Auteurs(trice)
Sociétaire, Litiges, Toronto
Associée, Litige; Affaires réglementaires, Autochtones et environnement, Toronto
Associé, Affaires réglementaires, Autochtones et environnement, Toronto
Les substances perfluoroalkyliques et polyfluoroalkyliques (SPFA) intéressent de plus en plus les autorités de réglementation environnementale, au Canada comme à l’étranger. Le gouvernement fédéral a annoncé récemment son intention de désigner les SPFA comme une catégorie de substances toxiques en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (LCPE), ouvrant ainsi la voie à de nouvelles restrictions réglementaires (et à d’éventuelles interdictions) touchant la fabrication, l’utilisation, la vente et l’importation de produits contenant des SPFA.
Dans le présent bulletin d’actualités Osler, nous donnons un aperçu de la réglementation des SPFA au Canada (actuelle et proposée), comparons l’approche canadienne à celle des États-Unis en matière de SPFA (y compris les tendances en matière de litiges) et examinons les éventuelles conséquences d’une réglementation accrue des SPFA pour les entreprises faisant affaire au Canada.
Qu’est-ce que les SPFA?
Les SPFA sont constitués de plus de 4 700 produits chimiques synthétiques d’origine anthropique. Elles possèdent de nombreuses propriétés bénéfiques, notamment une résistance physique, chimique et thermique élevée, une capacité à repousser l’huile et l’eau, et une faible tension superficielle. Ces caractéristiques font que les SPFA sont largement utilisées dans les produits de consommation et dans les applications industrielles. Les produits contenant des SPFA comprennent les ustensiles de cuisine antiadhésifs, les cosmétiques, les textiles, les produits de soins personnels, les peintures, les scellants, les vernis et les mousses à formation de pellicule aqueuse (mousses AFFF) extinctrices. Elles sont également couramment utilisées dans la production d’appareils électroniques, de plastiques et de métaux.
Bien qu’elles présentent des caractéristiques souhaitables, les SPFA sont également considérées comme des substances bioaccumulables et persistantes dans l’environnement, ce qui signifie qu’elles ne se dégradent pas facilement dans des conditions normales (et pour cette raison, elles sont connues sous l’étiquette de « produits chimiques éternels »). Les SPFA sont également mobiles dans l’environnement et peuvent se transformer de précurseurs en produits finis stables et toxiques, ce qui augmente encore les concentrations dans l’environnement. Certaines SPFA sont susceptibles d’être transportées sur de longues distances dans l’atmosphère et les océans. Des SPFA ont été détectées dans la faune et les milieux environnementaux et chez l’homme.
Les autorités de réglementation en matière d’environnement et de santé sont préoccupées par les effets de l’exposition aux SPFA sur la santé humaine et l’environnement, en particulier les effets sur le foie et les reins, les dommages potentiels sur les systèmes reproducteurs et endocriniens, ainsi que les effets sur le développement et l’immunologie. Certains SPFA, notamment le sulfonate de perfluorooctane (le SPFO) et l’acide perfluorooctanoïque (l’APFO), peuvent provoquer des cancers chez les animaux exposés à de fortes doses.
Réglementation actuelle des SPFA
Réglementation des SPFA au Canada
Le SPFO (et ses sels), l’APFO et les acides perfluorocarboxyliques à chaîne longue (les APFC à chaîne longue) sont actuellement inscrits comme substances toxiques à l’annexe 1 de la LCPE (la liste des substances toxiques). L’ajout d’une substance à la liste des substances toxiques donne au gouvernement canadien le pouvoir d’adopter des mesures lui permettant d’empêcher ou de contrôler l’utilisation et/ou le rejet de ces substances, telles que l’adoption de règlements, de lignes directrices et de codes de pratique.
Grâce à un tel pouvoir, le gouvernement canadien réglemente actuellement le SPFO, l’APFO et les APFC à chaîne longue en vertu du Règlement sur certaines substances toxiques interdites (2012) (le Règlement sur les substances interdites). Le Règlement sur les substances interdites interdit la fabrication, l’utilisation, la vente et l’importation de SPFO, d’APFO et d’APFC à chaîne longue et de produits contenant ces substances, sous réserve de certaines exceptions limitées et d’activités autorisées, notamment la fabrication de certaines mousses AFFF extinctrices et de certains films photographiques et photolithographiques.
Au palier provincial, la Colombie-Britannique et l’Alberta réglementent les SPFA au moyen des cadres réglementant les sites contaminés. La Colombie-Britannique règlemente les SPFA au moyen du règlement intitulé Contaminated Sites Regulation adopté en vertu de la loi intitulée Environmental Management Act. En janvier 2023, l’Alberta a publié des versions à jour de ses lignes directrices intitulées Tier 1 Soil and Remediation Guidelines [PDF], qui fournissent des lignes directrices numériques basées sur le risque pour l’enlèvement du SPFO et de l’APFO des sites contaminés.
Au palier fédéral, Santé Canada a également déterminé la concentration maximale acceptable pour l’APFO (200 ng/L) et le SPFO (600 ng/L) dans l’eau potable, ainsi que des valeurs intérimaires pour d’autres SPFA. En mai 2023, Santé publique Ontario a publié un bulletin « Pleins feux » sur les SPFA, qui donne un aperçu des risques d’exposition et des effets sur la santé humaine en mettant l’accent sur l’eau potable. La Colombie-Britannique a également inscrit les SPFA sur la liste des nouveaux contaminants préoccupants dans ses Design Guidelines for Drinking Water Systems in British Columbia [PDF], qui sont utilisées dans le processus d’approbation des modifications apportées aux réseaux d’aqueduc.
Réglementation des SPFA aux États-Unis
La Californie, le Vermont, le Colorado, le Maine, le Maryland, le Michigan, l’État de New York et le Wisconsin sont quelques-uns des États qui réglementent actuellement la présence de SPFA dans les produits. Par exemple, la Californie a interdit la vente et la distribution d’emballages alimentaires à base de fibres végétales contenant des SPFA à des niveaux supérieurs à 100 parties par million, a interdit les SPFA dans les produits destinés aux enfants de moins de 12 ans et a prévu d’interdire tous les SPFA dans les cosmétiques d’ici 2025. Certains États, comme le Minnesota, introduisent progressivement des obligations d’information et des interdictions générales pour les produits de consommation contenant des SPFA, tandis que le Maine, le Vermont et le Maryland prévoient de restreindre, voire d’interdire, l’utilisation des SPFA dans certains produits au cours des prochaines années.
Au palier fédéral, l’Environmental Protection Agency (l’EPA) propose de désigner l’APFO et le SPFO comme des substances dangereuses en vertu de la loi intitulée Comprehensive Environmental Response, Compensation, and Liability Act (la CERCLA), communément appelée « Superfund ». Ces désignations obligeraient notamment les installations du pays à signaler les rejets d’APFO et de SPFO qui atteignent ou dépassent les quantités à déclarer, permettraient à l’EPA de répondre aux rejets ou aux menaces de rejets d’APFO et de SPFO sans avoir à déterminer s’il existe un danger imminent et substantiel, et obligeraient les parties responsables à payer le coût de la remise en état des lieux. L’EPA a sollicité les commentaires du public au milieu de 2023 sur une proposition visant à étendre la désignation à sept autres SPFA en vertu de la CERCLA. Dans le cadre de la loi intitulée Clean Water Act, l’EPA est en train de mettre au point un test pour environ 40 SPFA présentes dans l’eau.
Proposition de réglementation accrue des SPFA au Canada
En 2021, le gouvernement canadien a publié un avis d’intention de réaliser des activités visant les SPFA en tant que catégorie, étant donné qu’il lui manquait des renseignements précis pour la plupart des SPFA utilisées au Canada, y compris les SPFA qui sont couramment utilisées par l’industrie en remplacement de celles dont l’utilisation est actuellement restreinte au Canada (comme celles qui sont mentionnées ci-dessus, soit le SPFO, l’APFO et les APFC à chaîne longue). Dans son avis, le gouvernement a annoncé son intention d’investir dans la recherche sur les SPFA et leur surveillance, de colliger et d’examiner des renseignements sur les SPFA afin d’éclairer l’approche basée sur une catégorie, d’étudier l’évolution des politiques relatives aux SPFA d’autres gouvernements et de publier dans un délai de deux ans un rapport sur l’état des SPFA qui résumera les renseignements pertinents sur la catégorie de substances.
En mai 2023, le gouvernement fédéral a publié une ébauche de rapport sur l’état des substances perfluoroalkyliques et polyfluoroalkyliques (SPFA) (l’ébauche de rapport) et un cadre de gestion des risques pour les SPFA complémentaire (le cadre de gestion des risques). L’ébauche de rapport indique qu’il n’est pas pratique de gérer les SPFA individuellement, car cela ne répond pas aux préoccupations environnementales et sanitaires que suscite la vaste catégorie des SPFA. Selon le gouvernement, s’il ne réglemente pas les SPFA en tant que catégorie, les risques de dommages ne feront qu’augmenter.
Dans l’ébauche de rapport et le cadre de gestion des risques, le gouvernement fédéral propose de recommander que les SPFA, en tant que catégorie de substances, soient ajoutées à la liste des substances toxiques. Advenant une telle éventualité, le cadre de gestion des risques décrit les mesures réglementaires supplémentaires que le gouvernement envisage de prendre, notamment :
- Mettre en œuvre des règlements et/ou d’autres instruments (lignes directrices, codes de pratique) afin de réduire au minimum l’exposition environnementale et humaine aux substances de la catégorie des SPFA provenant des mousses AFFF;
- Recueillir les renseignements (y compris par le biais d’une déclaration obligatoire) nécessaires pour définir et établir un ordre de priorité pour les options en vue de réduire l’exposition environnementale et humaine aux substances de la catégorie des SPFA provenant d’autres sources et produits;
- Harmoniser ses mesures avec celles prises par d’autres instances, le cas échéant.
Le cadre de gestion des risques indique clairement que les options proposées de gestion des risques sont préliminaires et sont sujettes à modification en fonction des renseignements supplémentaires que le gouvernement pourrait obtenir. Il est à prévoir que le gouvernement fera de nouvelles propositions une fois qu’il aura recueilli des renseignements supplémentaires.
La période de consultation sur l’ébauche de rapport et le cadre de gestion des risques a pris fin le 19 juillet 2023. Le gouvernement n’a pas encore publié les commentaires reçus, mais il devrait le faire au moment de la publication de la version définitive du rapport sur l’état des SPFA et de sa proposition concernant l’approche de gestion des risques.
Le cadre de gestion des risques indique également que le gouvernement a l’intention de prendre les mesures suivantes, selon l’échéancier indiqué (échéancier qui est sujet à modification) :
Mesure |
Échéancier |
---|---|
Collecte de renseignements à participation obligatoire : Publication d’un avis de demande de renseignements en vertu de l’article 71 de la LCPE, qui autorise le gouvernement à collecter auprès de toute personne des renseignements concernant ses activités liées à des substances (l’avis prévu à l’article 71 vise généralement les usagers, les vendeurs, les importateurs et les fabricants). |
Prévu pour l’automne 2023 (maintenant passé). |
Réponses aux commentaires du public : Publication des réponses aux commentaires du public sur l’approche de gestion des risques proposée par le gouvernement et, le cas échéant, publication d’un projet d’instrument. |
Au plus tard 24 mois suivant la date de publication d’une recommandation visant à ajouter les SPFA, en tant que catégorie, à la liste des substances toxiques. |
Projet d’instrument : Consultation concernant un projet d’instrument, le cas échéant (y compris le projet de règlement). |
Consultation de 60 jours suivant la publication de l’instrument proposé. |
Version définitive de l’instrument : Publication de la version définitive de l’instrument, le cas échéant. |
Au plus tard 18 mois après la publication de l’instrument proposé. |
Outre les mesures susmentionnées prises en vertu de la LCPE, l’Agence canadienne d’inspection des aliments a publié, le 19 mai 2023, un avis à l’industrie l’informant de son intention de collaborer à la mise en œuvre d'une norme provisoire pour les substances per- et polyfluoroalkyles (PFAS) dans les biosolides. Cette proposition de norme vise à atténuer les risques pour la santé humaine et l’environnement associés à l’épandage de biosolides contenant des SPFA et vendus comme engrais commerciaux. La norme proposée exigerait que les biosolides contiennent moins de 50 ppb de SPFO avant de pouvoir être importés ou vendus au Canada.
Litiges liés aux SPFA au Canada et aux États-Unis
Des litiges liés aux SPFA ont vu le jour tant au Canada qu’aux États-Unis, bien que le montant et l’ampleur des litiges aux États-Unis soient considérablement plus importants.
Au Canada, une action collective a été certifiée en 2021 contre le Conseil national de recherches du Canada (CNRC) concernant des SPFA qui se sont répandues dans les eaux de surface et les eaux souterraines au Laboratoire national du CNRC à Mississippi Mills, en Ontario. Entre 1981 et 2016, le CNRC a utilisé le site pour mener des activités de recherche et de développement dans le domaine de la sécurité incendie, notamment pour tester des mousses extinctrices contenant des SPFA. Les plaignants, soit des propriétaires des biens immobiliers adjacents, réclament des dommages-intérêts pour la perte de valeur que leurs biens ont subie par suite de la contamination des eaux souterraines dans des biens immobiliers de certains des membres du groupe et de la stigmatisation attachée aux biens immobiliers de tous les membres du groupe. Dans le domaine du droit de l’emploi, des pompiers ont également pu faire valoir des réclamations liées à l’exposition aux SPFA sur leur lieu de travail.
Les États-Unis ont connu des règlements d’affaires monumentales liées à la contamination par les SPFA. En 2018, une action collective a été intentée contre 3M par des services d’eau américains qui affirmaient que les mousses extinctrices contenant des SPFA de 3M avaient contaminé l’eau potable. En juin 2023, juste avant le début du procès, 3M a conclu avec les services d’eau un règlement de 12,5 milliards de dollars à verser sur 13 ans; il s’agit de l’un des plus importants règlements relatifs à l’eau potable jamais conclus dans l’histoire des États-Unis. En outre, en décembre 2022, 3M a annoncé qu’elle cesserait de fabriquer des produits contenant des SPFA d’ici la fin de 2025.
Quelques semaines auparavant au cours du même mois, dans une affaire similaire, Chemours, DuPont et Corteva ont conclu avec des services d’eau américains un règlement de 1,185 milliard de dollars. Dans ce cas, les sociétés de fabrication de produits chimiques ont accepté de régler les réclamations alléguant que les produits chimiques qu’elles fabriquaient polluaient l’eau potable publique.
Ces grandes affaires ne sont que la partie émergée de l’iceberg des litiges liés aux SPFA aux États-Unis, des dizaines de milliers d’autres réclamations liées aux SPFA ayant été déposées aux États-Unis, notamment des réclamations liées à la contamination, aux produits de consommation, à l’emballage et aux assurances. Les entreprises faisant affaire au Canada doivent être au fait de ces tendances, car les réclamations déposées au Canada se greffent souvent sur des poursuites américaines couronnées de succès, et des actions similaires sont intentées dans ce pays.
Conséquences pour les entreprises canadiennes
Les entreprises faisant affaire au Canada qui sont susceptibles d’être exposées aux SPFA ont tout intérêt à se tenir au courant de l’évolution de la réglementation, car les consultations sur la réglementation des SPFA se poursuivent et des projets de règlement sont annoncés. Chaque fois que le gouvernement offre au public la possibilité de commenter des projets d’instrument, les entreprises concernées seraient bien avisées de faire connaître leur point de vue, afin d’optimiser les chances que le gouvernement tienne compte de leurs préoccupations.
Les importateurs, les fabricants et les détaillants doivent déterminer si les produits qu’ils importent, fabriquent ou vendent contiennent des SPFA et, si tel est le cas, comment atténuer les risques de conformité réglementaire et de litige. En fonction du contenu des projets de règlement à venir, ils pourraient également devoir trouver des solutions de rechange aux SPFA entrant dans leurs produits, en particulier s’il leur est désormais interdit d’utiliser d’autres SPFA dans certains produits. Les entreprises qui utilisent des SPFA dans le cadre de leurs activités doivent envisager de réduire l’exposition aux SPFA en milieu de travail afin d’atténuer les risques pour la santé. Dans le contexte d’opérations immobilières, les vendeurs et les acheteurs doivent tenir compte de l’éventualité d’une responsabilité liée aux SPFA et de la répartition d’une telle responsabilité, d’autant plus qu’il est de plus en plus fréquent que les SPFA soient exclues du champ de couverture des assurances déclarations et garanties.