Auteur
Associé, Affaires réglementaires, Autochtones et environnement, Calgary
L’Office national de l’énergie (ONE) a refusé d’invoquer sa compétence sur le projet Coastal GasLink Pipeline (le pipeline CGL), apportant des clarifications importantes sur le plus grand projet d’énergie de l’histoire canadienne et respectant la primauté du droit au Canada.
Contexte
Le pipeline CGL est un pipeline de gaz naturel d’environ 670 kilomètres de long et de 48 pouces de diamètre qui acheminera du gaz naturel de la région de Groundbirch, au nord-est de la Colombie-Britannique (C.-B.) jusqu’au terminal de gaz naturel liquéfié de LNG Canada, à Kitimat (en C.-B.). LNG Canada est une coentreprise composée de Shell Canada Énergie et de filiales de PETRONAS, PetroChina, Mitsubishi Corporation et Kogas (collectivement, les participants à la coentreprise). Le pipeline CGL sera construit et exploité par Coastal GasLink Pipeline Ltd. (CGL), une filiale de TransCanada PipeLines Limited (TransCanada). Ensemble, le projet de LNG Canada et le pipeline CGL constituent le plus grand placement privé de l’histoire du Canada.
Le pipeline CGL a fait l’objet d’un examen réglementaire pendant environ cinq ans, entre 2012 et 2017, par les organismes de réglementation de la C.-B. pertinents, y compris une évaluation environnementale par le Bureau de l’évaluation environnementale de la C.-B. et divers processus de demande de permis devant la Commission du pétrole et du gaz de la C.-B. Après avoir obtenu toutes les autorisations nécessaires de la C.-B. et que les participants à la coentreprise aient pris une décision d’investissement définitive finale concernant le projet de LNG Canada, CGL a entamé la construction du pipeline CGL à la fin de 2018.
Le 30 juillet 2018, Michael Sawyer, un résident de Smithers, en C.-B., a déposé une demande auprès de l’ONE, lui demandant de délivrer une ordonnance déclaratoire stipulant que le pipeline CGL relève bien d’un champ de compétence fédérale et qu’il est assujetti à la réglementation de l’ONE, puisque le projet de pipeline sera intégré sur plan physique et fonctionnel au réseau de pipeline interprovincial de TransCanada (en particulier, le système NOVA Gas Transmission Ltd. [NGTL]). Bien que l’intention de M. Sawyer en déposant la demande était manifestement d’entraver le pipeline CGL et le projet de LNG Canada (et, par extension, l’extraction du gaz naturel en amont dans le nord-est de la C.-B.), l’ONE a déterminé que la demande de M. Sawyer constitue une preuve prima facie de compétence fédérale. De ce fait, l’ONE a tenu une audience sur la compétence pour déterminer si le pipeline CGL constitue des travaux ou des entreprises d’une nature fédérale aux termes de l’alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867 (Loi constitutionnelle).
Sommaire de la loi applicable
En vertu du paragraphe 91(29) et de l’alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle, les travaux et les entreprises qui sont entièrement situés dans une province relèvent de la compétence exclusive du gouvernement provincial, mais ceux qui sont reliés à une autre province ou qui s’étendent au-delà des limites d’une province, relèvent de la compétence exclusive du gouvernement fédéral. Dans la décision Travailleurs unis des transports c. Central Western Railway Corp.,[1] et par la suite, dans Westcoast Energy Inc. c. Canada (Office national de l’énergie)[2] (Westcoast), la Cour suprême du Canada a établi un critère à deux volets pour déterminer si des travaux ou des entreprises situés entièrement dans une province pouvaient relever de la compétence fédérale. Selon le premier volet, les travaux ou les entreprises de nature locale relèvent de la compétence fédérale s’ils sont assujettis à une gestion, à une direction et à un contrôle communs et entièrement intégrés sur le plan fonctionnel à des travaux ou à des entreprises fédéraux (p. ex. un système de pipeline interprovincial ou international). Selon le deuxième volet, les travaux ou les entreprises de nature locale relèvent de la compétence fédérale s’ils constituent un élément essentiel, vital et fondamental de travaux ou d’entreprises fédéraux.
La décision de l’ONE
À la suite d’une audience complète sur la compétence, comprenant notamment des preuves écrites, des demandes d’information, des observations écrites et des plaidoyers, l’ONE a rendu une décision motivée le 26 juillet 2019. L’ONE a conclu que le pipeline CGL relève bien de la compétence provinciale, puisqu’il ne satisfait aucun des volets du critère de Westcoast. Bien que l’ONE ait conclu que le pipeline CGL se connectera probablement au système NGTL dans l’avenir, il a établi que le pipeline CGL ne sera pas intégré sur le plan fonctionnel au système NGTL pour les raisons suivantes, notamment : (i) il sera utilisé exclusivement dans le cadre du projet de LNG Canada, mais pas avec le système NGTL; (ii) la majorité de l’approvisionnement au pipeline CGL proviendra d’autres sources que le système NGTL; et (iii) les modèles de gestion du pipeline CGL et du système NGTL sont différents : le premier étant un système d’accès fermé contrôlé par LNG Canada et les participants à la coentreprise et le deuxième étant un système d’accès ouvert contrôlé par NGTL.
En ce qui concerne la gestion, la direction et le contrôle communs, l’ONE a conclu que même s’il y a un certain recoupement entre la gestion de CGL, de NGTL et de TransCanada, y compris certains administrateurs et dirigeants, les participants à la coentreprise exercent un contrôle important sur la conception, la construction et les activités quotidiennes du pipeline CGL, et le système NGTL est entièrement géré, dirigé et contrôlé par NGTL et ses sociétés affiliées. Par conséquent, les deux systèmes ne sont pas gérés, dirigés et contrôlés de façon commune.
Finalement, l’ONE a conclu que le deuxième volet du critère de Westcoast ne s’applique pas puisque le système NGTL ne dépendra d’aucune façon du pipeline CGL.
Répercussions sur l’industrie
En plus d’apporter des clarifications importantes sur le pipeline CGL et le projet de LNG Canada, cette décision devrait rassurer un peu les promoteurs qui, lorsqu’ils suivent le processus réglementaire applicable et réussissent à obtenir toutes les autorisations nécessaires (souvent à grands frais et après une longue période) peuvent se fier sans réserve à ces autorisations pour mener à bien leur projet. Si l’ONE avait conclu que le pipeline CGL relevait bien de la compétence fédérale, après des années de processus réglementaires alors que les autorités fédérales et provinciales ne doutaient pas de la compétence du projet, cette décision aurait gravement ébranlé la confiance en la primauté du droit au Canada et amplifié l’incapacité croissante du Canada de se livrer à la concurrence sur la scène mondiale en matière d’investissement. Heureusement, la décision de l’ONE confirme la répartition constitutionnelle des pouvoirs et apporte une certaine certitude réglementaire, à un moment où, au Canada, on a désespérément besoin de certitude réglementaire.