au sens de la LVMO), que les actions librement négociables et les actions assujetties à des restrictions n’étaient pas des valeurs mobilières identiques (en raison notamment de la période de détention rattachée aux actions assujetties à des restrictions) et que les opérations n’étaient pas structurées de manière à éviter la remise du prospectus qui aurait été requis dans le cadre d’un placement dans le public d’actions nouvellement émises.
Le Tribunal a également rejeté l’argument de la CVMO selon lequel la décision dans l’affaire Crystallex [en anglais seulement] de 1999 étayait la conclusion selon laquelle la vente par Saline des actions librement négociables que celle-ci avait empruntées constituait un placement. Dans l’affaire Crystallex, il y avait un placement continu d’un ensemble unique de valeurs mobilières de l’émetteur entre les mains d’un prêteur tiers, qui les vendait ensuite sur le marché. Cette situation est différente de la présente affaire, où les actions ont été émises en faveur de Saline dans le cadre d’un placement privé et sont restées dans le système fermé pendant la période de détention requise.
Enfin, la CVMO n’a pas jugé utile de prononcer une ordonnance au titre de sa compétence en matière d’intérêt public.
Différences entre le Canada et les États-Unis
À titre de précédent potentiellement pertinent à l’appui de sa position, la CVMO a cité au Tribunal une décision de la Cour d’appel des États-Unis (la décision Zacharias) relative à un « stratagème de swaps » (swap scheme). Le Tribunal a refusé de prendre en considération ou d’invoquer la décision Zacharias, compte tenu des différences entre la LVMO et le régime américain, que la CVMO n’a pas analysées pour le Tribunal.
Aux États-Unis, en vertu de la loi intitulée Securities Act of 1933, en sa version modifiée (la Loi de 1933), il est interdit de vendre des valeurs mobilières qui ne sont pas visées par une déclaration d’enregistrement (contenant un prospectus) en vigueur ou par une dispense des exigences d’enregistrement. Les opérations sur le marché secondaire se font normalement sur la base d’une dispense d’enregistrement applicable aux « [traduction libre] opérations effectuées par toute personne autre qu’un émetteur, un souscripteur à forfait (underwriter)ou un courtier » (la dispense applicable aux opérations ordinaires), les courtiers bénéficiant d’autres dispenses. Cette interprétation alourdit considérablement la question de savoir qui ou ce qu’est un souscripteur à forfait. Selon la loi, « souscripteur à forfait » s’entend de toute personne « [traduction libre] qui a souscrit des valeurs mobilières auprès d’un émetteur en vue de les placer, ou qui les offre ou les vend pour le compte de l’émetteur dans le cadre d’un placement, qui participe directement ou indirectement à un tel placement ou qui a un intérêt direct ou indirect dans un tel placement ». Selon cette définition, le terme « émetteur » comprend également les sociétés membres du même groupe que l’émetteur au sens de la Loi de 1933. Une personne qui est un souscripteur à forfait au sens de cette définition ne peut pas se prévaloir de la dispense applicable aux opérations ordinaires. Lorsqu’il vend des valeurs mobilières, le souscripteur à forfait enfreint les exigences d’enregistrement de la Loi de 1933 si aucune déclaration d’enregistrement n’est en vigueur ou si aucune dispense d’enregistrement, autre que la dispense applicable aux opérations ordinaires, n’est disponible.
Selon la LVMO, seules les opérations sur valeurs mobilières qui constituent un « placement » doivent être effectuées aux termes d’un prospectus ou d’une dispense de prospectus. Selon la LVMO, un « souscripteur à forfait » s’entend d’une personne qui convient d’acheter des valeurs mobilières « en vue de leur placement ». Toutefois, contrairement à la Loi de 1933, où le statut de souscripteur à forfait empêche expressément de se prévaloir de la dispense applicable aux opérations ordinaires, en vertu de la LVMO, le fait qu’une personne soit ou non un souscripteur à forfait ne détermine pas en soi si un prospectus ou une dispense de prospectus est nécessaire. La question correspondante au sens de la LVMO se pose plutôt dans la partie de la définition de « placement » qui inclut les « transactions ou séries de transactions supposant un achat et une vente ou un rachat et une revente dans le cadre d’un placement ou accessoirement à un placement ». Ainsi, selon la LVMO, la vente de valeurs mobilières par une personne qui les a acquises en tant que « souscripteur à forfait » (c’est-à-dire en vue de leur placement) constituerait probablement en soi une opération dans le cadre du placement initial, nécessitant un prospectus ou une dispense de prospectus.
La décision Zacharias
Le stratagème en cause dans la décision Zacharias était une opération triangulaire. Zacharias et une autre personne étaient des dirigeants et des administrateurs de Starnet Communications International, Inc. (Starnet), une société ouverte américaine. Ils étaient affiliés à l’émetteur en vertu de la Loi de 1933 et, pour vendre les actions de Starnet qu’ils détenaient (les actions détenues par les affiliés), il aurait fallu que les actions soient visées par une déclaration d’enregistrement conforme à la Loi de 1933 ou par une dispense d’enregistrement disponible, autre que la dispense applicable aux opérations ordinaires, comme c’est le cas pour un placement privé entraînant des restrictions de revente pour l’acquéreur. Au lieu de vendre les actions détenues par les affiliés sur le marché, ils ont conclu un accord avec Alfred Peeper et des entités contrôlées par ce dernier. Dans le cadre de cet accord, les entités Peeper ont vendu sur le marché un certain nombre d’actions de Starnet différentes, précédemment détenues et librement négociables (les actions précédemment détenues), et ont ensuite acheté les actions détenues par les affiliés afin de reconstituer leur stock initial d’actions précédemment détenues.
La Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis a conclu, et la Cour d’appel des États-Unis a confirmé, que ces deux opérations devaient être liées et traitées comme une seule opération, ce qui violait les exigences d’enregistrement de la Loi de 1933. Elles ont déterminé que les parties en cause étaient des « souscripteurs à forfait » (underwriters) au sens de la Loi de 1933, ce qui est venu confirmer la façon dont la SEC avait antérieurement interprété les opérations triangulaires. Par conséquent, pour vendre sur le marché des actions précédemment détenues, les entités Peeper ne pouvaient pas se prévaloir de la dispense applicable aux opérations ordinaires, car un souscripteur à forfait ne peut pas se prévaloir d’une telle dispense. La Cour n’a pas tenu compte du fait que les actions précédemment détenues et les actions détenues par les affiliés étaient des valeurs mobilières différentes, que les entités Peeper avaient vendu les actions précédemment détenues sur le marché avant d’acheter les actions détenues par les affiliés ou que les entités Peeper n’avaient pas revendu ultérieurement les actions détenues par les affiliés pendant la période où elles ont continué à être assujetties aux restrictions de revente prévues par la Loi de 1933.
Comme nous l’avons indiqué plus haut, le Tribunal a refusé de prendre en compte la décision Zacharias ou de s’y appuyer, compte tenu des différences entre la LVMO et le régime américain.
Les affaires concernant des placements privés dans des sociétés ouvertes aux États-Unis
Avant la décision Zacharias, la SEC a poursuivi sans succès un certain nombre de procédures d’application de la loi visant des opérations de couverture effectuées en lien avec des placements privés dans des sociétés ouvertes (les affaires PPSO). Dans ces affaires, dans l’attente de l’entrée en vigueur de la déclaration d’enregistrement couvrant la revente des actions assujetties à des restrictions qu’ils avaient achetées dans le cadre d’un placement privé, les acheteurs avaient emprunté des actions librement négociables en vue de les vendre sur le marché pour couvrir l’achat des actions assujetties à des restrictions en question. La SEC n’a pas reproché aux acheteurs de s’être livrés à des opérations de couverture, mais plutôt d’avoir utilisé les actions effectivement achetées dans le cadre du placement privé pour rembourser les prêteurs.
Selon la SEC, ils auraient dû faire ce que « tout le monde sait » (everyone knows) être la bonne manière de rembourser un prêt de valeurs mobilières dans ces circonstances : ce qu’on appelle une « double impression » (double print). Les acheteurs auraient dû vendre sur le marché les actions qu’ils avaient achetées dans le cadre du placement privé après l’entrée en vigueur de la déclaration d’enregistrement, puis acheter sur le marché d’autres actions en vue de les remettre aux prêteurs de valeurs mobilières en guise de remboursement du prêt (c’est-à-dire effectuer ou « imprimer » deux opérations distinctes). Cela aurait permis d’éviter la violation alléguée de la Loi de 1933 résultant du fait que les actions achetées dans le cadre du placement privé avaient été « pré-vendues » aux prêteurs avant l’entrée en vigueur de la déclaration d’enregistrement.
En effet, et potentiellement en contradiction avec l’issue de la décision Zacharias, la SEC a soutenu que les acheteurs dans le cadre du placement privé auraient dû recourir à une « double impression » (qui est en fait une opération triangulaire) pour rembourser le prêt de valeurs mobilières. La position de la SEC était que la séparation des composantes de ce type d’opération triangulaire serait respectée tant que les acheteurs étaient exposés à un « risque économique significatif » par le biais de la double impression, même s’il était atténué par une opération de couverture supplémentaire effectuée à leurs frais. La pratique de la double impression n’est pas courante au Canada, et la décision Cormark semble soutenir la position selon laquelle la double impression n’est pas nécessaire au Canada, étant donné que les actions librement négociables vendues sur le marché dans le cadre d’une opération de couverture sont des valeurs mobilières différentes et distinctes des actions achetées dans le cadre d’un placement privé, qui sont assujetties à une période de détention.
Ce que la décision Cormark nous dit
Le Tribunal a formulé un certain nombre de conclusions importantes dans la décision Cormark :
- La définition élargie du terme « placement » prévue par la LVMO, selon la décision du Tribunal, ne transforme pas un placement d’un ensemble de valeurs mobilières en un placement d’un autre ensemble de valeurs mobilières. Le terme « placement » doit être interprété comme si la définition se lisait ainsi : « […] S’entend en outre des transactions ou séries de transactions supposant un achat et une vente ou un rachat et une revente des mêmes valeurs mobilières que celles qui font l’objet du placement dans le cadre d’un placement ou accessoirement à un placement, et non d’autres valeurs mobilières de la même catégorie ou d’autres valeurs mobilières connexes » (nous soulignons).
- Si des valeurs mobilières sont émises aux termes d’une dispense dans le cadre d’un placement privé entraînant une période de détention, et restent dans le « système fermé » pendant la période de détention requise, c.-à-d. que, au cours de cette période, aucune revente n’est effectuée sans prospectus pertinent (ou sans dispense de prospectus), alors toute opération ultérieure sur ces valeurs mobilières après la fin de la période de détention requise ne sera pas, selon la décision du Tribunal, couverte par la définition élargie de « placement ». La décision suggère qu’il n’est pas nécessaire de prendre en compte des facteurs tels que l’intention de l’acheteur au moment de l’achat initial, ou la question de savoir si l’acheteur initial était exposé à un risque de placement, en relation avec les opérations ultérieures qu’il a effectuées.
- Les opérations triangulaires effectuées dans le cadre de placements dispensés de prospectus ne devraient pas être répréhensibles tant que chaque partie de l’opération concerne des ensembles de valeurs mobilières distincts et identifiables. Cela devrait signifier qu’un émetteur est autorisé à vendre des valeurs mobilières à un investisseur dans le cadre d’un placement privé et que, pendant la période de détention que doit respecter cet acquéreur, l’émetteur ou une autre partie peuvent faire en sorte que des valeurs mobilières différentes, librement négociables, soient transférées par un porteur existant de valeurs mobilières en circulation de la même catégorie à un acquéreur qui ne veut pas ou ne peut pas accepter des valeurs mobilières assujetties à une période de détention.
- Plus généralement, la décision fournit des éclaircissements au sujet des opérations dans le cadre desquelles deux parties conviennent d’échanger des valeurs mobilières assujetties à des restrictions de revente contre des valeurs mobilières précédemment émises et en circulation qui ne sont pas assujetties à de telles restrictions, pour autant qu’il existe une dispense de prospectus pour la vente des valeurs mobilières assujetties à des restrictions. Cette décision veut dire que la libre négociabilité est, en fait, un attribut économique des actions susceptibles d’être achetées et vendues. Il n’est pas interdit à une partie souhaitant monétiser la valeur de la libre négociabilité de ses actions d’accepter de les échanger contre des valeurs mobilières de la même catégorie qui sont assujetties à une période de détention et de respecter les restrictions de revente qui y sont associées.
- Selon le Tribunal, « [traduction libre] la couverture ou la gestion des risques est un aspect normal et accepté de la participation aux marchés financiers. Le simple fait qu’une structure puisse réduire ou supprimer les risques ne la rend pas contraire aux principes directeurs de la Loi[2] ».
Ce que la décision Cormark ne nous dit pas
Bien que la décision Cormark fournisse des indications importantes — et, espérons-le, définitives — sur de nombreuses questions relatives aux placements indirects, à l’intention de placement et aux opérations triangulaires qui étaient jusqu’à présent entachées d’incertitude, elle laisse également un certain nombre d’autres questions connexes en plan.
Parmi les plus notables, mentionnons les suivantes :
- Quels sont les facteurs à prendre en compte pour décider si l’acheteur qui acquiert des valeurs mobilières dans le cadre d’une opération de revente acquiert indirectement des valeurs mobilières vendues dans le cadre du placement initial effectué par l’émetteur?
- La décision Cormark suggère qu’une opération de revente ne sera pas considérée comme faisant partie du placement initial de l’émetteur, pourvu que la période de détention requise de quatre mois soit expirée.
- La décision Cormark ne nous dit pas les circonstances dans lesquelles l’émetteur et l’acheteur initial pourraient violer la législation ontarienne en valeurs mobilières si l’acheteur initial revendait les actions pendant la période de détention requise, du fait qu’une telle revente fait indirectement partie du placement initial.
- Enfin, la décision Cormark ne nous dit pas les facteurs qui doivent être pris en compte pour déterminer quand un placement prend fin, de sorte qu’aucune autre dispense de prospectus ne soit nécessaire pour les reventes ultérieures, dans le contexte d’une dispense de prospectus qui n’entraîne pas une période de détention de quatre mois (comme la règle de la CVMO intitulée OSC Rule 72-503 Distributions Outside Canada, règle qui ne peut être invoquée pour les placements indirects au Canada parce que les reventes hors du Canada par l’acheteur initial équivaudraient à un placement indirect au Canada par l’émetteur).
- Dans quelle mesure la jurisprudence et l’analyse américaines relatives à la définition de « souscripteur à forfait » (underwriter) dans la Loi de 1933, ainsi que les considérations relatives à l’intention de placement de l’acheteur et à son exposition au risque économique, peuvent-elles s’appliquer à la question correspondante de savoir si une revente s’inscrit dans le cadre d’un placement « indirect » par l’émetteur au sens de la définition élargie de « placement » prévue par la LVMO?
- À moins qu’une période de détention de quatre mois n’ait été imposée et n’ait expiré, l’intention de placement de l’acheteur et son exposition au risque économique sembleraient toujours pertinentes pour l’analyse de la définition élargie du terme « placement » prévue par la LVMO, de sorte qu’une analyse du moment où les valeurs mobilières « s’immobilisent » (comes to rest) demeure nécessaire pour pouvoir conclure qu’un placement a pris fin.
- Enfin, dans quelles circonstances le Tribunal pourrait-il considérer que la définition élargie de « placement » s’applique, ou qu’une ordonnance en application de sa compétence en matière d’intérêt public est justifiée, en présence de faits suggérant l’existence d’un plan ou d’un stratagème visant à éviter l’application de la LVMO ou pouvant jeter le discrédit sur les marchés financiers de l’Ontario?
La décision Cormark est utile, car elle répond à un certain nombre de questions de longue date dans un domaine très compliqué et technique de la législation ontarienne en valeurs mobilières. Elle offre des conseils particulièrement utiles dans le contexte des opérations triangulaires où l’une des parties de l’opération consiste en un placement privé de valeurs mobilières qui restent détenues dans le « système fermé » pendant la période de détention requise. Cependant, les faits et circonstances propres à toutes les opérations triangulaires et autres opérations pouvant supposer un placement indirect de valeurs mobilières doivent toujours être soigneusement examinés, afin de s’assurer que, par ces opérations, on ne viole pas la législation ontarienne en valeurs mobilières.
[1] Cormark Securities Inc (Re), 2024 ONCMT 26, par. 40.
[2] Par. 154.