Auteurs(trice)
Associée, Fiscalité, Toronto
Associée, Fiscalité, Calgary
Associé, Fiscalité, Toronto
Associé, Concurrence, commerce international et investissement étranger, Toronto
L’évolution de la conjoncture des tarifs douaniers américains et des contre-mesures canadiennes pose d’importants défis aux groupes multinationaux, y compris dans le domaine des prix de transfert intersociétés. À l’heure où elles font face aux changements et aux renversements soudains de la situation concernant les tarifs américains et canadiens, les entreprises doivent composer avec l’interaction entre les tarifs et les prix de transfert.
Il est essentiel de déterminer comment répartir et absorber les coûts accrus associés aux tarifs douaniers dans l’ensemble de la chaîne de valeur mondiale. Les entreprises pourraient devoir revisiter leurs ententes intersociétés pour s’assurer qu’elles tiennent compte des principaux risques et continuent de respecter les principes de la pleine concurrence. De plus, les tarifs peuvent beaucoup nuire à la comparabilité des opérations dans les analyses de prix de transfert. Par conséquent, les entreprises pourraient avoir à réévaluer leur base de référence et éventuellement à rajuster leurs ensembles de comparables.
Dans le présent Bulletin d’actualités, nous discutons de ces principaux facteurs.
Perturbations tarifaires
Les tarifs douaniers entre les États-Unis et le Canada continuent d’évoluer rapidement, entraînant des changements presque tous les jours. Qu’il s’agisse des tarifs généraux de 25 % imposés le 1er février 2025 par décret du président Trump (qui ont d’abord été suspendus pour une période de 30 jours) ou des exemptions ciblées et des contre-mesures réciproques, la situation demeure très imprévisible. Bien que des mesures d’allégement temporaires aient été accordées pour certains produits (p. ex. des taux moins élevés pour l’énergie et la potasse canadiennes et une suspension temporaire pour les marchandises visées par l’Accord Canada–États-Unis–Mexique [ACEUM] jusqu’au 2 avril 2025), les perspectives à long terme demeurent incertaines en ce qui concerne les tarifs et les contre-mesures. Pour en savoir plus, consultez les Bulletins d’actualités du groupe du commerce international « Tarifs douaniers de Trump : la première frappe des États-Unis et les représailles du Canada » et « Tarifs douaniers de Trump : la deuxième frappe touche l’acier et l’aluminium ».
Au moment de la rédaction du présent document, le 2 avril 2025 est devenu une date charnière :
- La suspension temporaire visant les marchandises en provenance du Canada et du Mexique conformes à l’ACEUM est sur le point de prendre fin.
- Le président Trump prévoit imposer des « tarifs douaniers réciproques » aux partenaires commerciaux, dont le Canada. Voir le Bulletin d’actualités précédent de notre groupe du commerce international intitulé « Les tarifs douaniers de Trump : Le président Trump propose de nouvelles mesures à imposer aux partenaires commerciaux pour lutter contre le commerce “non réciproque” » pour en savoir plus à propos de la note de service du président Trump portant sur le commerce réciproque et les tarifs douaniers.
Une fiche d’information jointe à la note de service sur le commerce réciproque et les tarifs douaniers indique que la taxe sur les services numériques du Canada est une mesure inéquitable pour les intérêts commerciaux américains et, par conséquent, l’une des cibles de la politique.
Cohérence entre les prix de transfert et les douanes
Le nuage d’incertitude entourant les tarifs douaniers américains et les contre-mesures canadiennes exige un examen des politiques existantes en matière de prix de transfert. Les prix de transfert, à savoir les prix fixés pour les opérations entre parties liées, servent souvent de valeur en douane pour les droits servant aux calculs des tarifs. Cela crée un lien direct entre les deux, car non seulement le prix de transfert influe sur l’attribution du revenu imposable, mais il établit également la base des coûts pour les tarifs et les droits de douane. En outre, les organismes chargés de l’administration pourraient se servir des déclarations douanières d’un contribuable canadien pour valider ses déclarations d’opérations intersociétés aux fins de l’impôt sur le revenu, et vice-versa, de sorte qu’il est essentiel d’assurer la cohérence de ces déclarations.
Le prix de transfert et la valeur en douane ont comme objectif commun de veiller à ce que les opérations intersociétés ne soient pas influencées par la relation entre les parties, pour ainsi refléter les conditions réelles du marché. Toutefois, ils poursuivent des buts différents et sont régis par différents cadres, comme le résume le tableau ci-dessous.
Aspect | Prix de transfert | Douanes |
Lois applicables | La Loi de l’impôt sur le revenu oblige les contribuables à utiliser le principe de pleine concurrence et la méthode d’établissement des prix de transfert la plus appropriée pour déterminer les gains ou les pertes découlant d’opérations avec des parties liées non résidentes. | La Loi sur les douanes oblige généralement les importateurs à déclarer la valeur en douane des marchandises importées sur une base transactionnelle. |
Organisme chargé de l’administration | L’Agence du revenu du Canada (ARC) peut exiger une baisse des prix de transfert sur les importations ou une hausse des prix de transfert sur les exportations afin d’augmenter le revenu imposable au Canada. | L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a pour but premier d’empêcher la sous-évaluation des marchandises importées et peut exiger une hausse des prix de transfert sur les importations. |
Approche méthodologique | Approche souple faisant appel à la méthode la plus appropriée pour refléter les prix convenus par des parties sans lien de dépendance.Il n’existe pas de hiérarchie stricte des méthodes d’établissement des prix de transfert. | Hiérarchie stricte des méthodes, la méthode fondée sur la valeur transactionnelle étant préférée. |
Incidence des tarifs sur les prix de transfert intersociétés
Les tarifs peuvent avoir une incidence importante sur les prix de transfert. En règle générale, l’importateur officiel paie des tarifs à l’importation et/ou des droits de douane. Le choix des incoterms dans le contrat principal peut revêtir une importance capitale dans la détermination de l’endroit où les marchandises sont considérées comme livrées et de la partie qui assume initialement la responsabilité et le risque des tarifs et des droits de douane. L’incidence des tarifs sur les prix de transfert (qui, à leur tour, déterminent les tarifs payables) dépend de la répartition du risque entre les parties. L’un des facteurs est de savoir si les ententes intersociétés envisagent la responsabilité et la répartition du risque tarifaire. En plus d’identifier l’importateur officiel, ces ententes peuvent contenir des dispositions qui transfèrent ou répartissent une partie des tarifs et des droits de douane (à savoir lorsque les parties consentent à une attribution précise qui n’est pas entièrement assumée par l’importateur officiel, comme dans une situation où elles conviennent que, si des tarifs sont imposés dans le futur, le prix du vendeur sera réduit de 50 % du tarif).
Même si les parties liées s’étaient mises d’accord pour répartir les futures augmentations de tarifs ou de droits de douane de manière qu’elles ne soient pas entièrement assumées par l’importateur attitré, il est essentiel de déterminer si ce risque était prévisible au moment de la signature du contrat. Il se peut que le contexte tarifaire actuel n’ait pas été suffisamment prévu. Ces coûts supplémentaires imprévus pourraient nécessiter un examen des contrats sans lien de dépendance existants.
Si le risque de modifications futures des tarifs et des droits de douane a déjà été attribué contractuellement à l’importateur officiel dans une proportion inférieure à 100 %, il est essentiel de déterminer si les administrations fiscales respectives devraient respecter cette attribution. Prenons l’exemple d’un fabricant canadien qui vend des produits à sa filiale américaine sur une base EXW (départ usine), si bien que la filiale est l’importateur officiel. Si un tarif de 25 % est imposé sur les marchandises, les parties pourraient avoir convenu au départ que le coût supplémentaire devrait être partagé entre l’acheteur et le vendeur moyennant un prix inférieur. Toutefois, l’ARC peut contester la répartition effective d’une partie des coûts tarifaires pour le Canada. Les autorités douanières concernées peuvent elles aussi s’opposer à des réductions de prix, et leurs politiques doivent être prises en compte dans ce contexte. Les changements de prix mis en application après l’importation (p. ex., en procédant à des ajustements de prix de transfert en fin d’année) ne sont généralement pas acceptés par l’ASFC, sauf s’ils respectent les directives de cette dernière.
Dans la plupart des contrats, la responsabilité des droits de douane et des tarifs revient généralement à l’importateur officiel. La principale question qui se pose n’est pas l’identification de l’importateur attitré, mais plutôt la matérialisation imprévue de tarifs douaniers généraux de 25 %. Il se peut que les parties ne se soient pas demandé qui était l’importateur officiel au départ lorsqu’elles ont conclu les contrats, puisque les marchandises étaient historiquement exemptes de droits de douane. Toutefois, avec un tarif soudain de 25 %, cette question devient importante.
En l’absence de répartition contractuelle des risques de modifications futures des tarifs et des droits de douane, il faut déterminer les modalités qui peuvent être implicites ou qui sont compatibles avec les opérations sans lien de dépendance. Comme toujours, cette détermination repose sur une analyse des fonctions remplies, des actifs détenus et des risques assumés par les parties (c.-à-d. une analyse fonctionnelle), un examen des modalités des opérations dans des conditions normales de concurrence comparables et une compréhension des facteurs d’offre et de demande. Si la demande pour un produit est élevée et que l’offre est limitée, le vendeur pourrait réussir à répercuter le coût des tarifs sur l’acheteur. À l’inverse, si la demande est faible et que l’offre est abondante, le vendeur pourrait devoir absorber le coût des tarifs afin de demeurer concurrentiel. Quoi qu’il en soit, la répartition des coûts tarifaires entre des parties liées qui effectuent des opérations transfrontalières comporte un risque élevé d’examen par un vérificateur et de contestation.
Incidence de la volatilité des tarifs sur les ensembles de comparables
La comparabilité avec des opérations ou des entreprises sans lien de dépendance (un élément fondamental de l’établissement des prix de transfert) est un exercice délicat, même dans des scénarios simples, mais l’introduction de tarifs ajoute de nouveaux niveaux de complexité. Les entreprises peuvent être tenues de prendre des décisions urgentes sur la façon de se conformer aux règles d’établissement des prix de transfert avec une compréhension imparfaite de l’incidence des tarifs sur des transactions ou des entreprises auparavant comparables. Sans une compréhension claire, il est difficile de déterminer si des ajustements sont nécessaires pour tenir compte de l’incidence des tarifs sur les prix ou la rentabilité. Les sociétés doivent évaluer si les opérations ou les entreprises comparables reflètent précisément leur propre situation, en tenant compte de facteurs comme l’exposition géographique, les répercussions propres à chaque secteur et la répartition des risques contractuels.
L’ARC déconseille généralement l’utilisation de données pluriannuelles, préférant examiner des opérations ou des entreprises comparables et des données annuelles plutôt que de se fier à des moyennes pluriannuelles. Dans ses directives à ce sujet, l’ARC prévient que l’utilisation inappropriée de données pluriannuelles peut mener à des erreurs concernant à la fois la durabilité des opérations comparables et le prix de transfert qui en découle.
Dans le contexte actuel, toutefois, les données pluriannuelles peuvent, dans certains cas, dresser un portrait plus stable et représentatif de la situation de pleine concurrence, en atténuant les perturbations à court terme causées par les changements. Vu la réticence historique de l’ARC à accepter des données pluriannuelles, les contribuables devraient être prêts à en justifier l’utilisation, le cas échéant, dans ce contexte, en démontrant de quelle façon elles reflètent plus fidèlement les réalités économiques du secteur concerné.
L’utilisation des données financières de cette période dans des déclarations futures pourrait ne pas être fiable. Certaines entreprises répercuteront les coûts tarifaires, tandis que d’autres les absorberont en réduisant potentiellement les marges de 25 %.
Stratégies d’atténuation des tarifs
L’interaction entre les tarifs élevés et les prix de transfert peut poser des défis, car les entreprises pourraient également être incitées à diminuer les prix de transfert sur les importations pour réduire le plus possible l’assujettissement aux tarifs. Toutefois, diminuer les prix de transfert sans faire les modifications opérationnelles correspondantes est susceptible d’attirer l’attention des administrations fiscales et des agences de douane. Il est essentiel que tout changement reflète de façon défendable un prix de transfert de pleine concurrence, notamment pour s’harmoniser avec les changements opérationnels ou les facteurs d’un marché en évolution, afin de réduire au minimum le risque de contestations.
Les stratégies d’atténuation des tarifs comprennent l’actualisation des arrangements commerciaux pour tenir compte de l’augmentation des coûts associés aux tarifs, la répartition ou le partage du fardeau tarifaire et/ou le dégroupage des prix des biens et services pour isoler les flux d’opérations qui donnent lieu à des tarifs. Toute modification des politiques de prix de transfert devrait être effectuée dans une perspective de moyen à long terme, et non pas simplement comme mesure temporaire en réponse aux tarifs. Les entreprises doivent également être conscientes du risque élevé de différends concernant les prix de transfert dans le cadre de stratégies d’atténuation des tarifs.