L’Alberta est le territoire canadien qui connaît la croissance la plus rapide du point de vue du développement des énergies renouvelables. Cette vigueur est notamment attribuable à la force des ressources éoliennes et solaires de l’Alberta, à son marché déréglementé unique de production d’électricité en gros, aux incitatifs gouvernementaux offerts dans le cadre du régime Technology Innovation and Emissions Reduction (TIER) et à l’abondance d’acheteurs d’électricité.
Les promoteurs, les acheteurs et les autres acteurs du marché des énergies renouvelables doivent être conscients des cinq développements clés suivants en 2020.
1. Croissance de la demande de contrats d’achat d’électricité (CAE) de la part d’acheteurs privés
L’activité du marché des CAE privés en Alberta a considérablement augmenté ces dernières années, principalement à titre de stratégie environnementale, sociale et de gouvernance (ESG) utilisée par de nombreux acheteurs importants. Le marché des CAE est demeuré actif tout au long de 2020, malgré la réduction de la consommation d’électricité et une courbe des prix de l’électricité à terme déprimée résultant de la pandémie de COVID-19.
La figure 1 ci-dessous montre un certain nombre d’opérations privées de CAE annoncées publiquement en Alberta, dont les acheteurs comprennent TELUS, Direct Energy (2019 (en anglais) et 2020 (en anglais)), TC Energy Corporation (en anglais), ainsi que Bullfrog Power et Banque Royale du Canada. Veuillez noter que l’existence et les détails des opérations privées et bilatérales de CAE ne sont souvent pas divulgués.
FIGURE 1 : ACTIVITÉ DES CAE PRIVÉS ANNONCÉS PUBLIQUEMENT POUR 2017-2020
* La presse fait état d’un CAE de la majorité de la production d’énergie d’une capacité de 117,6 MW
Le marché déréglementé de l’électricité en Alberta a entraîné une grande volatilité des prix de l’électricité. Sans CAE, un producteur doit vendre l’électricité au prix très variable du réseau albertain et trouver un acheteur pour les attributs environnementaux, comme les compensations des émissions de carbone (dont le prix varie également). Sans CAE, il est également difficile d’obtenir du financement pour développer un projet dans un contexte de volatilité des prix et en l’absence de subventions ou d’autres incitatifs réglementaires. La demande forte et croissante d’achat d’énergie renouvelable en Alberta par les entreprises au moyen de CAE devrait stimuler la croissance de la production d’énergie renouvelable et se traduire par une forte progression du secteur.
2. Marchés publics : bons à avoir, mais pas nécessaires
Les récents programmes de marchés publics ont accéléré le développement de projets d’énergie renouvelable en Alberta. Les acheteurs gouvernementaux sont particulièrement intéressants pour les projets financés hors bilan. Ces projets permettent aux promoteurs d’obtenir de manière fiable un financement par emprunt au niveau du projet sur la base d’un contrat d’achat à long terme avec une contrepartie gouvernementale solvable.
En 2017 et en 2018, le programme d’électricité renouvelable de l’Alberta (Renewable Electricity Program ou REP) a attribué des CAE à l’égard de 12 projets d’énergie éolienne renouvelable (figures 2, 3 et 4), représentant un total de 1 359 MW de capacité de production nominale supplémentaire pour la province. Ces projets ont été sélectionnés parmi un total de 59 projets pour lesquels des offres ont été soumises (selon les données de l’Alberta Electric System Operator [AESO]).
FIGURE 2 : RÉSULTATS DES MARCHÉS PUBLICS REP DU GOUVERNEMENT DE L’ALBERTA – RONDES 1, 2 ET 3
Alberta Infrastructure a également lancé un appel d’offres à l’égard de l’approvisionnement en énergie solaire en 2018, qui s’est traduit par l’attribution de trois contrats de 20 ans pour 146 431 MWh par année (en anglais) (figure 3).
FIGURE 3 : APPROVISIONNEMENT EN ÉNERGIE SOLAIRE DU GOUVERNEMENT DE L’ALBERTA
Bien que le REP ait été interrompu en 2019, ses résultats fournissent des prix et des modalités de référence, qui font généralement défaut sur le marché privé des CAE.
À la suite du succès du REP, le gouvernement du Canada a soumis une demande d’information en avril 2020 et a fait connaître son intention de conclure un ou plusieurs CAE d’une durée de 20 ans visant 200 000 à 280 000 MWh d’énergie renouvelable par an en Alberta. Pour plus de renseignements, veuillez consulter le bulletin d’actualités d’Osler intitulé « Une occasion se présente : Le gouvernement fédéral lance un processus d’approvisionnement d’énergie éolienne et solaire spécifique à l’Alberta ».
Si les marchés publics ont contribué à la croissance de la production d’énergie renouvelable en Alberta, le secteur des énergies renouvelables de l’Alberta ne dépend pas de ces programmes pour poursuivre sa croissance. La demande devrait plutôt se poursuivre en raison de la compétitivité croissante des coûts de production des énergies renouvelables par rapport aux autres sources de production électrique sur le réseau provincial, ainsi qu’en raison des différents types d’investisseurs qui cherchent à ajouter des actifs d’énergie renouvelable à leur portefeuille pour atteindre leurs objectifs ESG. Par exemple, en 2020, Copenhagen Infrastructure Partners a investi dans le projet Travers Solar dans le sud de l’Alberta. Il s’agira du plus grand projet d’énergie solaire du Canada et de l’un des plus grands producteurs d’attributs environnementaux de l’Alberta dans le cadre du régime TIER. Les investisseurs du projet sont prêts à développer la centrale solaire en se basant uniquement sur les revenus des vendeurs. Osler conseille le promoteur initial du projet, Greengate Power Corporation, en ce qui concerne le projet Travers Solar.
3. Incertitudes réglementaires et risques financiers connexes
Le cadre unique du marché libre de l’Alberta présente des possibilités et des défis pour les promoteurs. L’engagement pris par le gouvernement de l’Alberta de maintenir un marché exclusivement énergétique et de soutenir des solutions fondées sur le marché a permis de clarifier la situation pour les promoteurs. Toutefois, une incertitude demeure quant à certains détails essentiels du cadre réglementaire de l’Alberta.
À la fin de 2020, les organismes de réglementation de l’Alberta continuent d’examiner plusieurs questions :
- Autoapprovisionnement : l’autoapprovisionnement fait référence à la capacité d’une installation à produire sa propre énergie pour son propre usage et à vendre le surplus d’énergie au réseau. Cet arrangement est de plus en plus populaire en raison des coûts élevés de connexion au réseau et de la réduction des coûts de production à moyenne échelle. Après avoir conclu que l’autoapprovisionnement était contraire à la loi albertaine, l’Alberta Utilities Commission (AUC) a soumis un document de discussion au ministère de l’Énergie (ME) sur les considérations relatives à l’autoapprovisionnement en 2019. Si le ME décide d’autoriser l’autoapprovisionnement, cela pourrait représenter une occasion significative pour les producteurs d’énergie renouvelable qui cherchent à s’associer à de gros consommateurs par le biais de la production sur place.
- Tarif de l’AESO : l’AESO mène des consultations sur les modifications proposées à l’égard de la conception des tarifs de gros et des tarifs régionaux jusqu’en 2021, qui devraient déboucher sur une demande officielle de modification des tarifs auprès de l’AUC. Les acteurs du marché s’attendent à ce que les résultats clarifient les coûts d’accès au réseau pour les producteurs et aient le potentiel d’avoir un effet important (amélioration ou aggravation) sur la rentabilité des projets par rapport à l’état actuel des choses.
- Enquête sur le système de distribution : l’enquête de l’AUC sur la manière dont le système de distribution de l’Alberta devrait s’adapter à l’évolution du marché s’est achevée en juillet 2020 et le rapport de l’AUC est attendu pour la fin de l’année 2020. Entre autres questions, l’AUC a analysé la manière dont les structures tarifaires des services de distribution devraient être modifiées pour garantir que les signaux de prix encouragent les propriétaires d’installations de distribution d’électricité, les consommateurs, les producteurs, les prosommateurs et les fournisseurs de technologies de rechange à utiliser le réseau et les ressources connexes de manière efficace et rentable. Les résultats éventuels de cette initiative, qui pourrait entraîner des changements réglementaires, politiques et législatifs, pourraient avoir des répercussions importantes sur les projets d’énergie renouvelable, dont beaucoup cherchent à se connecter au réseau de distribution.
Les organismes de réglementation ont reconnu que ces questions sont essentielles et cherchent à les résoudre avec l’aide des parties prenantes, mais on ne s’attend pas à des certitudes avant de nombreux mois, voire des années. Dans l’intervalle, les parties bénéficieraient d’une orientation gouvernementale claire sur les priorités identifiées par les forums de réglementation (p. ex., l’autoapprovisionnement).
4. La législation fédérale sur le carbone est en cours d’examen
La constitutionnalité de la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre du Canada (LTPGE) est actuellement examinée par la Cour suprême du Canada (CSC). La CSC a entendu les plaidoiries des parties en septembre 2020 et la cause a été prise en délibéré. En moyenne, un jugement de la CSC est rendu six mois après une audience, de sorte qu’une décision est possible au début de 2021.
Au cours des plaidoiries devant la CSC, le gouvernement fédéral a affirmé que la législation est un exercice valable de la compétence fédérale aux termes de l’intérêt national de la clause sur la paix, l’ordre et le bon gouvernement de la Loi constitutionnelle de 1867. En l’absence de normes nationales minimales relatives aux gaz à effet de serre, les mesures prises par une province pourraient avoir des répercussions négatives sur les provinces voisines. Elle a en outre affirmé que les taxes prévues par la LTPGE sont des charges réglementaires valables.
Inversement, les provinces contestataires ont affirmé que la législation est inconstitutionnelle et que le large éventail des questions réglementées par la LTPGE englobe une myriade de chefs de compétence provinciaux. En outre, les provinces font valoir que les taxes sur le carbone de la LTPGE ne sont ni des charges réglementaires valables, car il n’y a pas de lien suffisant entre la charge et le régime réglementaire, ni une taxe valable, car elle n’a pas été adoptée par le Parlement comme l’exige l’article 53 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Si la LTPGE est jugée inconstitutionnelle, les effets de cette conclusion seraient atténués par le fait que les provinces disposent actuellement de leur propre régime de réglementation des émissions de carbone ou ont accepté de se conformer aux exigences du gouvernement fédéral, nonobstant la contestation sur le plan constitutionnel. Par exemple, le 3 novembre 2020, le ministre de l’Environnement et des Parcs de l’Alberta, Jason Nixon, a signé un arrêté augmentant le prix du carbone dans le cadre du régime des grands émetteurs de l’Alberta de 30,00 $/tonne à 40,00 $/tonne pour 2021, conformément aux exigences fédérales. Les marchés de compensation du carbone continueront donc probablement d’être pertinents pour les acheteurs et les promoteurs.
Par ailleurs, les acheteurs et les promoteurs comptent sur la certitude du prix du carbone pour la tarification des CAE, de sorte que les contestations sur le plan constitutionnel relatives à cette tarification créent un certain degré d’incertitude sur le marché des CAE, en particulier pour les années à venir, lorsque les régimes provinciaux s’écarteront des exigences de tarification du carbone prévues par la LTPGE.
5. Effets de la pandémie de COVID-19
La pandémie de COVID-19 en cours a provoqué des perturbations importantes dans le secteur de l’électricité et l’économie de l’Alberta en général. L’AESO prévoit une baisse de la demande d’électricité pour le reste de l’année 2020, 2021, et peut-être au-delà, avec des effets modérateurs à long terme sur les prix de l’électricité. La COVID-19 a augmenté les risques de défaillance, de crédit et de capital pour les producteurs et les acheteurs, et a entraîné une perturbation de la chaîne d’approvisionnement ainsi que d’autres défis pour les promoteurs de projets. Elle a également retardé les processus réglementaires comme ceux décrits ci-dessus ; l’incertitude prolongée pourrait avoir des répercussions sur la rentabilité des projets.
L’absence d’ordres de suspendre les travaux en Alberta tout au long de la pandémie a quelque peu atténué ses répercussions sur l’activité industrielle et le secteur de l’électricité. Depuis mars 2020, la construction est autorisée pour tout projet qui peut respecter les directives prescrites.
Les épidémies, les états d’urgence et autres mesures gouvernementales sont souvent qualifiés d’événements de force majeure qui dispensent de l’exécution d’un contrat ou d’une autre obligation. En cas de force majeure, il est possible d’obtenir des prolongations pour la réalisation d’étapes ou le paiement d’indemnités et de permettre à une partie ou aux deux parties de résilier le CAE sans responsabilité en cas d’événement prolongé, selon les modalités du CAE.
Une disposition de modification de la loi peut être invoquée s’il y a eu une modification de la loi qui correspond à la définition du contrat, comme des mesures gouvernementales, p. ex. des confinements ou des fermetures forcées. L’incidence des coûts peut être répartie entre les parties par le biais d’un paiement forfaitaire ou d’un ajustement du prix fixe de l’électricité, et une partie ou les deux parties peuvent être autorisées à résilier le CAE sans responsabilité en cas de modification fondamentale de la législation.
Conclusion
Malgré la nouvelle conjoncture en 2020, le marché de l’énergie renouvelable de l’Alberta continue d’offrir des possibilités considérables aux promoteurs et aux acheteurs. L’expansion de l’activité des CAE dans le secteur privé, les possibilités de marchés publics et la précision réglementaire attendue sont autant de facteurs déterminants pour la croissance en 2021 et au-delà.
Nous tenons à remercier Maeve Sanger et Mike Pede pour leur contribution à cet article.