Auteurs(trice)
Associé, Droit des sociétés, Toronto
Associé, Droit des sociétés, Toronto
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Introduction
Les motifs de la décision de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) dans l’affaire The Catalyst Capital Group Inc. ont de fortes répercussions en matière de divulgation de l’information et de procédure en cas d’opérations donnant lieu à des conflits d’intérêts importants. Même si la CVMO n’a pas interdit la proposition d’une opération de sortie du marché d’un groupe d’actionnaires dirigé par le président exécutif de la Compagnie de la Baie d’Hudson (HBC), Richard Baker (le groupe Baker), elle a ordonné la divulgation d’information à des fins correctives en vue de combler certaines lacunes et de faire parvenir une circulaire annotée aux actionnaires de HBC. De plus, la CVMO s’est montrée critique relativement au fait que l’administrateur principal de HBC avait formulé une appréciation commerciale avant la création d’un comité spécial.
Cette décision vient réitérer l’importance de la création d’un comité spécial et du recours à des conseillers juridiques et financiers indépendants dès les débuts du processus d’examen d’une opération pouvant donner lieu à un grave conflit d’intérêts, ainsi que de la nécessité d’une divulgation détaillée des principales appréciations émises au cours de l’examen et de l’approbation d’une opération.
Contexte
En février 2019, des représentants de HBC, dont M. Baker, ont entrepris des discussions exploratoires avec des représentants du partenaire européen en coentreprise de HBC, SIGNA, concernant la vente éventuelle à SIGNA de la participation restante de 50 % de HBC dans ses coentreprises européennes (les opérations avec SIGNA). Peu après, M. Baker et des membres de la direction de HBC ont également amorcé des discussions exploratoires avec certains autres actionnaires de HBC relativement au fait que les produits des éventuelles opérations SIGNA pourraient ou non fournir une partie du financement d’une éventuelle opération de sortie du marché à laquelle HBC prendrait part.
En mars 2019, M. Baker et certains membres de la direction de HBC ont informé l’administrateur principal de HBC de leur désir d’évaluer une éventuelle opération de sortie du marché avec un nombre restreint d’autres actionnaires de HBC qui, ultimement, comprenait le groupe Baker, conditionnellement au fait que HBC irait de l’avant et mènerait à bien les opérations avec SIGNA. L’administrateur principal a consenti à ce que M. Baker explore cette opération et partage l’information financière restreinte avec ces actionnaires, et il a également consenti à ce que M. Baker fasse appel au même conseiller juridique de HBC que pour l’opération antérieure.
Ces appréciations commerciales se sont révélées être les principaux enjeux au cœur de cette affaire : l’administrateur principal avait-il pris des décisions cruciales aux premières étapes de l’opération qui auraient été plus adéquatement prises par un comité spécial, en disposant de l’avantage de conseils juridiques indépendants?
Deux jours plus tard, le conseil d’administration de HBC a mis sur pied un comité spécial d’administrateurs indépendants (le comité spécial) chargé de surveiller et de superviser l’examen et l’évaluation des stratégies et des options de HBC en ce qui concerne les coentreprises européennes, ainsi que l’unité d’affaires Lord & Taylor. Fait à noter, cette fois, le mandat du comité spécial ne comprenait pas l’examen de l’opération de sortie du marché.
Au cours des mois d’avril et de mai 2019, le comité spécial a supervisé la négociation des opérations avec SIGNA, il a fait appel à un conseiller juridique dans l’éventualité de la réception d’une proposition de sortie du marché, il a abordé d’éventuels conseillers financiers et étudié leurs dossiers, et pris des mesures préparatoires en prévision de la réception d’une proposition de sortie du marché. Par ailleurs, M. Baker a réitéré à l’administrateur principal qu’il souhaitait évaluer la possibilité d’une opération de sortie du marché au cours de cette période.
Le 4 juin 2019, le comité spécial a reçu une ébauche de proposition de sortie du marché et un projet de communiqué de presse (suivant l’annonce par HBC des opérations avec SIGNA). Le 9 juin 2019, le conseil d’administration de HBC a approuvé un mandat révisé et élargi du comité spécial chargé d’évaluer une proposition de sortie du marché. À la suite de l’examen du comité spécial, et de la conclusion selon laquelle il n’y aurait pas de proposition de sortie du marché en l’absence de renonciation aux dispositions relatives au statu quo, le conseil de HBC (à l’exclusion des administrateurs en situation de conflit) a renoncé aux dispositions relatives au statu quo applicables à l’un des principaux actionnaires faisant partie du groupe Baker.
Le 10 juin 2019, HBC a annoncé les opérations avec SIGNA et le groupe Baker a annoncé sa proposition de sortir HBC du marché au prix de 9,45 $ par action ordinaire (la proposition initiale). Parallèlement, le groupe Baker a avisé le comité spécial du fait qu’il ne serait pas vendeur dans une opération de remplacement.
Entre les 10 juin et 20 octobre 2019, le comité spécial a négocié les modalités de la proposition de sortie du marché avec le groupe Baker, alors que l’évaluateur indépendant et le conseiller financier ont entrepris l’analyse nécessaire en appui à l’évaluation officielle de HBC. Entre-temps, Catalyst a lancé et conclu une « offre d’achat restreinte », et acquis une participation de 10,05 % dans les actions ordinaires de HBC à prime par rapport à la proposition initiale. Finalement, HBC et le groupe Baker ont conclu une convention d’arrangement prévoyant la sortie du marché de HBC au prix de 10,30 $ par action ordinaire.
Le 2 décembre 2019, Catalyst a déposé une demande d’audience auprès de la CVMO sollicitant que celle-ci interdise en permanence l’acquisition de HBC par le groupe Baker ou bien sollicitant entre autres que la CVMO exige que HBC modifie et reformule sa circulaire de sollicitation de procurations et reporte l’assemblée des actionnaires de HBC qui avait été prévue pour le 17 décembre 2019. Catalyst critiquait notamment les décisions prises par l’administrateur principal en mars 2019, alléguant qu’elles auraient pu donner lieu à des résultats sous-optimaux et donc, à une baisse des cours pour les actionnaires minoritaires.
À la suite d’une audience, la CVMO a délivré une ordonnance provisoire, le 13 décembre 2019, en précisant que ses motifs suivraient, rejetant la demande de Catalyst qui sollicitait l’interdiction permanente de radiation de la cote, et accueillant la demande de Catalyst visant la modification de la circulaire de sollicitation de procurations de HBC. Entre autres, la CVMO a ordonné que la circulaire modifiée comporte les détails du processus de prise de décision de l’administrateur principal. La CVMO a ordonné en outre que la circulaire soit examinée par le personnel de la CVMO avant d’être envoyée aux actionnaires de HBC.
Par la suite, Catalyst, le groupe Baker et le comité spécial ont négocié certaines modifications à l’opération de sortie du marché et, le 3 janvier 2020, Catalyst a conclu une convention de soutien à l’égard de l’opération de retrait du marché au prix majoré de 11 $ par action. HBC a fixé au 27 février 2020 la tenue d’une assemblée des actionnaires visant l’approbation de l’opération de retrait du marché.
Création de comités spéciaux
Compte tenu de l’autorisation de l’administrateur principal en mars 2019 de partager des renseignements confidentiels avec d’autres membres du groupe Baker et de recourir aux services de l’avocat-conseil de l’opération précédente de HBC, la CVMO a laissé entendre que l’administrateur principal n’aurait pas dû prendre ces décisions de son propre chef. La CVMO a déclaré que : « avant la prise de décisions importantes et la renonciation à des droits, un comité spécial mandaté et conseillé adéquatement devrait être mis sur pied afin qu’il puisse appliquer son jugement éclairé au processus et aux négociations, et tenir compte des ramifications possibles des décisions antérieures. »
La CVMO s’est également concentrée sur le lien entre la proposition de sortie du marché et les opérations avec SIGNA, et a précisé qu’un comité spécial aurait dû être mis sur pied pour tenir compte de ces deux éléments, en parallèle : « Étant donné que les opérations avec SIGNA étaient interreliées avec la proposition de sortie du marché du groupe Baker en ce qu’elles étaient censées être une source de financement, et étant donné que des conflits d’intérêts ont découlé de ce seul fait, la prudence voudrait qu’un comité spécial soit mis sur pied pour se pencher sur toutes ces opérations et sur leurs interrelations à cette étape précoce. Nous nous interrogeons sur le fait que l’absence d’un comité spécial à ce moment ait compromis ou non l’efficacité future du comité spécial, étant donné que celui-ci n’était pas encore en fonction au début des négociations, alors que des enjeux cruciaux, comme la participation de Fabric et la répartition des produits des opérations avec SIGNA étaient examinés. »
La décision de renoncer aux dispositions relatives au statu quo et de permettre au groupe Baker d’aller de l’avant avec son offre a finalement été prise en juin 2019 par le conseil d’administration de HBC après examen par le comité spécial, dont le mandat englobait alors la sortie du marché. Toute condition rattachée à la renonciation aux dispositions relatives au statu quo ou à la préparation de la proposition aurait pu être posée par le comité spécial à ce moment-là.
À la lumière des faits de l’espèce, il est permis de se demander si l’administrateur principal a réellement renoncé à des droits ou s’il a pris des décisions qui ont fini par porter préjudice aux actionnaires minoritaires et, même si les motifs de la CVMO abordaient d’autres hypothèses, il n’est pas clair si le résultat final aurait été différent si un comité spécial avait été mis sur pied et avait pris ces décisions à la place de l’administrateur principal.
Conclusion
Ultimement, la CVMO n’a pas interdit la proposition de sortie du marché, malgré les préoccupations quant à la procédure qu’elle a cernées; elle a conclu qu’une divulgation modifiée constituait une réaction adéquate dans les circonstances. Néanmoins, la déclaration de la CVMO concernant la nécessité de créer un comité spécial au début du processus devrait orienter les conseils d’administration et leurs conseillers lors de la conception et de la mise en œuvre de procédures liées à d’éventuelles opérations pouvant donner lieu à d’importants conflits d’intérêts. La CVMO a fait part de sa préférence pour la formation d’un comité spécial dans les débuts d’une opération de sortie du marché, et les participants au marché qui ne le font pas courent le risque de subir des interventions réglementaires supplémentaires. C’est particulièrement important dans le cas d’un rachat par les cadres, situation dans laquelle les conflits peuvent être très graves et où les décisions clés relativement à l’accès aux renseignements confidentiels et à la formation d’un groupe peuvent avoir de sérieuses répercussions sur les résultats de l’opération.