Modifications proposées à la Loi sur le privilège dans l’industrie de la construction : Que signifient-elles pour l’industrie de la construction ?

20 Nov 2016 15 MIN DE LECTURE

Le rapport tant attendu (le rapport) sur les modifications potentielles à la Loi sur le privilège dans l'industrie de la construction (la LPIC), demandé par le ministère du Procureur général de l'Ontario (le ministère1), a maintenant été publié. Le rapport recommande entre autres ce qui suit :

  • l’adoption d’un régime de paiements rapides exigeant un paiement dans les 28 jours à compter de la remise d’une facture appropriée (sous réserve de certains avis de compensation);
  • l’arbitrage rapide et obligatoire des différends dans l’industrie de la construction, menant à une décision en moins de 30 jours;
  • le versement des retenues (sous réserve de certains avis de compensation), en autorisant le versement échelonné de la retenue pour les projets longs ou segmentés.

La LPIC actuelle a été adoptée en 1983, mais elle n’avait pas été révisée dans sa totalité depuis. Les pressions importantes exercées par l’industrie de la construction ainsi que les avancements dans l’industrie, dont la popularité à la hausse des partenariats publics-privés, ont rendu nécessaire une évaluation critique de l’efficacité de la LPIC pour mieux atteindre ses objectifs politiques dans le contexte actuel.

Le rapport avait été précédé par la tentative d’adoption du projet de loi 69, la Loi de 2014 sur les paiements rapides (le projet de loi 69), qui résultait du mouvement pour un régime de paiements rapides en Ontario et dans d’autres territoires. Après l’échec du projet de loi 69, la province a décidé de procéder à une révision plus large de la LPIC. Une longue consultation des parties intéressées de l’industrie a suivi et a culminé avec la présentation du rapport.

Questions examinées dans le rapport

Le rapport a été entrepris dans l’intention d’effectuer une évaluation approfondie et complète de la LPIC, ce qui se reflète dans l’ampleur et la portée des questions importantes qui ont été examinées. 

Le rapport a divisé ces questions en différents chapitres : (1) exercice du privilège; (2) conservation, opposabilité et extinction des privilèges; (3) retenues et exécution pour l’essentiel; (4) procédure sommaire; (5) fiducies de construction; (6) rapidité des paiements; (7) arbitrage intérimaire; (8) cautionnements; (9) modifications techniques; (10) éduquer les membres de l’industrie et examen périodique. Le rapport a permis de présenter 100 recommandations distinctes.

Le présent bulletin d’Actualités Osler sera axé sur les trois principaux chapitres du rapport, soit ceux sur la rapidité des paiements, l’arbitrage intérimaire obligatoire et les retenues et l’exécution pour l’essentiel. Les sept autres chapitres du rapport ont leur propre importance, notamment les recommandations sur le cautionnement obligatoire pour tous les projets publics sans égard à la taille et sur la prolongation du délai pour préserver et opposer un privilège.   

En fait, compte tenu de l’ampleur et de la portée de toutes ces questions, dans l’ensemble, le rapport recommande le remplacement de la LPIC, qui est principalement axée sur les privilèges et les fiducies, par une nouvelle législation dont le titre parle de lui-même, soit la Loi sur la construction : une loi sur la sécurité de paiement et le règlement efficace des différends dans l’industrie de la construction.

Paiement rapide

Le rapport recommande l’adoption d’un régime législatif par défaut de paiements rapides. Les éléments du régime de paiements rapides sont décrits ci-après.

À quels types de contrats le régime de paiements rapides s'appliquerait-il ?

  • Le régime législatif de paiements rapides s’appliquerait à tous les types de contrats de construction à tous les niveaux de la pyramide de construction, aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé. Les parties seraient libres de rédiger leurs propres dispositions contractuelles en matière de paiement si elles respectent le régime législatif. Les dispositions obligatoires seraient intégrées implicitement, en vertu de la Loi, dans les contrats qui ne contiennent pas de dispositions équivalentes.

Quels sont l'élément déclencheur du paiement et le délai de paiement ?

Le rapport recommande ce qui suit :

  • entre les propriétaires et les entrepreneurs généraux, le paiement doit être versé dans les 28 jours à compter de la remise d’une « facture appropriée », décrite ci-après;
  • entre les entrepreneurs généraux et les sous-traitants, un délai supplémentaire de sept jours s’applique à compter de la date où un paiement est versé par le propriétaire (et un délai de sept jours supplémentaires s’applique à chaque niveau en aval de la pyramide de construction);
  • l’élément déclencheur des obligations de paiement est la présentation d’une facture appropriée, soit une facture convenablement documentée; le contrat définirait ce qui constitue l’information et la documentation adéquate, ou sinon la définition par défaut en vertu de la législation s’appliquerait;
  • l’autorisation du paiement par la personne qui autorise le paiement, le cas échéant, suivrait la présentation d’une facture appropriée et elle ne peut être une condition préalable au début du délai de paiement;
  • les parties pourraient négocier le cycle de paiement, mais un cycle de paiement mensuel s’appliquerait si elles ne le font pas;
  • il serait permis d’adopter un mécanisme de paiement par étapes, mais les sous-traitants doivent en être informés pendant la période de soumission.

Pour quels motifs le paiement peut-il être retenu et à quel moment ?

  • Les responsables du paiement auraient le droit de retenir les montants contestés (mais pas les montants non contestés) en transmettant un « avis d’intention de retenir un paiement » indiquant le montant retenu et les motifs de la retenue dans les sept jours suivant la réception d’une facture appropriée.
  • Les responsables du paiement auraient le droit de compenser la totalité des dettes, réclamations ou dommages-intérêts, mais seulement ceux liés au contrat en litige et non ceux liés à d’autres projets, contrairement à ce qui est prévu actuellement en vertu de la LPIC.
  • Essentiellement, la nouvelle approche obligerait les responsables du paiement à agir, soit en évaluant la demande de paiement rapidement et ensuite en payant la facture, ou en présentant une demande de compensation précise et bien définie.

Quels seraient les recours qui peuvent être exercés en cas de défaut de paiement ?

  • Des intérêts obligatoires seraient exigibles en cas de paiements tardifs au taux le plus élevé entre le taux prévu au contrat et le taux antérieur au jugement établi dans la Loi sur les tribunaux judiciaires.
  • Le droit de suspension du bénéficiaire du paiement prendrait naissance après qu’un arbitre intérimaire a rendu sa décision et qu’un responsable de paiement a refusé ou omis de se conformer à cette décision.

Arbitrage intérimaire

Le rapport propose la mise en place de l’arbitrage intérimaire obligatoire à titre de mécanisme de règlement extrajudiciaire des différends s’appliquant à tous les types de contrats de construction à tous les niveaux de la pyramide de construction, aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé. Ce régime accorderait aux parties la latitude nécessaire pour négocier les dispositions contractuelles relatives à l’arbitrage intérimaire, dans la mesure où elles respectent le régime législatif. Sinon, le régime d’arbitrage par défaut (qui sera décrit dans un règlement pris en application de la LPIC) s’appliquerait. Le rapport recommande également la création d’une autorité unique chargée de la certification et de la formation des arbitres intérimaires et de l’administration de leur nomination. Certains éléments supplémentaires du régime d’arbitrage intérimaire sont décrits ci-après.

Qui peut se prévaloir de l'arbitrage intérimaire ?

  • Toute partie à un contrat de construction ou à un contrat de sous-traitance aurait le droit de demander l’arbitrage intérimaire pour des différends résultant de ce contrat ou contrat de sous-traitance. L’arbitrage intérimaire viserait en général une seule question en litige. Les questions en litige ou différends multiples ne pourraient être réglés simultanément en arbitrage intérimaire qu’avec le consentement des parties.
  • Les arbitrages intérimaires entamés l’un à la suite de l’autre seraient permis entre propriétaire-entrepreneur général et en aval entre entrepreneur général-sous-traitants.

Qui peut procéder à un arbitrage intérimaire d'un différend et comment l'arbitre intérimaire est-il nommé ?

  • Les arbitres intérimaires feraient partie d’une profession autoréglementée (p. ex., avocats, ingénieurs, économistes en construction, comptables ou architectes), auraient au moins sept ans d’expérience pertinente au sein de l’industrie de la construction en Ontario et auraient suivi une formation normalisée et obtenu la certification de l’autorité gouvernementale. Au départ, une liste provisoire d’arbitres chevronnés serait établie jusqu’à ce que l’autorité mette en place le système de formation et de certification.
  • Les arbitres intérimaires auraient immunité en matière de responsabilité en ce qui a trait à leurs décisions et ne seraient pas tenus de témoigner dans des affaires civiles.
  • L’arbitre intérimaire serait nommé en cas de différend par la partie qui envoie l’avis au sujet de l’arbitrage. Les parties devraient alors s’entendre sur l’identité de l’arbitre dans les deux jours ouvrables suivant la livraison de l’avis, faute de quoi l’autorité interviendrait pour nommer un arbitre dans les cinq jours ouvrables.

Quels différends peuvent être réglés par arbitrage intérimaire ?

  • L’arbitrage intérimaire s’appliquerait aux conflits résultant d’une demande de paiement après la remise d’une facture appropriée aux termes d’un contrat de construction ou d’un contrat de sous-traitance, y compris :

(i) l'évaluation du sujet technique de la facture;

(ii) les réclamations monétaires faites selon le contrat (p. ex., ordres de modification);

(iii) les réclamations ayant trait à une sûreté détenue aux termes d'un contrat de construction;

(iv) les retenues et compensations sur des montants dus dans le cadre d'une facture;

(v) les questions de retard quand il s'agit de réclamations de paiement.

  • Le rapport n’indique pas clairement quelles réclamations seraient exclues de l’arbitrage intérimaire obligatoire, mais il semble que l’intention est d’exclure les réclamations en cas de négligence à l’encontre de spécialistes de la conception ainsi que les réclamations pour retard résultant simplement de la prolongation des échéances.
  • Les parties auraient le choix de transmettre les différends de moins de 25 000 $ à l’arbitrage intérimaire ou à la Cour des petites créances.

Quel est le processus et quels sont les coûts ?

  • Le processus d’arbitrage intérimaire par défaut établirait les normes minimales relatives à l’avis d’arbitrage intérimaire, à la nomination de l’arbitre, à l’échéancier d’arbitrage, aux devoirs et pouvoirs de l’arbitre (y compris l’établissement du processus d’arbitrage) et la nature intérimaire exécutoire de la décision de l’arbitre.
  • Le rapport recommande que la durée totale du processus d’arbitrage soit de 30 jours, à partir du moment de la soumission initiale du différend jusqu’à la fin du processus comprenant la nomination de l’arbitre, la remise des documents pertinents, la rencontre des témoins, l’embauche des experts, les observations des parties, la tenue d’une audience et la décision de l’arbitre. Dans le cas des réclamations complexes et de grande ampleur, il pourrait être difficile de respecter ce délai.
  • Règle générale, les parties assumeraient les honoraires de l’arbitre intérimaire en parts égales et chacune assumerait ses propres coûts juridiques, sous réserve du pouvoir de l’arbitre d’ajuster la proportion par défaut en cas de mauvaise foi ou de conduite frivole ou vexatoire d’une partie.

Comment sont appliqués les décisions des arbitres intérimaires ?

  • Les décisions lieraient les parties sur une base intérimaire (soit jusqu’à ce que le différend soit réglé par arbitrage ou procédures juridiques officielles ou jusqu’à ce que les parties reconnaissent que la décision d’arbitrage intérimaire est finale et exécutoire). Il est intéressant de noter que le rapport mentionne que la grande majorité des arbitrages intérimaires effectués au Royaume-Uni aux termes d’un régime semblable ont en pratique été acceptés par les parties, qui les traitaient alors comme des décisions finales.
  • Les décisions seraient applicables grâce à une demande à la Cour supérieure de justice de la même façon que celle qui est employée pour les décisions en vertu de la Loi de l’arbitrage, 1991.

Comment l'arbitrage intérimaire s'harmoniserait-il avec la LPIC ?

  • Les droits de privilège et de fiducie des parties en vertu de la LPIC ne seraient pas touchés par le régime d’arbitrage. Par conséquent, si une partie choisit de régler un différend par une procédure de privilège, elle peut suivre le processus de préservation et d’opposition en vertu de la LPIC et avoir recours à un privilège. Les actions relatives à la fiducie peuvent aussi être présentées devant les tribunaux.

Retenues et exécution pour l'essentiel

Dans sa discussion au sujet des retenues et de l'exécution pour l'essentiel, le rapport a évalué les principales sous-questions énumérées ci-après.

Montant de la retenue

  • Le montant de la retenue serait maintenu au taux actuel de 10 %.

Définitions d'exécution pour l'essentiel et d'achèvement

  • Le critère permettant d’établir qu’un contrat est exécuté pour l’essentiel demeurerait le même, mais la formule présentée à l’alinéa 2(1)b) de la LPIC devrait être modifiée afin d’augmenter le coût maximal d’achèvement ou de correction pour le faire passer à 3 % pour le premier 1 000 000 $ du prix du contrat, à 2 % du 1 000 000 $ qui suit et à 1 % pour le solde du prix du contrat.
  • Dans le même ordre d’idées, la disposition sur l’achèvement réputé au paragraphe 2(3) serait modifiée pour faire passer le coût maximal d’achèvement ou de correction à au plus le montant le moins élevé entre a) 1 % du prix du contrat; b) 5 000 $ (comparativement à 1 000 $ actuellement).
  • Ces modifications visent à tenir compte de l’inflation au fil des années.

Retenue pour l'achèvement des travaux

  • Les dispositions sur la retenue pour l’achèvement des travaux de la LPIC ne seraient pas modifiées.

Versement obligatoire de la retenue, sous réserve de la compensation

  • La LPIC devrait être modifiée afin de rendre le versement de la retenue obligatoire alors qu’il était simplement permissif. Cependant, le responsable du paiement peut faire valoir un droit de compensation en publiant un avis de non-paiement ou de compensation indiquant précisément les questions visées par la compensation et les montants connexes.

Versement annuel, échelonné et segmenté de la retenue

  • Les parties auraient le droit de prévoir au contrat le versement partiel de la retenue sur une base annuelle ou échelonnée (uniquement pour les projets longs ou de grande envergure dépassant certains seuils monétaires et temporels).
  • Dans le but de calmer les préoccupations des spécialistes de la conception, qui demandaient le versement de la retenue sur la partie de leur travail liée à la conception, il serait possible de désigner au contrat une étape de conception pour les services-conseils, mais cela n’est pas obligatoire. Cela faciliterait le versement échelonné de la retenue pour les spécialistes de la conception.
  • De plus, les projets comprenant des segments clairement distincts, y compris les partenariats publics-privés et d’autres projets de financement et d’approvisionnement, pourraient être segmentés afin de permettre le versement segmenté de la retenue.

Ententes de report

  • Sous réserve des seuils appropriés, les propriétaires et les entrepreneurs devraient avoir le droit de conclure des ententes de report aux termes desquelles des parties des travaux sont retirées du calcul de l’achèvement pour l’essentiel afin de permettre de certifier et de publier plus tôt l’achèvement pour l’essentiel.

Retenue pour vices de construction

  • La capacité des parties d’intégrer au contrat des dispositions sur la retenue pour vices de construction ne serait pas limitée, mais la LPIC ne la rendrait pas obligatoire.

Utilisation d'instruments financiers ou d'espèces pour les besoins de la retenue

  • Les lettres de crédit ou les cautionnements de remboursement de retenue sur demande devraient être permis pour remplacer les retenues à l’aide de sommes au comptant.

Prochaines étapes

Le ministère procède actuellement à des consultations auprès des principaux groupes de parties intéressées afin de connaître leurs réactions aux recommandations présentées dans le rapport. Selon le résultat de ces consultations, le ministère a laissé entendre qu’il pourrait proposer une ébauche de législation dès le printemps 2017 portant sur les principales questions abordées dans le rapport.  

Entre temps, les autres provinces et le gouvernement fédéral surveillent avec intérêt les événements en Ontario, notamment la Colombie-Britannique, dont le Law Institute a proposé une réforme de la Builders Lien Act, ainsi que le gouvernement fédéral, alors que le Sénat a présenté le projet de loi S-224 (la Loi sur les paiements effectués dans le cadre de contrats de construction proposée).

Les membres de notre groupe de pratique Construction et infrastructure, notamment Roger Gillott, Richard Wong, Joel Heard, Paul Ivanoff, Andrew Wong, Tobor Emakpor, Jake Sadikman, Elliot Smith et Rocco Sebastiano, participent activement aux activités de plusieurs organisations, y compris la Section du droit de la construction et infrastructure de l’Association du barreau de l’Ontario, et ils seraient heureux de discuter plus en détail des incidences commerciales et juridiques de ces recommandations et d’autres recommandations proposées dans le rapport.

 


1 Avec le ministre du Développement économique, de l'Emploi et de l'Infrastructure.