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L’OCDE donne des précisions supplémentaires sur les propositions du premier pilier dans une mise à jour sur la réforme fiscale internationale et souhaite trouver une solution consensuelle en 2020

Auteur(s) : Patrick Marley, Taylor Cao, Peter Macdonald, Kaitlin Gray

Le 3 février 2020

Dans ce bulletin d’actualités

  • L’OCDE a travaillé sur une approche à deux piliers en vue de la réforme fiscale internationale : a) le premier pilier, qui attribuerait des droits d’imposition supplémentaires en ce qui concerne les territoires de marché (par exemple, par la création d’une nouvelle règle du lien aux fins d’établir les droits d’imposition du pays d’origine, divergerait de la notion traditionnelle de l’« établissement stable ») et b) le deuxième pilier, qui instaurerait un impôt minimum mondial et certaines autres mesures, viserait à empêcher le transfert de bénéfices vers des territoires à taux d’imposition faible. Ces propositions devraient avoir une incidence importante sur les multinationales, plus particulièrement celles à forte composante numérique ou de biens incorporels. Le sommaire des initiatives en vue d’une réforme fiscale internationale préparé par Osler est présenté dans un bulletin d’actualités antérieur.
  • Le 31 janvier 2020, le Canada et les 136 autres pays membres du Cadre inclusif sur le BEPS de l’OCDE et du G20 (le Cadre inclusif) ont publié une déclaration (Déclaration de janvier - en anglais seulement) soutenant fortement la conclusion d’un accord multilatéral en ce qui concerne le premier pilier et le deuxième pilier et affirmant leur volonté de parvenir à une solution consensuelle d’ici la fin de 2020.
  • Les annexes de la Déclaration de janvier décrivent l’« architecture » ou les « grandes lignes » du premier pilier (reflétant une « nouvelle » approche) et du deuxième pilier (avec un rapport d’étape de haut niveau).
  • Les éléments nouveaux ou clarifiés d’importance de la Déclaration de janvier comprennent, entre autres :
    • un examen de la proposition américaine selon laquelle le premier pilier devrait être un « régime de protection » facultatif;
    • une déclaration précisant l’exclusion des industries extractives, de la plupart des services financiers (y compris l’assurance) et des entreprises de transport aérien et maritime;
    • une clarification selon laquelle les entreprises offrant des produits intermédiaires et des composants sont largement hors du champ d’application;
    • une indication selon laquelle la nouvelle règle du lien ne devrait pas s’appliquer à une entité qui ne vend que des biens de consommation corporels dans un territoire de marché, en l’absence de certains critères à développer qui indiqueraient une présence significative et soutenue;
    • l’acceptation qu’une approche à « guichet unique » limitant la déclaration de revenus au territoire de la société mère ultime (plutôt que dans tous les territoires de marché) est vraisemblablement la seule façon pratique de procéder;
    • la reconnaissance que les états financiers consolidés d’un groupe constituent probablement la meilleure base de mesure et que les règles de report de pertes doivent être élaborées.
  • Plusieurs pays ont déjà proposé des mesures unilatérales pour appliquer de nouveaux impôts aux fournisseurs de services numériques, et ce, sans attendre qu’il y ait un large consensus sur les propositions de l’OCDE. L’OCDE a reconnu que le calendrier ambitieux de l’approche consensuelle est en grande partie dû à la possibilité imminente d’une guerre commerciale (citant en exemple la réponse des États-Unis à la taxe sur les services numériques de la France). De façon indépendante, la plateforme électorale du Parti libéral du Canada comprenait une taxe sur les services numériques de 3 % s’inspirant de celle de la France.
  • De nombreux détails et de nombreuses questions de politique d’importance aux termes du premier pilier et du deuxième pilier demeurent non résolus et il reste très peu de temps à l’OCDE pour atteindre ses objectifs en 2020.

Introduction

Le 31 janvier 2020, le Cadre inclusif sur le BEPS de l’OCDE et du G20 a publié une déclaration intitulée Statement by the OECD/G20 Inclusive Framework on BEPS on the Two-Pillar Approach to Address the Tax Challenges Arising from the Digitalisation of the Economy – January 2020 (Déclaration de janvier - en anglais seulement) décrivant ce dont il est convenu, à l’heure actuelle, en ce qui concerne l’« architecture » ou les « grandes lignes » du premier pilier et du deuxième pilier.

Le Programme de travail de l’OCDE visant à élaborer une solution fondée sur un consensus pour relever les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie (Programme de travail) publié en mai 2019 proposait deux mesures principales : a) le premier pilier qui attribuerait des droits d’imposition supplémentaires aux territoires de marché (par exemple, la création d’un nouveau lien aux fins de l’établissement des droits d’imposition du pays d’origine et la révision de la norme relative à la « pleine concurrence » à l’égard de la répartition des bénéfices) et b) le deuxième pilier qui instaurerait un impôt minimum mondial et certaines autres mesures afin de prévenir le transfert de bénéfices aux territoires à taux d’imposition faible.

La Déclaration de janvier présente une mise à jour du contenu, de l’état d’avancement et des objectifs déclarés de la politique de l’OCDE en ayant recours à l’approche à deux piliers. L’analyse du premier pilier est complète et établit, à certains égards, une nouvelle approche quant à divers éléments qui faisaient partie des documents de consultation publique, notamment l’examen de la demande des États-Unis pour que le premier pilier prenne la forme d’un « régime de protection » facultatif.

Les grandes lignes du premier pilier, dans la Déclaration de janvier, ont été rédigées en tenant compte des commentaires reçus dans le cadre du processus de consultation publique auquel Osler a activement participé (décrit ci-dessous) et de la contribution de la presque totalité des 140 membres du Cadre inclusif.

Par contre, l’exposé relatif au deuxième pilier, dans la Déclaration de janvier, présente un rapport de haut niveau sur l’évolution les travaux de l’OCDE et n’offre pas de nouvelle approche pour traiter les questions non résolues en ce qui concerne le BEPS.

Une conférence de presse et une webémission de l’OCDE (en anglais seulement) ont également eu lieu le 31 janvier 2020, expliquant plus en détail le contenu de la Déclaration de janvier ainsi que les prochaines étapes en vue.

Premier pilier

Contexte de l’approche unifiée au titre du premier pilier

Les propositions de l’OCDE aux termes du premier pilier du Programme de travail étaient initialement axées sur les entreprises à forte composante numérique et exploraient trois propositions distinctes fondées sur la « participation de l’utilisateur », les « biens incorporels de commercialisation » et la « présence économique significative ». Cependant, les consultations ont permis de constater qu’il était peu probable de parvenir à un consensus sur l’une ou l’autre des trois propositions, plus particulièrement parce qu’elles semblaient avoir une incidence disproportionnée sur les multinationales exploitant des entreprises à forte composante numérique établies aux États-Unis.

En octobre 2019, le secrétariat de l’OCDE a publié une proposition visant une « approche unifiée » au titre du premier pilier. L’approche unifiée s’est traduite par l’introduction d’une règle révisée de répartition des bénéfices, applicable à toutes les multinationales du « champ d’application » et par l’exemption de certains secteurs. Pour les contribuables du champ d’application ayant un lien suffisant avec un ou plusieurs territoires (en fonction du seuil de bénéfice ou d’autres seuils), un rendement approprié relatif aux activités routinières sera exclu du bénéfice net global. Le résidu sera réputé constituer le bénéfice net non routinier et une portion de celui-ci sera répartie entre différents territoires de marché admissibles en fonction de variables comme le chiffre d’affaires.

Plus particulièrement, aux termes de l’« approche unifiée », un territoire de marché pourrait avoir le droit d’imposer les trois types de montants qui suivent.

  • Montant A : la partie du bénéfice net résiduel présumé (c.-à-d., le bénéfice net global du groupe déduction faite d’un rendement relatif aux activités routinières) qui est attribuée à un territoire de marché.
  • Montant B : un rendement fixe (pouvant varier selon l’industrie ou la région) relatif à certaines activités routinières de commercialisation et de distribution exercées dans le territoire de marché.
  • Montant C : un bénéfice net attribuable aux activités exercées dans un territoire de marché qui excède celui attribuable aux activités routinières de commercialisation et de distribution, calculé en fonction du principe de pleine concurrence, qui ne doit pas reproduire le montant A ci-dessus.

Osler a présenté ses observations à l’OCDE en réponse au document de consultation publique du 9 octobre 2019 à l’égard de l’approche unifiée au titre du premier pilier, mettant en lumière certaines de nos préoccupations relatives à l’approche unifiée, notamment a) la nécessité que les pays participants acceptent d’abandonner les mesures unilatérales comme condition préalable à leur participation à l’approche unifiée; et b) les enjeux pratiques et la complexité découlant de l’approche unifiée qui soulignent la nécessité de disposer d’une procédure de règlement des différends efficace, abordée plus en détail ci-dessous.

Aperçu de l’architecture d’une approche unifiée au titre du premier pilier dans la Déclaration de janvier

Dans la Déclaration de janvier, l’OCDE a fait le point sur le nouveau droit d’imposition représenté par le montant A. La Déclaration de janvier a précisé que le champ d’application du montant A concernait deux types de grandes entreprises : a) les entreprises dont les services numériques sont automatisés et b) les entreprises en relation étroite avec les consommateurs. Les modèles d’affaires auxquels s’applique le premier pilier comprennent les entreprises de vente au détail, les entreprises franchisées, et les entreprises de « services numériques automatisés » qui devraient comprendre :

  • les moteurs de recherche en ligne
  • les plateformes de médias sociaux
  • les places de marché en ligne
  • le flux de contenu numérique
  • les jeux en ligne
  • les services d’infonuagique
  • les services de publicité en ligne

Comparativement aux documents de consultation antérieurs qui décrivaient le champ d’application des propositions du premier pilier de façon générale comme s’appliquant aux « grandes entreprises en relation étroite avec les consommateurs », la Déclaration de janvier décrit plus précisément le champ d’application éventuel du premier pilier. La Déclaration de janvier fait la distinction entre les entreprises numérisées automatisées et les autres entreprises visées. Pour les entreprises numérisées automatisées, un seuil de revenu serait suffisant pour créer un lien dans un territoire de marché. Toutefois, pour d’autres entreprises en relation étroite avec les consommateurs, la Déclaration de janvier reconnaît que la simple vente transfrontalière de biens corporels dans un territoire de marché n’équivaut pas en tant que telle à un engagement important et soutenu dans ce territoire. La Déclaration de janvier suggère que des facteurs supplémentaires, comme la présence physique dans un territoire de marché ou la publicité ciblée dans ce territoire, pourraient être nécessaires pour déterminer qu’il existe un lien et que les propositions du premier pilier s’appliquent à ces entreprises en relation étroite avec les consommateurs.

La Déclaration de janvier reconnaît le fardeau que représentent la conformité et l’administration associées aux propositions, suggérant que l’application du premier pilier comportera un certain nombre de seuils :

  • un seuil relatif au chiffre d’affaires brut qui pourrait être celui de 750 millions d’euros utilisé dans le cas de la déclaration pays par pays;
  • une dispense de son application lorsque le bénéfice global tombe sous un certain seuil qui reste encore à être déterminé;
  • une dispense lorsque le bénéfice net total attribué à un territoire particulier n’atteindrait pas un certain seuil; et
  • des seuils supplémentaires dans le calcul du montant A et l’application de la nouvelle règle du lien (comme des facteurs supplémentaires pour établir un lien suffisant).

En ce qui concerne les dispenses, le document de consultation sur l’approche unifiée publié en octobre 2019 supposait que les industries extractives seraient exclues du champ d’application du premier pilier, et évoquait la possibilité d’une exception à l’égard des services financiers. La Déclaration de janvier est plus ferme et plus précise quant aux exceptions relatives aux industries extractives et à la plupart des services financiers (y compris l’assurance), ainsi qu’aux entreprises de transport aérien et maritime, et donne des raisons plus précises au soutien de ces exceptions. Par exemple, la Déclaration de janvier souligne que la réglementation prudentielle et les exigences auxquelles doivent répondre les entreprises de services financiers étant d’application généralisée, elles justifient d’exclure la plupart des types d’entreprises de services financiers réglementés du champ d’application du premier pilier.

La Déclaration de janvier reflète une évolution de la réflexion de l’OCDE concernant les produits et les composants intermédiaires qui sont intégrés dans un produit fini vendu aux consommateurs. Selon cette déclaration, ces produits et composants seront en grande partie exclus du champ d’application, à l’exception possiblement des articles de marque couramment acquis par les consommateurs à des fins personnelles.

Bien que l’approche de base pour le calcul du montant A demeure la même que celle énoncée dans les documents de consultation antérieurs, la Déclaration de janvier fournit plus de précisions sur les outils de mesure devant servir à déterminer le montant. À titre d’exemple, la déclaration appuie l’utilisation des comptes financiers consolidés pour mesurer le bénéfice net. L’OCDE est encline à utiliser le bénéfice net avant impôt pour calculer le montant A. Elle a également indiqué que des règles sur le report des pertes seront élaborées aux fins du calcul du montant A et que les pertes enregistrées tant avant qu’après l’entrée en vigueur du droit d’imposition du montant A dans un territoire devraient être prises en considération. L’OCDE examine toujours s’il y a lieu d’appliquer différents taux d’imposition à différents types d’entreprises, bien qu’aucune indication n’ait été donnée quant au taux que les territoires de marché devraient appliquer au montant A. 

L’OCDE fait également le point sur le rendement fixe, fondé sur le principe de la pleine concurrence pour certaines activités routinières de marketing et de distribution qui sont exercées dans les territoires de marché, représenté par le montant B. La Déclaration de janvier indique que le montant B vise à normaliser la rémunération des distributeurs qui achètent des produits pour la revente auprès de parties liées et qui exercent des fonctions décrites comme des « activités de marketing et de distribution de base », mais ne fait pas mention d’un rendement recommandé pour ces fonctions.

Règlement des différends

La Déclaration de janvier énonce que le Cadre inclusif ne doit pas faire en sorte que les nouvelles règles entraînent une double imposition et l’OCDE semble avoir tenu compte des préoccupations et des commentaires qui lui ont été soumis sur l’importance du règlement des différends à cet égard. Toutefois, si les propositions du premier pilier vont de l’avant, des efforts supplémentaires devront être déployés pour aider à prévenir les cas de double imposition.

La tendance des propositions du premier pilier visant à renforcer les droits d’imposition dans les territoires d’origine fait en sorte que le territoire ou l’entreprise multinationale a son siège social (son territoire de résidence) serait appelé à ne pas l’imposer pour éviter la double imposition. À notre avis, il serait préférable d’y parvenir par le biais d’arbitrages obligatoires ou d’ententes de répartition anticipée (analogues aux ententes anticipées de prix de transfert) qui seraient contraignants pour les pays concernés. Toutefois, la Déclaration de janvier laisse entendre qu’il n’y a actuellement aucun consensus sur la nature contraignante des procédures de prévention et de règlement des différends, ainsi que sur le champ d’application des mécanismes de règlement des différends potentiels au titre du montant C.

La Déclaration de janvier souligne l’importance conceptuelle d’éviter la complexité et d’assurer des mécanismes robustes et efficaces de prévention et de règlement des différends. Elle n’offre toutefois pas grand-chose en matière de mesures pratiques pour atteindre ces objectifs. Des mesures pratiques seront cruciales pour assurer que les propositions du premier pilier (et du deuxième pilier) ne mènent pas au « chaos fiscal », entraînant des cas potentiels de double imposition et des différends fiscaux. L’OCDE devrait à tout le moins fournir des précisions et des exemples précis sur la manière dont le premier pilier (et le deuxième pilier) s’appliquerait à un groupe multinational type. Plus particulièrement, les membres du Cadre inclusif devraient s’entendre sur des mesures précises, plutôt que sur de simples idées conceptuelles susceptibles d’être interprétées et appliquées de différentes manières. Pour éviter les différends fiscaux, il faudra que les pays aient une juste compréhension commune des règles d’application et d’administration des mesures proposées, ce qui sera nécessairement extrêmement compliqué.

À titre d’exemple, la mise en œuvre du premier pilier pourrait nécessiter la mise en place du processus en plusieurs étapes suivant (et de mesures additionnelles importantes et nécessaires pour la mise en œuvre du deuxième pilier) :

  • calculer les revenus et les pertes en vertu des règles de l’impôt sur le revenu national (ce qui, pour des pays comme le Canada, doit être fait sur une base non consolidée);
  • déterminer si le premier pilier s’appliquera à un groupe multinational (p. ex., si le groupe satisfait au seuil applicable relatif à la taille de l’entreprise et s’il exploite une entreprise qui assure un service numérique automatisé ciblé ou qui exerce des activités en relation étroite avec les consommateurs qui ne sont pas autrement exclues);
  • déterminer le montant A — établir les revenus ou les pertes en fonction d’une partie du bénéfice net consolidé avant impôts (probablement ajusté pour éliminer les revenus et les activités des entreprises hors du champ d’application, et éventuellement ajusté pour tenir compte de certaines différences dans le traitement comptable), ainsi que les montants convenus (y compris les monnaies pertinentes) qui seront attribués à des territoires de marché particuliers;
  • déterminer l’incidence potentielle des pertes dans le calcul du montant A, y compris le report ou le report rétrospectif potentiel des pertes du groupe consolidé, réparties pays par pays;
  • élaborer de nouvelles règles nationales de soutien, susceptibles d’être nécessaires pour éviter la double imposition — comme (i) des règles permettant d’attribuer les montants composant le montant A à des entités particulières d’un groupe multinational, (ii) des règles relatives aux ressources, permettant de considérer les montants qui y sont associés comme étant « d’origine étrangère » dans le pays de résidence — qui seront probablement nécessaires en vertu des règles nationales pour permettre l’application de crédits pour impôt étranger et (iii) des règles permettant que les impôts payés sur le montant A fassent l’objet d’un crédit à l’égard des impôts attribuables aux entreprises exerçant des activités par l’intermédiaire d’un établissement permanent dans le territoire de marché concerné;
  • calculer les montants B pour chaque territoire concerné;
  • appliquer potentiellement des règles nationales supplémentaires pour assurer qu’un montant de revenu équivalant aux montants B soit réparti entre chaque territoire concerné, ce qui peut nécessiter des ajustements corrélatifs des prix de transfert (et la possibilité que le revenu soit attribué à une entité d’un groupe multinational même si le groupe a consolidé ses pertes);
  • calculer les montants C à attribuer à chaque territoire concerné, y compris les mesures de règlement efficace des différends (comme les ententes de fixation préalable des prix de transfert, l’arbitrage international contraignant ou d’autres mécanismes) qui doivent vraisemblablement également être associées aux règles nationales sur les prix de transfert et aux règles nationales anti-abus applicables.

Approche optionnelle de remplacement du premier pilier et mesures unilatérales

La plus importante mise à jour de l’approche unifiée au titre du premier pilier est la possibilité qu’un certain « régime de protection » facultatif soit envisagé par le Cadre inclusif. Cette proposition découle d’une demande des États-Unis.

Le 3 décembre 2019, le secrétaire du Trésor américain a écrit à l’OCDE déclarant que bien que les États-Unis soient favorables à une solution à long terme pour empêcher la prolifération de mesures unilatérales, qu’ils avaient de sérieuses préoccupations concernant d’éventuelles dérogations obligatoires aux normes relatives aux prix de transfert de pleine concurrence et aux liens imposables. Dans cette lettre, le secrétaire du Trésor américain a indiqué qu’il était d’avis que les objectifs du régime du premier pilier pourraient substantiellement être atteints en faisant du premier pilier un régime de protection facultatif, permettant aux sociétés de choisir soit le premier pilier, soit l’ancien régime du prix de transfert. En réponse, l’OCDE indique dans la Déclaration de janvier qu’un certain régime de protection comme celui suggéré par les États-Unis serait examiné par le Cadre inclusif au cours de ses travaux relatifs à l’architecture du premier pilier.

Dans la webémission, Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, a précisé qu’un régime de protection ne ferait probablement pas partie de l’« architecture » du premier pilier, mais qu’il ferait plutôt partie des points de discussion à l’étape de la mise en œuvre du premier pilier et qu’une décision à cet égard serait prise seulement après que l’OCDE aura développé toutes les caractéristiques essentielles du premier pilier. M. Saint-Amans n’a pas montré beaucoup d’optimisme quant à la possibilité qu’un régime de protection fasse consensus, car un « très large éventail » de pays a exprimé de graves préoccupations à l’égard de cette approche.

L’OCDE a indiqué que plusieurs pays ont adopté une taxe « unilatérale » sur les services numériques, plutôt que d’attendre une approche multilatérale consensuelle. Ces mesures unilatérales comprennent celle de la France, une taxe de 3 % sur le revenu généré par les sociétés exerçant des activités numériques et fournissant des services numériques imposables d’une valeur de 750 millions d’euros à l’échelle mondiale et des services numériques imposables d’une valeur de 25 millions d’euros en France. En réponse, les États-Unis ont menacé d’imposer des tarifs de représailles contre ces pays, particulièrement en raison du fait que bon nombre des entreprises de services numériques concernées sont établies aux États-Unis. L’OCDE a indiqué, au cours de la webémission, que le calendrier ambitieux de la proposition définitive est en grande partie nécessaire en raison de la possibilité imminente de guerres commerciales (entre la France et les États-Unis à l’égard de la taxe numérique de la France, ou plus largement entre les États-Unis et les territoires qui ont introduit ou envisagent d’introduire une taxe sur les services numériques). Cela pourrait potentiellement comprendre le Canada puisque la plateforme électorale du Parti libéral comprenait une nouvelle taxe sur la valeur ajoutée, de 3 % sur le revenu des entreprises offrant des services de ciblage publicitaire et d’intermédiation numérique et ayant des revenus d’un milliard de dollars canadiens ou plus à l’échelle mondiale et des revenus de 40 millions de dollars canadiens ou plus au Canada, qui serait annulée lorsqu’un consensus international sera atteint à l’égard des propositions du premier pilier de l’OCDE.

Si le premier pilier devait prendre la forme d’un « régime de protection » facultatif, les pays concernés pourraient bien décider de continuer à prélever leurs taxes sur les revenus de services numériques des multinationales qui n’opteraient pas pour le régime du premier pilier. Par conséquent, il est fort possible que le premier pilier ne fasse qu’ajouter une complexité supplémentaire au système fiscal international plutôt que de remplacer ces mesures unilatérales.

Deuxième pilier

Alors que le premier pilier vise à attribuer de nouveaux droits d’imposition aux territoires de marché en fonction d’une nouvelle règle du lien, le deuxième pilier vise à appliquer un taux d’imposition minimum aux entreprises exerçant des activités à l’échelle internationale. Au cours de la webémission, M. Saint-Amans a mentionné que plusieurs pays avaient affirmé préférer un plan qui ne comprendrait pas le deuxième pilier, tandis que d’autres pays avaient souhaitaient un plan comprenant les deux piliers.

La proposition GloBE de l’OCDE au titre du deuxième pilier porte sur l’élaboration des règles suivantes :

  1. une règle d’inclusion du revenu, qui exigerait un impôt courant sur le revenu d’une entité sous contrôle étranger (ou d’une succursale étrangère), si ce revenu était autrement assujetti à un taux d’imposition effectif inférieur à un certain taux minimum (qui sera fixé à une date ultérieure);
  2. la règle relative aux paiements insuffisamment imposés (pour les pays d’origine), selon laquelle toute déduction serait refusée ou une cotisation éventuelle relative d’un paiement ayant pour effet d’éroder la base d’imposition, à moins que le paiement ne soit assujetti à un impôt de taux égal ou supérieur à un taux minimum précisé dans le territoire du destinataire;
  3. une règle de substitution, qui serait incorporée aux conventions fiscales afin de permettre au territoire de résidence d’appliquer la méthode d’imputation plutôt que la méthode de dispense comme moyen d’éviter la double imposition lorsque les bénéfices attribuables à un établissement stable ou générés par des actifs immobiliers sont imposés à un taux effectif inférieur au taux minimum; et
  4. une règle « d’assujettissement à l’impôt », qui assurerait que les avantages prévus par les conventions (plus particulièrement en ce qui concerne les intérêts et les redevances) soient accordés uniquement dans des circonstances où un élément de revenu est imposé à un taux minimum dans le territoire destinataire.

Osler a présenté des observations à l’OCDE en réponse au document de consultation publique de novembre 2019 sur la proposition GloBE. Ce document est disponible en anglais seulement. Nos commentaires sur la proposition GloBE visaient principalement la nécessité :

  1. de définir avec soin le champ d’application des propositions au titre du deuxième pilier, afin qu’elles soient axées sur les objectifs de la politique; et
  2. d’assurer que la proposition GloBE soit conçue de manière coordonnée afin d’empêcher les doubles (ou multiples) impositions et d’atténuer la complexité administrative ainsi que les coûts de conformité.

Dans nos observations, nous faisions remarquer que la proposition GloBE devrait concentrer son application sur les formes passives de revenus gagnés dans des territoires qui ne se conforment pas aux normes de l’Action 5 du BEPS — ce qui concorderait avec les objectifs déclarés de la politique de l’OCDE, au titre du deuxième pilier, qui sont de décourager le transfert artificiel de bénéfices et la concurrence fiscale dommageable. La Déclaration de janvier reconnaît que certains territoires ont fait pression pour l’insertion d’exceptions de fond afin que de cibler l’application de la proposition GloBE sur les questions du BEPS qui restent à traiter.

Bien que la Déclaration de janvier n’aborde pas de façon détaillée la proposition GloBE au titre du deuxième pilier, M. Saint-Amans a déclaré en conférence de presse que les travaux se poursuivent pour traiter les questions d’agrégation, de dispense et du taux d’imposition définitif. Des réunions sont prévues prochainement en mars et en avril 2020 dans le cadre desquelles le deuxième pilier sera abordé.

Prochaines étapes

L’OCDE compte mener à bien ses travaux techniques à l’égard des deux piliers au cours de 2020. Les membres du Cadre inclusif se réuniront les 1er et 2 juillet 2020, à Berlin, afin de voir s’ils peuvent atteindre un consensus sur l’architecture de l’approche à deux piliers. Si un consensus est atteint en 2020, cela pourrait donner lieu à un processus d’adoption de nouvelles règles au moyen de lois nationales et de modifications aux conventions fiscales, ce qui risquerait de s’étendre sur des années.

Alors même que l’OCDE poursuit son travail sur le premier pilier et le deuxième pilier au cours de 2020, des mesures pratiques détaillées seront essentielles pour garantir que les propositions n’entraînent pas d’incertitude fiscale supplémentaire et de conflits fiscaux. À tout le moins, l’OCDE devrait être en mesure de fournir des exemples concrets et détaillés sur la façon dont les deux piliers s’appliqueraient. Plus particulièrement, les membres du Cadre inclusif devraient avoir les informations nécessaires sous les yeux pour s’entendre sur des mesures et des résultats particuliers plutôt que de grandes idées conceptuelles qui ont le potentiel d’être interprétées de manière divergente.

Nous continuons à évaluer les propositions de l’OCDE et les autres développements fiscaux à l’échelle internationale. Pour plus de renseignements sur la fiscalité internationale ou sur d’autres questions fiscales, n’hésitez pas à communiquer avec un membre du groupe de droit fiscal d’Osler.