Dans ce bulletin d'actualités
- Le 29 octobre 2019, le gouvernement de l’Alberta a proposé un nouveau règlement pour moderniser la tarification du carbone en Alberta, appelé le système Technology Innovation and Emissions Reduction (TIER). Le projet de loi 19 a reçu la sanction royale le 22 novembre 2019 et il entrera en vigueur le 1er janvier 2020.
- Le système TIER ne changera relativement pas le paysage réglementaire, mais il apportera quelques modifications au régime de tarification du carbone en Alberta.
- Les émetteurs qui sont régis par le système TIER (autre que les producteurs d’électricité) peuvent notamment demander un plafond en fonction d’une installation, ce qui fait que l’intensité des émissions d’une installation sera comparée à celle des émissions produites par cette même installation les années précédentes, plutôt qu’à une moyenne d’émissions dans un secteur.
- Les installations qui produisent plus de 100 000 tonnes d’émissions directes de carbone par an devront réduire leurs émissions de 10 % en 2020 et de 1 % par année les années suivantes.
- Certains émetteurs peuvent maintenant demander que leurs installations soient regroupées afin d’être admissibles au système TIER en tant qu’« installation regroupée ».
Modifications apportées au régime de gestion des émissions de l’Alberta
Le 29 octobre 2019, le gouvernement de l’Alberta a présenté le projet de loi 19, la Technology Innovation and Emissions Reduction Implementation Act, 2019 ainsi que le Technology Innovation and Emission Reduction Regulation (règlement TIER), qui remplacera le Carbon Competitiveness Incentive Regulation (CCIR). Le projet de loi 19 remplace le nom de la Climate Change and Emissions Management Act par la Emissions Management and Climate Resilience Act, et il remanie la politique sur les émissions de gaz à effet de serre de la province qui devient le système Technology Innovation and Emissions Reduction (TIER). Le projet de loi 19 a reçu la sanction royale le 22 novembre 2019 et il entrera en vigueur le 1er janvier 2020.
TIER constitue la dernière version de nombreuses révisions du régime de tarification du carbone de l’Alberta, qui a été mis sur pied pour la première fois en vertu du Specified Gas Emitters Regulation (SGER) en 2007. En vertu du SGER, les grandes installations industrielles devaient au départ payer 15 $ par tonne d’émissions de carbone. Le gouvernement néo-démocrate de l’Alberta a par la suite fait passer ce montant à 20 $ par tonne en 2016, puis à 30 $ par tonne en 2017. La politique provinciale sur la tarification du carbone a été grandement modifiée en 2018 lorsque le SGER a été remplacé par le CCIR. Même si aux termes du CCIR les prix sur les émissions de carbone n’ont pas augmenté, des cibles d’émissions plus contraignantes et les mêmes restrictions sur les émissions applicables à un secteur ont été imposées, et les émissions autorisées ont été réduites d’année en année. Toutes ces mesures ont de grandes conséquences sur les grands émetteurs industriels de carbone (consultez notre dernier bulletin d’actualités sur le CCIR ici).
Le règlement TIER est actuellement en vigueur en vertu de la législation actuelle et, en supposant que le projet de loi 19 entrera en vigueur par proclamation, le système TIER récemment annoncé remplacera le régime CCIR le 1er janvier 2020. À l’instar du CCIR, le règlement TIER vise à respecter les normes fédérales d’émissions de carbone de la Loi sur la tarification de la pollution causée par le gaz à effet de serre imposées aux grands émetteurs (contrairement aux redevances sur les combustibles payées par les consommateurs, ou la « taxe sur le carbone », qui s’applique en parallèle). Le Canada a précédemment indiqué qu’il examinerait les modifications proposées au système s’appliquant aux grands émetteurs industriels de l’Alberta et qu’il évaluerait les normes lorsque suffisamment de détails à propos du nouveau système pour les grands émetteurs deviendraient accessibles. Les ménages et les petits émetteurs industriels qui ne sont pas régis par le système TIER devraient être assujettis au régime de tarification du carbone du gouvernement fédéral à compter du 1er janvier 2020.
Quels sont les changements?
Le TIER n’est, de bien des façons, qu’un changement de nom. Il conservera de nombreux éléments du CCIR. Toutefois, le nouveau règlement se distinguera du CCIR à certains égards.
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Normes de référence différentes
Aux termes du CCIR, les cibles d’émissions d’une seule installation étaient fondées sur les plafonds imposés dans un secteur : chaque installation dans un secteur en particulier partageait la même cible d’émission, avec des exceptions limitées. Aux termes de TIER, les émetteurs autres que les producteurs d’électricité pourront demander un plafond propre à une installation. S’il est approuvé, le seuil d’émissions autorisé de chaque installation sera calculé en utilisant la moyenne d’émissions produites par cette installation entre 2016 et 2018, un recul comparativement à la moyenne d’émissions historique utilisée par le SGER. La structure TIER utilise également un plafond applicable à tout un secteur pour certains produits. Toutefois, le règlement stipule que si un plafond propre à une installation et un plafond industriel s’appliquent à une installation donnée, le plafond le moins élevé des deux s’appliquera.
Ce changement est critiqué puisqu’il n’encourage pas la concurrence entre les installations actuelles ni l’arrivée de nouvelles installations plus efficaces dans un secteur. Les producteurs d’électricité, qui représentent environ 17 % des émissions de carbone de l’Alberta, continuent d’être assujettis à une même moyenne industrielle d’émissions, plafonnant ainsi toute la production d’électricité à la meilleure moyenne pour le gaz.
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Cibles d’émissions inférieures
Pour les installations qui reçoivent un plafond propre à un secteur, le système TIER exigera des installations qui émettent directement plus de 100 000 tonnes de dioxyde de carbone ou d’une substance équivalente à réduire leurs émissions de 10 % en 2020. Les installations devront ensuite réduire leurs émissions d’un pour cent (1 %) par année, à compter de 2021. Puisque la réduction d’émissions requise est calculée à partir de la moyenne d’émissions produites par une seule installation (généralement en fonction des émissions produites entre 2013 et 2015), l’incidence concrète de la réduction de 10 % sur une seule installation variera selon l’efficacité de l’exploitation de cette installation. Comme dans le CCIR, le système TIER réglemente les émissions en fonction de l’intensité et n’impose aucun plafond absolu sur les émissions totales.
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Seuil de participation inférieur
Le CCIR et le système TIER proposé permettent à certains émetteurs de choisir d’être régis par TIER. Le système TIER permettra aux émetteurs dans certains secteurs très polluants d’être régis par le règlement si l’installation fait directement concurrence à une installation qui est régie par le règlement ou si l’installation produit directement plus de 10 000 tonnes d’équivalent CO2 par an. Auparavant, le système CCIR permettait à une installation d’être régie par le règlement si le total d’émissions réglementées par année s’élevait à plus de 50 000 tonnes. Une installation est plus ou moins susceptible de participer à TIER plutôt qu’au CCIR selon sa capacité d’obtenir des crédits ou de faire des économies aux termes du TIER relativement aux coûts qui seraient autrement payés en vertu du régime fédéral (en supposant que la participation au TIER exemptera les installations de payer la taxe carbone fédérale).
Pour les producteurs d’électricité, la moyenne inférieure pour être régi par TIER peut inciter une plus grande participation relativement au statu quo, puisque le seuil d’émissions à l’échelle d’un secteur (0,37 tonne d’équivalents CO2 par mégawattheure) demeurera le même. Cela signifie que les producteurs qui ne pouvaient pas être admissibles au CCIR peuvent maintenant choisir d’être régis par TIER s’il est avantageux de le faire sur le plan financier. On peut présumer que les producteurs d’électricité qui étaient auparavant régis par le CCIR continueront de tirer avantage du règlement TIER. Pour les autres installations, il reste à savoir si le niveau de participation augmentera ou diminuera. Le taux de participation fluctue, car même si plus d’installations seront admissibles à être régies par TIER, les émissions d’une installation donnée seront dorénavant comparées aux émissions que cette installation a produites les années précédentes plutôt qu’à un plafond applicable à tout un secteur. Cette modification pourrait faire en sorte que certaines installations qui ont décidé d’être régies par le CCIR décident de ne pas être régies par TIER. En vertu du règlement, la date limite pour ne plus être régi par TIER en 2020 est le 1er décembre 2019.
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Installations regroupées
TIER permettra à certains émetteurs de regrouper leurs installations afin d’être admis dans le système. Aux termes de TIER, les émetteurs qui ont deux installations ou plus qui correspondent à la définition d’une [traduction] « installation pétrolière et gazière conventionnelle », qui émettent directement moins de 100 000 tonnes d’équivalent CO2 par année et dont les installations relèvent d’une même « personne responsable » peuvent demander de combiner leurs installations en une « installation regroupée », et ils deviennent alors assujettis au système TIER. Une [traduction] « installation pétrolière et gazière conventionnelle » comprend, notamment : i) les installations de traitement du gaz; ii) les installations d’extraction de gaz, de pétrole ou de bitume de production primaire; et iii) certaines installations utilisées pour transporter du gaz, du pétrole ou du bitume de production primaire dans un pipeline. Les émetteurs qui demandent de regrouper leurs installations et qui respectent les exigences seront assujettis aux obligations de réduction d’émissions aux termes de la structure TIER et, par conséquent, peuvent être exempts du régime fédéral. Le gouvernement accepte actuellement les demandes de personnes responsables (typiquement les titulaires de permis) voulant que leurs installations soient considérées comme une « installation regroupée » pour l’année civile 2020.
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Autres modifications
- Aux termes du système TIER, la période de production de rapport et de conformité est maintenant basée sur l’année civile, alors que le CCIR mettait en place des obligations de production de rapport et de respect tous les trimestres. Les installations dont l’intensité des émissions fluctue au cours d’une année pourront les stabiliser avant la prise d’effet des obligations de respect et de production de rapport. Ce changement pourrait également réduire le fardeau administratif des propriétaires d’installations et du gouvernement.
- Les pouvoirs du ministre de l’Environnement et des Parcs aux termes du règlement TIER ont été transmis au responsable à plusieurs égards. Cela devrait faciliter l’administration du règlement.
- Aux termes du système TIER, le responsable se voit donner le pouvoir d’émettre un ou plusieurs crédits d’émissions si le total d’émissions réglementées d’une installation réglementée dans une année est inférieur aux émissions annuelles autorisées pour cette installation pour cette année. Aux termes du CCIR, des crédits d’émissions ne devaient être émis que si les exigences du règlement étaient respectées.
- Le responsable aux termes du système TIER peut annuler une compensation d’émission ou un crédit d’émissions dans certaines situations, et le règlement prévoit les détails concernant le processus et les effets de l’annulation. Ce pouvoir n’était pas accordé aux termes du CCIR.
- Le règlement TIER exige des personnes responsables d’installations réglementées qu’elles avisent le responsable « le plus tôt possible » si l’installation change de propriétaire, ce qui impose une obligation administrative supplémentaire sur les émetteurs.
Qu’est-ce qui n’a pas changé?
Bien que le nom et certains autres éléments importants du règlement changeront, de nombreuses caractéristiques du CCIR demeureront identiques :
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À qui s’applique TIER?
La tarification du carbone provinciale continue de s’appliquer aux installations qui émettent plus de 100 000 tonnes de certains gaz précis par année. Toutefois, comme il en a été discuté, une proportion accrue des petits émetteurs industriels en Alberta peut choisir d’être régie par le règlement.
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Le coût de dépassement de l’intensité des émissions autorisées demeurera le même
Les installations soumises à la législation provinciale continueront de devoir payer 30 $ la tonne d’émissions. Ce prix du carbone s’applique depuis le 1er janvier 2017. Le gouvernement provincial conservateur actuel n’a pas indiqué si le prix du carbone augmenterait au cours des prochaines années. Toutefois, les coûts du respect aux termes du programme provincial pourraient augmenter à l’avenir dans la mesure où l’Alberta est obligée de garder sa tarification du carbone conforme à la législation fédérale sur la tarification du carbone.
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Producteurs d’électricité (meilleure moyenne pour le gaz)
Les plafonds pour la plupart des installations ne seront plus calculés à l’aide d’une moyenne industrielle. Toutefois, les producteurs d’électricité devront conserver la moyenne actuelle aux termes du CCIR : les producteurs d’électricité qui émettent directement plus de 100 000 tonnes d’équivalent CO2 par année devront se conformer au plafond de la « meilleure moyenne pour le gaz » établi à 0,37 tonne d’équivalent CO2 par mégawattheure.
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Choix de conformité des installations
Pour continuer de respecter le règlement TIER, les émetteurs pourront prendre les mêmes mesures que celles mises à leur disposition aux termes du CCIR, notamment :
- réduire leurs émissions au fil des années en améliorant l’efficacité de leur exploitation;
- utiliser des crédits d’émissions générés par des installations qui dépassent leurs cibles de réduction d’émissions dans l’année de conformité actuelle ou passée;
- utiliser des compensations d’émissions générées par des installations qui ne sont pas réglementées par TIER conformément au protocole de compensation d’émissions autorisée;
- payer les 30 $ requis par tonne d’émissions excédentaires produites par l’installation en question, qui seront déposés dans le fonds TIER.
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Distribution du fonds TIER
Les produits du fonds TIER devraient être affectés, en partie, au financement d’initiatives semblables à celles financées par le CCIR. Actuellement, le fonds CCIR finance l’innovation dans le domaine des sables bitumineux, l’innovation dans tous les secteurs (y compris l’organisme Emissions Reduction Alberta et le programme Climate Change Innovation and Technology Framework), l’efficacité énergétique industrielle, la bioénergie ainsi que les garanties de prêt vert. La structure TIER sera utilisée, en partie, pour les nouvelles technologies propres en Alberta qui réduisent les émissions de carbone.
Toutefois, le gouvernement a aussi l’intention d’affecter une partie des fonds à la réduction de la dette et au financement d’une nouvelle « cellule de crise » énergétique. Cela constitue un changement de politique puisque l’ancien gouvernement néo-démocrate avait le droit d’utiliser les revenus du fonds pour réduire la dette provinciale, mais il a publiquement annoncé qu’il ne le ferait pas. Ce changement se reflète dans le projet de loi 19 qui, s’il est adopté, permet au ministre de transférer l’argent versé dans le fonds TIER après le 1er janvier 2021 dans le fonds de revenus général, et d’affecter ces sommes à d’autres fins.
Les structures CCIR et TIER offrent au gouvernement une latitude pour choisir la façon dont les fonds de chaque structure sont affectés. Tandis que la nature des initiatives qui sont financées par les produits des crédits du fonds TIER restera probablement la même, le total des fonds disponibles peut être réduit au fil du temps puisqu’une partie des produits est réaffectée au compte de revenu général provincial.
Analyse
L’introduction du système TIER ne transformera pas le système de tarification du carbone de l’Alberta. La plupart des grands émetteurs peuvent s’attendre à peu de modifications sur le plan des prix qu’ils paient pour les émissions d’équivalents CO2. Par ailleurs, le nouveau règlement changera la quantité d’émissions permises et il y aura un retour à la méthode de calcul des émissions autorisées se rapprochant davantage de celle qui était en place entre 2007 et 2017 aux termes de SGER. Les émetteurs verront les plafonds utilisés pour établir les cibles d’émissions changer, ce qui aura des conséquences sur le montant total payé par certains émetteurs pour leurs émissions de carbone (ou, inversement, le nombre de crédits qu’ils reçoivent pour leur amélioration en matière de réduction d’émissions).
Le fait de modifier les plafonds d’émissions d’une moyenne applicable à tout un secteur à une moyenne applicable à une seule installation peut avoir les effets suivants : i) avantager les grands émetteurs, puisque ces derniers auront de meilleures occasions de réduire leurs émissions, car celles-ci seront comparées à leurs émissions précédentes, tandis qu’aux termes du système CCIR. les grands émetteurs doivent réduire leurs émissions pour qu’elles atteignent le niveau de la moyenne industrielle (ou payer la différence); et ii) rendre moins avantageux pour certains émetteurs de dépasser les plafonds d’émissions applicables à un secteur, puisque les émetteurs savent qu’à l’avenir, ils devront réduire leurs émissions en fonction d’une installation déjà améliorée. Les producteurs d’électricité, toutefois, peuvent s’attendre à ce que le paysage réglementaire, comme il s’applique à eux, reste semblable à celui de l’actuel système CCIR.
Le règlement TIER, qui a été pris en application de la Climate Change and Emissions Management Act, contient la plupart des modifications attendues à la structure. Par conséquent, les obligations légales qui s’appliqueront en 2020 sont en général claires. Toutefois, une certaine incertitude persistera jusqu’à ce que le gouvernement fédéral termine son évaluation des plafonds et que le système TIER entre en vigueur et soit mis en œuvre. En outre, puisque la loi fédérale sur la tarification du carbone impose une augmentation de prix sur les émissions de carbone dans les années à venir, il reste à voir si les gouvernements provinciaux s’y adapteront ou la repousseront.