Une conversation avec Mark Podlasly
VOIX DE LA DIVERSITÉ
Dans cet épisode, John Valley, associé au sein du groupe de droit des sociétés d’Osler et coauteur du rapport Pratiques de divulgation en matière de diversité, s’entretient avec Mark Podlasly, membre de la nation Nlaka’pamux, en Colombie-Britannique. M. Podlasly est le chef du développement durable de la Coalition de grands projets des Premières Nations, une organisation nationale regroupant plus de 170 membres des Premières Nations qui veille à ce que les valeurs environnementales et économiques des Autochtones soient intégrées aux grands projets dans les territoires traditionnels. Il est également membre du conseil d’administration de la Banque CIBC et d’Hydro One, siégeant aux comités d’audit et des ressources humaines, et il est fiduciaire du fonds fiduciaire de revenus miniers de sa Première Nation. M. Podlasly s’est vu décerner la Médaille du service méritoire du Gouverneur général du Canada pour avoir fondé Teach for Canada, un organisme à but non lucratif qui travaille auprès des Premières Nations du Nord pour recruter et soutenir des enseignants engagés.
Invité
Mark Podlasly
SVP, Business Development, and Head of ESG Advisory, FNMPC Advisory Centre
John Valley : Je suis John Valley, associé au sein du groupe de droit des sociétés d’Osler et coauteur du rapport Pratiques de divulgation en matière de diversité. J’ai le plaisir d’accueillir Mark Podlasly. Mark est membre de la nation Nlaka’pamux, en Colombie-Britannique, et est le chef du développement durable de la Coalition de grands projets des Premières Nations, une organisation nationale regroupant plus de 170 membres des Premières Nations qui veille à ce que les valeurs environnementales et économiques des Autochtones soient intégrées aux grands projets dans les territoires traditionnels. Il est également membre du conseil d’administration de la Banque CIBC et d’Hydro One, siégeant aux comités d’audit et des ressources humaines, et il est fiduciaire du fonds fiduciaire de revenus miniers de sa Première Nation. Mark s’est vu décerner la Médaille du service méritoire du Gouverneur général du Canada pour avoir fondé Teach for Canada, un organisme à but non lucratif qui travaille auprès des Premières Nations du Nord pour recruter et soutenir des enseignants engagés. Merci d’être venu aujourd’hui, Mark. J’ai hâte de discuter avec vous.
Mark Podlasly : Je suis très heureux d’être ici.
John Valley : Ça fait plusieurs années que la diversité fait l’objet d’une attention particulière et, depuis les modifications apportées à la Loi canadienne sur les sociétés par actions en 2020, des renseignements ont été divulgués sur la représentation des Autochtones au sein des conseils d’administration. Quelles tendances avez-vous observées? Quels sont les principaux enjeux du point de vue des Autochtones, en ce qui concerne la représentation des Autochtones au sein des conseils d’administration, compte tenu de l’évolution de la société en général?
Mark Podlasly : Le principal changement au Canada a été l’adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et, en particulier, des clauses relatives au consentement préalable, libre et éclairé des peuples autochtones. Ce consentement est obligatoire. Les promoteurs de grands projets, qu’il s’agisse d’énergie, de transport ou de minéraux critiques, doivent obtenir le consentement des populations autochtones avant de mettre en branle un projet, quel qu’il soit. Du point de vue des Autochtones, il est important que les entreprises et les dirigeants aux plus hauts niveaux hiérarchiques comprennent ce que ça implique, quels sont les risques et quelles sont les opportunités pour les entreprises canadiennes qui entrent dans les territoires traditionnels pour y aménager des projets. La présence d’un Autochtone au sein du conseil d’administration, du point de vue des Autochtones, est essentielle pour garantir que les projets sont menés à bien dans le respect de la culture, de l’environnement et de la justice économique. Et en toute franchise, les entreprises n’obtiendront pas les permis de construire. Si elles ne sont pas sensibilisées à ces questions, elles auront du mal à lever des fonds auprès d’investisseurs qui attendent des résultats satisfaisants. Un administrateur qui se trouve à être un Autochtone leur apporte cette sensibilité. C’est pourquoi, du point de vue des Autochtones, il y a tout intérêt à ce que ça se concrétise.
John Valley : Depuis la modification de la Loi canadienne sur les sociétés par actions en 2020, notre rapport indique une certaine augmentation de la représentation des Autochtones au sein des conseils d’administration, mais pas une augmentation en termes absolus du rythme que nous aurions souhaité. Mais est-ce qu’il y a autre chose, en dehors des données, qui devrait nous interpeller?
Mark Podlasly : Si on regarde en arrière, du point de vue des Autochtones, la croissance du nombre d’Autochtones au sein des conseils d’administration des entreprises canadiennes a été remarquable. Il y a 20 ans, aucun d’entre nous ne siégeait à ces conseils, et aujourd’hui, de plus en plus d’Autochtones très qualifiés sont recrutés pour occuper des postes dans des entreprises de tous les secteurs. C’est phénoménal. En tant qu’Autochtones, on comprend que les droits que nous avons dans ce pays doivent être pris en compte dans les décisions commerciales. Dans le passé, ça n’arrivait jamais. Le fait d’avoir un Autochtone au sein du conseil d’administration permet désormais à une entreprise de savoir ce qui se passe sur le terrain. C’est ce qui vous intéresse si vous êtes un investisseur, un développeur ou un promoteur. On peut donc espérer, du point de vue des Autochtones, que les entreprises et les recruteurs fassent de plus en plus appel à nous, et on pense que les choses s’améliorent.
John Valley : Que peuvent faire certaines entreprises, comme les promoteurs, les sociétés ouvertes ou autres organisations, pour tenter d’accéder aux talents des communautés des Premières Nations au sein desquelles elles exercent leurs activités, travaillent et vivent?
Mark Podlasly : Pour accéder aux Autochtones talentueux, les entreprises vont devoir élargir leurs horizons. Dans le passé, elles devaient se tourner vers le centre-ville de Toronto ou de Montréal, ou vers les centres urbains. Mais aujourd’hui, une grande partie de ces Autochtones ne sont plus là. Ils gèrent des budgets de plusieurs millions de dollars. Ils prennent les mêmes décisions d’entreprise, mais dans des zones rurales. C’est ça, le principal défi. Donc, du point de vue des Autochtones, il faudra venir à nous. Pour ça, il faut aller là où les Autochtones mettent déjà à profit leurs compétences, et ce n’est pas dans les centres-villes. Pas toujours, parfois, mais pas toujours.
John Valley : Et en ce qui concerne le changement que vous avez évoqué, qu’est-ce que vous avez remarqué au cours des dernières années, quand vous avez travaillé avec des conseils d’administration, siégé à des conseils d’administration, parlé à certains de vos collègues dans des conseils d’administration, au niveau de l’état d’esprit et de l’approche en ce qui concerne la diversité et, en particulier, la diversité non liée au sexe au sein des conseils d’administration?
Mark Podlasly : Ce que j’ai constaté dans mes fonctions au sein des conseils d’administration, c’est la curiosité des autres administrateurs à l’égard des candidats issus des communautés autochtones. Je pense que, dans ce pays, les Canadiens veulent bien faire. Ils veulent être respectueux et avoir un impact. Mais au Canada, il y a toujours une réticence à s’engager sur des sujets qui risquent d’offenser les gens. Ce que j’ai constaté dans les conseils d’administration, c’est que les gens posent désormais les vraies questions. Ils veulent savoir, mais ne savent pas comment s’y prendre pour le savoir, sans faire effectivement affaire avec un Autochtone. Ce qui a été formidable dans mon expérience au sein de ces conseils, c’est que j’ai pu faire part de ce qui se passait sur le terrain, ce qui a contribué à la réussite globale de l’entreprise en matière d’atténuation des risques, de décisions d’investissement concernant ce que les Autochtones espèrent et veulent voir, ce qui, de notre point de vue, améliore ces projets. L’économie canadienne s’en trouve améliorée. Ça concrétise l’inclusion.
John Valley : Compte tenu d’où nous en sommes aujourd’hui, et des résultats du rapport, qui sont relativement stables d’une année sur l’autre, quelle est, selon vous, la prochaine étape pour les entreprises qui cherchent à faire réellement progresser la diversité en général, mais aussi la participation des Autochtones au sein de leur conseil d’administration et de leur entreprise?
Mark Podlasly : Je pense que le changement que nous allons voir ces prochaines années est qu’à mesure que les investissements augmenteront dans les régions des pays où les populations et les droits autochtones sont plus importants, les investisseurs voudront voir que les entreprises ont pris en compte les défis, les opportunités et, surtout, le risque de retards ou de ralentissements liés aux droits autochtones dans leurs décisions d’investissement. Ces investisseurs vont exiger que les points de vue des Autochtones soient pris en compte au plus haut niveau hiérarchique au sein de ces entreprises. Je pense que ça fera changer les choses plus rapidement que n’importe quelle loi ou n’importe quelle cible. On commence d’ailleurs à le voir dans les entreprises qui font leur entrée sur nos territoires, non seulement les entreprises canadiennes, mais aussi les entreprises étrangères qui veulent faire les choses correctement afin de réduire les risques : les décideurs d’entreprise qui ont cette vision des choses au sein de leur entreprise, lors de la prise de décisions au niveau du conseil d’administration, auront un avantage concurrentiel sur les entreprises qui n’ont pas cette vision des choses.
John Valley : On a évoqué les endroits où les entreprises peuvent aller pour trouver des Autochtones aptes à siéger à leur conseil d’administration. Est-ce que les Autochtones sont de plus en plus intéressés à siéger à un conseil d’administration et que font-ils en ce sens?
Mark Podlasly : De plus en plus d’Autochtones cherchent à faire partie de conseils d’administration et tentent de sortir de l’ombre. Ce n’est pas à sens unique. Les Autochtones savent qu’il s’agit d’une opportunité pour eux personnellement et pour leur perfectionnement, ainsi que pour les entreprises dans le cadre de leurs projets; ce n’est donc pas à sens unique. L’intérêt est croissant.
John Valley : Est-ce que, selon vous, il existe des tendances qui pourraient favoriser une croissance continue de la représentation des Autochtones au sein des conseils d’administration au Canada?
Mark Podlasly : Au Canada, sans la croissance démographique des peuples autochtones, notre population diminuerait. En dehors de l’immigration, c’est au pays le seul groupe qui augmente démographiquement, et c’est de loin le plus jeune. La majeure partie de la population autochtone au Canada a moins de 25 ans et, même si le niveau d’éducation général doit encore être amélioré, il existe un bassin d’Autochtones talentueux, qui sont maîtres en finance, CPA, métallurgistes, ingénieurs, qui montent rapidement en grade et qui, un jour, seront tous des candidats de choix pour les conseils d’administration. Ainsi, les choses évoluent.
John Valley : Mark, merci beaucoup de m’avoir consacré du temps, d’avoir pris part à cette conversation et de m’avoir fait part de vos idées et de votre point de vue. J’apprécie grandement que vous soyez joint à nous et j’espère qu’on pourra continuer notre conversation à ce propos dans les années à venir.
Mark Podlasly : J’ai hâte d’avoir l’occasion de poursuivre notre discussion sur les changements qui s’annoncent.